DiscoverConfinement 2020 - journal indéfini - podcast sous covid19
Confinement 2020 - journal indéfini - podcast sous covid19
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Confinement 2020 - journal indéfini - podcast sous covid19

Author: Alexandre Laurent

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Description

Le confinement de 2020 en France vu de Normandie, un couple avec deux enfants, un chien, et trois cent disques vinyles. Entre journal de bord et carnet intime, ce podcast écrit chaque soir se veut un témoignage de ce présent incertain et intrigant.
#confiné #confinement #covid19
14 Episodes
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Lundi 30 Mars 2020 jour 15 Le réveil avec le ciel bleu, déclaration dérogatoire de déplacement à remplir, le chien à descendre du deuxième étage, le sortir dans l'air frais du matin, la journée commence souvent par ce nouveau rituel. Rentrer faire du café, tenter d'écrire ce journal avant d'entrer dans le challenge matinal : « l'école à la maison » pour ma fille, combinée à « la crèche à la maison » pour mon fils. Inutile de dire que la séquence « le travail à la maison » est un pari impossible dans ces conditions. Faute de précepteur à demeure comme dans les grandes familles au 19e siècle, on se rend compte une fois de plus de l'importance de faire couple dans ces moments. Échange de bons procédés, chacun travaille un matin sur deux pendant que l'autre fait l'enseignant. Les après-midis sont légèrement plus simples avec la sieste du plus jeune et l'aide des applications pédagogiques proposées sur iPad. Nos respirations, faire les courses. Alterner entre la boucherie de la rue Alphonse Karr et celle de l'avenue Georges V. Etretat est un village à viande. Curieux pour un bourg de bord de mer, n'en déplaise aux végétariens. La poissonnerie semble avoir trouvé plus lucratif de muter en restaurant spécialisé dans les fish&chips à emporter et il n'y a guère plus qu'un pêcheur qui exerce de temps en temps son dur métier. Cependant les boucheries tiennent bon. S'il en est une qui est atypique, c'est bien la première, celle de Serge : une formidable aventure hors du temps. Allait-elle être ouverte ce lundi? Les yeux fermés j'aurais pu répondre à qui me pose cette question : oui. Sera-t-elle ouverte demain? Encore, oui. Samedi? Dimanche? Dans deux semaines? Oui, oui et oui. Serge est toujours ouvert. Si sa boutique est fermée c'est qu'il y a un problème de santé, un cataclysme, ou une panne d'électricité. Cette boucherie, c'est la boucherie des années d'avant, des années 50, 60, 70, 80 peut-être, c'est la boucherie des films qui ne se passent pas à notre époque. C'est propre, hein, attention, c'est nickel, de la belle viande qui patiente sagement dans son étal réfrigéré, savamment mise en valeur par le sobre tenancier de l'établissement, seul aux commandes, cuir apparent, fine moustache blanche, blouse assortie impeccable et couteaux affutés. La boucherie de Serge semble n'exister que dans une autre époque, rassurante, que seuls la caisse et l'appareil à carte bleue viennent trahir. Autour, les quelques affiches présentant les morceaux de viande en conseillant de « faire confiance à son boucher et à Seb » et les panneaux interdisant l'entrée aux chiens feraient le bonheur de quelque collectionneur passionné de vintage ou d'un décorateur de cinéma. Aujourd'hui, dans son phrasé rapide et concis, il m'a conseillé du rumsteck plutôt que le faux-filet. C'était bon. Serge a souvent raison.
Dimanche 29 Mars 2020 - Jour 14 Etretat le dimanche, habituellement, c’est d’abord du monde. Des sourires, des cris d’enfants qui se confondent avec ceux des mouettes, des milliers de pas, autant de repas que surveillent des milliers de paires d’ailes, des galets volés, des baisers qui s’envolent tournés vers la mer, qui monte, qui descend, narguant le flot imperturbable, pénible, des voitures et leurs gaz assassins, qui prennent d’assaut chaque brin de rue, chaque centimetre de bitume pouvant servir de place de parking, et déchargent des familles de partout, d’ici comme d’ailleurs, et même de très loin, qui s’extasient devant les portes d’amont et d’aval, merveilles d’une nature sur laquelle ils chient, tous, sans même s’en apercevoir. Etretat le dimanche, c’est la fête populaire, un 14 juillet où ça bosse, hôtels complets, restaurants bondés, moules importées (y’en a pas ici), bière bon marché, ça mange dedans, ça mange dehors même s’il fait froid, même s’il pleut parfois, ça mange en marchant, proies des goélands, insolents oiseaux qui ne pêchent plus dans l’eau, tant pis on jette les emballages, les papiers gras, plus rien à manger car ils ont tout piqué, on s’en débarrasse de nos déchets plastiques, ici c’est pratique pas de recyclage, pas de poubelles de tri, tu balances comme ça, dans une grosse benne si tu la vois. Tout ce que nos belles photos ne montrent pas finit bien souvent dans la mer ou meurent au milieu de la verdure par delà les falaises. Ainsi trinque cette nature qui nourrit le village, ses femmes et ses hommes. Habituellement. Ce dimanche, il n’y a personne. Pas âme qui vive après 13h quand les commerces de nécessité ferment. Après que le chocolatier, dont l’ouverture dominicale était fort attendue par mes enfants, eut baissé pour la semaine son rideau de fer, il n’y a plus que le vent et ses bourrasques de soixante noeuds qui s’amusent à pousser les innombrables crottes de chiens qui s’amoncellent chaque jour davantage un peu partout dans les rues. Il n’y a plus que le vent qui pousse les ailes des oiseaux. Il n’y a plus que le vent qui porte la grêle aux voitures échouées sur le parking. Il n’y a plus que le vent qui fait voler les pancartes des restaurants, sur lesquelles on peut lire : fermeture Covid19.
