DiscoverCHRIS - POP CULTURE & COMICS
CHRIS - POP CULTURE & COMICS

CHRIS - POP CULTURE & COMICS

Author: ChriS

Subscribed: 6Played: 46
Share

Description

Vilaine Culture & Saines Lectures
35 Episodes
Reverse
Dans cet épisode de POP CULTURE & COMICS, je reviens sur la façon dont la littérature pulp a influencé nos univers fictionnels préférés. De H.P. Lovecraft à Robert E. Howard, en passant par Edgar Rice Burroughs, comment Conan le Barbare, Tarzan, ou encore Zorro ont inspiré la bande dessinée américaine, jusqu’à devenir eux-mêmes des héros de comic books ?Les comics recommandés dans cet épisode :* Kadath, L’Inconnue - H.P. Lovecraft, Florentino Flórez, Guillermo Sanna et Jacques Salomon - Ablaze / Black River * Les Chefs-d’Œuvre de Lovecraft : L’Appel de Cthulhu - Gō Tanabe - Ki-oon* Conan le Barbare : Liés à la Pierre Noire - Jim Zub et Roberto De La Tore - Titan Comics / Panini Comics * Les Secrets de l'Acier - Roy Thomas - Neofelis Éditions * Doc Savage : L’intégrale 1975-1976 - Doug Moench, John Buscema et Tony Dezuniga - Marvel Comics / Curtis Magazines / Neofelis Éditions * Bloodstar - Richard Corben - Delirium* Tarzan - Joe Kubert - DC Comics / Delirium * Tarzan : Les Années Comics - Russ Manning / Graph Zeppelin* Zorro : D’entre les morts - Sean Gordon Murphy - Massive Publishing / Urban Comics * Zorro : D’entre les morts - Version N&B - Sean Gordon Murphy - Massive Publishing / Urban Comics* Zorro : D’entre les morts - Masterclass Edition - Sean Gordon Murphy - Massive Publishing / Urban Comics* Supergirl : Woman of Tomorrow - Tom King et Bilquis Evely - DC Comics / Urban Comics Retrouvez le podcast POP CULTURE & COMICS sur toutes les plateformes d’écoute !Mes réseaux sociaux.N’hésitez pas à partager cet épisode s’il vous a plu !Recevez mes articles, podcasts et vidéos directement dans votre boîte mail, sans intermédiaire ni publicité, en vous abonnant gratuitement ! Get full access to CHRIS - POP CULTURE & COMICS at chrisstup.substack.com/subscribe
L’art et la censure ne font jamais bon ménage. Et c’est particulièrement vrai quand on parle de l’histoire de la bande dessinée américaine et de musiques extrêmes. Alors, quand les deux se rencontrent, ça ne peut qu’effrayer les puritains de tout poil ! Dans cet épisode de POP CULTURE & COMICS, on revient sur les visuels traumatisants des albums du groupe de Death Metal Cannibal Corpse et sur l’artiste qui en est à l’origine : Vince Locke ! Retrouvez le podcast POP CULTURE & COMICS sur toutes les plateformes d’écoute ! Mes réseaux sociaux. N’hésitez pas à partager cet épisode s’il vous a plu ! Get full access to CHRIS - POP CULTURE & COMICS at chrisstup.substack.com/subscribe
Dans cet épisode, je reviens sur la difficulté d’accès à la bande dessinée américaine et à la culture comics en France. Les comics recommandés dans cet épisode : * Ultimate Spider-Man - Brian M. Bendis et Mark Bagley - Marvel Pocket / Panini Comics * Ultimates - Mark Millar et Bryan Hitch - Marvel Pocket / Panini Comics * The Boys - Garth Ennis et Darick Robertson - Dynamite / Panini Comics * Batman : Un Long Halloween - Jeph Loeb et Tim Sale - DC Comics / Urban Comics * V pour Vendetta - Alan Moore et David Lloyd - Urban Nomad / Urban Comics * Nou3 - Grant Morrison et Frank Quitely - Urban Nomad / Urban Comics * Mister Miracle - Tom King et Mitch Gerards - DC Comics / Urban Comics * Superman Red Son - Mark Millar et Dave johnson - DC Comics / Urban Comics * Planetary - Warren Ellis et John Cassaday - Urban Nomad / Urban Comics * Watchmen - Alan Moore et Dave Gibbons - DC Comics / Urban Comics Les articles de Comicsblog avec Xavier Guilbert, à consulter pour les chiffres du marché des comics en détails : * Comics en France en 2023 : Ce que nous disent (vraiment) les chiffres du marché * Comics en France en 2023 : Non, le marché n’est pas en péril Retrouvez le podcast POP CULTURE & COMICS sur toutes les plateformes d’écoute ! Mes réseaux sociaux. N’hésitez pas à partager cet épisode s’il vous a plu ! Recevez mes articles, podcasts et vidéos directement dans votre boîte mail, sans intermédiaire ni publicité, en vous abonnant gratuitement ! Get full access to CHRIS - POP CULTURE & COMICS at chrisstup.substack.com/subscribe
Dans cet épisode, je reviens sur la prétendue lassitude du public envers les super-héros, et je vous parle de mes lectures récentes qui pourraient bien vous donner envie de laisser une nouvelle chance au genre super-héroïque ! Les comics recommandés dans cet épisode : Titans - Tom Taylor et Nicola Scott - DC Comics / Urban Comics E-Ratic - Kaare Andrews - AWA Studios / Black River Doctor Strange : Fall Sunrise - Tradd Moore - Marvel Comics / Panini Comics Demon Days - Peach Momoko - Marvel Comics / Panini Comics The Blue Flame - Christopher Cantwell et Adam Gorham - Vault Comics / 404 Graphic COPRA - Michel Fiffe - Image Comics / Delirium Retrouvez le podcast POP CULTURE & COMICS sur toutes les plateformes d’écoute ! Mes réseaux sociaux. N’hésitez pas à partager cet épisode s’il vous a plu ! Recevez mes articles, podcasts et vidéos directement dans votre boîte mail, sans intermédiaire ni publicité, en vous abonnant gratuitement ! Get full access to CHRIS - POP CULTURE & COMICS at chrisstup.substack.com/subscribe
La bande dessinée américaine regorge d’étrangetés et de pépites plus ou moins inattendues. Parmi celles-ci, un pur produit des années 1980 : l'adaptation en comic book du dessin animé Chuck Norris Karate Kommandos, ou les aventures de Chuck Norris chez Marvel Comics ! Retrouvez le podcast POP CULTURE & COMICS sur toutes les plateformes d’écoute ! Mes réseaux sociaux. N’hésitez pas à partager cet épisode s’il vous a plu ! Get full access to CHRIS - POP CULTURE & COMICS at chrisstup.substack.com/subscribe
MES PREMIERS COMICS !

MES PREMIERS COMICS !

2024-04-0114:45

Dans cet épisode, je vous parle de mes premiers comics et je vous raconte comment j’ai découvert la bande dessinée américaine au début des années 1990 ! De Strange à Conan le Barbare, en passant par Picsou et les Tortues Ninja, je reviens sur les premières heures de mon parcours de lecteur ! Au programme : nostalgie et anecdotes d’un autre temps ! Retrouvez le podcast POP CULTURE & COMICS sur toutes les plateformes d’écoute ! Mes réseaux sociaux. N’hésitez pas à partager cet épisode s’il vous a plu ! Recevez mes articles, podcasts et vidéos directement dans votre boîte mail, sans intermédiaire ni publicité, en vous abonnant gratuitement ! Get full access to CHRIS - POP CULTURE & COMICS at chrisstup.substack.com/subscribe
Depuis de nombreuses années, j’ai tendance à dire que tout a été fait en matière d’histoire de super-héros. Et qui aurait pu croire qu’un comic book sorti de nulle part allait me donner tort ? Aujourd'hui, on parle de COPRA par Michel Fiffe. Je ne vais pas y aller par quatre chemins : la série de comics dont je vais vous parler me semble largement sous-estimée de manière générale, et plus particulièrement par les lecteurs français, qui sont totalement passés à côté de la pépite qu’est COPRA. Réparer cette injustice me paraît essentiel, et j’espère que la lecture de cet article vous donnera envie de plonger dans ce qui est sûrement la meilleure chose qui soit arrivée au comic book de super-héros ces derniers temps. Les gens aiment qu’on leur raconte la même histoire encore et encore, autant pour se rassurer en validant leurs propres connaissances que pour mieux s’offusquer d’être pris pour des idiots, et je ne compte plus le nombre de fois où j’ai été confronté à ce paradoxe. D’un côté, une partie du public se plaint de la redondance et du manque d’originalité des comics de super-héros, de l’autre, les tentatives de certains auteurs pour surprendre le lectorat ou sortir des sentiers battus, que ce soit graphiquement ou scénaristiquement, sont souvent victimes de réceptions désintéressées, voire hostiles. Ainsi, les lecteurs et les lectrices qui déplorent l’immobilisme du genre super-héroïque sont aussi souvent ceux qui l’entretiennent, par un fanatisme borné ou bien tout simplement par manque de curiosité. Heureusement, il arrive que des artistes visionnaires fassent prendre au médium des virages novateurs qui définissent de nouveaux standards, sans pour autant renier leur héritage. C’est le cas de Michel Fiffe, né en 1979 à La Havane, qui commence à se faire connaître au début des années 2010 en réalisant de courtes histoires autour de Savage Dragon, le héros de Erik Larsen, chez Image Comics. En 2012, il débute, en autoédition sur son label Copra Press, la publication de COPRA, série dont il est à la fois le scénariste et le dessinateur, qui va rapidement recevoir d’excellentes critiques de la part de la presse et des sites web spécialisés en comic books. En 2014, il écrit les douze numéros de All-New Ultimates de Marvel Comics et travaille ensuite sur Bloodstrike, spin-off de Younglood de Rob Liefeld ; G.I. Joe : Sierra Muerte, une relecture bad-ass de la licence de Hasbro chez IDW ; et réalise plusieurs variant covers pour Valiant Comics et Dark Horse. Le succès de COPRA permettra même aux lecteurs de redécouvrir l’une de ses œuvres de jeunesse, réalisée entre 2005 et 2008 : Panorama, récit mêlant chronique adolescente et body-horror, sélectionnée au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême en 2022. Dans COPRA, sa création phare, une équipe hétéroclite de mercenaires dotés de super-pouvoirs intervient dans les situations les plus désespérées, et ses membres ne tirent aucun honneur public de leurs actes héroïques. Parmi les agents les plus emblématiques de COPRA, on trouve Lloyd, combattant aguerri et tireur émérite ; Gracie, une ancienne mannequin star de série B, mais aussi athlète confirmée experte en corps-à-corps ; Wir, à la fois geek et ex-délinquant ayant fabriqué une colossale armure hi-tech, véritable arme de guerre ambulante ; Rax, justicier originaire d’une autre dimension et doté d’une tenue lui conférant un pouvoir considérable ; Guthie, une dure à cuire dont la force surhumaine lui permet de tenir tête à des êtres divins ; ou encore Xenia, une jeune femme qui peine à accepter l’étendue de ses pouvoirs occultes. Tous des archétypes, pour ne pas dire des ersatz, de personnages célèbres, mais dont on comprend rapidement que leur fibre super-héroïque est aussi erratique que la cohésion de la troupe qu’ils forment. Après avoir posé le décor, Fiffe prend le temps de développer chaque personnage individuellement, offrant soudainement bien plus de profondeur à des héros et des héroïnes qui semblaient très secondaires au départ. Les membres de COPRA ne sont pas des super-héros. Dans la veine d’une Doom Patrol ou d’une Suicide Squad, les protagonistes de Fiffe sont des gueules cassées et des freaks à mille lieues des justiciers et justicières classiques que l’on retrouve chez les Avengers ou dans la Justice League. Écorchés-vifs ou survivants victimes de leur propre statut, ils sont aussi très différents les uns des autres, pour ne pas dire incompatibles les uns avec les autres. Pourtant, Fiffe réussit avec beaucoup de talent à articuler leurs relations et met en place une dynamique de groupe tout à fait efficace, ce qui reste un exercice complexe, même pour des auteurs confirmés travaillant chez Marvel ou DC Comics. Fiffe mélange, puis avale d’un seul bloc une quantité phénoménale de références, les digère, les régurgite et nous les renvoie à la face sans sommation. Dans COPRA se côtoient les explosives visions cosmiques de Jack Kirby, le mysticisme misanthropique de Steve Ditko, et la fureur graphique de Frank Miller, pour un résultat qui ne cesse de gagner en qualité au fur et à mesure des numéros, l’artiste affinant peu à peu son propre style pour créer des scènes toujours plus spectaculaires et brillantes dans leur conception. Certains personnages, notamment ses super-vilains, arborent des looks aussi déstructurés qu’improbables, qui défient les lois de la géométrie et de la physique de notre monde réel. Des transgressions permises par la bande dessinée, et pourtant rarement osées par les dessinateurs des publications mainstream. Grâce à ce parfait amalgame d’influences, nourrit de près d’un siècle de comics de super-héros, COPRA peut revendiquer être l’apogée du genre, mais aussi du format comic book, car Fiffe, dans son découpage, joue autant avec le fond qu’avec la forme standardisée des planches pour pousser la narration graphique à un niveau bien trop rare dans la bande dessinée américaine. Étant fan de comics depuis mon plus jeune âge, j’y vois un véritable accomplissement. Comme si le créateur derrière cette BD avait su capter tout ce qu’on aime dans les histoires de super-héros et l’avait porté à maturation pour en donner sa propre version : plus folle, plus dure, et parfois pratiquement extatique. Ce n’est pas très étonnant, dans le sens où, en tant que fils d'immigrés cubains, Fiffe s’est lui-même servi de ses lectures de jeunesse pour s’imprégner de la culture des États-Unis, ce qui, par certains aspects, rejoint la façon dont nous sommes nous-mêmes, en France, exposés au soft power américain et marqués par ses codes les plus forts depuis notre plus tendre enfance. C’est finalement l’une des grandes forces de COPRA : ne pas tenter de singer les classiques en espérant rivaliser avec eux, mais bel et bien proposer une vision nouvelle, par un auteur qui a lui-même dû trouver sa place dans un système qui n’était absolument pas le sien à l’origine. Et si l’incomparable style graphique de Fiffe demandera peut-être un petit temps d’adaptation à une partie des lecteurs, l’effort minime pour accéder à son univers sera rapidement récompensé. Si des pierres angulaires de la bande dessinée de super-héros telles que Watchmen pouvaient déjà être vues comme un couronnement du genre, COPRA compte indéniablement parmi les quelques modèles qui incarnent l'aboutissement moderne de la formule, dont il irradie un amour viscéral hyper-communicatif. Un point culminant qui n’est peut-être que temporaire, mais qui, malgré sa coriace confidentialité auprès du grand public, saura sans aucun doute marquer les esprits des auteurs de demain qui feront évoluer les récits super-héroïques vers de nouveaux horizons. Pour faire simple : si vous trouvez que les comics de super-héros d'aujourd'hui sont mauvais, c’est peut-être tout simplement parce que vous ne lisez pas les bons ! Si vous voulez découvrir COPRA, rendez-vous sur le site de Delirium ! N’hésitez pas à partager cet article sur les réseaux sociaux s’il vous a plu ! Recevez mes articles, podcasts et vidéos directement dans votre boîte mail, sans intermédiaire ni publicité, en vous abonnant gratuitement ! Get full access to CHRIS - POP CULTURE & COMICS at chrisstup.substack.com/subscribe
