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Les rendez-vous de Philopop

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Les Rendez-vous de PHILOPOP- émission du 15 juin 2025 Liberté d'expression et liberté de penserRéflexion à partir de la lecture de l'opuscule de Kant "Qu'est-ce que les Lumières ?" publié en 1784. 1- La liberté de penser peut-elle se passer de la liberté d'expression? a- On peut bénéficier de la liberté d'expression et n'être pas le moins du monde libre dans ses pensées. b- Comment expliquer que nous appelions “opinions personnelles” nos préjugés ? "Nous avons été enfants avant que d'être hommes et il nous a fallu longtemps être gouvernés par nos appétits et nos précepteurs" (Discours de la méthode II, Descartes)c- L'exemple du doute méthodique de Descartes : une émancipation individuelle de la pensée est-elle possible ? 2- Parvient- on seul à penser par soi-même ?a- Les circonstances de la rédaction de l'opuscule "Qu'est- ce que les Lumières ?" de Kant (1784). Le siècle de Frédéric II comme "époque d'accession aux Lumières".b- Accéder aux Lumières, c'est pour l'homme "sortir de la minorité où il se trouve par sa propre faute". Le confort de la servitude que vise à maintenir les "tuteurs"c- Comment sortir de la minorité ?- l'analogie entre l'apprentissage de la marche et celui de la liberté- l'émancipation par le moyen d'un public qui se constitue comme espace de libre discussion soustrait à toute censure 3- La liberté d'expression comme condition de l'exercice et de la formation d'une libre pensée"Pour propager les Lumières, il n'est rien requis d'autre que la liberté"La publicité comme diffusion de la vérité (elle se propage d'elle-même, du seul fait qu'elle paraît à des hommes qui la comprennent) 4- La liberté d'expression peut-elle être sans limites?a- Distinguer le domaine de la pensée et celui de l'obéissance civile, l'usage public de la raison et son usage privéb- L'obéissance aux lois n'exige pas l'interdiction de les critiquerc- En criminalisant l'expression d'opinions, un pouvoir despotique cherche à maintenir les hommes dans la minorité
Les Rendez-vous de PHILOPOP, émission du 27-04-25"La paix n'est-elle qu'un doux rêve ?"Lecture du Projet de paix perpétuelle de Kant, publié en 1795, après la victoire des armées françaises sur les monarchies européennes coalisées contre la jeune République française.Comme le suggère ironiquement l'enseigne d'une auberge ("Vers la paix perpétuelle") sous laquelle figure l'image d'un cimetière, la véritable paix n'est-elle pas seulement la paix des cimetières ? Dès lors, à quoi bon en parler ? Une véritable paix, -qui ne serait pas une simple accalmie entre deux guerres-, une paix perpétuelle où les hommes seraient définitivement délivrés de la menace de la guerre, une telle paix est-elle condamnée à rester un "doux rêve" pour les vivants ?1- Le problème de la paix est surtout celui de la paix internationalea- Il est possible d'instaurer la paix civile par le droit au sein d'un EtatDe l'hypothèse de l'état de nature -état de non-droit- à l'institution de l'Etat qui soumet les hommes à une législation commune (Léviathan, chapitre 13, Hobbes, 1651, et premier supplément au Projet de paix perpétuelle, Kant)b- Il paraît impossible en revanche d'instaurer une paix internationaleL'inégalité de puissance entre les Etats n'a pas de limites et les rapports de puissance, en constante évolution, les contraignent à se préparer constamment à la guerre , l'effort de guerre risquant alors de les rendre tyranniques à l'encontre des citoyens (Que l'état de guerre naît de l'état social, Rousseau)2- La raison seule peut définir les conditions juridiques de la paix et orienter en ce sens l'action politiquea- Il ne s'agit pas pour Kant de réfléchir aux normes d'une "guerre juste" et d'encadrer sa pratique par des conventions chargées d’éviter qu'elle sombre dans la folie destructrice, comme on l'envisageait traditionnellement dans "le droit des gens" ("Le droit de la guerre et de la paix", Grotius, 1625); mais il s'agit d'exclure radicalement la guerre comme moyen de règlement des conflits. Aucune guerre n'est juste car elle est un retour à l'état de nature (état de non-droit)b- Réfléchir aux conditions juridiques de la paix, c'est envisager sa réalisation dans ce monde, contrairement au discours théologique pour lequel elle ne peut s'accomplir que dans l'au-delà (Cité de Dieu, Augustin, 426), et c'est définir un idéal vers lequel l'action politique doit s'orienter, sachant qu'on ne peut au mieux que s'en approcher.3- A quelles conditions la paix est-elle réalisable?a- Les 6 articles provisoires du Projet de paix perpétuelle énoncent ce qu'il faut éviter pour préserver les chances de la paixb- Les 3 articles définitifs énoncent les conditions qui permettent de garantir la paix et d'exclure définitivement la guerre : 1- Il faut une constitution républicaine dans chaque Etat; 2- il faut une fédération d 'Etats libres (le danger d'une "monarchie universelle" ; la nécessité d'une fédération des peuples à défaut d'une "république universelle") ; 3- il faut enfin un "droit cosmopolitique" qui garantisse à un étranger de ne pas être traité en ennemi par l'Etat dont il foule le sol.c- Conclusion : la paix est le résultat nécessaire de l'instauration du droit, à tous les niveaux : entre les individus à l'intérieur des Etats, entre les Etats, entre un Etat et les individus étrangers4- Si le droit est la condition nécessaire de la paix, qu'est-ce qui permettra sa réalisation?a- La paix ne serait qu'un "doux rêve" si elle dépendait seulement du bon vouloir des hommes et de la sagesse des nations. La réflexion sur l'histoire montre que sa logique de développement contraint les Etats à entrer de plus en plus dans des rapports de droitb- Cette réflexion n'est pas un savoir ; elle ne procure aucune certitude, elle fonde l'espérance d'un progrès du droit qui peut conduire à mettre la guerre hors la loi et elle renforce tous ceux qui travaillent à la paix dans la conviction qu'il faut tout mettre en oeuvre pour agir, dès maintenant, en ce sens.Bibliographie:"Vers la paix perpétuelle" ou "Projet de paix perpétuelle" selon les traductions, dans plusieurs collections de poche comme Hatier ou G/F
Les Rendez-vous de PHILOPOP- émission du 9-03-2025Mauvaise foi, mensonge, inconscientComment comprendre qu'on choisisse de ne pas vouloir savoir ce qu'on sait ?Lecture du 2ème chapitre de la 1ère partie de l'Etre et le Néant de JP Sartre (1943) consacrée à la "mauvaise foi"La mauvaise foi n'est pas le mensonge (ni la duplicité) par lequel on dissimule à autrui ce qu'on pense être la vérité, mais elle est mensonge à soi. A vrai dire, se mentir à soi-même, ce n'est pas mentir, c'est se faire croire ce qu'on sait être faux. La mauvaise foi est une "foi". Comment rendre compte de cette énigme ?1- L'énigme de la mauvaise foia- L'homme de mauvaise foi ne simule ni ne dissimule (il saurait sinon qu'il simule ou dissimule); mais il croit à ce qu'il dit et il croit dire ce qu'il croit, alors même qu'il n'y croit pas vraiment. Comment expliquer une telle ambiguïté? Et comment peut-on se cacher la vérité si on sait ce que l'on doit se cacher ?b- Pour comprendre une telle énigme, il ne faut pas en rester à une description psychologique, il faut analyser les conditions de possibilité de la mauvaise foi et s'interroger sur la conscience qui est à sa source.c- Examen de la conscience dont l'activité constitue la réalité humaine et fait que l'homme ne peut jamais réduire son être à l'identité figée d'une chose. La structure paradoxale de la conscience : elle n'est pas un être qui demeure ce qu'il est mais un "être qui est ce qu'il n'est pas et n'est pas ce qu'il est".2- Mauvaise foi et mensongea- Si le mensonge présuppose la dualité du trompeur et du trompé, comment le mensonge à soi est-il possible alors qu'il exclut cette dualité (c'est la même conscience qui trompe et est trompée)?b- Une solution pour échapper à cette difficulté: réintroduire la dualité du trompeur et du trompé par l'hypothèse d'un inconscient psychique (Freud)- L' hypothèse d'une censure qui empêche les représentations inconscientes de pénétrer dans la conscience ou qui ne les laisse passer qu'au prix d'un déguisement qui les rend méconnaissables (exemple des phobies; des lapsus, des actes manqués, des rêves, des symptômes névrotiques). L'inconscient intervient ainsi comme une cause séparée de la conscience qui produit en elle des manifestations qu'elle ne peut saisir, jouant le rôle du trompeur à l'encontre de la conscience trompée.- Critique du caractère contradictoire de l'idée de censure : comment parler d'un mécanisme inconscient de censure qui, pour choisir les désirs qu'il refoule, doit se les représenter ? Abandon de l'hypothèse de l'inconscient qui présuppose une conception chosiste du psychisme- La mauvaise foi comme méconnaissance qui procède de la conscience elle-même : elle est une conscience en porte à faux avec elle-même en se dissimulant ce qu'elle sait3- L'examen des conduites de mauvaise foi permet de cerner ses conditions de possibilitéa- La mauvaise foi comme conduite défensive face à une situation difficile devant autrui, destinée à échapper à l'angoisse de sa liberté en déniant sa liberté et en se faisant croire qu'on a un être comme une choseb- Les stratégies de mauvaise foi dans trois exemples de conduites de mauvaise foi :- La jeune femme coquette confrontée au désir de l'homme avec lequel elle a un 1er rendez-vous- L' homosexuel honteux de son homosexualité dans une société homophobe- Le garçon de café exposé au regard des clientsc- La mauvaise foi est possible en raison même de la structure paradoxale de la conscience qui n'a pas l'identité d'un être, mais est un être "qui est ce qu'il n'est pas et n'est pas ce qu'il est".Bibliographie :L'Etre et le Néant, 1ère partie ("L'origine du néant"), chapitre 2 ("la mauvaise foi" pages 95 à 126), édition TEL/ Gallimard.