Samedi 28 Mars 2020 - Jour 13 Le vent s’est levé. Il a fait se déchaîner les vagues. Elles ont couru au plus près qu’elles pouvaient, se sont abattues à bout de forces sur la promenade, dans un vacarme intense. Ses rafales ont stoppé mon jogging, m’ont forcé à faire demi-tour, sa fraîcheur m’a glacé les os. On l’entend de toutes parts, enveloppant la moindre maison, infiltrant la moindre ruelle. Il est là. Il nous tient et se fait plus sentir que le virus. Pourtant il a fallu courir dans les rues d’Etretat, interpeler les passants, hurler son nom, regarder partout pour tenter de le retrouver: notre chien avait pris la fuite. Ce scélérat n’a pas résisté à l’appel de la rue, à l’odeur de je-ne-sais-quel animal, ou juste à la simple lubie d’aller voir plus loin. Un chien, quoi. Son dressage minimaliste ne nous permettant d’avoir son obéissante attention que lorsqu’il a compris qu’un gateau l’attendait entre nos doigts, le canidé est en roue libre. Sympathique au demeurant, mais peu docile. L’avantage est que sa taille, minime, permet de l’emporter d’une main quand il rechigne à suivre nos instructions. L’alerte de sa fugue ayant été donnée alors que je m’occupais de mon fils pour lui remettre une couche, j’ai du précipitamment donner cette responsabilité à sa sœur aînée, 7 ans, avant de filer quadriller le village. Quand je suis revenu bien plus tard, non seulement il n’avait pas encore, ou plus selon sa sœur, de couche, mais il avait achevé d’essuyer ses fesses sur le plaid du canapé. Vision d’horreur. C’est une petite dame qui a appelé ma femme après avoir relevé le numéro de téléphone inscrit sur la médaille du fugitif. Sa chienne semblait ravie d’avoir rencontré un nouvel ami à quatre pattes. Nous fumes soulagés de ce happy ending qui a mis fin aux pleurs de ma fille. L’évadé du jour sera à présent attaché à une longue laisse dans la cour, et basta. Après tout, 3 milliards de personnes sont confinées dans le monde, le chien peut bien supporter d’errer dehors dans la limite d’un rayon de 5 mètres quand il n’est pas dans la maison. C’est un curieux début de printemps. Nous n’avons jamais été aussi longtemps dans cette maison, à se croiser, se supporter, se soutenir, à vivre ensemble tout simplement, dans ces vacances qui ne sont pas des congés, cette guerre dénuée de lutte armée, cette vie quotidienne éloignée de notre quotidien habituel. Le vent se calmera bientôt, je vais me coucher.
Jeudi 26 Et Vendredi 27 Mars 2020 : Jours 11 Et 12 Difficile de tenir un journal quand son job principal c’est déjà d’écrire. On pourrait avoir l’impression de faire des heures supplémentaires si le temps pour cela existait. Je devais finir un chapitre important pour la bonne continuité de mon projet principal et cela n’a pas pris le chemin de la simplicité ni celui de la rapidité. Les heures passées dehors à taper sur mon clavier, aux moments où cela m’est possible c’est à dire surtout pendant la sieste de mon fils, ne suffisent pas à terminer sur quelques heures le chapitre d’une histoire. Nous sommes déjà vendredi et je me suis aperçu que j’ai perdu la notion des jours. Il y a quelques instants je me pensais encore sur la journée de jeudi. Je me dois me rendre à l’évidence, cela fera demain deux semaines que nous sommes arrivés à Etretat. Notre séjour, prévu initialement pour 3 nuits, devient plus confortable: nous avons enfin été livrés d’une commande de vêtements pour toute la famille. J’hérite de deux pantalons ainsi que d’autant de chemises et de caleçons qui viendront compléter la maigre valise que j’avais emporté. Nous avons fait de même pour les enfants afin qu’ils ne tournent plus sur les 3 pulls qu’ils ne cessent de salir malgré les lavages dans cette machine qui n’arrête pas de tourner. Etretat ronronne d’un confinement tranquille. J’espère toutefois que la maison de retraite du village n’est pas trop touchée par le virus. Autrement, la vie est rythmée par les sorties du chien, les promenades des enfants, les contrôles par les gendarmes (j’ai d’ailleurs subi les foudres de la