Une figurine futuriste qui devient contre toute attente la star d’un comic book ?  Aujourd’hui, on parle de ROM, le chevalier de l’espace ! Les super-héros de la bande dessinée américaine et les produits dérivés, c’est une vieille histoire. Dès 1940, soit deux ans après sa première apparition dans Action Comics #1, Superman a droit à une adaptation en feuilleton radiophonique, mais également à une figurine à son effigie, produite par la société Ideal ! Si cette poupée de bois dotée d’une cape en tissu est simpliste, pour ne pas dire rustique, dans sa conception, elle reste cependant la première figurine de super-héros jamais fabriquée à grande échelle. Dans les années 1960, les avancées technologiques permettent de concevoir des jouets toujours plus perfectionnés. C’est notamment le cas avec les G.I. Joe de Hasbro, considérés comme les premières action figures, qui vont révolutionner le monde du jouet avec leurs poses réalistes et leurs accessoires inspirés d’armes ou de véhicules bien réels. Du côté des héros de comic books, le fabricant américain Mego obtient, en 1971, à la fois les droits des personnages de Marvel et de DC Comics et produira plusieurs dizaines de poupées articulées qui font aujourd’hui le bonheur des collectionneurs. Dès lors, les super-héros ne quitteront plus les magasins de jouets, de la gamme Secret Wars de Mattel en 1984, aux figurines Batman de Kenner surfant sur le succès de ses adaptations au cinéma ou de la série animée de Bruce Timm, en passant par les figurines de Toy Biz, tirées des séries animées consacrées à Spider-Man ou aux X-Men, dans les années 1990. Mais, comme vous pouvez l’imaginer, au milieu de ces réussites, on trouve aussi quelques tentatives plus ou moins fructueuses de faire cohabiter héros de plastique et héros de papier… C’est notamment vrai pour ROM the Space Knight, initiative commune de la société Parker Brothers et de Marvel Comics lancée en 1979. Si le personnage jouit encore aujourd’hui d’une forte popularité ; entretenue par une fanbase restreinte, mais fidèle ; son histoire reste un cas à part qui mérite d’être raconté. À l'orée des années 1980, les jouets embarquant de l’électronique ont le vent en poupe. Espérant surfer sur ce courant naissant, Scott Dankman, Richard C. Levy, et Bryan L. McCoy imaginent une figurine de robot à l’aspect humanoïde dotée d’effets sonores et lumineux qu’ils nomment COBOL, en référence au langage de programmation informatique du même nom. La société Parker Brothers, jusqu’alors spécialisée dans les jeux de société et derrière des licences connues de tous, comme le Cluedo ou le Monopoly, voit dans ce jouet ultramoderne l’occasion de conquérir un nouveau marché. Après avoir retravaillé le design et changé le nom en ROM ; acronyme de Read-Only Memory, sonnant bien mieux pour le grand public ; Parker décide de lancer la production de cette figurine en ménageant les coûts, afin d’éviter de perdre trop d’argent si le succès n’est pas au rendez-vous. Résultat : les économies et le manque d'expérience de Parker Brothers dans ce domaine font de ROM une figurine aussi avant-gardiste qu’imparfaite. Si elle est la première à embarquer autant d'électronique, proposant des fonctionnalités inédites pour l’époque, elle est également de conception assez médiocre, ce qui lui vaudra le droit d’être durement critiquée dans Time Magazine, qui annonçait qu’elle finirait rapidement sous un canapé, au milieu des moutons de poussière… Cachant une pile 9 volts dans son réacteur dorsal, ROM possède deux LED rouges à la place des yeux, un respirateur électronique produisant des “sons réalistes”, mais aussi trois accessoires lumineux : un analyseur, un traducteur et un neutraliseur, chacun ayant son utilité, bien entendu. Possédant autant de points d’articulation qu’une poupée Barbie, ROM sera intégré à la gamme Action Man de Palitoy au Royaume-Uni, mais peinera à se faire une place sur le marché américain. Avec moins de trois-cent-mille exemplaires vendus, Parker considérera cette incursion dans le monde de la figurine articulée comme un échec et abandonnera définitivement la ligne, sans jamais l’avoir étendue. Si McCoy rejette la responsabilité de ce fiasco sur le packaging peu accrocheur et la mauvaise communication de Parker Brothers, on ne peut pourtant pas reprocher à l’entreprise qui distribuait à cette époque le célèbre Scrabble, de ne pas avoir tout tenté pour promouvoir son robot. Car, si le jouet n’a pas su séduire les enfants, il n’en va pas de même pour la bande dessinée produite de décembre 1979 à février 1986 par Marvel Comics, à la demande de Parker. Quelques mois plus tôt, Bill Mantlo a convaincu l’éditeur en chef de Marvel Comics, Jim Shooter, d’acquérir la licence des jouets Micronauts, commercialisés aux États-Unis par Mego, pour en tirer une série de comic book. Dessinée par Michael Golden, Micronauts va connaître cinquante-neuf numéros et recevra le prix Eagle Award de la meilleure nouvelle série lors de la British Comic Art Convention de 1979. Considéré par Shooter comme apte à donner vie aux jouets dans des bandes dessinées, Mantlo, connu pour être le co-créateur de Rocket Racoon et de Cloak & Dagger, se voit donc octroyer le poste de scénariste sur ROM, tandis que le dessinateur Sal Buscema, qui a notamment œuvré sur Avengers ou Hulk, se charge de la partie graphique. Pour assurer la promotion de la figurine hi-tech de Parker, Bill Mantlo va devoir créer tout un background en partant de pratiquement rien. En premier lieu, ROM n’est plus un simple robot, mais plutôt un cyborg, un être vivant d’apparence humaine transformé en machine ultra perfectionnée. Issu de la rayonnante et très avancée civilisation Galadorienne, ROM est un chevalier de l’espace, chargé de pourchasser les Spectres Noirs, des créatures métamorphes dissimulées parmi les différentes populations de notre univers. Révélés par l’analyseur du champion de Galador, ces Spectres Noirs, ou Dire Wraiths en version originale, sont ensuite bannis dans une autre dimension grâce à son neutraliseur, tandis que son traducteur lui permet d’échanger avec les différents individus qui croisent son chemin. Vous l’avez compris, Bill Mantlo use des maigres éléments qui accompagnent la figurine articulée de Parker Brothers pour monter de toutes pièces une intrigue digne d’un film de science-fiction produit en plein maccarthysme. Heureusement pour nous, cette chasse aux créatures maléfiques infiltrées est loin d’être aussi simpliste que l’on pourrait le croire. Premièrement, la nature des Spectres Noirs, révélée par l’analyseur de ROM, reste totalement inconnue des humains. Ainsi, à leurs yeux, le justicier paré de chrome n’est ni plus ni moins qu’un extraterrestre impitoyable, exécutant leurs semblables en les désintégrant. Le Galadorien est donc considéré comme une menace par la presse, mais aussi par les autres héros Marvel qu’il va croiser au fil de ses aventures, comme Namor, Shang-Chi, ou encore le duo formé par Power Man et Iron Fist. Si cette intégration totale du personnage à l’univers de la Maison des Idées finira par se révéler problématique, elle permet dans un premier temps de donner beaucoup de relief à ROM. S’il est un cyborg bardé de gadgets électroniques, prétendument inarrêtable et indestructible, Mantlo et Buscema vont s’évertuer à entretenir un certain mystère autour de ses origines, en distillant les informations de façon sporadique, mais aussi à le mettre très souvent en mauvaise posture. La tension qui résulte de ces péripéties, associée au statut du personnage ; différent de celui des super-héros Marvel plus classiques, pour lesquels on ne s’inquiète déjà plus vraiment à l’époque ; accroît significativement l’attachement du lecteur pour ROM, ce qui participera assurément à la longévité de la série. Avec le temps, le ton devient plus adulte, le protagoniste plus violent, et l’ambiance beaucoup plus lourde, voire horrifique, si bien qu’en France, dans les pages du mensuel Strange, où elle est publiée depuis le numéro 133 en 1981, la série ROM sera souvent censurée et retouchée pour ne pas attirer les foudres du comité de censure des publications destinées à la jeunesse. Outre des thématiques tournant autour du rôle messianique du héros, de son sens du sacrifice et de la façon dont il est rejeté par ceux qu’il vient protéger, la série Marvel abordera également l’humanité perdue de son personnage principal, son sens du devoir et des responsabilités, et plus globalement la question du vivre-ensemble. Avec soixante-quinze numéros au total ; dont les derniers seront dessinés par Steve Ditko, l’un des artistes majeurs de Marvel Comics ; ROM est un parfait exemple de la façon dont la Maison des Idées a su miser sur de nombreuses licences, plus ou moins prometteuses, durant les décennies 70, 80 et 90. Après La Planète des Singes et Star Wars, et avant les G.I. Joe, les Transformers, les Sectaurs, les Dino Riders, l’Agence tous risques, Indiana Jones, Barbie, Alf, les Power Rangers, ou même les Bisounours, la série de Bill Mantlo et Sal Buscema s’inscrit dans une longue tradition de publications Marvel exploitant des marques pour des durées plus ou moins longues. Ce qui est remarquable avec ROM, c’est que le comic book aura longtemps survécu à la figurine dont il devait faire de la réclame et lui aura même créé tout un univers, ce que Parker n’avait pas su faire pour vendre son jouet. Car, le fabricant de jeux de société n’avait sûrement pas compris que, bien au-delà des sons et des lumières, c’est avant tout à l’imagination des enfants qu’il faut savoir faire appel pour leur donner envie de jouer. Aussi, leur robot raide comme la mort pouvait bien s’époumoner dans son respirateur, et épuiser la totalité de sa pile 9 volts en clignotant par toutes les extrémités, jamais cela n’aurait pu égaler toute la créativité des artistes qui se sont investis pour donner du corps et de l’esprit à ce bonhomme en plastique. En 1991, Parker est racheté par Hasbro, qui cédera la licence à
L’Histoire de la bande dessinée américaine fourmille d'anecdotes plus ou moins inattendues, mais l’histoire que je vais vous raconter compte incontestablement parmi les plus bizarres qu’il m’ait été donné d’entendre. Aujourd’hui, on parle de Fletcher Hanks et de ses créations à la limite du surréalisme… Avec la sortie du premier numéro de Action Comics en 1938, la bande dessinée américaine connaît un véritable cataclysme. Superman, le premier super-héros moderne, est un succès éditorial instantané et le format comic book s’impose définitivement dans les kiosques. Si les créateurs de l’Homme d’Acier, Jerry Siegel et Joe Shuster, auront bien du mal à faire reconnaître leurs droits sur le personnage et la pléthore de produits dérivés qui en seront tirés, ils n’en sont pas moins à l’origine d’une tendance qui va faire des émules. Les gamins veulent des justiciers costumés dotés de super pouvoirs ? Et bien, on va leur en donner ! En l’espace de quelques semaines, tous les éditeurs ou presque se mettent à commander aux artistes qui travaillent pour eux des histoires de super-héros. Et si Batman, Wonder Woman, The Flash, Captain Marvel ou Namor the Sub-Mariner sont parvenus jusqu’à nous, parfois au prix de changements drastiques, vous vous doutez bien qu’une bonne partie des créations de l’époque n’ont pas connu la même longévité. Si Black Cat, Green Lama, Doll Man, Black Terror ou Blue Bolt n’ont pas autant marqué l’histoire des comics que Captain America ou Green Lantern, et ce malgré quelques tentatives isolées de les réanimer, il existe d’autres personnages, bien plus exotiques encore, que le grand public a totalement oublié aujourd’hui. Parmi les proto-super-humains des comic books, la justicière Fantomah est tout à fait remarquable. Apparue dans Jungle Comics #2 en février 1940 sous la plume d’un dénommé Barclay Flagg, chez l’éditeur Fiction House, Fantomah est parfois considérée comme la véritable première super-héroïne, devançant ainsi la célèbre Wonder Woman de William Moulton Marston et Harry G. Peter, apparue dans All-Star Comics #8 en octobre 1941. Cette réputation reste largement sujette à débat, étant donné que Fantomah n’est ni la première protectrice de la jungle ; Rima the Jungle Girl étant apparue bien avant elle ; ni la première à posséder sa propre série, ce titre revenant à Sheena, Queen of the Jungle ; ni le premier personnage féminin à posséder un semblant de super pouvoirs, L’Oiselle du français René d’Anjou ayant pris son envol dès 1909. Si Fantomah peut prétendre à ce statut, c’est parce qu'elle est le premier personnage féminin apparu directement dans une bande dessinée américaine à englober plusieurs caractéristiques super-héroïques, comme des pouvoirs surhumains paranormaux ou une transformation physique comparable à une sorte d’identité secrète. Bien que ses aventures ne soient pas précisément localisées, l’héroïne défend son royaume, très largement fantasmé, de pilleurs occidentaux malintentionnés, abattant son courroux sur ceux qui voudraient profaner son sauvage sanctuaire. À la découverte des surprenantes aventures de Fantomah, on serait en droit de se demander pourquoi son créateur, Barclay Flagg, n’est pas resté dans l’histoire comme Jack Kirby, Stan Lee, ou Will Eisner. Et bien, tout simplement parce que Barclay Flagg n’existe pas. Il s’agit en fait de l’un des nombreux pseudonymes utilisés par l’un des plus mystérieux auteurs de comics du XXe siècle : Fletcher Hanks. Pendant des décennies, Fletcher Hanks est resté l’une des plus grandes énigmes de la bande dessinée américaine, jusqu’à ce que l’auteur Paul Karasik ne se lance dans une incroyable enquête qui l’a mené jusqu’à rencontrer le fils du dessinateur, Fletcher Hanks Jr., au début des années 2000. Ainsi, tout ce que l’on sait, ou presque, de Fletcher Hanks est issu du témoignage de son fils. Né en 1887, Fletcher Hanks grandit à Oxford, dans le Maryland, dans un environnement rude et violent. Gâté par sa mère, qui lui paie des cours de dessin par correspondance, Fletcher gagne sa vie en peignant des fresques chez de riches clients du coin, mais dépense tout son argent dans l’alcool, au détriment de sa famille, allant jusqu’à participer à des beuveries qui s'avérèrent mortelles pour certains de ses camarades de boisson ! Mari violent et père de quatre enfants, Hanks abandonne le domicile conjugal vers 1930, dérobant au passage les économies de son fils de 12 ans... Fletcher ne refait surface qu’en 1939, en tant que dessinateur de comic book et créateur de Stardust, chez Fox Features Syndicate. Stardust the Super Wizard, apparu dans Fantastic Comics #1 en décembre 1939, met à l'amende pratiquement tous les autres super-héros de la bande dessinée américaine. Personnage mesurant au moins deux mètres cinquante de haut, omniscient, omnipotent, invulnérable, et doté d’une interminable liste de super-pouvoirs défiants toutes les lois de la physique, s’allongeant au fil des épisodes selon les envie de Hanks, ce surhomme venu d’une lointaine planète apparaît dans le ciel pour venir faire triompher la justice dans un monde gangréné par la trahison et la corruption. Dès les premiers épisodes de Stardust, on voit en filigrane les différentes obsessions de Fletcher Hanks, à travers des thématiques qui reviendront inlassablement dans pratiquement chacune de ses histoires : sa véritable fixation autour de la figure du traître ; qui porte généralement ce vice jusque dans ses traits physiques, à la limite de la difformité ; mais aussi la punition impitoyable et systématique de ces derniers par un justicier tout-puissant. Les univers développés par Hanks, sous couvert de pas moins d’une dizaine de pseudonymes, sont un mélange d’extravagance régressive et de concepts pseudo-scientifiques paradoxalement en avance sur leur temps. Ainsi, son univers de science-fiction très pulp, ouvertement inspiré du Flash Gordon de Alex Raymond, présente autant d’appareils de télécommunication avant-gardistes que de martiens grotesques, tout droit sortis d’un cartoon. Ceci est particulièrement visible dans son autre création présente au sommaire du premier numéro Fantastic Comics, Space Smith, qu’il signe cette fois-ci sous le nom de Hank Christy. Un aventurier de l’espace, accompagné de son assistante Dianna, qui vit diverses aventures plus ou moins hallucinées dans un cosmos totalement chimérique. Il utilisera une recette très similaire pour son personnage de Whirlwind Carter, dans Daring Mystery #4, en mai 1940 chez Timely Comics, qui bien que n’ayant eu droit qu’à deux aventures, a tout de même la particularité d’être considéré comme un personnage de l’univers Marvel. Parmi les autres héros de Fletcher Hanks, on compte Big Red McLane, apparu dans Fight Comics #1 en janvier 1940, et dont il signe alternativement les épisodes Chris Fletcher ou Charles Netcher, une série mettant en scène des bagarres de bûcherons, sans doute assez proche de l’ambiance de sa vie à Oxford. Ici, il est de nouveau question de traîtrise et de brigandage, mais dans le monde du bûcheronnage qui, convenons-en, est assez inhabituel dans les comic books. Toujours en janvier 1940, Hanks, sous le pseudo de Henry Fletcher, dessine Tabu, Wizard of the Jungle, dans Jungle Comics #1, une sorte de proto-Animal Man, capable d’imiter les animaux. On retrouve plusieurs similitudes entre Tabu et Fantomah, dont la première aventure