Les Rendez-vous de PHILOPOP- émission du 19 janvier 2025 Sur Jean Jacques Rousseau, entretien avec Yann MoutonA propos de son livre "Jean-Jacques Rousseau, manière d'écrire et manière d'être", paru dans la collection "Au plus près" aux éditions "Les grands détroits" (2024)Comme l'indique Yann Mouton en son introduction, il s'agit de "redécouvrir les plus moments de l'oeuvre de Rousseau, d'en interroger les passages les plus étonnants ou audacieux (...), d'en lire des extraits, dont la plupart sont connus (...) en s'efforçant de se défaire du dangereux sentiment de familiarité nourri par plus de deux siècles de référence et d'usage (...), et "d'éprouver, à l'occasion de ces lectures, la surprise ou l'inquiétude qu'inspire toute véritable rencontre"Après une présentation générale, cet entretien visera à donner un aperçu de cette rencontre, en retenant deux extraits de l'oeuvre de Rousseau (1712-1778) parmi ceux que Yann Mouton explique et commente dans son ouvrage, afin d'en mesurer le caractère à la fois étonnant et audacieux. Le premier est extrait du Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755); le deuxième des Rêveries du promeneur solitaire (1778). Nous les reproduisons ici: 1- Dans cette vue, après avoir exposé à ses voisins l’horreur d’une situation qui les armait tous les uns contre les autres, qui leur rendait leurs possessions aussi onéreuses que leurs besoins, et où nul ne trouvait sa sûreté ni dans la pauvreté ni dans la richesse, il inventa aisément des raisons spécieuses pour les amener à son but.« Unissons-nous, leur dit-il, pour garantir de l’oppression les faibles, contenir les ambitieux, et assurer à chacun la possession de ce qui lui appartient. Instituons des règlements de justice et de paix auxquels tous soient obligés de se conformer, qui ne fassent acception de personne, et qui réparent en quelque sorte les caprices de la fortune en soumettant également le puissant et le faible à des devoirs mutuels. En un mot, au lieu de tourner nos forces contre nous-mêmes, rassemblons-les en un pouvoir suprême qui nous gouverne selon de sages lois, qui protège et défende tous les membres de l’association, repousse les ennemis communs et nous maintienne dans une concorde éternelle. »2- Le carrosse auquel appartenait le chien suivait immédiatement, et m’aurait passé sur le corps, si le cocher n’eût à l’instant retenu ses chevaux. Voilà ce que j’appris par le récit de ceux qui m’avoient relevé, et qui me soutenaient encore lorsque je revins à moi. L’état auquel je me trouvai dans cet instant est trop singulier pour n’en pas faire ici la description.La nuit s’avançait. J’aperçus le Ciel, quelques étoiles, et un peu de verdure. Cette première sensation fut un moment délicieux. Je ne me sentais encore que par là. Je naissais dans cet instant à la vie, et il me semblait que je remplissais de ma légère existence tous les objets que j’apercevais. Tout entier au moment présent je ne me souvenais de rien ; je n’avois nulle notion distincte de mon individu, pas la moindre idée de ce qui venait de m’arriver ; je ne savais ni qui j’étais, ni où j’étais ; je ne sentais ni mal, ni crainte, ni inquiétude. Je voyais couler mon sang, comme j’aurais vu couler un ruisseau, sans songer seulement que ce sang m’appartînt en aucune sorte. Je sentais dans tout mon être un calme ravissant, auquel chaque fois que je me le rappelle je ne trouve rien de comparable dans toute l’activité des plaisirs connus.Association Populaire de Philosophie du Havre, PHILOPOPsite de l'association: https://sites.google.com/site/philopoplh/notre-d%C3%A9marche
Les Rendez-vous de PHILOPOP- émission du 15-12- 2024La superstitionC'est une croyance qui interprète des événements comme des signes exprimant une intention surnaturelle, et détermine une conduite appropriée (prières, offrandes, sacrifices, rites) pour infléchir en sa faveur les puissances surnaturelles (qu'il s'agisse d'un Dieu ou des dieux)1- Superstition et hasarda- Pour le superstitieux, la mort tragique d'un homme tué par une tuile qui tombe d'un toit ne résulte pas de la rencontre fortuite de séries de causes indépendantes (définition rationnelle du hasard par Cournot), mais d'une intention surnaturelle (exemple tiré de l'appendice de la 1ère partie de l'Ethique de Spinoza, 1677, et dans L'Essai sur les fondements de la connaissance et sur les caractères de la critique philosophique de Cournot, 1851)b- b- Le hasard, notion dont la source est superstitieuse, témoigne de notre pensée primitive: "Le hasard est le mécanisme se comportant comme s'il avait une intention" (Deux sources de la morale et de la religion, H. Bergson, 1932)2- Les causes de la superstition et l'explication de la formation des interprétations superstitieusesa- La superstition naît de l'incertitude de l'avenir et est engendrée par la crainte (Préface du Traité théologico-politique de Spinoza, 1670). L'exemple d'Alexandre le Grand.b- La formation imaginaire des présages et des prodigesc- Par les prodiges, les hommes imaginent que Dieu (ou les dieux) intervient comme une volonté analogue à la leur (anthropomorphisme), en produisant des événements qui leur sont favorables ou défavorables (anthropocentrisme). D'où le problème pratique de la superstition comment faire pour gagner la faveur divine ?3- Les conséquences intellectuelles, morales et politiques de la superstitiona- Elle entraîne une mentalité obscurantiste qui favorise l'intolérance et fait le lit du despotisme : la haine de la raison et le rejet de toute réflexion critique. Le besoin de certitude et l'intoléranceb- Sous "couleur de religion", la superstition est le moyen le plus efficace d'assurer la domination d'un gouvernement despotique, quand elle est stabilisée et canalisée par l'institution d'un culte4- Superstition et religionEst-elle une perversion de la croyance religieuse ou doit-on identifier toute forme de croyance religieuse à la superstition ?- La croyance est une conviction subjective, l'assentiment à un contenu qu'elle ne peut justifier objectivement. La superstition religieuse est une croyance aux signes de ce contenu (reliques, miracles, rituels etc...) qui prétend s'ériger en savoir (elle est une illusion)- Croire à la révélation, est-ce être superstitieux ? Religions révélées et religion naturelle.Bibliographie:- Appendice de la 1ère partie de l'Ethique et la Préface du Traité théologico-politique de Spinoza- Deux sources de la morale et de la religion de Bergson (chapitre II)- Critique de la raison pure ("De l'opinion, de la science et de la foi"), et La Religion dans les limites de la simple raison (4ème partie, 2ème section) de Kant.- Pour lire et comprendre la Préface du Traité théologico-politique de Spinoza, cette conférence- vidéo de PHILOPOP avec son plan : https://www.youtube.com/watch?v=GhKDrRiKplk
Les Rendez-vous de PHILOPOP"L'histoire se répète deux fois, comme tragédie et comme farce"Cette formule est la citation simplifiée du propos par lequel K Marx commence le 1er chapitre de son ouvrage consacré au coup d'Etat perpétré par L. N. Bonaparte, le 2 décembre 1851, "Le 18 brumaire de Louis Bonaparte" (écrit en 1852). Son projet est de "démontrer comment la lutte des classes en France créa des circonstances et des conditions qui rendirent possible qu'un personnage médiocre et grotesque joue le rôle de héros" (Avant-propos). Il s'agit ainsi de comprendre comment L. N. Bonaparte, le futur Napoléon III, réussit son coup d'Etat en imitant celui de son oncle, Napoléon 1er, qui eut lieu le 18 brumaire an VIII (soit le 9 novembre 1799 selon le calendrier romain repris par les révolutionnaires de 1789), bénéficiant ainsi de l'image glorieuse du 1er Empire. 