gendarmette cet après-midi parce que je n’avais qu’une déclaration sur laquelle je notais dans un tableau toutes les dates et heures de sortie, ceci dans un soucis bien evident d’éviter du gaspillage de papier. Elle m’a menacé d’une contravention à 135€ pour la prochaine fois. Je vais devoir me plier aux directives ineptes de l’administration). Cela fait deux jours que les médias relayent un très probable rallongement de la durée du confinement. Chacun y va de son analyse. Deux semaines? Quatre semaines? Ce sera deux. Éventuellement renouvelables. Je pense qu’on passera tout le mois d’avril ici, dans 38 metres carrés, à se demander comment l’économie va se remettre, après. Après? Après les Rolling Stones, Led Zep, Leonard Cohen et sûrement Cerrone que mon fils de deux ans adore car il y a des solos de batterie. Après ce moment historique qu’on pensait impossible, improbable tout du moins. Après avoir eu la réponse dans ce débat sur les bénéfices de la Chloroquine pour traiter le coronavirus. Après cette pause mondialisée à différents tempos, brutale souvent, qui met en lumière comment notre société est fracturée, inégale. Je mesure cette chance d’être coincé dans un petit village où l’on rencontre surtout des mouettes et des goélands lors de nos promenades quotidiennes. Je sais qu’à Paris ce sont tous les échoués de la vie qui hantent les trottoirs. Tous ceux auxquels on ne prête pas attention quand ils sont noyés dans la foule. Je sais également que ce sont surtout les livreurs des commandes Amazon qui battent le bitume. J’espère que Jeff Bezos aura une bonne prime à donner à son armée de soldats précaires qui permettent à ce géant du e-commerce de réaliser des bénéfices records pendant cette période où beaucoup d’entreprises s’écroulent. Si Les injustices ne chôment jamais, on se fera livrer de l’espoir. J’en produirai.
Mercredi 25 mars 2020 : Jour 10 A peine 10 jours de confinement et on parle déjà dans la presse de la possibilité que cela dure 6 semaines. Cela nous mènerait à fin avril, début mai. Cela semble loin. Nos journées marathon avec les enfants à occuper, à nourrir, nourrissent des semaines de lenteur où rien n’avance. En majorité les projets professionnels semblent stoppés, reportés, annulés. On ne sait plus qui travaille à distance, qui ne travaille plus. On envoie des mails dont les réponses mettent des jours à arriver, quand elles arrivent. La pousse de ma barbe avance, c’est un fait. Il y a dix jours, je me suis parié à moi-même de ne me raser qu’une fois le confinement passé. Je ne suis pas sûr de gagner de pari stupide. Sur moi c’est moche et j’ai lu que les poils de barbe favorisent la contamination au Covid19. A quoi servirait que je me lave les mains des dizaines de fois par jour si c’est pour arborer un piège à virus sur mon visage? Le poil reste en sursis. Décision à prendre. Tergiversation. La prise de décision, elle non plus, n’avance pas. Les chevaux de la police avancent aussi. Je pensais qu’ils étaient là pour faire décoration mais j’étais mauvaise langue. Bassement perfide. Ils sont là. Peu sympathiques cependant. Le policier fait rarement démonstration de son sens de l’humour, c’est dommage. Ces derniers ont demandé à ma femme de prouver son identité lors d’un contrôle de déclaration pour justifier sa sortie. Manifestant son étonnement, elle leur a répondu avec humour « mais vous pensez que je voudrais prendre la place de qui? » Ils n’ont pas ri. Pourtant, dans un petit village de 1200 âmes, qui voudrait tricher sur le nom qu’on doit inscrire sur ces satanées fiches? Prennent-ils des notes de qui sort et à quelle heure? Que nenni! Alors quel intérêt pour ces policiers de faire du zèle, à par rompre l’ennui d’errer sans relâche dans un village? Aucune réponse. On avance pas ici non plus. Ailleurs le nombre de morts s’élève, inexorablement. Alors que le nombre de villes confinées, de pays confinés progressent sans cesse, les livraisons de masques de protection pour les personnels soignants avancent-ils? Comme beaucoup de choses. A peine.