est publiée le mois suivant. Pinacle de l’exotisme : dans le deuxième numéro de Planet Comics, en février 1940, on découvre l’unique épisode de Tiger Hart, un guerrier vivant sur Saturne, une planète qui se révèle être similaire à la Terre au Moyen-Âge. Là encore, le décor est aussi fantastique que fantasmé, gloubi-boulga de mythes chevaleresques et de fantasy pulp. Parfois comparés à de l’art brut et empreints de surréalisme, sans pour autant pouvoir être rattachés à ce courant, mais aussi influencés par Chester Gould, le créateur de Dick Tracy, les travaux de Fletcher Hanks sont facilement reconnaissables grâce à son style graphique si particulier, ce qui aura justement permis de les regrouper, malgré ses multiples alias. Si son trait peut être jugé naïf et très cru, Hanks a pourtant suivi une formation au cours de laquelle il a démontré son talent pour le dessin. On peut donc supposer que le rendu visuel de ses productions n’a rien d’un hasard. Sans doute pensait-il, en partie à raison, que ces bandes dessinées s’adressaient aux enfants, et donc qu’elles devaient être simplistes pour être comprises par les plus jeunes. Il en va de même pour ses récits, souvent alambiqués, dans lesquels il expose une vision très personnelle des châtiments qui doivent être réservés à des malfaiteurs dont la fourberie n’a souvent d’égal qu’une manifeste débilité. Les méchants sont des traîtres perfides qui n’ont pour seule motivation que la destruction du monde ou l’enrichissement personnel, tandis que les héros sont des êtres supérieurs invincibles, quasi-divins, fléaux implacables anéantissant les scélérats, non sans les avoir humiliés au passage. Il est intéressant de souligner que Fletcher Hanks faisait tout lui-même, du scénario à la colorisation, avec un rythme de travail visiblement soutenu, et rendait ses travaux dans les temps, ce qui plaisait bien évidemment beaucoup aux éditeurs. On aurait pu croire que l’artiste derrière la première super-héroïne de la bande dessinée américaine était un homme conscient des problèmes de son temps, mais, à en croire le témoignage de son fils, Fletcher Hanks était un sale type. Après un dernier épisode de Stardust, dans Big Three Comics #2, paru durant l’hiver 1941, il disparaît du jour au lendemain de l’industrie des comic books, exactement comme quand il avait abandonné sa famille des années auparavant. S’il subsiste quelques traces de ses activités à Oxford à la fin des années 1950, on ne sait pratiquement rien du reste de la vie de Fletcher Hanks, retrouvé mort de froid en 1976 sur un banc public à New-York. Passé de vie à trépas dans la soli
Si je vous demande de penser à un super-héros de chez DC Comics, il y a fort à parier que Batman, Superman ou Wonder Woman vous viendront à l’esprit avant Green Arrow. Aujourd’hui, on parle justement des aventures de Green Arrow par Jack Kirby, qui n’ont pas du tout plu à DC Comics ! La période séparant l’Âge d’Or de la bande dessinée américaine de l’Âge d’Argent est aussi riche que troublée. Après la Seconde Guerre mondiale, les ventes des titres mettant en scène super-héros et super-héroïnes déclinent aux États-Unis. Les justiciers costumés n’ont plus la côte, et le genre super-héroïque, jusqu’alors prédominant, est peu à peu remplacé par d’autres. La romance, l’horreur, le western et la science-fiction évincent les ersatz de Superman et de Batman des kiosques à journaux, tandis que leurs modèles peinent à garder la tête hors de l’eau, et que les artistes doivent s’adapter pour continuer à gagner leur croûte. Dès 1947, Joe Simon et Jack Kirby, déjà derrière la création de Captain America, avaient pressenti la transmutation du marché avec leur titre Young Romance, présentant des aventures sentimentales prétendues réelles, participant grandement à l’évolution des tendances. Mais s’estimant de plus en plus spoliés par les éditeurs, Simon et Kirby décident de lancer leur propre maison d’édition, Mainline Comics, en 1953. Au programme : quatre titres surfant chacun sur un grand courant de l’époque. Malheureusement pour eux, ils ont assurément choisi le pire moment possible pour initier leur projet. À partir de 1950, l’éditeur EC Comics, avec à sa tête Bill Gaines, s’est engagé dans une surenchère d’horreur gore et de violence morbide pour attirer les jeunes lecteurs en manque de sensations fortes, appâtés par des couvertures toujours plus choquantes. Généralement accolées à un discours politique et social, certes implicite, mais extrêmement critique envers la fameuse “American way of life”, les histoires de EC Comics deviennent pour certains et certaines l’incarnation du danger représenté par la bande dessinée, qui pervertirait la jeunesse en la poussant au crime. La panique morale autour des comics de crimes et d’horreur, entretenue par des figures publiques comme le politicien Estes Kefauver et le psychiatre Fredric Wertham, devenu célèbre chez les fans de super-héros pour son livre Seduction of the Innocent, mènera à la création du Comics Code Authority, et surtout à une crise éditoriale majeure, qui verra disparaître près des deux tiers des bandes dessinées publiées à l’époque. Et qui dit moins de comics commercialisés dit moins de travail pour les imprimeurs et les distributeurs. Ce marché fragilisé, dont les différents acteurs font faillite les uns après les autres, couplé à des soucis juridiques avec leur précédent employeur, Crestwood Publications, forcera Jack Kirby et Joe Simon à baisser le rideau de Mainline en 1956, avec seulement quelques publications concrètes au compteur. Cet échec aura épuisé les deux artistes sur tous les plans et émoussé leur longue et solide collaboration. Tandis que Joe Simon décide de quitter le monde du neuvième art pour celui de la publicité et de la presse magazine, Jack Kirby rejoint les rangs de National Comics, qui deviendra DC Comics, avec une toute nouvelle série de science-fiction : Challengers of the Unknown. Une série souvent attribuée au seul génie de Kirby, mais sans doute nourrie de ses derniers échanges avec Joe Simon, et également des idées du scénariste Dave Wood, l’un des créateurs de Animal Man. 1956 est une année charnière pour le genre super-héroïque, la banqueroute de Mainline coïncidant fortuitement avec le retour des héros costumés sur le devant de la scène, en partie à l’initiative de DC Comics. Dans le quatrième numéro du périodique Showcase, l’éditeur présente une nouvelle version de son bolide écarlate, The Flash. Le succès est au rendez-vous, et si le retour en grâce des surhommes costumés va prendre encore quelques années, DC va amorcer un rafraîchissement créatif et éditorial de plusieurs de ses super-héros, dont bon nombre sont cantonnés à des anthologies comme World's Finest, Adventure Comics ou More Fun Comics, faute d’intérêt du lectorat. C’est notamment le cas de Green Arrow, présent à la fois au sommaire de World’s Finest Comics depuis 1941 et de Adventure Comics depuis 1946. Il faut dire que le personnage, loin d’avoir rencontré le succès d’un Batman ou d’un Superman, n’a jamais eu droit à une publication à son nom, et a moins souvent l'honneur d’être représenté en couverture. Créé en 1941 par le scénariste Mort Weisinger et le dessinateur George Papp dans les pages de More Fun Comics #73, ce héros à gadget, expert en archerie, s’inspire à la fois de Batman, de Robin des Bois et du serial The Green Archer, diffusé dans les cinémas américain à partir de 1940. C’est dans More Fun Comics #89, publié en 1943, que les origines de Green Arrow et de son sidekick adolescent Speedy nous sont racontées pour la première fois. Oliver Queen, collectionneur d’armes et d’objets des peuples natifs américains, rencontre Roy Harper, un jeune orphelin élevé par une tribu amérindienne isolée après un crash d’avion dont il est le seul survivant. Après avoir déjoué les plans de pilleurs d’antiquités, nos deux héros, tous deux archers accomplis, décident de faire équipe pour combattre le crime, finançant leur croisade avec l’or d’un trésor qu’ils ont découvert dans la réserve indienne. Une origin story qui n’a pas grand-chose à voir avec celle que nous connaissons actuellement, mais on va y revenir. En 1946, le personnage et son acolyte sont transférés de More Fun Comics à Adventure Comics, où son co-créateur George Papp dessinera pendant de nombreuses années ses aventures, accompagné du scénariste Ed Herron, notamment considéré comme le créateur de Red Skull dans les pages de Captain America. Seulement, en 1958, quand George Papp succède à John Sikela au dessin sur Superboy, Green Arrow se trouve dépourvu de dessinateur attitré. L’éditeur Jack Schiff, connaissant les capacités de productions de Jack Kirby sur Challengers of the Unknown, lui propose de reprendre le titre. Kirby n’a alors jamais lu une seule aventure de Green Arrow, mais il a besoin d’argent, alors il accepte et lit quelques épisodes fournis par Schiff pour se faire une idée. Peu convaincu par les illustrés en question, Jack Kirby se dit qu’il pourra quand même faire quelque chose du personnage, pour peu qu’on lui laisse un peu de liberté. Et si cela va s’avérer beaucoup plus difficile qu’il le croit, l’artiste va quand même donner un sacré coup de jeune à Oliver Queen. La première histoire de Green Arrow dessinée par Kirby paraît dans Adventure Comics #250, durant l’été 1958. Écrite par Bill Finger, le co-créateur de Batman, “The Green Arrows of the World” nous permet de découvrir que l’archer vert n’est pas le seul justicier à utiliser un arc et des flèches, bien au contraire. Ayant fait des émules partout sur la planète, Oliver Queen reçoit la visite de différents homologues venus du Japon, de France, ou encore du Mexique. Il y a là un recyclage évident d’une thématique déjà exploitée par Batman quelques années plus tôt, notamment avec l’épisode intitulé “Batmen of All-Nations”, publié en 1955. C’est à partir du numéro suivant, avec “The Case of the Super-Arrows”, que la patte de Jack Kirby commence réellement à se faire sentir. Flèche Verte et Speedy s’y aventurent sur un territoire jusqu’alors rarement exploré au cours de leurs péripéties, celui de la science-fiction. Durant onze épisodes ; écrits alternativement par Ed Herron et Dave Wood, et largement enrichis par les idées de Jack Kirby ; le personnage de Green Arrow s'éloigne peu à peu de l’univers dans lequel il macère depuis sa création pour explorer d’autres mondes et d’autres dimensions, comme dans l’histoire “Prisoners of Dimension Zero”, dont la publication en deux parties est plutôt avant-gardiste pour l’époque. Avec “Green Arrow’s First Case”, dans Adventure Comics #256, Jack Kirby et Ed Herron revisitent les origines du super-héros de Star City, oubliant son côté Robin des Bois et son rapport plus que discutable aux natifs américains pour en faire une sorte de Robinson. Désormais, le playboy milliardaire Oliver Queen est devenu Green Arrow après être tombé par-dessus bord lors d’un voyage dans les mers du Sud. Parvenant à atteindre Starfish Island, un îlot vierge et hostile, Oliver y survit en recyclant ses anciens vêtements pour se confectionner un équipement et devient un excellent archer à force d’entraînement. Il utilise alors la végétation pour se fabriquer une nouvelle tenue, ce qui permet de justifier la couleur verte de son accoutrement de vigilant masqué une fois revenu à la civilisation. Il y a quelque chose de particulièrement symbolique dans cette nouvelle origin story, où un jeune occidental fortuné quitte son costume pour renouer avec la nature et repartir à zéro autant humainement que socialement. Certes, la recette n’est pas des plus surprenantes, mais ça sonne toujours mieux que de s’enrichir en volant le patrimoine amérindien, si bien que cette version restera la base de toutes les réécritures suivantes, jusqu’à aujourd’hui. Contrairement à ce à quoi on pourrait s'attendre, les responsables éditoriaux de DC Comics ; Mort Weisinger, le co-créateur de Green Arrow, en tête ; n’apprécient pas du tout l’approche de Jack Kirby. Pour eux, le personnage n'a rien à faire dans des récits de science-fiction et, pour d'obscures raisons, ils préfèrent visiblement conserver son statut de "sous-Batman avec un arc". Kirby se fâche finalement avec Jack Schiff, pour une sombre histoire autour du strip Sky Masters, publié dans la presse, et c'est Lee Elias, connu pour ses provocantes couvertures gores chez Harvey, qui le remplace pour dessiner Green Arrow. Jack Kirby retourne chez Atlas, qui prendra très bientôt le nom de Marvel Comics, et ne remettra plus les pieds chez DC Comics avant 1970, pour développer son Quatrième Monde
Chair de Poule est une licence mythique pour beaucoup de lecteurs passionnés d’horreur, mais vous souvenez-vous de la fois où la série de livres de R.L. Stine s’est attaquée aux fans de super-héros ? Aujourd'hui, on parle de L’Attaque du Mutant ! Dans les années 1990, avant que Harry Potter ne devienne un phénomène convertissant par dizaines les gamins à la lecture, Chair de Poule, de l’Américain Robert Lawrence Stine, a profondément marqué toute une génération de lecteurs en culottes courtes. Il faut dire que l'auteur n'en est pas à son coup d'essai, puisqu'il est déjà l'homme derrière Fear Street, une collection de livres pour ados dont les récits sont plus gores et violents que ce qu’il proposera par la suite. Débutée en 1992 aux États-Unis, Goosebumps, traduit littéralement en Chair de Poule chez nous, est une série littéraire aux thématiques horrifiques visant un jeune public, à partir de neuf ans. La version française arrive dès 1995 dans les librairies, et le succès est immédiatement au rendez-vous. Pantins maléfiques, loups-garous, masques hantés, créatures cachées dans les placards et sous l’évier, la galerie de monstres plus ou moins originaux peuplant les romans de R.L. Stine a sans doute traumatisé certains et certaines d'entre vous. Si vous faites partie de celles et ceux qui ont grandi avec Chair de Poule, vous vous souvenez sûrement de son adaptation télévisée. Diffusée à partir de la rentrée 1997 sur France 2, elle compte en tout quatre saisons, pour un total de soixante-quatorze épisodes, adaptant plus ou moins fidèlement les ouvrages de Stine. L’arrivé de Chair de Poule dans l’Hexagone concorde avec un certain emballement médiatique et commercial autour de la fête d’Halloween ; cette fameuse fête américaine, qui en fait, paraît-il, n’est pas vraiment d’origine américaine, mais nous, “on est français, on va quand même pas fêter ça”, comme dirait ton vieux tonton alcoolisé ; qui s’accompagne d’un accroissement du nombre d’émissions spéciales gentiment effrayantes destinées aux mioches, dont je faisais partie. Car, me situant pile-poil dans la tranche d’âge visée par la licence à l’époque, et déjà très friand de films d’horreur et de monstres en tout genre, j’ai dévoré une bonne partie des livres et religieusement suivi la diffusion de chaque épisode en rentrant de l’école. Mais l’une des histoires de Chair de Poule allait tout particulièrement faire écho pour le jeune lecteur que j’étais. S’il y a bien un sujet dont les fans de comics aiment entendre parler, encore plus que des comic books, c’est d’eux-mêmes. Leur propre condition les passionne et la façon dont elle peut être représentée, tant dans les médias que dans la fiction, est une source infinie de débats plus ou moins constructifs. Et je dois vous avouer que j’échappe rarement à cette règle. Alors que la fin du XXe siècle approchait, le jeune lecteur de comics que j’étais, éperdument fasciné par les aventures de Wolverine ou des Fantastic Four, ne manquait jamais le moindre sujet traitant de sa passion, même s’il s’agissait d’un reportage de quelques minutes à la télévision. Cela impliquait aussi chez moi un grand intérêt pour tout contenu un tant soit peu méta, abordant de façon plus ou moins sérieuse la thématique super-héroïque et mettant en scène des personnages ou des situations tournant autour des comics et de leur contenu. Remettons-nous dans le contexte : nous sommes avant l’an 2000, la majeure partie des