1- Les exigences de la démonstrationa- "Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas de leur plein gré, dans des circonstances librement choisies; celles-ci, ils les trouvent au contraire toutes faites, données, héritage du passé". Il faut cerner d'abord les circonstances et les conditions qui rendent possible le coup d'Etat pour dégager ensuite la part d'initiative qui revient aux acteurs historiques. b- Il est nécessaire d'articuler en conséquence le récit des événements qui vont de février 1848 à décembre 1851 (et sont en large partie le produit de décisions qui n'ont rien d'inéluctable), à l'analyse des conditions historiques qui encadrent et déterminent les choix humains.2- Les acquis de la théorie générale de l'histoire esquissée par Marx (notamment dans le Manifeste communiste de 1848)a- Le rôle moteur de la "lutte des classes" (concept emprunté à François Guizot, historien et homme politique libéral)b- Il y a "crise révolutionnaire" quand le développement des "forces productives" entre en contradiction avec les "rapports sociaux de production". Voir l'exemple de la révolution de 1789 qui permet d'instaurer "la société bourgeoise moderne"c- La théorie générale de l'histoire permet de comprendre comment les luttes politiques expriment des intérêts de classe, pourquoi elles ont pour enjeu la conquête de l'Etat comme instrument de domination, mais ne permet ni de prévoir les actions humaines, ni de rendre compte du contenu particulier que prennent les luttes politiques à tel ou tel moment. Le récit est ici indispensable.3- Le récit des événements de février 1848 à décembre 1851a- Les journées de février 1848, l'alliance initiale du prolétariat avec la bourgeoisie, la formation d'un gouvernement provisoire et la création des "Ateliers nationaux"b- L'élection de l'Assemblée constituante au suffrage universel (avril), la proclamation de la République (mai), la dissolution des Ateliers nationaux, l'insurrection ouvrière de juin 1848 et sa répression sanglante menée par le général républicain Cavaignacc- L'élection de L. N. Bonaparte au suffrage universel comme Président de la République (10 décembre 1848), l'a séparation de l'Assemblée constituante, l'élection de l'Assemblée nationale législative (1849)d- La dictature du "parti de l'ordre" sous couvert de représentation parlementaire. La lutte pour la conquête de l'appareil de l'Etat entre Bonaparte et le parti de l'ordre, le coup d'Etat du 2 décembre 1851 (ratifié par un plébiscite le 20 décembre)4- Une analyse du conditionnement idéologique hérité du passéa- L'analyse matérialiste de Marx: "Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience". L'exemple des illusions idéologiques des monarchistes coalisés dans le "parti de l'ordre"b- L'influence des représentations idéologiques du passé. Quelle différence dans la répétition du passé entre les révolutionnaires de 1789 et ceux de 1848?c- Pourquoi la farce du coup d'Etat de L.N. Bonaparte a-t-elle réussi? (la nostalgie de l'Empire dans la paysannerie)Bibliographie: Le 18 brumaire de Louis Bonaparte de K. Marx en G/F
Présentation des activités de PHILOPOP (association populaire de philosophie du Havre) et du programme de la saison 2024-20251-PHILOPOP, une association ouverte à tous •Quelques précisionsd'ordre pratique :voir sur le site de PHILOPOP (https://sites.google.com/site/philopoplh/) le barème des cotisations, le calendrier adopté, le rythme des séances (en moyenne 2 fois par mois un mardi ou un jeudi de septembre à juin hors vacances scolaire), le lieu et l'horaire (au Lycée Claude Monet du Havre, salle audio, de 20H30 à 22H30)•Les questions philosophiques: des questions que tout homme peut être amené à se poser au cours de son existence (exemple de la vérité)•L'ambition de PHILOPOP : permettre à tous ceux qui le souhaitent d'accéder à un questionnement philosophique en offrant les conditions d'un travail suivi 2-Les séances au lycée Claude Monet: la formule d'un cours progressif (suivi d'une discussion)•Il ne consiste pas dans un exposé de connaissances et ne présente pas la pensée des philosophes comme une opinion savante•Il montre comment l'examen d'une notion (la justice, la vérité, le peuple, le temps...) conduit à formuler un ou des problèmes qui s'imposent nécessairement. La lecture des philosophes n'a pas d'autre intérêt que d'éclairer la réflexion, et de l'aider à aborder ces problèmes.3-Le programme de la saison 2024-2025•Les séances sont accompagnées d'un plan et enregistrées.L'enregistrement est accessible aux adhérents•Le thème :La Liberté.•L'oeuvre :L' Esprit des LoisdeMontesquieu (1748), collection Folio ou G/F•Les 5 premières séancesMardi 24 septembre, Jeudi 3 octobre, Mardi 15 octobre, Jeudi 7 novembre, Mardi 19 novembre (voir le calendrier sur le site de PHILOPOP)4-L'émission mensuelle des Rendez vous de PHILOPOP sur Ouest track radio (podcastée et accompagnée d'un plan)
Montrer comment la lecture d'une oeuvre philosophique permet d'éclairer une question d'actualité et d'y réfléchir
Les Rendez-vous de PHILOPOP, émission du 16 juin 2024Le TempsQue le temps passe, c'est là un fait aussi évident que mystérieux qui est l'objet de la réflexion du philosophe H. Bergson (1859- 1941) tout au long de son oeuvre. En quoi consiste ce passage? Pour le comprendre, nous lirons surtout le 2ème chapitre de son 1er grand ouvrage, Les données immédiates de la conscience (1889).Mais pour être en mesure de le saisir, il faut d'abord se libérer de la représentation spatialisante que nous en procure notre intelligence, et comprendre pourquoi elle a besoin de nier sa réalité pour connaitre et expliquer les choses. 1- La critique de la spatialisation du tempsa- La transformation du temps réel (la durée) en espaceb- L'intelligence a besoin d'immobilité2- Comment accéder au temps réel (la durée)?a- Il y a deux conceptions possibles de la durée: l'une "pure de tout mélange", l'autre "où intervient subrepticement l'idée d'espace"b- L'exemple des sons successifs d'une cloche: "ou bien je me propose explicitement de les compter" (compter, c'est dissocier et spatialiser), ou bien, "je me borne à recueillir l'impression pour ainsi dire qualitative que leur nombre fait sur moi"3- Les caractères de la durée purea- Elle est "la forme que prend la succession de nos états de conscience quand notre moi se laisse vivre et s'abstient d'établir une séparation entre l'état présent et les états antérieurs"b- L'activité de la mémoire constitue la durée en fondant les états de conscience les uns dans les autres et en les organisant en un tout indivisible (voir l'exemple d'une mélodie)c- La durée est une activité de synthèse par laquelle le passé est perpétuellement conservé et intégré dans le présent. Il n'y a pas de temps universel qui soit le même tous et qui constitue le cadre des expériences, si ce n'est par convention, pour les commodités de la vie sociale, mais il y a une pluralité de durées individuelles dont le rythme peut varier.4- Qu'en est-il de notre identité personnelle (de notre "moi")? a- La durée constitue notre moi; “le temps est l'étoffe de notre être” (Evolution créatrice, chapitre 1)- Si notre passé se conserve tout entier en nous, la mémoire ne peut pas être une faculté qui conserve et classe des souvenirs- C'est la continuité de la durée qui permet de comprendre que nous soyons libres et puissions faire surgir de la nouveauté imprévisible (l'idée d'une "création de soi")5- Le temps n'existe-t-il que pour les êtres conscients? - De l'expérience de la durée intérieure à l'affirmation de "l'élan vital" (Evolution créatrice, 1907)- L'"intuition de la durée" Bibliographie:- Essai sur les données immédiates de la conscience (1889), chapitre 2.- Evolution créatrice (1907), chapitre 1- La Pensée et le Mouvant (1934)
Les Rendez-vous de PHILOPOP- émission du 21 avril 2024 Qu'est-ce que le pessimisme ?Une lecture du Monde comme Volonté et comme Représentation de Schopenhauer (1819)Le pessimisme est ordinairement considéré comme la disposition d'esprit d'un homme qui voit tout en noir. S'agit-il seulement d'une vision de l'existence purement subjective qui est affaire d'humeur ou de tempérament ? Ou peut-on en donner des raisons objectives, comme le prétend Schopenhauer ? Cette émission vise à présenter sa démarche et à expliquer en quoi sa philosophie est un pessimisme.1- Le pessimisme réfute toute vision théologique du monde qui conduit à réduire le mal à une apparence ou à un moyen de promouvoir le bien a- C'est la rencontre du mal qui suscite l'interrogation philosophique, mais souvent les philosophes ont préféré relativiser son existence, en visant sa justification (optimisme métaphysique de Leibniz; philosophie de l'histoire de Hegel)b- La réfutation de l'optimisme de Leibniz (le monde "est le meilleur des mondes possibles"), doctrine illusoire reposant sur un théisme (affirmation d'un Dieu bon auteur du monde) et faisant un usage illégitime du principe de causalité (Dieu est considéré comme la cause première)c- L'argumentation du pessimisme opposée à l'optimisme: en quel sens Schopenhauer établit que le monde "est le pire des mondes possibles"2- L'élucidation de l'origine du mal (de la souffrance): le "Vouloir" comme puissance universelle et aveugle constitutive de toute chose, la souffrance étant ainsi " le fond de toute vie"a- Le désir humain, manifestation de sa force aveugle qui s'éprouve comme "une soif inextinguible" qu'aucun objet désiré ne saurait comblerb- Si désirer, c'est souffrir d'un manque, le plaisir n'en est que la délivrance passagère. Le bonheur "n'est rien que de négatif"c- L'ennui (nous n'avons rien à désirer) est une souffrance plus insupportable que celle que nous éprouvons quand des obstacles nous empêchent de satisfaire un désir. Il révèle le non-sens de l'existence humaine (un parallèle avec Pascal).3- Se délivrer du Vouloir-vivre qui est la source du malheur de la viea- La recherche du bonheur conduit au malheur tant qu'il est une course sans fin d’objets en objets. b- Quel intérêt pratique peut avoir une philosophie pessimiste: la prise de conscience de la source du malheur de la viec- La "négation du Vouloir-vivre" comme affranchissement du Vouloir-vivre et de la tyrannie des désirsConclusion: Le pessimisme comme remède contre l'illusion optimiste qui expose au désespoirBibliographie:1- Le Monde comme Volonté et comme Représentation, d'Arthur Schopenhauer (1819)- 4ème partie: "La Volonté s'affirme, puis se nie", et Suppléments 17 ("Sur le besoin métaphysique de l'humanité") et 56 ("De la vanité et des souffrances de la vie")2- Pensée 126 de Pascal (édition Le Guern en Folio)3- Essais de théodicée de Leibniz, en G/F3- Candide, conte philosophique de Voltaire, particulièrement les chapitres 5 et 19