Mardi 24 mars 2020 : jour 9 La vie à la campagne sous confinement en 2020 ressemble à un vieux film qui se passerait pendant la deuxième guerre mondiale. Une de ces comédies avec Bourvil et de Funès dans une France rurale où le peu de personnes qui sont dehors marchent ou sont à vélo, un pays où les voitures sont rares. Dans le village, les gens recommencent à se dire bonjour, en respectant les règles de distance bien sûr, mais ils se saluent même sans se connaître, un peu comme quand on se croise sur un chemin de randonnée ou en montagne. Chacun va jusqu’au mur du perray en bord de mer pour apercevoir l’eau désormais inaccessible. Curiosité locale, Pete Doherty, chanteur à la sensibilité excessive de la perfide Albion, exilé en terre cauchoise depuis un moment, faisait vraisemblablement un stock de vin ce matin à l’épicerie. Si ce n’était en période de confinement, j’aurais pensé qu’il préparait une fête. Là, je penche plutôt pour une soif difficile à étancher. Malgré toutes les histoires liées à ses différentes conduites à risque, notamment en matière de consommation de substances prohibées, je dirais qu’il est en voie de guérison et qu’il prend soin de sa santé. La preuve : il portait un masque. Heureusement, il semble qu’il ne boive pas de lait. Le supermarché local n’a été livré que d’un seul pack lors de sa livraison de début de semaine. La crainte d’une pénurie pointe le bout de nez chez quelques uns, même s’il est très probable que ce Carrefour Market recevra ses briques de lait vendredi. Soyons positifs, le soleil est là et les gendarmes semblent plus détendus que la semaine passée, même s’ils ne sont plus à cheval aujourd’hui. Cela aura au moins permis aux journaux locaux de faire des reportages pour se moquer des parisiens. Ayant fait une rapide revue de presse régionale, j’ai l’impression que le cliché facile du francilien exilé a été bien exploité. Même pas mal. Tout l’après-midi je suis resté à écrire au soleil, n’espérant rien de particulier, seul face au parking d’Etretat, miraculeusement vide, seul face aux falaises miraculeuses tout simplement. Regardant cette étendue de places vides, j’ai commencé à imaginer qu’on y consacre plutôt un jardin, et j’espère bien qu’on y vienne un jour. Avec l’effrayante crise économique qu’on commence à nous promettre et le besoin indiscutable de protection de notre environnement, le futur de mon village pourrait ressembler davantage à cela, une France plus simple, sympathique, ouverte, heureuse! Un savant mélange de Jour de fête et du Gendarme de Saint Tropez avec The Who en bande son : I’m free.
Lundi 23 Mars 2020 : Jour 8 Cette fois-ci je ne trouve le temps d’écrire ce journal que le lendemain de la date précitée et c’est diablement pénible de constater cela. Le confinement en famille a ses bons et ses mauvais côtés. L’avantage c’est qu’on est pas seul, cela crée des repères temporels, ces contraintes d’organisation qui font que même la vie confinée suit une mécanique semblable à celle du quotidien « normal ». En revanche, les difficultés sont d’ordre personnel, psychologiques. Amoureux de moments solitaires, de temps d’écriture, il est souvent difficile d’être constamment sollicité, du matin où tu es réveillé par les braillements de tes enfants après une nuit en pointillée pour les mêmes raisons, jusqu’au soir où ces derniers traînent et se couchent tard, si tard que tu ne tiens jamais éveillé plus longtemps que la moitié du film qu’on rêve chaque soir de regarder. La vie est ainsi faite. Parmi les rares moments de calme, on assiste à des scènes surprenantes depuis la fenêtre. Ce lundi des gardes à cheval ont sillonné les rues du village. C’est joli. Ca fait aboyer les chiens. C’est plus écolo que les motos des gendarmes. Tiens? Une caméra! Un journaliste. Opération de communication? On le saura plus tard si les chevaux reviennent dans la semaine. Dans la cour chacun s’occupe, invente une table de ping-pong avec un plateau de bois, joue au badminton avec des raquettes défoncées, et attend les nouvelles à venir, toujours, toujours. Le premier ministre doit parler, annoncer des mesures, le confinement total est assuré selon certains, d’autres voisins temporisent ou ne disent rien. On est pas expansif non plus en Normandie. Sur WhatsApp, mon oncle délirant assure un déploiement de l’armée, un rationnement, un couvre-feu général... il prédisait déjà cela il y a une semaine. Je ne réponds plus. Plus le temps. Ma fille doit faire ses devoirs. Je dois surveiller, aider, corriger. Le soir notre premier ministre Édouard Philippe s’exprime. Bien sûr, rien ne suit les prévisions du Tonton farfelu. Tout au plus des précisions, fort utiles cependant, et bienvenues. J’apprends qu’on peut promener les enfants jusqu’à 1 kilomètre autour de chez soi. C’est beaucoup mieux que le pâté de maisons dont la gendarmerie nous octroyait l’autorisation de faire le tour. Prestement meme. 1 kilomètre à la ronde, ici, c’est tout le village, c’est des chemins sur les falaises, c’est la nature. C’est une chance. Ça y est, c’est déjà l’heure d’autre chose, la vie ne s’arrête pas, la vie ne s’arrêtera pas. Barbe