blockbusters adaptés de comic books n’en étaient qu’à l’état de projet et internet était encore loin d’être arrivé dans tous les foyers. Ainsi, tout ce qui pouvait avoir à voir de près ou de loin avec les comics était bon à prendre et, de toute évidence, L’Attaque du Mutant était une histoire faite pour moi. Publié en 1994 aux États-Unis et en 1996 en France, L’Attaque du Mutant, ou Attack of the Mutant dans sa version originale, est le vingt-cinquième livre de la série de R.L. Stine. On y découvre Skipper, un gamin d’une dizaine d’année, grand amateur de comics. Plutôt paresseux quand il s’agit d’étudier à l’école, au grand désespoir de ses parents, Skipper est tout particulièrement fan du plus terrible des super-vilains : le Mutant Masqué, un dangereux métamorphe pouvant aussi bien imiter les individus que les objets. Collectionneur méticuleux, Skipper ne rate aucun numéro des méfaits du Mutant. Le dernier en date a une portée historique, car on y découvre pour la première fois le quartier général du malfaiteur surhumain. Alors qu’il prend le bus pour se rendre chez le dentiste, Skipper entame une conversation avec Libby, une jeune fille de son âge qui semble très intéressée par les bandes dessinées. Bien que leurs goûts diffèrent sur certains points, notamment la passion de Skipper pour le Mutant Masqué, les deux pré-ados sympathisent, si bien que Skipper rate son arrêt. Descendant dans un quartier qu’il connaît mal, Skipper fait soudain face à un immeuble bien étrange, copie conforme du repère secret du Mutant ! Obnubilé par cette découverte, il va revenir explorer les lieux en compagnie de Libby, pensant dans un premier temps que le créateur du Mutant ; Jimmy Starenko, référence évidente à l’artiste Jim Steranko ; avait pu s’inspirer de ce bâtiment pour sa BD, et même qu’il travaillait peut-être dans ces locaux, y dessinant ses planches des aventures du Mutant Masqué. Mais, quand il reçoit un nouveau numéro du Mutant Masqué dans lequel il apparaît en personne, Skipper commence à douter. Où se situe la frontière entre la fiction et la réalité ? Le Mutant Masqué est-il réel ? Et, si oui, doit-il venir en aide au héros Galloping Gazel, un justicier doté d’une hyper-vitesse retenu prisonnier au QG du Mutant ? Prenant son courage à deux mains, Skipper part affronter le super-vilain, et découvre finalement que Libby et lui ne font qu’un ! Le Mutant, en quête d’un nouvel adversaire, a décidé qu’un fan aussi pointu que Skipper était une proie idéale. Le jeune garçon apprend qu’en passant la porte du bâtiment, il est instantanément devenu un personnage de comic book et il va finalement profiter de ce nouveau statut pour piéger le Mutant Masqué et en venir à bout. L’histoire se conclut sur une fin ouverte typique des récits d’épouvante, laissant entendre que Skipper est peut-être vraiment devenu un super-héros : Elastic Boy. Peut-être plus que le roman, c’est surtout la version télévisée qui m’a marqué à l’époque. Ayant les honneurs d’un double épisode au cours de la deuxième saison de la série télé Chair de Poule, L’Attaque du Mutant avait totalement séduit le petit fan de comics que j’étais déjà. Pourtant, aujourd’hui, avec un peu de recul, le roman et son adaptation sont surtout une série de clichés un peu lourds autour de la bande dessinée américaine de super-héros. Bien que l’on ne puisse pas vraiment attribuer à R.L. Stine un discours orienté quant aux comic books ; l’auteur n’ayant visiblement ni l’objectif de les dénigrer, ni celui de les défendre ; la galerie de personnages de L’Attaque du Mutant est une collection de stéréotypes comme on oserait plus en faire. Skipper est une véritable caricature : gamin bedonnant au physique disgracieux et au ton assez insupportable, il prend de haut quiconque critique ses BD préférées et est donc ostracisé par les autres enfants. Ses résultats scolaires sont médiocres, sans doute car sa passion passe avant les études, et ses parents ne se privent pas de lui rappeler que les comics sont des lectures abrutissantes qui vont lui faire rater sa vie. Notre héros tombe donc sans aucun problème dans le guet-apens tendu par le super-vilain, qui profite de sa crédulité et de son manque de relations sociales pour l’attirer en prenant les traits d’une femme fatale de dix ans. Le Mutant Masqué est l’archétype même du criminel diabolique dont la seule motivation est de faire le mal sans aucune raison particulière, et son adversaire Galloping Gazelle, interprété par Adam West, alias Batman dans la série TV de 1966, est clairement un imbécile incapable du moindre acte de bravoure rationnel. Pourtant, il est difficile de savoir si Stine se moque réellement des fans de super-héros et de leurs idoles, ou s’il en profite seulement pour user et abuser des clichés qui entourent le médium en grossissant le trait au maximum, peut-être pour mieux souligner leur absurdité. Et puis, à titre tout à fait personnel, je dois admettre que je me reconnaissais un peu dans Skipper, ce gamin pas très populaire qui emmerdait absolument tout le monde avec sa passion imbitable et à la limite de l’ésotérisme pour le commun des mortels… Quoi qu’il en soit, malgré le fait que R.L. Stine considère L’Attaque du Mutant comme l’un des livres les plus surprenants de la série Chair de Poule, il est aussi l’un des moins appréciés du public, sans doute car assez éloigné du reste des romans. Son univers, tournant autour des comics, ne parle pas forcément aux gamins qui n’en sont pas connaisseurs et ses personnages aux costumes bariolés sont bien loin des figures horrifiques classiques telles que les momies ou les loups-garous. Mais cette histoire conserve pourtant quelques qualités tout à fait remarquables, comme celle de jouer très intelligemment avec la frontière entre l’imaginaire et réalité en ménageant brillamment le suspense, ou d’initier mine de rien les plus jeunes au méta et à la façon dont une fiction peut traiter d’elle-même et des œuvres qui l’inspirent. On notera que L’Attaque du Mutant a été adaptée en jeu vidéo en 1997. Un produit dérivé assez exotique qui résume parfaitement le phénomène culturel Chair de Poule. Si Chair de Poule jouit encore d’un succès certain aujourd’hui ; en témoigne une nouvelle adaptation sur Disney+, mais également des comics, parus chez IDW aux États-Unis ; l’œuvre de R.L. Stine est surtout une magnifique démonstration de la façon dont les codes de l’horreur, genre habituellement réservé aux adultes, peuvent être inculqués aux enfants. Loin des paniques morales et des ligues de parents en colère,
Tel est pris qui croyait prendre, voilà qui pourrait être la morale d’une histoire d’Edgar Allan Poe, ou de cet article. Aujourd’hui, on parle d’Edgar Allan Poe et de son influence sur la bande dessinée américaine ! Quand je me suis dit qu’il serait amusant de vous parler du Masque de la Mort Rouge et de ses adaptations en comic books, je n’imaginais pas dans quelle spirale infernale je venais de tomber… Car, si l’Américain Edgar Allan Poe, né à Boston en 1809, est incontestablement l’un des pères de la littérature fantastique et horrifique moderne, il est aussi l’inspirateur d’une quantité absolument titanesque de bandes dessinées plus ou moins fidèles à ses œuvres. Publiée pour la première fois en 1842 dans Graham’s Magazine, puis traduite en français par Charles Baudelaire dans le recueil Nouvelles Histoires Extraordinaires en 1857, The Masque of the Red Death, de son titre original, est une nouvelle s’inscrivant dans la tradition du roman gothique.  Dans cette courte histoire, la Mort Rouge, une maladie proche de la peste, aux effets visibles désastreux et à la mortalité fulgurante, décime brutalement toute la population d’une contrée. Le Prince Prospero, un homme de pouvoir dans la région, invite un millier de nobles dans son palais au cœur d’une abbaye fortifiée, interdisant à quiconque d’entrer ou de sortir, afin d’éviter toute intrusion d’une personne malade. Bien que barricadés, les convives de Prospero ne manquent de rien, ni de nourriture, ni de divertissements en tout genre.  Après plusieurs mois d’enfermement, un bal masqué est organisé et Prospero fait décorer chaque salle de sa demeure d’une couleur différente. Les six premières sont respectivement bleue, pourpre, verte, orange, blanche, et violette, les vitres des fenêtres de chaque pièce laissant passer une lumière dont la couleur est identique à celle des murs. Mais la septième chambre fait exception. Entièrement noire, elle est éclairée d’une lumière rouge, et on y trouve une énorme horloge sonnant à chaque heure d’une façon plus pesante. Lors de la fête, aux douze coups de minuit, un étranger grand et décharné, au masque semblable au visage d’un cadavre, et entièrement vêtu de rouge, se mêle à la foule, errant au milieu des danseurs. Prospero, en colère face à ce costume qu’il prend pour une provocation, demande à ce que l’étranger soit arrêté, puis pendu ! Mais nul n’ose l’interpeller pendant qu’il traverse le palais. Prospero se jette alors sur lui, poignard à la main. Mais, comme foudroyé, il s’écroule sans vie, tandis que les convives constatent que la créature n’est autre la Mort Rouge incarnée, avant de mourir un à un. Si la morale de cette histoire n’est jamais explicitement donnée par Edgar Allan Poe, on y voit souvent une allégorie de l'inéluctabilité de la mort. La Mort Rouge ; peut-être inspirée de la tuberculose dont souffrait Virginia, l’épouse de Poe ; se propage de façon inarrêtable, y compris entre les murs du lieu où la noblesse se croyait à l’abri. Aucun stratagème ne permet d’y échapper et vouloir la contrôler est aussi vain qu’illusoire, tandis que son avancée inexorable nous est rappelée par chaque sonnerie du carillon, qui laisse derrière lui un silence de mort, avant que l’activité des invités ne reprenne peu à peu. L’autre interprétation que l’on peut en faire est plus sociale, car Le Masque de la Mort Rouge met en exergue le dédain des riches et des puissants qui festoient à l’abri, alors que les pauvres et les paysans sont exterminés par la maladie. Mais le répit des privilégiés est de courte durée, car leurs richesses et leur condition sociale ne les prémunissent pas de trépasser dans les mêmes circonstances que les indigents. La nouvelle d’Edgar Allan Poe va inspirer un sacré paquet d’œuvres au fil des années : du Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux à l’univers de Donjons & Dragons, en passant par un skin pour le personnage de Faucheur dans le jeu vidéo Overwatch, mais aussi des ballets, des chansons, de nombreux films, et même des comics. Car, en plus de leur influence plus que conséquente sur la Pop Culture telle que nous la connaissons aujourd’hui, les écrits de Poe ont souvent été repris, de façon plus ou moins assumée, par la bande dessinée américaine. En ce qui concerne The Masque of the Red Death en particulier, on dénombre plusieurs dizaines d’adaptations sur le papier, parfois littérales et parfois beaucoup plus libres. Si je ne vais pas toutes les citer, certaines méritent qu’on s’y attarde, notamment celles publiées par Marvel Comics, éditeur étonnamment attaché aux travaux du romancier. Dès 1952, dans les pages du quatrième numéro de Adventures Into Weird Worlds, Bill Everett, l’artiste derrière Namor the Sub-Mariner et co-créateur de Daredevil avec Stan Lee, s’inspire du Masque de la Mort Rouge dans la courte histoire "The Face of Death", qui modernise le cadre et les protagonistes dans un style typique des comic books horrifiques pré-Comics Code. Le lecteur y est interpellé comme si cette situation pouvait réellement lui arriver, et la thématique sociale opposant l’aristocratie au petit peuple est remplacée par une rivalité amoureuse. En 1961, dans Strange Tales #83, Steve Ditko, qui deviendra plus tard l’un des pères de Spider-Man et du Docteur Strange, dessine "Masquerade Party". Là aussi, la nouvelle originale de Poe est largement modernisée, encore une fois sous le prisme d’une romance qui tourne mal, mais avec une chute beaucoup moins morbide, la censure du Comics Code Authority étant passée par là entre-temps. L’histoire sera réimprimée bien plus tard, dans Chamber of Chills #16, en 1975. Huit ans plus tard, en 1969, le scénariste Roy Thomas et le dessinateur Don heck présentent une nouvelle adaptation, "The Day of the Red Death", dans laquelle un Stan Lee transformé en narrateur à la manière du Gardien des Comptes de la Crypte nous raconte cette fois-ci une version futuriste du Masque de la Mort Rouge, mais remarquablement fidèle à l’esprit de l’originale en comparaison des publications précédentes. Plus récemment, toujours chez Marvel, l’anthologie en trois numéros Haunt of Horror, parue en 2006 sous son label MAX et dessinée par Richard Corben, a confirmé le curieux lien existant entre le nouvelliste et la Maison des Idées. Puisque l’on parle de Richard Corben, cet artiste complet, véritable légende de la bande dessinée américaine, va, tout au long de sa carrière, lier son travail aux œuvres d’Edgar Allan Poe.Dès 1974, il adapte The Raven, dans le numéro soixante-sept de Creepy. Il réalisera en tout trois versions dessinées de ce poème narratif, la dernière en date, publiée en 2013 par Dark Horse Comics, figurant au sommaire d’un numéro contenant également son adaptation du Masque de la Mort Rouge. Qu’il illustre directement les textes de Poe ou qu’il s’en nourrisse pour ses propres créations, Corben partage avec lui son amour des ambiances angoissantes et des univers vaporeux. Son style graphique se prête parfaitement aux cadres pratiquement oniriques des nouvelles, mais aussi à leurs révélations finales choquantes et à leur suggestivité parfois perturbante. Il est incontestablement l’un des auteurs de bande dessinée qui a le mieux capturé l’essence des écrits d’Edgar Allan Poe et, si ses travaux vous intéressent, l’intégralité de ses histoires publiées par Dark Horse est disponible en français en un seul volume intitulé Esprit des Morts, chez Delirium. Mais, bien avant Corben, d’autres artistes ont cherché à adapter plus fidèlement The Mask of the Red Death. En 1964 sort ce qui est sûrement l’adaptation cinématographique la plus célèbre de la nouvelle, réalisée par Roger Corman, avec Vincent Price dans le rôle de Prospero. Afin de transformer ce court récit de quelques pages en un long-métrage d’une heure trente, de nombreux éléments sont ajoutés pour préciser le contexte et donner du corps à l’intrigue. Prospero y est montré comme un individu détestable et violent, terrorisant la population vivant autour de son palais et vouant même un culte à Satan. Le culte satanique de Prospero est d’ailleurs omniprésent dans le film, alors que Poe n’en fait jamais mention dans son histoire, et le tout est agrémenté d’une rivalité amoureuse entre Juliana, la compagne de Prospero, et Francesca, une jeune femme kidnappée dans un village ravagé par le prince qui espérait ainsi éviter la propagation de la Mort Rouge. L’ensemble correspond quand même assez bien au texte original dans l’idée, même si l’interprétation sociale y est plus forte et si la figure féminine de Francesca apporte également son lot d’hypothèses, totalement inexistantes chez Poe. Le Masque de la Mort Rouge est le septième film d’un cycle qui en compte huit en tout, tous réalisés par Roger Corman entre 1960 et 1965, d’après les histoires d’Edgar Allan Poe. Et outre le statut culte de ce portage sur grand écran, il a la particularité d’avoir été adapté en comic book par l’éditeur Dell Comics. Cette adaptation, dessinée par Frank Springer, un artiste très prolifique chez Dell et que l’on retrouvera plus tard sur les séries Dazzler ou G.I Joe chez Marvel, est un travail de commande à caractère promotionnel typique de l’époque, mais reste plutôt agréable à lire.  On notera qu’en 1989, Corman a produit un remake de son propre film, avec Adrian Paul, alias Duncan MacLeod dans la série télévisée Highlander, dans le rôle de Prospero, pour un résultat beaucoup moins mémorable. Il faut finalement attendre 1967, dans les pages du douzième numéro du magazine Eerie, pour voir la première adaptation en bande dessinée vraiment fidèle à la nouvelle d’Edgar Allan Poe, écrite par Archie Goodwin et dessinée par Tom Sutton. Le format magazine adopté par Warren Publishing permettait à l’éditeur de passer outre les restrictions du Comics Code Authority, et donc de montrer beaucoup plus de scènes gores et scabreuses. Le style de Tom Sutton marche vraiment très bien dans ce type de récit qui, bien qu’horrifique, conserve des outrances grand-guignolesques. Il