Les situations historiques ne sont jamais identiques. Mais dans la mesure où l’enchaînement monstrueux des massacres qui ont lieu depuis cinq mois en Israël et à Gaza, nous y incite, il peut être utile de réfléchir à ce qu’ont écrit Sartre et Camus sur le colonialisme et le terrorisme et sur les raisons de leurs divergences à propos du drame algérien, à la fin des années 50.1. Le désaccord entre Sartre et Camus sur l’avenir de l’Algérie
a. Le rejet de la colonisation française. Quelques dates à rappeler : les massacres de Sétif en mai 1945, le déclenchement de l’insurrection armée par le FLN en novembre 1954, la proclamation de l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet 1962.b. Pour Sartre, il n’y a pas d’autre solution que l’indépendance. Il accorde son soutien public aux militants du réseau Jeanson qui collectent et transportent des fonds et des faux papiers pour aider les nationalistes algériens.c. Camus veut croire encore à une réforme profonde du système colonial qui permette le maintien de l’Algérie française.2. Une divergence d’analyse concernant le système colonial
a. Camus dénonce ses injustices dans ses articles sur la « Misère de la Kabylie » parus dans le journal Alger républicain en 1939, et en appelle à une réforme sociale et économique pour réaliser une « Algérie pacifique et juste ».b. Dans l’article qu’il publie en mars 1956 dans les Temps modernes, Sartre montre que « le colonialisme est un système », qui, en raison même de sa nature systémique, ne peut pas être réformé. De l’analyse de sa « nécessité interne » il passe ensuite à l’examen des conséquences de son développement. « L’Etat français livre la terre arabe aux colons pour leur créer un pouvoir d’achat qui permette aux industriels métropolitains de leur vendre leurs produits ; les colons vendent aux marchés de la métropole les fruits de cette terre volée »3. Une divergence d’analyse et de jugement sur la nature et le rôle de la violence
a. Sartre : la violence émancipatrice du coloniséLe système colonial a besoin d’engendrer de la haine pour se maintenir : haine raciste des colons pour les colonisés (qu’ils ont besoin de déshumaniser et d’invisibiliser) et haine des colonisés pour les colonsLa violence coloniale conduit à la révolte des colonisés. La violence revient ainsi en boomerang contre le colonisateur, le jour où la furie des colonisés ne peut plus être retenue et éclate (c’est le « temps des massacres », voir la préface de Sartre aux Damnés de la terre de Frantz Fanon, 1961)La violence insurrectionnelle des colonisés est le seul moyen pour eux de sortir « des ténèbres coloniales » et de s’émanciperb. Camus : le refus de la « casuistique du sang » (Chroniques algériennes)Que la violence soit parfois nécessaire, n’implique pas qu’on puisse en justifier le principe au nom d’une justice absolue, et en faire un usage indiscriminé pour frapper des civils innocents.Les analyses de Camus dans son Essai de 1951, L’Homme révolté : le « crime logique », le « principe de révolte » contre « l’esprit de révolution »On ne peut condamner la torture pratiquée par l’armée française et sa répression féroce menée contre les populations civiles sans condamner en même temps les attentats terroristes du FLN. Pour Camus, c’est l’engrenage des violences qu’il faut combattre, car il ne peut mener qu’à la destruction.Conclusion : Réfléchir sur ces deux références en cherchant à comprendre la critique que chacune d’elles peut adresser à l’autre. Mesurer combien leur usage médiatique se révèle souvent abusif (j’en donne un exemple pour Camus)Bibliographie :Situations, V chez Gallimard, recueil d’articles de Sartre dans lequel on peut trouver notamment « Le colonialisme est un système » et sa préface aux Damnés de la terre de Frantz FanonL’homme révolté de Camus, collection FolioChroniques algériennes de Camus, collection Folio
Les Rendez vous de PHILOPOP, émission du 17 décembre 2023
L’antisémitisme, le sionisme, la Palestine, l’Etat d’Israël,
La réflexion de Hannah Arendt
Face à l’horreur des massacres qui ravagent le Moyen Orient, il paraît utile de lire ou de relire l’œuvre de Hannah Arendt (1906- 1975). En tant que juive allemande, elle dut fuir l’Europe en 1941 et se réfugier aux Etats Unis, où elle prit la nationalité américaine en 1951.
L’émission se propose d’examiner les raisons pour lesquelles H. Arendt fut sioniste et celles pour lesquelles elle cessa de l’être
L’antisémitisme moderne et les impasses d’une émancipation purement individuelle (Sur l’antisémitisme)
Pour comprendre pourquoi les Juifs se sont trouvés « au centre de la tourmente », il faut saisir la spécificité de l’antisémitisme moderne qui ne peut pas être confondu avec la haine des Juifs d’origine religieuse, et replacer son développement dans le cadre de l’Etat-nation en Europe aux XIX et XX èmes siècles.
L’antisémitisme politique. Le sort des Juifs étant lié à l’existence de l’Etat-nation, son déclin les expose à l’antisémitisme qui les associe imaginairement à des liens financiers avec un Etat corrompu.
L’antisémitisme social. Loin de se traduire dans les mœurs, l’égalité des conditions (qui résulte de l’émancipation juridique des Juifs) engendre un antisémitisme social. Plus les Juifs s’assimilent, plus leur différence fait problème, à mesure que leur identité juive devient moins visible. D’une identité religieuse, on passe à une identité raciale (un « type juif ») fantasmée par les antisémites. Le Juif est alors soumis à une injonction contradictoire : ne pas ressembler à un Juif tout en étant juif.
Quels que soient ses efforts pour s’assimiler, le Juif est ramené à sa condition de « paria » et se trouve la proie de l’antisémitisme (« Que Dreyfus est coupable, je le conclus de sa race », écrivait l’écrivain antisémite Maurice Barrès)
Du « paria » au réfugié apatride. La justification d’un Etat pour le peuple juif (L’impérialisme)
Déchus de leur nationalité et de leur citoyenneté par l’Allemagne nazie (fin des années 30), les Juifs sont réduits à la condition de réfugiés apatrides : « Il semble qu’un homme qui n’est qu’un homme a précisément perdu les qualités qui permettent de le traiter comme leur semblable ».
Le premier des droits d’un être humain doit être celui « d’avoir des droits » : cela ne signifie pas seulement des droits civils aux individus, mais cela implique aussi le droit pour un peuple à la liberté politique et à se constituer en nation dotée d’un Etat pour protéger ses droits (L’Etat d’Israël assure « l’établissement de droits humains »)
Quelle doit être la structure du nouvel Etat en Palestine dont les Juifs ont besoin ? La rupture de H. Arendt avec le sionisme
En quel sens il faut entendre, selon H. Arendt, l’idée d’un peuple juif
Les critiques de H. Arendt à l’égard du mouvement sioniste auquel elle reproche de ne pas prendre en compte l’existence des Arabes Palestiniens et de vouloir imposer par la force la création d’un Etat national juif
La fondation d’Etats-nations en Palestine risque de conduire au même échec auquel ont été conduits les Etats-nations d’Europe centrale après le démembrement de l’empire austro-hongrois en 1919. Elle risque de mener à une guerre sans fin (des minorités opprimées, et l’expulsion de populations : 750 000 Arabes palestiniens sont ainsi transformés en réfugiés, privés « du droit d’avoir des droits », comme l’étaient en Europe des centaines de milliers de Juifs à la fin des années 30).