Dimanche 22 Mars 2020 : jour 7 Habituellement le dimanche je ne fais pas grand chose à part recevoir des amis, partir en ballade ou bien faire de la patisserie. Il va sans dire que le confinement rend plus compliqué 2 activités sur les 3 que je viens de mentionner. J’ai l’impression que mes rencontres avec les gendarmes vont faire partie de mon quotidien, je n’oublie plus ma déclaration, je vais même m’atteler à la recopier encore plus proprement et au mot près. Je me suis fait sermonner ce matin par une gendarmette (note au passage, je ne suis pas certain que ce mot soit valide au Scrabble), car j’avais abrégé certaines phrases. Cela donnait « je certifie que je vais promener mon chien ». Encore une fois on m’a demandé si j’habitais là et j’ai à nouveau répondu par l’affirmative. La prochaine fois je demanderai s’ils sont obligés de poser cette question ou si c’est juste de la curiosité. J’aime bien les gendarmes, leur présence est souvent rassurante mais je suis surpris de ce genre de questions sur mon lieu de résidence qui ne va rien changer au déroulé de leur mission. De toutes façons, si cela se trouve je vais finir par habiter ici à l’année faute de vaccin au Covid19 et je continuerai ce journal indéfini en trouvant ça et là un peu de temps pour l’écrire, l’enregistrer et le partager. C’est une des rares fois où je rends public une expérience personnelle. Je ne suis pas féru des réseaux sociaux, et si je travaille beaucoup avec instagram pour des raisons professionnelles, je n’ai aucun compte personnel, ni sur Twitter, ni Instagram et encore moins Facebook. Quand au hasard d’une recherche je vois ce qu’il s’y raconte, ce que l’on colporte comme rumeurs, comme fausses informations, cela me révolte. D’ailleurs, c’est hallucinant le nombre de personnes qui ont subitement un voisin, une tante, la mère de leur ami, voire encore une source confidentielle sûre à 100% qui travaille au ministère de l’intérieur ou à Matignon. Tous, sans exception, partagent des informations fausses et anxiogènes, servant juste à alimenter leur Schadenfreude, la joie malsaine qui sommeille en chacun de nous. Cette schadenfreude est un virus tout aussi néfaste que le Covid19. Quel confinement peut-il venir à bout de ce sentiment crasseux? nul besoin d’incriminer les réseaux sociaux pour trouver un responsable à cela. De tout temps hommes et femmes se sont vautrés dans le plaisir malsain de répandre la rumeur, de faire écho de façon volontaire aux pires mensonges comme aux simples ragots pernicieux. Cela a toujours fait s’immiscer chez chacun le doute, la crainte, l’effroi même. Nos relais de communication sont des autoroutes pour la connerie universelle qui se déverse sans frein ni mesure. Aujourd’hui ce sont les quelques parisiens qui se sont temporairement exilés en province qui sont mis à l’index, jugés sans discernement ni modération. Cela passera. Comme les César du cinéma. Une schadenfraude en chasse une autre. C’est dimanche, les amis sont loins et les balades impossibles, ce sera pâtisserie.
Samedi 21 Mars 2020 : jour 6 Hier soir je me suis endormi après avoir regardé plusieurs documentaires sur YouTube consacrés aux aventures d’un couple de navigateurs qui sillonnent les océans sur leur voilier, accompagnés de leurs amis. Je suis tombé sur leurs exploits en recherchant des videos sur l’archipel des Chagos dans l’océan Indien. Je rêve d’aller là-bas en bateau, à la voile, un jour. Cela prend à peu près 15 jours de navigation depuis l’île Maurice, à peine moins depuis les îles Cocos au large de la Malaisie. Il faut s’imaginer 15 jours au milieu de l’océan, sur un voilier de 16 mètres, sans épicerie à proximité, sans itinéraire de jogging, sans internet! Cela doit être une expérience merveilleuse et particulièrement éprouvante. Nous n’en sommes qu’au sixième jour de ce journal, cela ne fait pas encore une semaine que nous sommes confinés et déjà mon fils qui n’a pas encore trois ans me demande pourquoi on ne va pas à la plage tout à côté. Je l’ai vu s’agacer de ne pas partir en promenade et tenter de repartir en sens inverse alors que nous revenions de sortir le chien. J’en fus bon pour un deuxième tour de ce parking désolé et désolant qui n’héberge plus qu’une dizaine de véhicules tout au plus, tous immobiles depuis plusieurs jours. Si j’étais tout embêté de constater que mon petit garçon, qui pourtant s’amuse royalement dans notre cour, arrive à ressentir les effets du confinement malgré la situation favorable dans laquelle nous nous trouvons, cela m’a fait penser à tous ces gamins enfermés dans des immeubles au même moment dans des milliers de grandes villes. Comment ne pas se sentir désemparé en tant que parent face à une telle situation? Comment faire pour échapper à l’anxiété qui monte en chacun à un moment ou à un autre? Comment répondre à cette question : quand est-ce qu’on pourra aller plus loin? Je ne sais pas. C’est pour tout le monde pareil. Tout le monde, c’est aussi cette personne d’une soixantaine d’années, seule à Paris, qui nous appelle avec des sanglots dans la voix pour nous dire que c’est la première fois que la solitude la blesse. Elle ne sort plus et n’a aucun voisin qui vient lui dire bonjour. Elle aussi pose des questions. Vous pensez que ca va durer plus de quinze jours? Me demande-t-elle, inquiète. Je ne sais pas. Ce que je sais c’est que le son de la mer ne se heurte plus à celui des ventilateurs extérieurs des climatisations des restaurants, pas plus qu’il ne rencontre le bruit des moteurs des centaines de voitures qui de façon incessante en temps normal hantent de façon stupide Etretat à la recherche d’une place de stationnement. Ce que je sais, c’est qu’on offre un peu de répit aux falaises, aux poissons dans la mer, à l’atmosphère terrestre. Le confinement nous aidera peut-être à réaliser à quel point nous sommes allés loin dans la mauvaise gestion de notre planète comme de nos villages. Ce soir des arrêtés préfectoraux ont été affichés sur le front de mer qui est à présent inaccessible au pekin moyen. C’est beau également, Etretat, sans touristes, sans voitures, ah oui surtout sans voitures, c’est presque aussi calme que l’archipel des Chagos, le soleil en moins.