Comment She-Hulk a-t-elle définitivement modifié la perception de la réalité dans l’univers Marvel à cause d’une publicité pour un parfum qui n’a jamais existé ? Aujourd’hui, je m’intéresse à une histoire que vous pensez sûrement connaître, mais qui vous réserve encore bien des surprises ! GIRLS GONE GREEN  Nous sommes en 1979, et la série télévisée L'Incroyable Hulk, avec Lou Ferrigno et Bill Bixby, cartonne sur le petit écran. Le producteur Kenneth Johnson ; déjà derrière le spin-off de L’Homme qui valait Trois Milliards, Super Jaimie ; et Stan Lee, que l’on ne présente plus, ont alors la même idée : offrir à L’Incroyable Hulk une série dérivée mettant en scène un personnage féminin. Voulant assurer les arrières de Marvel Comics en matière de propriété intellectuelle, Stan Lee prend les devants et demande au dessinateur John Buscema de l’aider à créer une version féminine de Hulk. C’est ainsi que Jennifer Walters apparaît en novembre 1979 dans le premier numéro de The Savage She-Hulk. Bruce Banner, alias Hulk, fugitif traqué par toutes les polices, débarque à Los Angeles pour retrouver sa cousine Jennifer, devenue avocate, dans l’espoir d’obtenir son aide. Après lui avoir raconté comment il a été irradié par sa propre création, la bombe gamma, qui a fait de lui un monstre incontrôlable, Banner apprend que sa cousine défend un voyou mêlé malgré lui aux malversations du caïd Nicholas Trask. Or, ce fameux Trask compte bien faire taire la jeune avocate, et envoie ses hommes de main pour l’assassiner. Grièvement blessée par balle, Jennifer ne doit son salut qu’à une transfusion sanguine de fortune effectuée par son cousin Bruce, avec son propre sang radioactif. Ainsi, quand Trask envoie de nouveau ses larbins pour définitivement éliminer Jennifer en convalescence à l’hôpital, ces derniers ont la mauvaise surprise de la voir se transformer en géante musculeuse à la peau verte ! She-Hulk est née ! Désormais dotée d’une force colossale et d’une résistance à toute épreuve quand elle se transforme, tout en étant beaucoup moins bestiale que son cousin, Jennifer va prendre goût à cette nouvelle condition, si bien qu’elle restera sous sa forme de She-Hulk la majeure partie du temps. Utilisant ses pouvoirs pour combattre l’injustice et venir en aide aux plus faibles, elle va, sous la plume de David Anthony Kraft et le crayon Mike Vosburg, enchaîner les aventures super-héroïques, mais aussi sentimentales. Annulée après seulement vingt-cinq numéros, The Savage-Shulk est une série largement mésestimée, principalement en ce qui concerne le travail du scénariste David Anthony Kraft, qui adopte rapidement un ton très moderne dans le traitement de l’héroïne, en faisant un personnage qui assume sans complexe son statut hors-normes et ne manquant pas d’aplomb quand il s’agit d’imposer ses choix. De ce fait, bien que rarement cité, The Savage She-Hulk mérite que vous y jetiez un œil, car ce comic book a plutôt bien vieilli. C’est d’ailleurs au cours de ses premières tribulations que Jennifer Walters rencontre Ben Grimm, alias La Chose, des Fantastic Four, donnant naissance à une amitié qui mènera notre géante de jade à rejoindre l’équipe de Reed Richards en remplacement de Grimm après les événements du crossover Secret Wars en 1984. Et si l’hypothétique spin-off télévisé ne verra finalement jamais le jour, She-Hulk va faire son petit bonhomme de chemin dans l’univers Marvel, rejoignant notamment les Avengers et croisant régulièrement la route de son cousin Bruce. YOU’RE KIDDING, RIGHT ? Malgré cela, She-Hulk conserve pour beaucoup de lecteurs l’image d’une énième version féminine d’un héros masculin, comme Ms Marvel et Spider-Woman chez Marvel, ou Supergirl chez DC Comics. Mais tout cela va radicalement changer grâce à un artiste : John Byrne. Figure incontournable de la bande dessinée américaine, ayant œuvré sur les X-Men ou Alpha Flight chez Marvel, sur Superman et Wonder Woman chez DC, et à l’origine de créations originales comme les Next Men chez Dark Horse, John Byrne a littéralement transformé de nombreuses icônes des comics dans les années 1980 et 1990. Visionnaire, son travail est empreint de thématiques sociales, politiques et technologiques, précédant parfois de plusieurs années les tendances, sans oublier d’adjoindre un regard critique qui invite le lecteur à la réflexion. Aux commandes de la série Fantastic Four de 1981 à 1986, Byrne va y mettre en scène She-Hulk, et également lui consacrer un graphic novel en 1985, avant de prendre en main la série The Sensational She-Hulk à partir de 1989. Dès la couverture du premier numéro, Byrne annonce la couleur. Jennifer Walters s’y adresse directement au lecteur, menaçant de déchirer leur collection de comics X-Men s’ils n’achètent pas sa série. Le ton est donné : She-Hulk est devenu un personnage conscient de sa condition d’héroïne de comic book et elle va dorénavant régulièrement briser le quatrième mur. Le quatrième mur est une notion venant du théâtre, selon laquelle il existe un mur invisible séparant la fiction jouée sur scène et le public. Notamment théorisée par Denis Diderot en 1758 dans Le Discours sur la Poésie Dramatique, elle a ensuite été développée par de nombreux auteurs, principalement dans le théâtre réaliste, admettant qu’il est également possible aux personnages d'une pièce de passer outre ce quatrième mur pour s'adresser directement au spectateur, pour un aparté qui renforce l'aspect comique ou dramatique de la situation, par exemple. La notion de quatrième mur s’est ensuite élargie à d’autres supports, du cinéma au jeu vidéo en passant par la bande dessinée. L'un des premiers exemples concrets au cinéma est le film muet The Great Train Robbery, réalisé en 1903 par l’Américain Edwin S. Porter, se terminant par un plan extrêmement avant-gardiste dans lequel on peut voir un homme tirer en direction du public. Une scène qui a fait sensation lors des projections, effrayant même quelques spectateurs ! Parmi les nombreux personnages de film ou de série capables de briser ce quatrième mur, on pourra citer Néo dans Matrix ; Ferris Bueller, qui a ensuite inspiré la série télévisée Parker Lewis ne perd jamais ; mais aussi les Animaniacs ou encore Malcolm. Du côté des comics, on retrouve cette faculté à différents niveaux chez Howard the Duck, Deadpool, ou Animal Man. Bien entendu, l’objectif principal est de produire un effet sur le spectateur, généralement pour préciser un contexte, renforcer l'immersion, ou bien tout simplement pour le faire rire. Cette notion acquise d’être un personnage capable de passer outre le quatrième mur va permettre à peu près tout et n’importe quoi à Jennifer Walter au cours des soixante épisodes que compte The Sensational She-Hulk : interpeller les lecteurs, sauter de case en case et traverser les pages de publicités, menacer John Byrne lorsque les choix artistiques de ce dernier lui semblent mauvais pour les ventes de la série, et même assister au démontage du décor dans le tout dernier numéro, dont la couverture fait d’ailleurs écho à celle du premier. Un répertoire de gimmicks astucieux qui trouvent pour beaucoup leur source dans une rencontre que Jennifer va faire dans le quatrième numéro de The Sensational She-Hulk. GOLDEN AGE GUEST STAR  Si les débuts de la série jouent gentiment avec le quatrième mur ; comme lorsque She-Hulk reproche à Byrne de lui faire affronter les Toad Men, référence méta au deuxième numéro de The Incredible Hulk paru en 1962 dont elle se moquait en couverture ; le quatrième épisode place un nouveau personnage inattendu sur la route de notre héroïne : Louise Grant Mason. Louise explique à Jennifer que dans les années 1940, elle était Blonde Phantom, une justicière costumée combattant le crime. Blonde Phantom est un vrai personnage de bande dessinée, dont les aventures ont été publiées par Timely Comics, l’ancêtre de Marvel, à partir de 1946. Créée par le scénariste Al Sulman et par le dessinateur Syd Shores à la demande de Stan Lee qui trouvait que les publications Timely manquaient de super-héroïnes, elle fait sa première apparition dans All Select Comics #11, un périodique qui sera d’ailleurs renommé Blonde Phantom dès le numéro suivant. Secrétaire du détective Mark Mason, Louise Grant revêt un loup et une robe de soirée rouge du meilleur effet pour devenir la justicière Blonde Phantom et ainsi aider son patron à résoudre les affaires les plus corsées. Bien que dépourvue de super-pouvoirs, elle combat tour à tour d’anciens nazis, un inventeur monté sur des chaussures à ressorts, un savant fou venu du futur, et même son sosie remodelé par un chirurgienne peu scrupuleuse ! Alors qu’elle en pince pour Mark, Louise est totalement invisible aux yeux de ce dernier qui, ignorant la double identité de son employée, lui préfère Blonde Phantom. Une romance largement inspirée de la relation entre Loïs Lane et Clark Kent, pour ne citer que l’exemple le plus célèbre, et qui aura tendance à largement minimiser le rôle de Louise, systématiquement ramenée à sa condition d’assistante dans un monde gouverné par les hommes. Le personnage va rencontrer un certain succès, s’exportant dans les pages de Marvel Mystery Comics aux côtés de Captain America, Namor ou de la première Torche Humaine, mais aussi dans les comic books mettant en scène d’autres super-héroïnes du Golden Age, comme Sun Girl ou Namora. Et, sans trop s’avancer, on peut affirmer que Blonde Phantom est un personnage plutôt populaire chez Timely Comics à l’époque. La série Blonde Phantom va durer jusqu’au vingt-deuxième numéro, en 1949, avant que la publication ne soit finalement renommée Lovers, manifestation de la fin de l’âge d’or des super-héros costumés, peu à peu remplacés par des genres comme la Romance, le Western ou l’Horreur après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il faut donc finalement attendre 1989 pour revoir Louise Grant dans le quatrième numéro de The Sensational She-Hulk. Elle y apparaît plus âgée, et surtout, on apprend qu’elle s’est mariée a
Une traversée des États-Unis post-guerre du Viêt Nam, dans un pays en pleine mutation et gangréné par les magouilles en tout genre, voilà ce que nous proposent Ed Brubaker et Sean Phillips dans leur nouvelle série phare. Aujourd’hui, je vous parle de mon coup de cœur du moment : Reckless ! Attention, cet article pourrait vous révéler certains éléments de l’intrigue ! Vous le lisez donc à vos risques et périls ! SECOURS FRATERNEL “Votre problème, c’est le nôtre !”, disait Régis Laspalès dans Ma Femme s’appelle Maurice, pièce de théâtre à succès adaptée au cinéma en 2002. Et bien, avec Ethan Reckless, c’est un peu la même chose : il règle vos problèmes en échange d’une rémunération plus ou moins conséquente. Composant avec son passé trouble d’agent infiltré travaillant pour le compte de la CIA ; dont il a gardé des cicatrices bien visibles sur le visage et une forme d’insensibilité émotionnelle ; et les milieux interlopes aux frontières très floues dans lesquels il évolue désormais, il crèche dans un vieux cinéma de Los Angeles : le El Ricardo. Quand quelqu’un a un problème, il laisse un message sur le répondeur d’Ethan, son assistante Anna filtre les appels, et parfois, ils décident de prendre l’affaire en main. C’est notamment le cas quand, en 1981, une ex-petite amie vient lui demander de l’aide pour récupérer ce qu’elle s’est approprié après un braquage. Rattrapé par des années de mensonges à flirter avec les interdits, Ethan s'embarque dans un road-trip vengeur, sur fond de trahison et de groupuscules radicaux. C’est sur ces bases que s’ouvre le premier tome Reckless, polar hard-boiled au rythme soutenu et à la tension permanente, qui enchaîne les rebondissements explosifs. Le deuxième tome, “L’Envoyé du Diable”, nous emmène en 1985, sur la piste d'une comédienne disparue dans d'étranges circonstances. Quand l'élue de son cœur demande à Ethan de retrouver sa sœur, qui s’est mystérieusement volatilisée alors qu’elle aspirait à faire carrière à Hollywood, notre détective de fortune remonte la piste d'un vieux film jusqu'aux plus sombres arcanes du show-business. Lui qui pensait avoir enfin trouvé l'amour et la sérénité, le voilà dans un milieu fait de faux-semblants, mais où le danger est bien réel. S’il y a bien une chose que nous confirme le tome suivant, “Éliminer les Monstres”, c’est qu’il est difficile d'avoir une vie privée quand on passe son temps à régler les problèmes des autres... Sollicité par un homme qui veut rendre justice à son défunt père, victime des malversations financières d'un magnat de l'immobilier, Ethan doit en parallèle composer avec la soif d’indépendance d’Anna, qui se lasse de sa vie au El Ricardo. Un volume qui permet d'en apprendre un peu plus sur le duo d'enquêteurs, sur leur rencontre, et sur leur état d’esprit. Dans “Ce Fantôme en Toi”, quand Ethan Reckless s'absente pour une affaire, Anna décide de s'aventurer seule dans la vieille demeure d’une ancienne star du cinéma d'horreur pour l'aider à prouver que son manoir n'est pas hanté ! Un quatrième tome qui se démarque des précédents et flirte avec le fantastique grâce à sa vieille bicoque qui cache un terrible secret, mon préféré pour le moment ! Le dernier volume en date, intitulé “Descente aux Enfers”, permet justement de découvrir ce qu’Ethan était parti faire pendant qu’Anna chassait les fantômes. Une fois encore, il est question de vengeance et de disparition, sur fond de dérives d’une communauté prônant une sexualité débridée. Un excellent cinquième tome qui fonctionne en diptyque avec le précédent et qui marque une fin de cycle pour Reckless, mais pas un point final, nous assure Ed Brubaker dans sa postface. Vous l’aurez peut-être compris, les albums de Reckless ont l'avantage d'être relativement indépendants les uns des autres, ce qui rend la série d'autant plus accessible. Chaque enquête conduit le lecteur dans un univers sordide et impitoyable, où l’ambiance capiteuse tranche avec une violence crue et les méthodes peu orthodoxes de son héros tête brûlée. Ce cocktail détonnant n'empêche pas une forme de mélancolie d'émaner de certains passages, tant la galerie d'hommes et de femmes brisés par les coups durs de la vie qui nous est présentée laisse un goût doux-amer après la lecture. Emprunt de la réalité sociale de l'Amérique des années 1980 et débordant de clins d’œil à la culture populaire, Reckless est une parfaite démonstration de la valeur sûre qu’est devenu le duo formé par Ed Brubaker et Sean Phillips pour la bande dessinée américaine. L’AMÉRIQUE, JE VEUX L’AVOIR…Car, ce cinéma transformé en quartier général, ce n’est pas un hasard. Reckless est bourré de références à la littérature pulp, aux films noirs et au cinéma d’épouvante, inspirées par les souvenirs de jeunesse de Ed Brubaker. Qu’il s’agisse des lectures du son père, ancien officier de marine, ou d’hommages à peine dissimulés à des séries télévisées comme Kolchak The Night Stalker, le scénariste puise dans son enfance et son adolescence passées à déménager d’une base militaire américaine à l’autre pour nourrir l’univers de Reckless. En choisissant de mettre en scène son héros dans une période s’étalant du milieu des années 1970 à la fin des années 1980, Brubaker revisite une époque charnière de l’histoire des États-Unis. Après la défaite au Viêt Nam, les USA abandonnent, pour un temps, leur politique interventionniste et se recentrent sur les problèmes internes au pays : une ère de changement durant laquelle l’image des hippies du Flower Power passe de celle de sympathiques pacifistes à celle de