Contre la solution d’Etats-nations, H. Arendt préconise celle d’un Etat bi-national assurant des droits égaux aux Juifs et aux Arabes et organisé sur la base de conseils où ils régleraient ensemble les problèmes qu’ils ont en commun.
Bibliographie :
- Sur l’antisémitisme, 1er tome des Origines du totalitarisme (1951), de Hannah Arendt, collection Essais/Points, et L’Impérialisme, chapitre V : « Le déclin de l’Etat-nation et la fin des droits de l’homme « , 2ème tome des Origines du totalitarisme, même collection
-Dans Ecrits Juifs (chez Fayard), deux articles : «Réexamen du sionisme » (1944) et « Pour sauver le foyer national juif » (1948)En complément de cette émission, on peut écouter aussi sur Ouest track : L'affaire Dreyfus comme symptôme de l'antisémitisme; - L'affaire du paquebot le Saint Louis en 1939 : réflexion sur les droits de l'Homme et la question des migrants et des réfugiés; - L'antisémitisme (lecture des Réflexions sur la question juive de JP Sartre). Voir la liste des podcasts des Rendez vous de PHILOPOP.
1- Pourquoi les Lumières sont-elles mises en question ?a- La reconnaissance assez récente des injustices du passé colonial: la Loi du 21 mai 2001, dite "Taubira", et, depuis le 10 mai 2006, célébration d'une "journée de commémoration nationale des mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions" (1794 et 1848)b- Quelle position et quel rôle ont eu les philosophes des Lumières (on limitera le propos aux philosophes français parmi lesquels Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Diderot...)? Ont-ils fermement combattu la traite et l'esclavage ou en ont-ils seulement condamné le principe au nom de l'universalité des droits, tout en en justifiant la pratique pour des motifs politiques et économiques ?c- Montesquieu (Livre XV de l' Esprit des Lois, 1748) est considéré comme le premier philosophe à avoir posé les principes théoriques de la dénonciation de l'esclavage. Son statut fondateur est-il mérité, et au-delà de son cas, peut-on continuer à affirmer la vertu émancipatrice des Lumières ?2- Le cas Montesquieu comme illustration des « ambiguïtés » des philosophes des Lumières (critique de Louis Sala Molins, dans Le Code Noir ou le calvaire de Canaan)a- Il serait silencieux sur la pratique de l'esclavage afro-antillais et sur l'existence du Code Noir (texte promulgué en 1685 qui réglemente en 60 articles l'usage et la vie des esclaves dans les colonies françaises)b- Il serait indifférent au sort des esclaves noirs, comme en témoignerait le ton léger de l'ironie et de la plaisanterie sur un sujet aussi grave, dans le célèbre chapitre 5 du Livre XV, De l'esclavage des nègres. Critique adressée par Bernardin de St Pierre dans le post-scriptum de la 12ème lettre du Voyage à l'Ile de France (1773).c- Sa condamnation de l'esclavage serait très ambigüe puisqu'elle admettrait son existence dans les pays chauds (conformément à la théorie du climat exposée au Livre XIV)d- Cette condamnation se trouverait contredite par la 2ème partie du Livre XV où Montesquieu ne se préoccupe plus que d'indiquer comment prévenir les "abus" et les "dangers" de l'esclavage. Montesquieu est-il vraiment anti-esclavagiste ? Son souci n'est-il pas plutôt de réfléchir aux moyens de perpétuer l'esclavage colonial en évitant des révoltes ?3- Réponses aux critiques. Lire le Livre XV en confrontant son propos aux préjugés dominants du XVIIIème sièclea- Montesquieu produit une définition générale de l'esclavage (chapitre 1) qui comprend aussi bien l'esclavage antique que l'esclavage moderne, le servage que l'esclavage "pris à la rigueur tel qu'il était chez les Romains et qu'il est établi dans nos colonies" (note du chapitre 2). L'absence de référence explicite au Code Noir n'est-elle pas une affaire de prudence ?b- Lecture du chapitre 5 "De l'esclavage des nègres": l'ironie comme arme suprême des Lumières contre l'injustice et l'absurde, et comme réaction réfléchie de Montesquieu aux opinions dominantes du moment (à propos de la nécessité économique de la traite et de l'esclavage, à propos de la question de l'origine de la couleur des Noirs...)c- Expliquer la présence de l’esclavage dans un certain nombre de contextes (politiques et géographiques) n'est pas le justifier. S'il favorise la servitude, un climat chaud n'est jamais une fatalité. L'argument de la chaleur du climat est fallacieusement invoqué par des élites économiques pour justifier l'institution de l'esclavage dans les colonies et son maintien (chapitres 7 à 9).d- L'esclavage étant institué dans les faits, le problème est d'éviter ses abus et ses dangers (chapitre 11). Montesquieu préconise ainsi son encadrement juridique. Il n'est pas abolitionniste, il plaide pour des mesures progressives d'affranchissements (ce sera le programme de la Société des amis des Noirs, fondée en 1788)4- Le mouvement des Lumières comme prise de conscience progressive du caractère insoutenable de l'esclavage coloniala- Les Lumières ne sont pas un état doté d'emblée de principes déjà constitués.(les droits de l'Homme) Elles ne se caractérisent pas non plus par une doctrine homogèneb- L'un des premiers plaidoyers en faveur de l'abolition est rédigé par le chevalier de Jaucourt, un encyclopédiste ami de Diderot: il s'inspire explicitement de l'argumentation de Montesquieu dans deux articles importants ("Esclavage" et "Traite des Nègres". L'Encyclopédie ne parle pas pour autant d'une seule voix, c'est un lieu de débat : on y trouve aussi des articles favorables à l'esclavage.c- Les contradictions des Lumières: entre un progrès économique fondé sur la recherche du "luxe" (au nom duquel la traite et l'esclavage paraissent indispensables) et un idéal humanitaire qui au contraire les condamne.Bibliographie :Esprit des Lois, Livre XV, de Montesquieu (1748)Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, Louis Sala Molins, 1987Esclavages, Les ports normands dans la traite atlantique, XV-XXIè siècles, sous la direction d’Eric Saunier
Présentation des activités de PHILOPOP (association populaire de philosophie du Havre) et du programme de la saison 2023-2024
1- PHILOPOP, une association ouverte à tousQuelques précisions d'ordre pratique :voir sur le site de PHILOPOP ( https://sites.google.com/site/philopoplh/ ) le barème des cotisations, le calendrier adopté, le rythme des séances (en moyenne 2 fois par mois un mardi ou un jeudi de septembre à juin hors vacances scolaire), le lieu et l'horaire (au Lycée Claude Monet du Havre, salle audio, de 20H30 à 22H30)Les questions philosophiques: des questions que tout homme peut être amené à se poser au cours de son existence (exemple de la vérité)L'ambition de PHILOPOP : permettre à tous ceux qui le souhaitent d'accéder à un questionnement philosophique en offrant les conditions d'un travail suivi2- Les séances au lycée Claude Monet: la formule d'un cours progressif (suivi d'une discussion)Il ne consiste pas dans un exposé de connaissances et ne présente pas la pensée des philosophes comme une opinion savanteIl montre comment l'examen d'une notion (la justice, la vérité, le peuple, le temps...) conduit à formuler un ou des problèmes qui s'imposent nécessairement. La lecture des philosophes n'a pas d'autre intérêt que d'éclairer la réflexion, et de l'aider à aborder ces problèmes.3- Le programme de la saison 2023-2024Les séances sont accompagnées d'un plan et enregistrées. L'enregistrement est accessible aux adhérentsLe thème : Le TempsL'oeuvre : Les chapitres 41 et 44 du Monde comme volonté et comme représentation de Schopenhauer regroupés sous le titre : Métaphysique de la mort, métaphysique de l'amour, en 10/18Les 5 premières séances Mardi 19 septembre, Mardi 3 octobre, Jeudi 12 octobre, Jeudi 9 novembre, Mardi 21 novembre (voir le calendrier sur le site de PHILOPOP4- L'émission mensuelle des Rendez vous de PHILOPOP sur Ouest track radio (podcastée et accompagnée d'un plan)Montrer comment la lecture d'une oeuvre philosophique permet d'éclairer une question d'actualité et d'y réfléchir5- Venez nombreux à la conférence donnée par PHILOPOP le 21 octobre à 10h30 à la Bibliothèque Niemeyer du Havre:"Les philosophes français des Lumières face à la traité négrière et à l'esclavage colonial"
Vers une terre inhabitable ?L'anthropocène
40 experts ont alerté récemment dans la revue Nature du franchissement de 7 des 8 lignes rouges planétaires au delà desquelles la terre risque de devenir inhabitable. Comment expliquer qu'on en soit arrivé là ? A-t-on affaire à un processus fatal ? Peut-on l'enrayer et en atténuer les effets, et si c'est le cas, de quelle manière ?Pour décrire la situation nouvelle à laquelle l'humanité est désormais confrontée, deux scientifiques, Eugène Stoermer et Paul Crutzen, tous deux spécialistes du climat, ont proposé d'ajouter une 3ème ère au quaternaire (après le pléistocène et l'holocène) qu'ils décident de nommer anthropocène (c'est à dire l'ère de l'humain) parce qu'elle est marquée par l'impact des actions humaines
1- En quoi l'hypothèse de l'anthropocène paraît-elle pertinente pour désigner la nouveauté et la gravité des transformations en cours (réchauffement climatique, érosion massive de la biodiversité planétaire, acidification des océans, pollution des eaux, des airs et des sols...) ?On ne peut plus s'en tenir aux idées de crise écologique et de développement durableL'hypothèse proposée constitue l'humanité en force géologique : pour la 1ère fois dans l'histoire de la planète, une époque géologique serait définie par la capacité d'action d'une espèce, l'espèce humaineCette hypothèse conduit à mettre en cause la séparation établie par la modernité entre la nature et l'histoire humaine (voir l'introduction à l'histoire universelle de Michelet, et la préface de Condorcet à l'Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain)L'homme ne peut plus considérer la nature comme un milieu extérieur prévisible dont il peut connaître les lois et qu'il peut soumettre à ses techniques, il devient partie prenante de l'histoire de la terre en risquant par son activité de la détruire comme espace habitable.2- L'hypothèse de l'anthropocène est-elle légitime ? L'humanité est-elle vraiment en train d'écrire une page entièrement neuve de l'histoire de la planète ? N'est-ce pas là surévaluer l'importance de son activité ?Distinguer avec Philippe Descola (article de la revue Esprit de 2015, Humain, trop humain?) le phénomène général d'anthropisation (exemple d'une altération écosystémique régionale par l'intervention continue des Amérindiens sur la flore de la forêt amazonienne) de l'anthropocène en tant que transformation globale et accélérée du système de la terre depuis un peu plus de 2 siècles.