Vendredi 20 mars : jour 5 J’avais commencé à prendre l’habitude d’écrire ce journal chaque soir vers 19 heures mais il semble que la nouvelle mode familiale soit de prendre un apéro-Facetime entre plusieurs confinés de différentes régions. iPad réquisitionné, tout le monde est autour de l’écran pour constater comment chacun vit son confinement. Certains ont des jardins de plusieurs hectares quand d’autres ont juste une fenêtre qui donne sur la rue. Ici, c’est une cour dont je sors trois fois par jour, deux fois pour promener rapidement le chien, une fois pour quelques courses. C’est ainsi que ce matin, un peu avant 9 heures, à nouveau rattrapé par des maux de tête, je me suis aventuré à cinquante mètres de chez moi pour que mon fidèle animal de compagnie puisse faire ses besoins. Je me suis retrouvé bien ennuyé quand un véhicule de la gendarmerie est arrivé dans ma direction. J’ai eu l’impression de me retrouver dans la peau d’un hors la loi alors que mon seul délit était d’avoir oublié la fameuse déclaration sur l’honneur qui stipule que je vais promener mon chien. Après m’avoir sermonné pour cet oubli, un des gendarmes m’a demandé si j’habitais loin. Un peu penaud, je désignais du doigt ma maison toute proche quand son collègue a voulu savoir si j’y résidais à l’année. Là, pour peur-être la première fois de ma vie, j’ai menti à un représentant de l’ordre. Sans même faire exprès, sans calcul, sans volonté de dissimulation, non, comme ça c’est tout. « Oui monsieur, j’habite ici tout le temps ». Tout le temps, peut-être pas. Souvent, certainement. Etretat, j’y vote, j’y suis la plupart de mes weekends, à chaque nouvel an et plusieurs semaines chaque été. C’est peut-être pour cela que ma réponse fut aussi naturelle. En revanche, sitôt rentré chez moi, j’ai commencé à me demander en quoi cela serait-il un problème que je fusse d’ailleurs. J’imagine bien que ailleurs, c’est Paris. Effectivement, j’habite à Paris, effectivement je suis confiné en province, effectivement il y a des centaines de parisiens qui ont quitté leur domicile pour rejoindre des zones rurales au risque d’exporter la maladie dans des secteurs où existe une pénurie de docteurs, effectivement cela pourrait faire de moi un gros égoïste alors que rien de tout cela n’était calculé. Avec l’impression d’être une sorte de « malgré-nous » de cette guerre contre l’ennemi invisible, je me suis juré de ne plus sortir sans mon précieux sésame, et encore, le moins possible, en rasant les murs, en évitant le moindre quidam ce qui n’est pas compliqué tellement le village est désert en ce moment. 22h. C’est l’heure de la sortie du soir. Je vais voir les vagues se déchaîner, seul avec mon chien, 5 minutes et c’est tout.