menaçants fanatiques à la solde de gourous terroristes. Sur le plan politique, les manœuvres malhonnêtes et l’impunité du président démissionnaire Richard Nixon conduisent, en 1977, à l’élection du démocrate Jimmy Carter, qui place les droits de l’Homme et l’ouverture diplomatique au centre de ses préoccupations. En 1981, alors que Carter brigue un second mandat, l’inflation et le chômage poussent finalement les Américains à se tourner vers le candidat républicain Ronald Reagan, ancien acteur dont l’action participera, par extension, à ancrer l’image du héros masculin suintant la testostérone dans la Pop Culture des années 1980. Autant de fluctuations collectives qui auront des effets individuels, tantôt bénéfiques, tantôt traumatisants. Les démons d’Ethan Reckless, ce sont les démons de l’Amérique : il doit faire face à son passé, à ses dérives violentes, régler les problèmes de ses concitoyens avec des méthodes parfois prohibées, et tout ça dans une certaine clandestinité. Reckless connaît ses semblables et ne fait confiance à personne, ou presque, et doit se méfier de tout et de tout le monde, au risque de voir le moindre écart de conduite de sa part immédiatement sanctionné par un tabassage en règle. Bien que Brubaker et Phillips dépeignent le climat social et politique des années 1980, la série aborde des problématiques intemporelles, comme le traitement réservé aux anciens militaires après leur service rendu à la nation, la corruption et les abus de pouvoir des puissants, ou les dérives comportementales et criminelles engendrées par l’abandon par l’État d’une partie de la population livrée à elle-même pour subvenir à ses besoins les plus essentiels. Lancée durant la pandémie et adoptant le format de Graphic Novel, plutôt que la classique prépublication en fascicules souples coutumière aux États-Unis, Reckless est une série mitonnée avec amour et assiduité par Ed Brubaker et Sean Phillips. La vision cinématographique de ce dernier, accompagné par son fils Jacob aux couleurs, fait d’ailleurs honneur au décor si particulier planté par Brubaker. Son trait, son découpage soigné et son sens des plans dignes des plus beaux films noirs jouant incontestablement dans la qualité du produit final. Avec cinq albums en deux ans, l’équipe créative a confirmé la maîtrise de son sujet en enchaînant les réussites sur le plan narratif, chaque volume se renouvelant juste assez pour habilement enrichir le background des protagonistes. Un résultat impeccable sur toute la ligne, qui utilise parfaitement les codes de la BD et du thriller, tout en brillant par son accessibilité sans faille. Je conclurai en disant tout simplement : lisez Reckless de Ed Brukaker et Sean Phillips, disponible en français chez Delcourt, et surtout, souvenez-vous que les problèmes des petites gens finissent bien souvent par être le problème de tous. N’hésitez pas à partager cet article sur les réseaux sociaux s’il vous a plu ! Recevez mes articles, podcasts et vidéos directement dans votre boîte mail, sans intermédiaire ni publicité, en vous abonnant gratuitement ! Retrouvez le podcast POP CULTURE & COMICS sur toutes les plateformes d’écoute en cliquant ici ! Get full access to CHRIS - POP CULTURE & COMICS at chrisstup.substack.com/subscribe
Il arrive parfois que les comics décident d’embrasser de nobles causes. Mais pas toujours de la façon la plus judicieuse. Revenons à l’époque où Marvel pensait que la meilleure solution pour sauver la planète, c’était de filer des flingues aux dauphins… Si vous avez grandi durant les années 1980 et 1990, vous savez à quel point ces décennies symbolisent le règne des merdes en plastique. Depuis le succès colossal de Star Wars en 1977, et de la ligne de figurines commercialisée par Kenner, tous les fabricants de jouets cherchent la licence qui cartonnera auprès des gosses. Les Transformers et les G.I. Joe de Hasbro, les Cosmocats de LJN, les fameux Maîtres de l’Univers de Mattel, sans oublier le succès des Teenage Mutant Ninja Turtles de Playmates, autant de bonshommes en plastoc qui envahissent la chambre des enfants et vident le porte-monnaie des parents. Paradoxalement, tandis que la promotion de ces nouvelles figures de la Pop Culture est assurée par des dessins animés diffusés à la télévision, c’est aussi à cette période que diverses productions commencent à sensibiliser le jeune public à l’écologie. De Captain Planet à Widget, en passant par SOS Polluards et certaines séries de Tokusatsu, les messages incitant les enfants à protéger la nature et la vie sauvage sont partout. C’est en 1989, dans ce contexte qui mêle surproduction d’action figures et éveil quant à l’importance de notre environnement, que Marvel Comics demande au designer Charles Viola de concevoir des personnages qui pourraient devenir une ligne de jouets à succès. Fort d’avoir su adapter en comic book les G.I. Joe et les Transformers, et de l’accueil commercial, quelques années auparavant, de la gamme Secret Wars développée avec Mattel, l’éditeur américain est persuadé de pouvoir vendre les droits de ses nouveaux héros à un fabricant de jouets pour une petite fortune. Il faut dire que, même si on l’a un peu oublié aujourd’hui, il fut une époque où la Maison des Idées était experte en matière de partenariats plus ou moins pérenne : de ROM le chevalier de l’espace, avec Parker Brothers, à Dazzler en collaboration avec Casablanca Records, en passant par la Saga de Crystar, avec Remco, Marvel Comics a, notamment durant les années 1980, multiplié les coentreprises à double sens, pour le meilleur et pour le pire. Le premier numéro de Brute Force sort en juin 1990, soit trois mois avant la première diffusion de Captain Planet à la télévision et plus d’un an avant son adaptation en comic book par Marvel, qui ne connaîtra que douze numéros, mais c’est une tout autre histoire. Pourtant, Brute Force n’est pas véritablement une série initiatrice de tendance pour la bande dessinée américaine, le Animal Man de Grant Morrison la précédant de plusieurs années. Elle est néanmoins totalement dans l’air du temps en ce qui concerne ses thématiques, même si son approche est largement perfectible. Scénarisée par Simon Furman et dessinée par Jose Delbo, la mini-série en quatre numéros s’ouvre sur l’attaque d’un laboratoire de la société Multicorp, dans lequel travaille le scientifique Randall Pierce. Une équipe de clowns armés jusqu’aux dents, sans doute échappée du fast-food du coin, fait irruption alors que le docteur Pierce pratique une opération extrêmement délicate visant à sauver la vie d’un gorille en le transformant en cyborg. Après que le commando costumé ait pris la fuite en emportant avec lui l’animal amélioré, Randall Pierce s’empresse de prévenir son patron, Monsieur Frost, qui ne semble pas vraiment paniqué par la situation, et lui interdit formellement de prévenir la police. Après quelques tergiversations d’ordre moral et un échange avec son fils autour des responsabilités qui nous incombent vis-à-vis de notre belle planète bleue, le docteur Pierce décide finalement que le meilleur moyen d’aller sauver son gorille est de transformer d’autres animaux, innocents et en parfaite santé, en machines de guerre. Surfstreak le dauphin, Lionheart le lion, Soar l’aigle, Wreckless l’ours, et Hip Hop le kangourou, voilà les cinq animaux qui vont former une équipe d’un genre nouveau : Brute Force !Désormais dotés d’une intelligence supérieure et de la parole, équipés de lance-roquettes, de canons lasers, et capables de se transformer en véhicules, nos cyber-animaux sont donc envoyés en mission en dépit du bon sens, sans aucune précaution ou prise en considération des dommages qu’ils pourraient causer. Des débuts difficiles, presque burlesques, tant les membres de Brute Force peinent à coopérer. Entre leur incapacité à utiliser leur équipement et leurs caractères incompatibles, cette première mission est un semi-échec, puisqu’ils ne parviennent pas à récupérer le gorille, mais réussissent tout de même à protéger le village d’une tribu amazonienne d’un groupe paramilitaire qui voulait les exproprier. On découvre à la fin du premier numéro que les mercenaires en question portaient de l’équipement conçu par Multicorp, et que l’homme derrière les malversations criminelles qui ont mené au kidnapping du gorille n’est autre que son président : Monsieur Frost ! L’épisode se conclut sur la première apparition de l’équipe de super-animaux antagonistes créée par Frost pour tenir tête à Brute Force : Heavy Metal !Un requin, un rhinocéros, une pieuvre, un vautour, et le fameux gorille capturé plus tôt, de “vilains” animaux qui ont à leur tour été transformés en machines destructrices.Dans le numéro suivant, le docteur Pierce se questionne sur sa décision de transformer les membres de Brute Force, tandis que les animaux cybernétiques apprendront à leurs dépens que leur nouvelle condition inédite ne leur permettra pas de trouver facilement une place dans notre monde. On assiste au premier affrontement avec Heavy Metal, qui a pour objectif de faire couler un pétrolier, et Frost parvient finalement à faire arrêter Pierce, qu’il fait passer pour le méchant de l’histoire. Le troisième épisode alerte le jeune lecteur sur les dangers de la pollution, en mettant en scène une créature mutante transformée par un environnement toxique créé de toutes pièces par Frost comme une simulation de l’écosystème du futur. Et enfin, le quatrième et dernier numéro oppose les animaux de Brute Force à de faux activistes anti-nucléaire, qui s'avéreront être envoyés par Frost, avant leur affrontement final avec Heavy Metal. Brute Force parvient à arrêter Frost avec l’aide du docteur Pierce, et décident de continuer à travailler ensemble pour sauver la planète, malgré leurs différences. Ironiquement, cet ultime épisode se termine par “The Beginning”, ou “Le Commencement” dans la langue du docteur Klein, mais la suite des aventures de Brute Force va se faire attendre. Brute Force est une mini-série pleine de contradictions. Pensée pour parler à un jeune public ; elle devait dans un premier temps être publiée sur le label STAR de Marvel, regroupant les titres à destination des enfants ; elle adopte pourtant un ton acide qui se moque des multinationales et de la malbouffe, dénonce les prémices de ce que l’on appelle aujourd’hui le “greenwashing” et va jusqu’à traiter d’écoterrorisme. Mais, en parallèle, Brute Force passe totalement à côté de son message écolo sur de nombreux points, à commencer par la nature même de ses héros. Protéger la nature en transformant d'innocents animaux sauvages en armes de guerre destructrices, un non-sens total qui ne semble interpeller personne chez Marvel. Pas plus que de propager un message totalement idiot à base de “gentils” et de “méchants” animaux rempli de clichés éculés : le sympathique dauphin contre le vilain requin, l’aigle majestueux contre le vautour malfaisant, et ainsi de suite. Tout ça est justifié de façon plus ou moins implicite par une formule que l’on pourrait synthétiser en “c’est cool, donc ça passe”, une vision décérébrée - et typiquement américaine - dans laquelle la violence et les armes règlent pas mal de problèmes. Le scénariste Simon Furman et l’équipe éditoriale formée par Bob Budiansky, Tom Brevoort et Tom DeFalco se renvoient d’ailleurs volontiers la balle quand il s’agit de déterminer de qui vient telle ou telle idée. Un peu comme si assumer la paternité de Brute Force n’était pas la plus grande fierté de leur carrière, et on peut le comprendre. La série possède quand même quelques points fort remarquables, comme les dessins de l’Argentin Jose Delbo, qui avait déjà œuvré sur les adaptations en comics des Transformers et des Thundercats pour Marvel, mais aussi, dans un genre totalement différent, sur Wonder Woman chez DC Comics. L’artiste parvient de façon assez surprenante à donner un peu de crédibilité à ces personnages, mélanges improbables d’animaux réalistes et de robots aux points d’articulation similaires à ceux de figurines faites pour être moulées à la chaîne. L’ensemble est plutôt agréable graphiquement, tout en restant assez enfantin dans l’esprit. Le fond est loin d’être bête et la personnification des différents animaux est parfois intéressante, notamment quand il s’agit d’opposer leurs caractères distincts et leur soif de leadership. L’écriture très directe des personnages se heurte donc à un aspect visuel digne d’une série pour enfants des années 1980, si bien que l’on ne saisit plus vraiment quel est le public visé. Les aventures de nos animaux cybernétiques s’inspirent également de véritables catastrophes écologiques contemporaines de leur publication pour sensibiliser le jeune lectorat qui, avouons-le, est certainement passé à côté de toutes ces références bien trop sérieuses. Une dichotomie qui n’échappe finalement à personne une fois passées les portes des bureaux de Marvel Comics, dont la stratégie commerciale vis-à-vis des fabricants de jouets s’avère pour le moins bancale. Résultat : Brute Force tombe dans l’oubli pendant plus de vingt ans. Exception faite d’une équipe de monstres génétiquement modifiés créés par Arnim Zola et affrontant les Thunderbolts le temps de quelques épisodes, en 1999, il faut attendre 2014 pour rev
Des tortues mutantes et adolescentes adeptes de l'art du ninjutsu ? Un drôle de concept qui cartonne depuis quarante ans ! L'occasion pour moi de revenir sur cette licence aussi culte que protéiforme ! WE STRIKE HARD, AND FADE AWAY… INTO THE NIGHT.Comics, jouets, dessins animés, jeux vidéo : quel que soit le support, il est pratiquement impossible que vous soyez passés à côté des Teenage Mutant Ninja Turtles, à moins d'avoir vécu dans les égouts ces quarante dernières années ! Comme beaucoup de succès story improbables, l’histoire des Tortues Ninja commence avec deux geeks fauchés : Kevin Eastman et Peter Laird. Ces deux jeunes artistes ont pour habitude d'échanger leurs idées dans l'appartement de Laird, transformé pour l'occasion en ce qu'ils appellent "Mirage Studios", un atelier nommé ainsi du fait de son existence toute relative. Un soir de 1983, Kevin Eastman dessine une tortue se tenant sur ses pattes arrière et maniant des nunchakus. Cette idée saugrenue amuse beaucoup les deux comparses qui décident de retravailler le concept, donnant naissance à quatre tortues, utilisant chacune une arme différente. En 1984, Eastman et Laird rassemblent leurs économies, empruntent de l'argent à l'oncle de Kevin et publient eux-mêmes le premier numéro de Teenage Mutant Ninja Turtles, tiré à 3000, 3250, ou 3275 exemplaires selon les sources. Le succès est au rendez-vous, puisqu'ils doivent bientôt réimprimer 6000, puis 35 000 copies de ce premier numéro. N'ayant absolument pas anticipé un tel accueil, et encore moins l’engouement des lecteurs qui en redemandent, les deux auteurs vont bientôt devoir imaginer une suite à ce qui devait être un one-shot. En quarante pages, le premier numéro pose les bases de tout un univers. Transformées par un étrange liquide mutagène, quatre petites tortues vont être entraînées à l'art ancestral du Ninjutsu par Splinter, un rat humanoïde, qui leur donne à chacune le nom d’un artiste de la Renaissance : Leonardo, Raphael, Donatello et Michelangelo. Ensemble, ils affrontent Shredder, terrible combattant à la tête du Clan des Foot, dont l’histoire est intimement liée à celle de Splinter. Réunis par leur amour de l'œuvre de Jack Kirby, et inspirés par les travaux de Frank Miller sur Ronin ou Daredevil, de Dave Sim et de son héros Cerebus, et par les New Mutants de Chris Claremont chez Marvel, Eastman et Laird n’hésitent pas à mélanger les influences, entre hommage et parodie, pour donner naissance à leurs Chevaliers d’Écaille. Ainsi, on trouve plusieurs points communs entre nos tortues préférées et Matt Murdock : elles sont transformées par un étrange produit chimique et affrontent par exemple le Clan des Foot, là où Daredevil tient tête à la secte de La Main. Quant à l’influence de Kirby, si elle est plus qu’évidente sur le plan graphique, elle