3- A quel type d'action doit conduire le diagnostic d'anthropocène ?a- Le projet d'une « géo-ingénierie » planétaire et l'idée d'une « gouvernance environnementale globale » (selon la formule de John Kerry, envoyé spécial du président des USA pour le climat, en 2014) :l'anthropocène apparaît dans cette perspective comme l'âge de la domination de l'homme sur la planèteau lieu d'admettre les limites de la technique humaine et ses conséquences involontaires, ce projet revient à s' illusionner sur sa puissance en s'imaginant trouver en elle le remède aux maux engendrés par le développement industrielb- Une nouvelle conception du rapport de la technique à la nature, pour laquelle la nature n'est plus entièrement prévisible en ce qu'elle est constituée par un système d'interactions de plusieurs processus naturels dans lequel s'insère l'activité humaine. L'anthropocène est l'entrée dans un monde incertain.
4- La question des responsabilités : le caractère politiquement discutable de la notion d'anthropocèneParler d'anthropocène, c'est rendre l'humanité dans son ensemble responsable de la dégradation de la situation environnementale. S'il est vrai que la notion est pertinente dans la mesure où désormais tous les peuples sont affectés, elle dissimule toutefois deux injustices :le fait que les différentes populations du monde n'ont pas participé à part égale au processus de l'anthropocène (c'est pourquoi des historiens lui préfèrent la notion de « capitalocène »)le fait que ce sont celles qui y ont le moins contribué qui sont aujourd'hui les plus exposées à ses conséquences (inondations, montée des océans, sécheresses etc)Les inégalités et les injustices ne sont-elles pas un obstacle considérable pour lutter résolument contre les effets de l'anthropocène ?Bibliographie : L'événement anthropocène, par Christophe Bonneuil et Jean Baptiste Fressoz, collection Points/ SeuilPenser et agir avec la nature, par Catherine et Raphaël Larrère, édition La Découverte
Sur la fragilité de la vérité dans l'espace politiqueSommes-nous entrés dans une ère où la vérité n 'a plus de valeur, où prolifèrent les « fake news » et les « faits alternatifs », une ère de la « post-vérité » ?Pourquoi la vérité s'avère-t-elle si fragile, pas seulement dans les tyrannies mais aussi dans les démocraties ? En quoi sa destruction met-elle en péril la vie publique elle-même ? Réflexion à partir de la lecture de deux essais d'Hannah Arendt, « Vérité et politique » (1965), et « Du mensonge en politique » (1972)
1- Le conflit de la vérité de fait et de la politique « se produit aujourd'hui sous nos yeux à une vaste échelle ». Comment expliquer l'hostilité qui menace la première ?a- Sa vulnérabilité tient d'abord à sa contingence (il est facile de faire disparaître le nom de Trotsky des livres d'histoire de la Russie soviétique ; « les faits et les événements sont choses infiniment plus fragiles que les axiomes (…) produits par l'esprit humain »).b- Les faits et les événements menacés « constituent la texture même du domaine politique » qu'un pouvoir politique veut réarranger à son profit en les falsifiant et en les effaçant.c- Les trois modes d'effacement de la vérité de fait :Sa destruction matérielle (effacement des traces d'un fait ou d'un événement)L'interdiction de son accès à un statut public qui peut être le fait d'une large partie de l'opinion publique dans une démocratie (voir les polémiques contre son livre Eichmann à Jérusalem, 1963)Sa transformation en opinion (cas uniquement des démocraties)2- La vulnérabilité des vérités de fait exposées à être transformées en opinions (démocraties)a- Les vérités de fait se trouvent dans une situation paradoxale :- Comme les opinions, elles sont « politiques par nature » en ce qu'elles s'inscrivent dans la pluralité. « La vérité de fait est toujours relative à plusieurs » : elle concerne des événements dans lesquels plusieurs se sont engagés ; elle est établie par des témoignages et repose sur des témoignages ; elle est partagée dans des récits communs.- Contrairement aux opinions, elles s'imposent sans discussion une fois qu'elles sont établies et déclarées comme vraiesb- Les vérités de fait se distinguent des opinions et des interprétations par leur « matière factuelle » qui ne peut pas être modifiée, contrairement aux interprétations et aux récits qu'on peut en faire (voir la réponse de Clémenceau : « Ce dont je suis sûr, c'est que les historiens futurs ne diront pas que la Belgique a envahi l'Allemagne »)c- Loin de conduire au rejet ou à la mise à l'écart des vérités de fait, la nature représentative de la pensée politique exige au contraire leur respect et leur préservation : « La liberté d'opinion est une farce si l'information des faits n'est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l'objet du débat ».3- Les effets destructeurs du mensonge politique moderneLà où le mensonge traditionnel cachait, le mensonge moderne détruit.a- Le mensonge dans les régimes totalitairesLe mensonge y est comme « un premier pas vers le meurtre » (exemple de Trotsky)En détruisant la vérité, il détruit tout espace public qui permette le partage des expériencesb- La manipulation des masses dans les démocraties modernes : l'exemple du mensonge par fabrication d'une image en direction de la population (d'un storytelling d'Etat) qui permet d'écarter les faits dérangeants en les traitant comme des opinions négligeables et de leur substituer une autre réalité justifiant notamment la poursuite de la guerre au Vietnam (« Du mensonge en politique », 1972)
Conclusion : La nécessité de contre-pouvoirs (une presse indépendante, des lanceurs d'alerte : Daniel Ellsberg, Julian Assange, Chelsea Manning, Edward Snowden … ) pour révéler les manipulations des gouvernements, signaler les atteintes à l'intérêt général, et permettre un vrai débat politique
Les Rendez-vous de PHILOPOP, rediffusion de l'émission du 25 octobre 2020
----------------------------------Qu'est- ce que le peuple ?
1- Une notion ambigüe
Un sens politique (communauté de citoyens, « populus ») et un sens social (le bas-peuple, la plèbe, « plebs » ou « vulgus »)Y a-t-il une volonté du peuple ? Le peuple existe-t-il comme sujet collectif ?Deux visions opposées du peuple : Michelet (Histoire de la Révolution française, 1847) et Flaubert (Education sentimentale, 1869) ; le peuple a-t-il une existence politique ou n'est-il qu'un mythe ?
2- La plèbe est-elle un danger pour le peuple ?