Jour 4 : jeudi 19 Mars 2020 J’ai revu à la baisse le volume le disque de Santana qui a trop de fièvre pour cette journée fraîche. J’ai revu à la baisse mes espoirs de voir ce confinement de quinze jours se tenir à sa durée initiale. Les médias laissent déjà entendre que cette étrange période ne pourrait qu’être prolongée. Combien de temps les habitants de Wuhan sont-ils restés confinés? J’apprends qu’ils recommencent seulement à sortir. La réponse que je viens de découvrir c’est 2 mois. Je nous imagine là dans cette petite maison pendant deux mois. Cela ne nous est jamais arrivé de passer autant de temps ici. Au maximum trois semaines un été, jamais plus. Quelque part j’en rêvais de temps en temps de vivre un moment hors saison ici. Pas forcément dans ces conditions cependant. Le village donne l’impression d’être si vide! Le perret, cette longue promenade qui borde la mer, semble mort, surtout la nuit tombée avec ce Casino fantomatique et les deux immeubles blancs vers la falaise d’amont, presqu’entièrement déserts, qui se montrent encore plus laids qu’à l’habitude. Au marché ce matin, 5 stands attendaient les clients à 8 heures. Il y avait plus de vendeurs que de badauds, et les conversations exprimaient à la fois l’angoisse et le ressentiment de la part de ces marchands ambulants. Cela m’a toujours étonné le nombre de personnes qui sont persuadées qu’on leur cache des choses, que les médias, les journalistes, leur cachent la réalité des faits sur ce qui est important dans notre monde. Est-ce parce qu’eux mêmes sont particulièrement duplices qu’ils pensent que le monde tourne nécessairement de cette façon? Est-ce cette même duplicité aiguisée d’une bêtise crasse qui pousse certains à faire des stocks de nourriture? Est-ce la peur d’un hypothétique rationnement de nourriture ou le sombre dessein de tirer quelque profit de ces denrées en cas de mesures plus contraignantes? Ils sont les artisans de leur malheur. J’ai un oncle que je découvre comme ça. La soixantaine, profession libérale en banlieue, un avis sur tout, tranché. Je reçois de lui chaque jour entre cinq et dix transferts d’images, de videos ou de textes flirtant avec le complotisme sous le couvert de l’humour. Il relaye à tout va la moindre pastille pseudo-humoristique, aux relents populistes, au racisme sous-jacent, anti-état, anti-impôts, anti-médias... merci tonton pour m’éclairer un peu plus sur la noirceur de notre société. Alors je lui réponds, tentant d’argumenter ça et là, en deux trois lignes, pour lui expliquer que non, nul besoin de retirer un maximum de cash des distributeurs bancaires, nulle nécessité de croire ou juste laisser filtrer l’idée d’un futur apocalyptique, terrain d’une guerre civile entre les gens des cités et les autre. Le futur n’est pas cela. Ce momentum que nous vivons, sans être une chance, est une occasion à saisir. Et si on pouvait changer? Et si on pouvait évoluer? Ce confinement est peut-être le symbole de la fin d’une ère mais il faudra travailler pour mieux définir ce qui suivra. Sans les blagues malaisantes de mon oncle, mais sans doute toujours avec les disques de Santana.
Mercedi 18 Mars 2020 : jour 3 La Mélodie du Bonheur résonne dans la pièce qui concentre en douze mètres carré l’entrée, le salon, et la cuisine. Les enfants regardent ce vieux film que je suis ravi qu’ils adorent. C’est mon premier jour totalement sans céphalées depuis qu’on est arrivés en Normandie. J’espère bien perdre ma toux à présent. C’est sans doute, entre autres choses, cette perspective qui m’a retenu de filer me baigner dans la mer alors que le soleil nous donnait la chaleur de ses plus beaux rayons cet après-midi. Bien m’en a pris. La gendarmerie rôde, même dans le village. À present il en coûte 135 euros d’aller se tremper dans la Manche. Mon voisin en sait quelque-chose. These are a few of my favourite things. Encore une fois la journée à été ponctuée de la recherche d’informations sur l’évolution des cas de maladie en France et dans le monde. Cela n’arrête pas d’empirer en Europe et aux Etats-Unis. Les vacances de cet été à New-York seront, je le crains, compromises. De toute façon c’est compliqué de se projeter dans quoi que ce soit. Cet « entre-deux » entre latence et préparation à l’action future est inédit et par conséquent déstabilisant. On pourrait ne rien faire comme pendant des vacances si on renonçait à culpabiliser. C’est vain. Je ne sais réellement sur quelle dynamique parier. Tout me semble légèrement bancal, si ce n’est hasardeux. Je peux continuer le roman que j’ai commencé, je dois travailler sur un projet de documentaire autour du maquillage, j’adorerais écrire une chanson par jour sur le confinement et l’enregistrer dans la foulée et devenir ainsi une star des réseaux sociaux... Hélas, le temps libre n’est pas infini. Les enfants représentent eux-mêmes une activité bien chronophage. On devient tour à tour animateur, professeur, surveillant, clown, conteur, chanteur, sans oublier cuisinier, infirmier ou chargé de ménage, être parent pourrait être un emploi rémunéré à sa juste valeur par l’état. On s’essaye à se trouver des moments libres entre deux activités, deux mouchages et lavages de mains. Ce moment suspendu presque indéfini nous remet nous-mêmes en question, de façon profonde. La vacuité de certaines de nos occupations professionnelles nous jaillit au visage. Gloire à celles et ceux qui savent soigner les gens, comme à celles et ceux qui savent faire du pain. Ici dans notre petit village, éloigné d’une certaine folie des grandes villes qui nous est rapportée et que j’espère anecdotique, la vie est calme, paisible bien qu’inquiète et concernée, mais pour le moment la vie est simple, on ne manque de rien. J’ai même une guitare et je compte bien chanter encore pendant les longues journées qui suivent une certaine mélodie du bonheur.