est aussi distillée tout au long du développement du lore de la licence, qu’il s’agisse d’interventions extra-terrestres ou transdimensionnelles. Seuls aux commandes des premiers numéros de la série, Kevin et Peter vont alors alimenter une véritable mythologie autour des tortues, introduisant des personnages devenus incontournables comme April O'Neil et Casey Jones, des antagonistes mutants comme Leatherhead, ou encore les races extraterrestres des Utrom et des Triceratons. Ces derniers étant d’ailleurs, tout comme le personnage de Fugitoid, des créations de Mirage Studios antérieures aux Tortues Ninja. Le succès affiché par le comic book de Eastman et Laird et le foisonnant univers qui anime ses pages, mais aussi celles de son spin-off Tales of the Teenage Mutant Ninja Turtles et des Micro-Series, vont bientôt attirer l’attention de pas mal de monde et surcharger l’emploi du temps des deux amis qui recrutent alors Jim Lawson, Mark Martin, Michael Dooney ou encore Eric Talbot pour leur filer un coup de main. Des artistes qui vont, à leur tour, nourrir le déjà très riche background des TMNT de leurs créations. COWABUNGA ! Parmi les projets qui occupent le duo, il y a bien évidemment les produits dérivés. Après la sortie d’un jeu de rôle et de figurines en plombs vendues par Dark Horse Miniatures, c’est en 1987, alors qu’à peine une dizaine de numéros a été publiée, que la société Playmate Toys contacte Kevin Eastman et Peter Laird pour commercialiser une ligne de jouets dérivée des Tortues Ninja. Conscients du risque, ils misent sur la production d'un dessin animé pour booster la vente de figurines. À jamais ancrée dans la Pop Culture, la série s’adresse en priorité aux enfants et modifie de nombreux éléments de l’univers des tortues. Premièrement, si dans le comic book original, les tortues ont toutes un bandeau rouge, il est décidé de leur attribuer une couleur différente à chacune afin que les enfants puissent les identifier plus facilement. Les origines de Splinter sont revisitées : ici, il ne s'agit plus du rat compagnie de Hamato Yoshi, mais de Yoshi lui-même, transformé en rat par le mutagène. Le dessin animé introduit également de nouveaux personnages, comme Bebop et Rocksteady, ainsi que Krang, représentant de la race des Utrom, qui elle, existe bien dans les comics.Enfin, le point le plus important concerne de toute évidence les pizzas : c’est bel et bien le cartoon qui établit cette habitude alimentaire de Don, Raph, Leo et Mikey, qui est aujourd’hui indissociable de nos héros. Comme tout phénomène de société, les Tortues Ninja connaissent leur lot de paniques morales. Au Royaume-Uni, le titre Teenage Mutant Ninja Turtles est remplacé par Teenage Mutant Hero Turtles, le mot "ninja" étant jugé trop violent pour le jeune public. Les scènes où Michelangelo utilise son nunchaku sont également coupées, cette arme étant interdite en Angleterre. Ces quelques excentricités britanniques n’empêchent pas les Chevaliers d’Écaille de cartonner partout sur la planète : les figurines sont déclinées à l’infini et un jeu vidéo, aujourd’hui célèbre pour sa difficulté, sort sur Nintendo NES en 1989. La même année, l’éditeur Archie Comics, célèbre pour son personnage éponyme, lance Teenage Mutant Ninja Turtles Adventures, un comic book adaptant dans un premier temps la série animée, avant de développer son propre univers, dont certains éléments seront repris par la suite par l’univers classique des tortues.  On y découvre, par exemple, la première apparition sur le papier de Man-Ray, Mondo Gecko, et des Mutanimals. En à peine cinq ans, les Tortues Ninja sont passées d’une obscure création de deux passionnés de BD, à destination des amateurs de comics underground, à l’une des licences les plus bankables de la planète, star des cours de récré. Mais nos mutants mangeurs de pizza ne vont pas en rester là… En 1990, les Tortues Ninja connaissent leur première adaptation au cinéma, réalisée par Steve Barron, à qui l’on doit les clips vidéo pour Take On Me de A-Ha ou Africa de Toto. Réussissant l’exploit de piocher dans le meilleur des tout premiers numéros du comic book en y ajoutant une petite dose des éléments du dessin animé pour ne pas perdre les plus jeunes, il devient l'un des films indépendants les plus rentables de l'histoire, notamment grâce à l'incroyable travail du studio de Jim Henson, et enfonce définitivement le clou de la Turtlemania ! Pépite sombre influencée par le Batman de Tim Burton, brillant par ses cascades, ses bastons et son utilisation des practical effects, le film de Barron reste pour moi l’une des meilleures adaptations de comic book, captant à merveille l’esprit des TMNT tout en le rendant accessible au plus grand nombre. Un petit tour de force à l’heure où plusieurs versions des tortues, visant des publics très différents, cohabitaient déjà. Perdues entre le Ninja Rap de Vanilla Ice et la recette émoussée du voyage dans le temps ; qui, rappelons-le, est souvent synonyme d’une pénurie d’inspiration ; les deux suites, sorties respectivement en 1991 et 1993, peineront à réitérer l'exploit. Bien que pouvant être considérés comme de sympathiques divertissement, Les Tortues Ninja II et III marquent déjà un début d'essoufflement pour la licence, tout comme le spectacle musical “Coming Out of Their Shells”, sponsorisé par Pizza Hut entre 1990 et 1992. Un véritable essorage qui a aussi lieu du côté des jouets. Avec plus de quatre-cents figurines produites durant cet âge d’or, sans compter les véhicules, les tortues ont été remodelées à toutes les sauces : transformables, musiciennes, en monstres de Universal Studios, avec des cheveux colorés de Trolls, tirées des films ou en tenue de personnages de Star Trek… L’originalité des déclinaisons n’a d’égale que la frénésie commerciale qui la motive. GO NINJA, GO NINJA, GO ! Malheureusement pour Laird et Eastman, ce déclin des Tortues Ninja va aussi avoir lieu sur leur support d’origine : le papier. La série originale, qui prend fin en 1993 après soixante-deux numéros, est immédiatement suivie par une seconde série se présentant comme une suite directe, également publiée par Mirage Studios. Pilotée par Jim Lawson, cette seconde mouture tire sa révérence en 1995 après seulement treize numéros. L’effondrement du marché de la bande dessinée américaine et une inondation dans les locaux de Mirage Studios finissant d’achever la licence déjà exsangue à force d’être revisitée à toutes les sauces. À partir de cette date, les créateurs des Tortues Ninja s’éloignent radicalement. Eastman, qui vient de racheter le magazine Heavy Metal, homologue américain de notre Métal Hurlant national, a envie de travailler sur d’autres projets. Moins d’une année plus tard, sous l'impulsion de Erik Larsen, créateur de Savage Dragon et cofondateur de Image Comics, une troisième série est lancée. Aujourd’hui sous-titrée Urban Legends, et considérée comme non-canonique, cette série est bien connue des fans des TMNT pour prendre de nombreuses libertés et pour ne pas hésiter à transformer définitivement les Chevaliers d’Écaille, quitte à aller jusqu’à les mutiler ! Un parti-pris plutôt osé qui aurait pu raviver l’intérêt pour la lice
Final Fantasy est l’une des plus grandes sagas de l’histoire du jeu vidéo, c’est un fait. Mais saviez-vous que bien avant Kingdom Hearts, Disney et Square se sont croisés pour un projet d’adaptation comme seule la bande dessinée américaine sait en proposer ? Aujourd’hui, on parle du comic book inachevé tiré de Final Fantasy ! Si le nom de Final Fantasy parle aujourd’hui à pratiquement tout le monde, ça n’a pas toujours été le cas. Lancée en 1987 au Japon, la licence va mettre un peu de temps pour se faire une place au-delà des frontières du pays du Soleil-Levant. Il faudra en effet attendre 1990 pour que le premier opus, sorti sur Nintendo NES, atteigne le marché américain, tandis qu’en France et en Europe, FFVII, sorti en 1997 sur Playstation, sera le premier épisode officiellement disponible, exception faite du spin-off Mystic Quest, sorti sur Game Boy en 1994. Bien que le premier épisode de la saga ai connu un succès non négligeable au pays de l’Oncle Sam, Final Fantasy II et III ne bénéficieront pas de localisation aux USA, et c’est ainsi que Final Fantasy IV, sorti en 1991 sur Super Famicom au Japon, est renommé Final Fantasy II pour l’arrivée de la cartouche Super Nintendo sur le sol américain la même année. Si vous avez suivi, c’est que vous êtes prêts pour la suite. Il n’est pas rare qu’une licence en vogue aux États-Unis, qu’il s’agisse d’un jeu vidéo, d’une ligne de jouets, d’un film, ou d’une série télé, ait droit à son adaptation sur le papier chez un éditeur de comics. Cette tendance est d’autant plus vraie à partir des années 1980, avec l’arrivée dans les rayons des comic shops de titres allant des Maîtres de l’Univers aux Transformers, en passant par Atari Force, G.I. Joe ou Cosmocats. Et il en va de même pour Indiana Jones, Alien, Predator, Robocop, et bien évidemment Star Wars, qui ont tous été convertis en comic book pour une durée plus ou moins longue, aux côtés d’autres franchises plus ou moins plébiscitées par les lecteurs, telles que Biker Mice from Mars, L’Agence Tous Risques, Double Dragon, The Real Ghostbusters, et même Chuck Norris Karate Kommandos… Si la qualité n’est pas toujours au rendez-vous, en démontre l’horrible Street Fighter chez Malibu Comics, c’est parce que, sans grande surprise, la motivation initiale est avant tout mercantile. En 1990, dans une démarche expansionniste, le groupe Disney Publishing Worldwide lance sa filiale Disney Comics, ayant pour objectif de continuer la publication de titres comme Uncle Scrooge ou Walt Disney’s Comics and Stories ; déjà en cours depuis plusieurs années chez Gladstone Publishing, et avant ça chez Gold Key et Dell Comics ; et de lancer de nouvelles séries. Adepte d’une politique agressive, Disney Comics vise un développement un peu trop optimiste face à la réalité du marché en démultipliant les annonces de nouveaux labels, comme Hollywood Comics, qui aurait dû publier les adaptations en comic book des films produits par Hollywood Pictures, autre filiale de Disney. Mais Len Wein, co-créateur de Swamp Thing et de Wolverine, ne fait pas l’unanimité auprès des fans dans son rôle d’éditeur en chef de Disney Comics, et les ventes décevantes viennent rapidement saper les ambitions du groupe qui espérait pouvoir concurrencer Marvel et DC Comics dans la cour des grands. Ainsi, dès l’année 1991, une bonne partie des titres s’arrête et les projets de développement et autres labels, dont Hollywood Comics, sont abandonnés. Disney Comics disparaît pour de bon en 1993 et les séries survivantes sont de nouveau confiées à Gladstone Publishing. Un seul et unique titre aura été publié par Hollywood Comics : l’adaptation de Arachnophobia, film produit par Steven Spielberg. Mais il aurait pu en être autrement… En effet, voilà quelques années, le scénariste Kurt Busiek, célèbre pour son travail sur Marvels avec Alex Ross ou sur le crossover Justice League of America / Avengers avec le regretté George Perez, a révélé qu’il avait œuvré sur un projet pour le moins intriguant pour Hollywood Comics au début des années 1990 : l’adaptation en comic book de Final Fantasy. Pour remettre les choses dans leur contexte : Squaresoft avait pour idée de promouvoir la franchise auprès du public américain en s’appuyant sur une série de comics, et Kurt Busiek, déjà auteur depuis le début des années 1980, fut chargé de son écriture par Disney Comics qui, sans doute à la suite d’un jeu de rachats quelconque, avait obtenu les droits pour publier ladite série. À l’époque, le jeu vidéo est encore loin d’être une activité aussi démocratisée qu'aujourd'hui, de plus, seul le tout premier Final Fantasy est sorti aux États-Unis, et malgré un accueil favorable, il est évident que la popularité de la saga à travers le monde et la sacralisation de son lore ne sont en rien comparables à ce que nous pouvons connaître. Busiek commença donc à écrire une histoire prenant place dans l’univers du premier jeu, avant que Square ne demande finalement à l’auteur de totalement revoir sa copie pour placer l’intrigue dans l’univers de FFIV, dont la sortie est prévue au Japon et aux États-Unis pour l’année 1991. Un bon moyen de promouvoir la sortie de ce qui serait Final Fantasy II en Amérique du Nord. Après avoir reçu le maximum d’informations possible de la part de Square sur ce nouvel opus, Busiek se lance, et le scénario qu’il propose semble plaire au développeur nippon. Ce dernier, sûrement peu confiant quant à l’attrait des Américains pour le JRPG, considère que Busiek a les compétences pour rendre leur univers plus accessible aux USA et l’autorise même à “américaniser” le tout en renommant les personnages. La décision paraît douteuse, et presque suicidaire, à l’heure d’une Pop Culture mondialisée, mais elle est plutôt cohérente avec l’état d’esprit de l’époque. C’est l’artiste Dell Barras ; d’origine philippine, comme Alfredo Alcala ; fort d’un parcours de dessinateur, d’encreur et d’animateur, qui est choisi pour illustrer la série, tandis que Mike Mignola, qui deviendra mondialement célèbre en créant Hellboy, se chargera des couvertures de ce qui est initialement prévu comme une mini-série de quatre numéros. Mais lorsque Disney Comics frôle la banqueroute et abandonne le label Hollywood Comics, le projet Final Fantasy est mis au placard. Busiek estime qu’il avait sûrement terminé l’écriture de deux ou trois des quatre épisodes prévus, et que Barras avait dessiné au moins un numéro complet. Malheureusement, à l’exception d’un dessin promotionnel et de deux couvertures par Mignola, il ne subsiste aucun autre visuel connu de ce projet à ma connaissance. Est-ce une mauvaise chose ? Les adaptations de films ou de jeu vidéo en comics sont, il faut l’avouer, souvent médiocres, et les quelques exceptions qui vous viennent en tête ne font que confirmer cette règle immuable. Busiek n’avait de toute évidence pas pu jouer à Final Fantasy IV pendant qu’il écrivait son histoire, et si Square lui avait confié une bible de références pour lui permettre de travailler dans des conditions optimales, les libertés qu’on avait pu lui laisser pour adapter l’univers aux attentes du public occidental d’alors seraient sans doute très mal interprétées par les puristes d’aujourd’hui. Quand bien même on pourrait découvrir le premier épisode quasi-finalisé de cette mini-série, on ferait face à un pur objet de son époque, qui n’aurait aucun intérêt de nos jours, si ce n’est de provoquer quelques malaises dans l’assistance. Kurt Busiek, qui aurait pu rejoindre Squaresoft afin de participer à l’adaptation des prochains jeux Final Fantasy en occident, va finalement continuer sa carrière de scénariste de comics chez Marvel, avec le succès qu’on lui connaît. Comme quoi, un peu comme dans les RPG, l’avenir ne tient parfois qu’à une décision prise au bon moment… Final Fantasy IV arrive en novembre 1991 aux USA ; sous le titre de Final Fantasy II, donc ; dans une version légèrement modifiée. Les références religieuses sont gommées, tandis que l’ensemble est édulcoré pour éviter de choquer un jeune public, et la difficulté des combats est même revue à la baisse. Le soft restera une référence du jeu de rôles sur console, notamment pour son introduction du système Active Time Battle, qui pousse le joueur à rester impliqué pour avoir le meilleur timing durant les séquences de combat. Malgré le succès durable de la saga, il est assez étonnant de voir que là où des licences de fantasy comme Magic The Gathering, The Witcher ou Donjons & Dragons ont eu droit à de multiples versions plus ou moins pertinentes et réussies sur le papier, plus jamais aucun éditeur américain n’a tenté d'adapter Final Fantasy en comics. Il est probable que cela découle de la volonté de Square Enix de garder le contrôle sur la marque et de limiter les produits dérivés douteux pouvant dégrader l’image de sa poule aux œufs d’or auprès d’une communauté de fans aussi fidèles qu’exigeants. Enfin, à l’heure où l’hégémonie de Disney sur la culture populaire est plus affirmée que jamais, il est bon de se rappeler que cet empire du divertissement a aussi connu de véritables revers au cours de son existence. Si, à la même période, Valiant Comics, Dark Horse, ou Image Comics ont su profiter d’un contexte né de l’arrivée d’une nouvelle génération d’auteurs et d’une bulle spéculative à son paroxysme, Disney a littéralement raté le coche, son échec devançant de plusieurs années l'effondrement du marché de la bande dessinée américaine. Quand on sait que la multinationale a actuellement la main sur une partie des plus grandes licences de la planète, y compris celles de Marvel Comics, il y a de quoi trouver ça plutôt amusant… N’hésitez pas à partager cet article sur les réseaux sociaux s’il vous a plu ! Recevez mes articles, podcasts et vidéos directement dans votre boîte mail, sans intermédiaire ni publicité, en vous abonnant gratuitement ! Get full access to CHRIS - POP CULTURE & COMICS at chrisstup.substack.com/subscribe