L'ambiguïté du mot nous contraint à réfléchir à l'articulation des deux sensLa notion de peuple a en réalité trois sens : juridique, ethnique, social (Anthropologie d'un point de vue pragmatique, 2ème partie, de Kant, 1797) . La plèbe (3ème sens) apparaît comme un danger pour le peuple (1er sens) car elle risque de devenir séditieuseAinsi, pour Platon (La République), le peuple (populus) ne peut pas exister ; il n'est que le plus grand nombre incapable de se gouverner (ignorance et irrationalité) qui devient dangereux en se rassemblant sous l'influence de démagogues; seuls les « meilleurs » (l'élite des philosophes-rois) doivent gouverner
3- Le peuple (le « populus ») ne peut se concevoir qu'à partir de la plèbe
« Peuple » est un nom péjoratif au XVIIIème siècle qui, jusqu'à la Révolution française, a un sens exclusivement social ; il désigne le bas-peuple (plèbe)La critique de cette représentation péjorative par l'abbé Coyer (Dissertation sur la nature du peuple, 1755) : « Le peuple (sens social) est composé d'hommes »Rousseau (Emile, 1762) va plus loin : « C'est le peuple qui compose le genre humain ; ce qui n'est pas le peuple est si peu de chose que ce n'est pas la peine de le compter ». Seuls les gens du peuple sont capables de sentir et d'identifier ce qui est humain. Chez eux l'amour-propre n'étouffe pas la pitié, contrairement aux « gens du monde » qui sont aveuglés par « la fureur de se distinguer »Conclusion : Le peuple (politique, qui suppose l'égalité des hommes) ne peut se concevoir qu'à partir de la plèbe (le peuple social)
Bibliographie :Histoire de la Révolution française 1ère partie, de Michelet, à propos de la prise de la Bastille le 14 juillet 1789Education sentimentale de Flaubert, à propos des journées de février 1848Dissertation sur la nature humaine de l'abbé CoyerEmile de RousseauLa nature du peuple, par Deborah Cohen (éditeur, Champ Vallon)Les voies du peuple, par Gérard Bras (éditions Amsterdam)
Film conseillé : Un peuple et son roi,réalisé et écrit par Pierre Schoeller, sorti en 2018 (extrait donné lors de la 2ème pause)
Site de l'association PHILOPOP : https://sites.google.com/site/philopoplh/
Les Rendez-vous de PHILOPOP- émission du 12 mars 2023La retraite, pour quelle vieillesse ?Réflexion à partir de la lecture du livre de Simone de Beauvoir publié en 1970 « La vieillesse » (collection Folio)La retraite n'est pas seulement un problème économique et social. Elle met en jeu l'idée que nous avons de la vieillesse et de notre existence. Si la condition des vieillards a changé depuis 1970 (l'âge de départ à la retraite était alors de 65 ans, et le niveau des pensions était très faible), la vieillesse est toujours considérée principalement en termes de soins, de dépenses et de coût. Elle souffre d'une image négative.1- Pourquoi la vieillesse apparaît-elle surtout comme une déchéance ? Le déclin biologique auquel elle correspond suffit-il à expliquer le regard dépréciatif porté sur elle ?Si le spectre de la vieillesse a reculé depuis 1970 (il concerne avant tout ce qu'on appelle aujourd'hui le « 4ème âge »), il n'a pas pour autant disparu.La vieillesse est toujours l'objet d'une « conspiration du silence » (selon la formule de S. de Beauvoir). C'est un sujet « triste » qu'on préfère éviter.Les raisons pour lesquelles S. de Beauvoir a écrit son livre sont toujours actuelles. Ainsi dénonce-t-elle l'ostracisme qui frappe les vieillards (ils sont traités en « parias »). Et « nous poussons si loin l'ostracisme que nous allons jusqu'à le tourner contre nous-même : nous refusons de nous reconnaître dans le vieillard que nous serons » (Introduction).2- La vieillesse comme « situation humaine ». Que signifie « être vieux » ?a- La vieillesse n'est pas seulement un fait biologique, c'est aussi un fait culturel : il est impossible de penser le vieillissement sans prendre en considération la société dans laquelle il se produit.Les données objectives de la biologie et de la médecine (chapitre 1), de l'ethnologie (chapitre 2), de l'histoire (chapitre 3), de la sociologie (chapitre 4).Comme « situation humaine », la vieillesse a un double dimension : objective (à ce titre, elle est objet de savoir) et subjective (c'est une expérience vécue qui peut faire l'objet d'une description phénoménologique)b- Comprendre de quelle manière le vieillard intériorise l'image de la vieillesse que la société lui renvoie (chapitres 5 et 6) : voir ainsi la découverte de la vieillesse à partir du regard d'autrui.« La complexe vérité de la vieillesse : elle est un rapport dialectique entre mon être pour autrui, tel qu'il se définit objectivement, et la conscience que je prends de moi-même à travers lui. En moi, c'est l'autre qui est âgé, c'est à dire celui que je suis pour les autres : et cet autre, c'est moi » (p-400) (…) « Ce que nous sommes pour autrui, il nous est impossible de le vivre sur le mode du pour soi » (p-410).Ainsi, en intériorisant le regard dévalorisant des autres, le vieillard se fige et se réifie dans une perception dégradante de lui-même.
3- Pourquoi la vieillesse est-elle l'objet d'un processus de déshumanisation ? a- Une déchéance économique et sociale : « Le vieillard est celui qui ne peut plus travailler et qui est devenu une bouche inutile » (p-59). Dans le cadre d'une société qui valorise l'homme actif et réduit l'humanité au travail productif fondé sur la force de travail (c'est celle que décrit S. de Beauvoir), la retraite est vécue par les travailleurs comme un exil brutal et une rupture d'identité qui précipitent leur vieillissement, et entraînent leur déchéance (chapitre 4, voir particulièrement les pages 371 à 377)b- Les conséquences existentielles de ce processus de déshumanisation sur les vieillards : une altération de leur rapport au temps, à leur histoire, à l'existence (l'absence de tout projet, la perte des raisons d'agir, voir chapitre 6)
4- Comment résoudre le problème de la vieillesse ? Que faire pour que les hommes soient tous considérés jusqu'à la fin de leur vie comme des hommes ? (conclusion du livre)Ce problème n'est pas seulement un problème individuel, il n'est pas non plus simplement un problème sociétal (que prendrait en charge une « politique de la vieillesse »), c'est un problème social et politique qui exige une transformation profonde de la société. Lecture de quelques extraits de la conclusion de Simone de Beauvoir.
Les Rendez-vous de PHILOPOP, émission du 29 janvier 2023
La peine de mort comme « assassinat public » (Beccaria)
Réfléchir sur la peine de mort à la lumière du Traité des délits et des peines (1764) de C. Beccaria :« Si je prouve que cette peine n'est ni utile ni nécessaire, j'aurai fait triompher la cause de l'humanité » (§ 28).
Qui est Beccaria ?De 1791 à 1981 : une brève histoire de l'abolition de la peine de mort en FranceLa peine de mort dans le monde aujourd'huiPourquoi, malgré les progrès de l'abolition, l'abolitionnisme est-il une position fragile ?
Le problème est de nature politique : l'Etat dispose-t-il d'un droit de vie et de mort qui l'autorise à un tuer un homme pour son crime ? Ou la peine de mort est-elle au contraire « un assassinat public » ?
1- Le droit pénal implique-t-il le droit de donner la mort ?a- Le criminel comme ennemi. Pourquoi le droit de vie et de mort est-il considéré comme un attribut essentiel de la souveraineté ?b- « La mort-supplice » (2ème chapitre de Surveiller et punir de Michel Foucault, 1975). L'exemple du supplice infligé à Damiens en 1787 pour crime de régicide (1er chapitre).