Mardi 17 mars 2020 - jour 2 Quinze jours. On a pris quinze jours. Après quelques heures d’à-peu-près médiatique on a compris comment nos vies allaient être régies ces prochaines semaines: chacun chez soi. On sortira peu donc. Difficile de résister à l’appel de la plage si proche, à peine cinquante pas à effectuer pour poser les pieds sur les galets Le soleil éclatant au milieu d’un ciel dépourvu de nuages a offert une journée semblable à celles des mois d’été, la température en moins. On reste en mars. Douze degrés dehors. On prend le soleil. On quitte les pulls. On remet les pulls rapidement ensuite. Le vent veille. La gendarmerie surveille. Les promeneurs sur le front de mer sont prestement invités à quitter les lieux. Tout ralentit, quelquefois s’arrête. Les villes, les pays, le monde et l’économie. La bêtise et l’horreur continuent cependant. Confinés en famille les violeurs d’enfants, confinés en couple les maris violents, les alcoolos, confinés tout seuls les dépressifs, en revanche pas de confinement ni de soin dans les camps de réfugiés en Syrie où le virus n’épargne sûrement personne, femmes et enfants en première ligne, et plus proche de nous pas de confinement pour les livreurs d’Amazon, UberEats et compagnie. De tout cela pas un mot. On verra plus tard, quand cela nous explosera à la gueule. Quand les familles aisées parisiennes (dont nous faisons partie) feront le trajet retour de leur maison de campagne vers leur domicile principal. Quand nos enfants retrouveront le chemin de l’école avec la chance de ne pas avoir perdu le fil des connaissances nécessaires pour la réussite de leur année scolaire. Quand je me remettrai à chercher un emploi. Pour le moment je suis en plein questionnement : se raser ou laisser pousser? Cela n’occupe heureusement pas l’essentiel de mes journées mais chaque miroir me renvoie à cette question. Par chance j’ai emporté une tondeuse à barbe pour ce weekend qui s’est prolongé en quinzaine du confinement. Outre cet accessoire, dans ma valise il y avait trois chemises, trois pantalons, un bermuda, quatre caleçons et trois paires de chaussettes. Challenge personnel: laver régulièrement, sécher rapidement. En une demi-journée de confinement (le début officiel était à 12h) on a pu ressentir de l’inquiétude et du stress chez des gens autour de nous, inconnus, voisins, amis... L’inconnu, ce terrible adversaire. C’est une drôle de guerre que celle-ci. On attend. On attend tous. On rêve que tout se passe bien. Pour le moment on en rigole un peu malgré cette légère tension qui se fait bien sentir. Mais dans quinze jours? Quinze jours. On a pris quinze jours, minimum.
Lundi 16 mars 2020 Je remets le début du disque vinyle de Charlie Rich parce que je réfléchissais à ce que j’allais écrire et je n’ai rien écouté de sa country old school. Je vérifie le niveau du chauffage, les soirées sont fraîches en Normandie, peu importe les saisons. Je me suis assis dans un coin du salon de notre petite maison de pêcheur à Etretat, l’iPad posé sur son socle, un clavier Bluetooth en secours; je balaye du regard toute l’étendue de ces douze mètres carrés où nous passons notre soirée, ma femme, mes deux enfants, notre chien et moi. Nous sommes venus pour un week-end, pensant repartir ce matin pour rendre visite à mon beau-père à Pont-Lévèque puis rejoindre Paris où nous habitons. L’actualité liée à l’épidémie du CoronaVirus, avec son nom très stylé de Covid-19, nous a fait réfléchir à l’idée de rester un peu plus longtemps dans notre petite maison de vacances. Hier, on parlait de rester jusqu’à mercredi. Aujourd’hui on ne sait plus. Je change la face du disque de Charlie Rich. Je n’ai rien entendu: les enfants regardent un film à deux mètres en face de moi. Le son de leur film est plus fort que celui du pianiste de Memphis. C’est la fin d’une journée rythmée par la consultation frénétique des sites d’information, par les incessantes notifications de WhatsApp où chacun partage les mêmes dernières rumeurs d’un possible confinement total, enfin par les négociations avec les enfants pour se laver les mains, faire des exercices scolaires, manger, manger proprement, aller à la sieste, ne pas manger tous les chocolats, se laver encore les mains et nous laisser un peu bosser. On attend vivement que les deux merveilleux invités d’honneur de notre vie soient suffisamment fatigués pour accepter d’aller se coucher sans contestation et dans un autre genre on attend que le Président de la République parle. Dans les rues du village, entre voisins, au téléphone, par messages, tout le monde ne parle que de cela : le confinement. La France sous cloche. On parle de couvre-feu à 18 heures, de l’armée dans les rues avec des blindés, d’une France en pause comme l’Italie ou l’Espagne, de 2 ou 3 régions concernées, non, de toute la France concernée, de rationnement alimentaire, de réseaux saturés, de Netflix et YouTube limités en bande-passante pour permettre les télé-travailleurs de télé-travailler, de centaines de morts, de milliers de morts, de centaines de milliers de morts possibles, mais jamais de Charlie Rich. Sur la pochette du vinyle, Rich est sur scène, caressant des doigts un Steinway. Mon rêve. Ce n’est pas demain que je jouerai sur un tel piano. Demain je serai là, à Etretat, à surveiller, distraire et faire le travail d’éducation pédagogique de deux enfants, tout en essayant d’écrire et de trouver un sens à cette vie. Il est 19h56. Emmanuel Macron va enfin parler. Nous allons bientôt savoir combien de temps nous resterons en Normandie.
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