2- Le droit pénal n'a d'autre fonction que l'utilité commune (Beccaria)a- L'origine contractuelle du droit pénal (§ 1) : d'une « liberté rendue inutile » (état de nature) au sacrifice d'une part de sa liberté pour jouir du reste de la liberté garantie par les lois (état civil)b- Les châtiments sont nécessaires pour empêcher « l'esprit despotique » du criminel de « replonger dans l'ancien chaos les lois de la société »c- Un châtiment n'est juste que s'il est nécessaire (pour défendre l'utilité commune), sinon il est « tyrannique » (§ 2). Sa fonction est préventive (« Le but des peines n'est ni de tourmenter et d' affliger un être sensible, ni de faire qu'un crime déjà commis ne l'ait pas été ».... il est « d'empêcher le coupable de causer de nouveaux dommages et de dissuader les autres d'en commettre de semblables », § 12)
3- La peine de mort est injuste (elle ne peut être un droit) ; elle est inutile (aucune efficacité dissuasive) et elle est même nuisible (criminogène). Lecture du § 28.a- Elle n'est pas un droit :aucun homme ne peut avoir consenti à confier au souverain le droit de lui ôter la vie (le sacrifice d'une part de sa liberté ne peut comprendre celui « du plus grand de tous les biens » qu'est la vie)-« Sous le règne paisible de la légalité » (dans le cadre d'un Etat de droit), la peine de mort ne peut jamais être un droit. Un citoyen ne peut jamais être une « menace pour la sécurité de la nation ». Il ne peut être un danger que lorsque les lois s'effondrent : dans une guerre civile, on ne punit pas un criminel, on cherche à vaincre un ennemi.b- La peine de mort est inutile : elle n'a aucune efficacité dissuasiveL'histoire montre qu'elle n'a jamais empêché le crimeIl n'y a aucune proportionnalité entre la sévérité de la peine et l'efficacité dissuasive : la réclusion à perpétuité est moins sévère pour le coupable que la peine de mort, et plus dissuasive.c- « La peine de mort est nuisible par l'exemple de la cruauté qu'elle donne »En « ordonnant un assassinat public », l'Etat alimente la violence qu'il prétend empêcherLa « répulsion invincible » des hommes à la vue du bourreau, fondée sur la conviction que « leur vie n'est au pouvoir de personne ».Conclusion : La peine de mort est appliquée surtout aux hommes les plus démunis qui n'ont rien à perdre en commettant des crimes. Elle est le châtiment d'un Etat despotique dont les lois contribuent à « concentrer les avantages de la société sur un petit nombre et à accumuler d'un côté la puissance et le bonheur et de l'autre la faiblesse et la misère » (Introduction et § 28)
Bibliographie :Traité des délits et des peines (1764) de Beccaria, surtout l'introduction, et les § 1, 2, 12, 28Contrat social Livre II, chapitre 5 de J. J. Rousseau (1762)Surveiller et Punir, chapitres 1 et 2, de Michel Foucault (1975)L'Abolition, Robert Badinter (2000)
Le récit de la Genèse est présenté traditionnellement comme le texte du « péché originel ». Sa lecture valide-t-elle cette interprétation ? Ce récit enseigne-t-il la vérité de la condition pécheresse de l'homme, comme l'affirment Saint-Augustin (354- 430) et Pascal (1623-1662) à sa suite, - ou n'est-il qu'un texte anthropomorphique exprimant la vision d'un homme ignorant, selon la lecture qu'en fait Spinoza (1632- 1677)?Peut-on dire qu'Adam, le premier homme, est puni par Dieu pour avoir désobéi à son commandement, et condamne le genre humain à la souffrance pour le prix de sa faute ?1- Examen du récit de la Genèse (particulièrement de ses chapitres 2 et 3)a- Les trois étapes du récit : 1- le don du jardin par Dieu et l'énoncé de son commandement ; 2- l'irruption du serpent : de la tentation à la faute ; 3- le châtiment de Dieu et l'expulsion d'Adam et Eve du jardinb- Dieu a-t-il prononcé l' interdiction de manger du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, ou a-t-il exprimé seulement un avertissement concernant la nocivité de ce fruit ? La reformulation de l'énoncé divin par le serpent et la femme et son interprétation insistante en termes d'interdit (« Dieu a dit : (…) Vous n'y toucherez pas »)c- Une mise en cause de la crédibilité de la parole divine
2- Les difficultés auxquelles se heurte l'interprétation théologique du récit en termes de péché originela- Une faute bien étrange dont Adam ne peut prendre conscience qu'en mangeant du fruit de l'arbre de la connaissance du Bien et du Malb- L'idée d'une corruption de la nature originelle de l'homme est incompréhensible : comment comprendre que cet être que Dieu a créé bon et tout-puissant (il le fait à son image) fasse l'expérience de sa faiblesse en cédant à la tentation ?c- Ces difficultés n'empêchent pas les théologiens et les moralistes d'affirmer le libre-arbitre de l'homme et de soutenir en même temps le dogme du péché originel
3- La critique par Spinoza des présupposés de cette conception théologique a- Le libre-arbitre est une illusion ; il n'exprime pas une véritable liberté mais traduit une impuissanceb- C'est une illusion qui fait obstacle à la connaissance de l'homme et de Dieuc- Dieu n'est pas à l'image que l'homme se fait de lui-même (en se croyant doté d'un libre-arbitre) : il n'est pas une volonté qui crée l'univers et qui s'adresse aux hommes par des commandements, et rétribue leurs actes par des récompenses ou des châtiments ; il est le Réel en sa totalité (la Nature) en tant qu'il se produit selon des lois nécessaires et produit toutes les choses qui sont en lui. Ses lois sont des « vérités éternelles » qui expriment des rapports nécessaires et non des commandements.
4- La lecture que fait Spinoza du récit de la Genèse (Traité théologico-politique, chapitre 4)a- Le récit de la Genèse exprime la vision anthropomorphique d'un ignorant qui imagine Dieu comme une volonté qui s'adresse à lui et exige de lui obéissanceb- Selon ce récit, Dieu n'interdit aucunement à Adam de manger du fruit de l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal, mais il l'avertit de sa nocivité. Il ne peut donc pas y avoir de faute d'Adam.c- Ce n'est qu'après en avoir mangé et souffert de son effet nocif, qu'Adam interprète sa souffrance comme le châtiment de Dieu
Conclusion : En quoi le fruit de l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal agit-il comme un poison ? Réflexion sur la différence entre la morale et la sagesse.
Bibliographie :
Genèse, chapitres 2 et 3Spinoza : Préfaces des 3ème et 4ème parties de l'Ethique, Traité politique, chapitre 2, § 6 ; et surtout, Traité théologico-politique, chapitre 4.
Les Rendez-vous de PHILOPOP, émission du 30 octobre 2022
« La raison du plus fort est toujours la meilleure »
Chacun aura reconnu la célèbre morale du Loup et de l'agneau de Jean De la Fontaine.Pour comprendre ce qu'est la « raison du plus fort », il est utile d'examiner la manière de raisonner du loup dans la fable. Cette morale peut susciter deux lectures :Selon la première, c'est une morale ironique : la « raison du plus fort » consiste à déguiser la force en droit ; elle revient à donner une apparence de justification à ce qui n'est que le décret arbitraire du plus fort. C'est la lecture de Rousseau dans le Contrat social (1762)Selon la seconde, c'est une morale réaliste : il faut se résoudre à reconnaître que seule la force est en mesure d'instituer le droit et de faire régner la paix. La raison du plus fort est ainsi toujours la meilleure. C'est la lecture de Pascal, dans ses Pensées, parues après sa mort en 1670.L'examen de la morale du Loup et de l'agneau nous conduit ainsi à nous interroger sur la nature du droit : s'oppose-t-il à la force (Rousseau) ou se ramène-t-il au contraire à elle (Pascal) ?
1- Le droit contre la force (Rousseau, Contrat social, Livre I, chapitre 3)
a- La faiblesse de la force explique que le plus fort ait besoin du droit du plus fort pour maintenir sa domination.b- C'est un « prétendu droit » reposant sur la confusion de la force et du droit, dont l'efficacité consiste à capter le consentement des opprimés à leur oppression (ils se croient « obligés » d'obéir alors qu'ils sont « contraints »)c- En dissipant cette confusion et en ramenant la force à ce qu'elle est (une « puissance physique »), les peuples ont raison de s'insurger et de chercher à renverser le rapport de forces en leur faveur (« Puisque le plus fort a toujours raison, il ne s'agit que de faire en sorte qu'on soit le plus fort », Rousseau fait ici allusion à la morale du Loup et de l'agneau)d- Instituer un véritable droit et établir une autorité légitime : c'est l'objet du Contrat social.
2- Seule la force fait le droit (Pascal, Les Pensées)
a- L'idéal serait que la justice (« qualité spirituelle ») soit toujours suivie et secondée par la force (« qualité physique »), mais « ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste » (Pensée 298, édition Brunschvicg)b- L'explication de cet état de fait est la suivante : « La justice est sujette à dispute » ; « La force est très reconnaissable et sans dispute »c- Ainsi, seule la force peut tenir les hommes en respect en instaurant un droit qui mette fin aux querelles.d- Comme la force ne peut d'elle-même engendrer un sentiment de justice, il faut qu'elle soit occultée comme force pour qu'elle paraisse la justice dans l'imagination du peuple à travers les lois établies (il faut qu'il oublie avec le temps la violence originelle, - « l 'usurpation »- du plus fort, Pensées 294, 304, 326).
3- Ces deux lectures s'appuient sur deux conceptions de l'homme radicalement différentes :
Pour Pascal, l'émancipation des hommes et des peuples est illusoire (la « concupiscence » est au principe de leurs actions, la politique consiste à « régler un hôpital de fous ») ; pour Rousseau, elle est une exigence, certes difficile à réaliser
Mais l'un et l'autre s'accordent à reconnaître le rôle de l'imagination dans la domination du plus fort
Bibliographie:- Le Contrat social de J. J; Rousseau, Livre I, chapitre 3 ("Du droit du plus fort"), 1762, collection G/F- Les Pensées de Pascal, 294, 298, 299, 304, 326, édition Brunschvicg, collection G/F, parues après sa mort en 1670- Les Trois Discours sur la condition des Grands de Pascal