Parmi les personnages colorés qui mettent le bazar dans les cases de nos comic books préférés, l’Incroyable Hulk, créé par Stan Lee et Jack Kirby en 1962, est sûrement celui dont les multiples mutations et interprétations sont les plus hétérogènes, mais aussi une magnifique démonstration de la façon dont les fans s’approprient les héros de papier. Aujourd’hui, on va parler de Hulk, mais pas seulement de Hulk. Et puis, quel Hulk, d’abord ? Occupe-toi de ton Hulk ! Ce qui m’a toujours laissé perplexe chez les amateurs de super-héros, c’est leur fascination pour l’échelle de puissance des personnages. Si elle est naturelle, elle est aussi et surtout très limitée et occupe bien trop de place dans les débats, au détriment de la profondeur des thématiques sociales, politiques et psychologiques qui entourent les héros de comics. Pour moi, l’infantilisation systématique des problématiques et des intrigues par une partie du lectorat et des prescripteurs amène à une vision biaisée du genre phare de la bande dessinée américaine. Malgré une lassitude de plus en plus palpable, les blockbusters de Marvel restent des valeurs sûres au cinéma, et on se demande souvent pourquoi le grand public ne s’intéresse pas plus aux comics dont ils sont issus. La réponse semble évidente quand on constate qu’une partie de ceux-là même qui devraient pousser les gens à en lire n’en renvoient que l’image d’une sorte de gigantesque bagarre permanente dont le seul enjeu serait de savoir qui est le plus fort. Cette attitude puérile des fans va souvent de pair avec un refus du changement et un rejet systématique de tout ce qui ne correspond pas à des standards esthétiques et scénaristiques induits de longue date. Pourtant, de façon tout à fait évidente, les produits issus de ces licences à l’aspect mercantile indéniable s’inscrivent dans la durée et doivent évoluer avec leur époque, sous peine de disparaître. C’est vrai pour les super-héros, et plus globalement pour toutes les figures de la Pop Culture. Par leur refus du changement, et leurs formulations abusives comme “mon Batman”, “mon Star Wars”, ou “mon Superman”, les puristes autoproclamés assassinent ce qu’ils aiment en cherchant à figer l’image totalement biaisée d’un personnage ou d’une licence, en interdisant indirectement l’accès à un nouveau public. Hulk est un exemple très parlant, car c’est sûrement l’un des héros Marvel qui a le plus changé entre les années 1960 et aujourd’hui, en comparaison de personnages comme Tony Stark ou Steve Rogers qui, s’ils ont tous les deux été développés de différentes façons, sont restés beaucoup plus proches de leurs caractéristiques d’origine. Aussi, quand le Marvel Cinematic Universe a adapté ces changements, certes plus abruptement que dans les comic books, une partie des spectateurs s’est plainte de ne plus retrouver “son” Hulk au cinéma. Un grief recevable face aux méthodes expéditives de Disney et Marvel, mais prenant parfois des proportions totalement ridicules, entre appels au boycott, véhémence disproportionnée, et association douteuse avec des discours prônant l’intolérance sous couvert du respect du matériau d’origine. Se plaindre de l’évolution du Hulk du MCU revient tout simplement à nier que le personnage n’a pas toujours été le même dans les comics. C’est le réduire à une masse de muscles décérébrée, un gros balourd tout juste bon à soulever des voitures et à traverser des murs. Évidemment, pour appréhender cela, il faut s’intéresser un minimum à l’histoire du personnage sur le papier et à ce qu’il représente dans l’univers Marvel. Il manque Hulk dans un coin… Hulk est un pur produit de son époque : l’Âge d’Argent des comics, une période où les super-héros reviennent sur le devant de la scène après une longue pause durant laquelle des genres comme l’horreur, la romance et une science-fiction héritière des pulp’s les avaient supplantés. Aussi, Stan Lee et Jack Kirby en font rapidement une sorte de pot-pourri d’influences pop, qui va paradoxalement avoir du mal à trouver son public. Irradié par sa propre création, la bombe gamma, le scientifique Bruce Banner se transforme en une monstrueuse créature pratiquement invulnérable : l’incroyable Hulk ! Aidé par son sidekick de fortune, Rick Jones, et poursuivi par l’armée américaine, Banner cherche désespérément à retrouver son humanité tout en essayant de contrôler les pulsions destructrices de Hulk… Comme beaucoup d’autres héros de la Maison des Idées, Hulk reprend les caractéristiques du monstre made in Marvel. Avant d’être un justicier doté de pouvoirs surhumains, comme pouvaient l’être Superman et ses congénères durant le Golden Age, c’est surtout une victime des dérives de la science, incarnation de la peur de l’atome qui étreint la planète au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. À cette thématique propre à la Science-Fiction des années 1950 s'ajoutent deux influences classiques majeures : Frankenstein ou le Prométhée Moderne de Mary Shelley et L’Étrange Cas du Docteur Jekyll et de Mr Hyde de Robert Louis Stevenson. Deux classiques de la littérature gothique ou néo-gothique, faisant partie des fondements de la science-fiction et de l’horreur, qui ont façonné une bonne partie de notre culture populaire moderne. Là aussi, il est question des avancées et des dévoiements de la science, mais aussi de l’évolution de la psychologie et de la façon dont “l’anormal” est perçu en fonction des époques. Pour réhumaniser sa créature, Stan Lee va ajouter au drame de Banner une dimension de Soap Opera qui lui est chère, avec le personnage de Betty Ross. Avec cet amour rendu impossible par la transformation de Bruce Banner, pourchassé par le propre père de sa bien-aimée, la série Hulk gagne en profondeur et parle à un public plus large que celui des seuls amateurs d’aventures super-héroïques. Dès le début, Hulk est un personnage atypique, même pour Marvel Comics. Considéré comme une menace et condamné à la vie de fugitif, Bruce Banner est, bien plus que la Chose des Fantastic Four ou que Spider-Man, mal-aimé et craint par les simples mortels de l’univers Marvel. C’est peut-être à cause de ce statut hybride avant-gardiste, couplé à des affrontements avec des super-vilains assez quelconques, se résumant à des envahisseurs allégorie du Péril Rouge, que le personnage va peiner à rencontrer un lectorat conséquent. Lancée en 1962, Hulk est un échec et la série est annulée après seulement six numéros. Mais Marvel croit en son personnage et le colosse de jade va rapidement visiter les pages d’autres séries de l’éditeur, croisant la route des Quatre Fantastiques ou de l’Homme-Araignée et devenant l’un des membres-fondateurs des Avengers. Revenant dans ses propres aventures dès 1964 sous la plume du légendaire Steve Ditko, dans les pages de Tales to Astonish, Hulk partage le magazine avec Giant Man, puis avec Namor. Bill Everett, John Buscema ou encore Marie Severin vont ensuite se succéder au dessin, et en 1968, après cent-un numéros, le magazine est carrément renommé The Incredible Hulk. Il est intéressant de noter que durant cette période, même si Stan Lee reste crédité comme le principal scénariste, le personnage de Hulk est largement refaçonné par les différents artistes qui travaillent sur ses aventures. La raison même pour laquelle Banner se transforme en monstre varie d’un épisode à l’autre : s’il semble tout simplement se transformer à la tombée de la nuit, tel un loup-garou, dans ses premières aventures, ou même parfois de façon tout à fait injustifiée, on découvre peu à peu, dans les pages de The Avengers ou de Tales to Astonish, que le stress et la colère jouent un rôle prépondérant dans la métamorphose de Banner et dans sa maîtrise de celle-ci. En à peine deux ans, on passe donc d’un Hulk gris qui se transforme la nuit à un Hulk vert qui se transforme sous l’effet de la colère, et la bête pataude et massive des débuts, à mi-chemin entre King Kong et le Frankenstein de Boris Karloff, se mute peu à peu en créature impétueuse et beaucoup plus expressive.La nuit, tous les Hulks sont gris… L’année 1977 marque un nouveau départ pour Hulk. Si le personnage a eu droit à des adaptations en séries animées durant les années 60, 80 et 90, la série live produite par CBS reste sûrement son portage à l’écran le plus célèbre. Réalisé par le prolifique Kenneth Johnson, avec pour têtes d’affiche Bill Bixby dans le rôle de David Banner (renommé ainsi à cause d’un étrange cliché totalement homophobe) et le culturiste Lou Ferrigno dans celui du titan vert, le premier téléfilm diffusé en novembre 1977 va donner naissance à cinq saisons d’une série télévisée qui va faire monter en flèche la popularité du personnage auprès du grand public. N'échappant à aucun cliché de l’époque, la série L’Incroyable Hulk va ancrer l’image d’un Docteur Banner vagabond et victime de ses émotions, exacerbant les influences de Lee et Kirby, la série Le Fugitif et Frankenstein en tête.  Cette version de Hulk, cantonnant la créature à un rôle de brute incapable de s’exprimer autrement que par des grognements, a marqué les esprits pour longtemps, laissant faussement croire que le personnage n’avait pas plus de contraste que ça. Côté comics, de grands noms comme Len Wein, Bill Mantlo, Roy Thomas, Herb Trimpe, Sal Buscema, Roger Stern, ou encore John Byrne, rejoignent la liste des artistes et scénaristes qui interviennent pour un temps plus ou moins long sur la série. Si le fil conducteur d’un Bruce Banner en cavale, menace itinérante semant le chaos à travers les États-Unis, est conservé, The Incredible Hulk explore bien d’autres pistes issues de la Science-Fiction et du Fantastique pour relancer la machine au cours des années 1970 et 1980. L’alter ego de Banner y est également beaucoup mieux traité : contrairement à sa version télévisée, il est doué de parole et de pensée, et constitue un protagoniste à part entière, plutôt que d’être une sorte d’outil scénaristique légitimant les scènes d’action. À partir de 1987, le scénariste Peter David arri
Aiguisez vos lames et sortez vos plus beaux casques à cornes, direction les terres sauvages et envoûtantes de l’Heroic Fantasy avec Voltar par Alfredo Alcala, une saga dans la plus pure tradition Sword & Sorcery du Conan le Barbare de Robert E. Howard ! La France cultive une vision assez nombriliste de l’art séquentiel. Quand on sait à quel point le Manga peut encore être méprisé par une partie des lecteurs et des spécialistes du médium, on imagine sans mal la vision réductrice qui existe vis-à-vis des productions venant de pays où le Neuvième Art est jugé, à tort, moins noble qu’en Europe. La préservation et la diffusion du patrimoine de la bande dessinée me semblent aujourd’hui indispensables pour faire vivre cette culture à l’échelle mondiale, et certains éditeurs réalisent un travail remarquable en la matière. C’est le cas de Neofelis Éditions qui nous propose de découvrir les épisodes de Voltar par Alfredo Alcala, publiés aux États-Unis entre 1977 et 1981. Cette intégrale regroupe le premier épisode de Voltar, paru dans le premier numéro de Magic Carpet, ainsi que les huit épisodes suivants parus dans The Rook chez Warren Publishing. On y suit les aventures du héros éponyme, champion du royaume d’Elysium au service du roi Antiochus, qui va devoir libérer sa contrée des hordes de kobolds du seigneur Magog, dont l’invasion préfigure l’Apocalypse. La quête de Voltar l’emmènera jusqu’aux profondeurs de la Terre, à la recherche d’un sauveur qui pourra libérer Elysium. Dans ce périple semé d'embûches à travers un monde hostile livré à des plaies ancestrales, Voltar va affronter les sombres sicaires de Magog, des cavaliers assassins vêtus de noirs qui ne sont pas sans rappeler les Nazgûls de l’univers de Tolkien, et de nombreuses autres créatures fantastiques. Graphiquement, Alcala, dont le style est ici à mi-chemin entre Frank Frazetta et Gustave Doré, propose des paysages démesurés qui invitent au voyage et à l'aventure. On est aspiré par son univers sombre et farouche, rempli de personnages héroïques et de monstres effrayants, et le grand format de l’album permet de profiter à fond de ses planches éblouissantes ! Cette ambiance de fin de monde, où un messie providentiel doit terrasser le malin et où le destin semble inexorable, fait sans doute écho à l’éducation d’Alfredo Alcala, mais aussi à l’histoire des Philippines. Pays très catholique occupé tour à tour par les Espagnols, les Américains, puis les Japonais, avant de connaître la dictature de Ferdinand Marcos, l’archipel Philippin possède une histoire mouvementée dont résulte un cocktail improbable de principes religieux et de culture pulp qui a sans doute influencé par bien des façons le travail de l’auteur. Cultivant un sens du sacrifice tout ce qu’il y a de plus biblique, le vaillant guerrier d’Alfredo Alcala ne recule devant rien pour accomplir sa mission, dans une démarche jusqu’au-boutiste qui rencontre la Fantasy du Seigneur des Anneaux et les mythes et légendes de l’Antiquité. Né en 1925 aux Philippines, Alfredo P. Alcala publie ses premiers travaux dès 1948. Artiste hétéroclite, il s’essaie autant aux histoires de Science-Fiction qu’à la Romance ou à l’Horreur. En 1963, il crée le personnage de Voltar, qui emprunte de toute évidence à l'œuvre de Robert E. Howard, créateur de Conan le Barbare, Kull le Conquérant et Solomon Kane. Ce héros d’une série de quarante-cinq épisodes ; dont on retrouvera le tout premier publié dans Alcala Fight Comix chez Craf Publishers aux Philippines au sommaire de l’intégrale de Neofelis ; répond aux codes classiques de l’Heroic Fantasy, et plus particulièrement du genre Sword & Sorcery. Comme Conan, Voltar est un valeureux combattant ne comptant que sur sa force et son courage pour affronter les forces du mal. Cependant, si le personnage fait parfois preuve de ruse et se montre impitoyable envers ses ennemis, il n’en reste pas moins fidèle à des principes quasi-chevaleresques et se comporte bien plus en héros modèle que le Cimmérien, beaucoup plus enclin aux beuveries et aux comportements irrespectueux envers les femmes que son homologue philippin…  En 1972, Alfredo Alcala commence à travailler comme dessinateur et comme encreur pour DC Comics, notamment sur des séries horrifiques comme House of Secrets, House of Mysteries ou The Unexpected. Pour le même éditeur, il officie également comme encreur sur la série Swamp Thing entre 1986 et 1990. Outre l’Horreur et ses dérivés, Alcala reste très lié au genre qui à fait sa popularité à l'international : l’Heroic Fantasy. En plus de participer à plusieurs numéros des séries Kull the Destroyer chez Marvel et Arak, Son of Thunder chez DC, il va surtout démontrer ses talents de dessinateur et d’encreur sur un grand nombre d’épisodes de Conan the Barbarian et The Savage Sword of Conan. Une forme de consécration pour celui qui a passé une grande partie de sa carrière philippine à mettre en scène les aventures d’un héros largement inspiré par celui de Howard et par les travaux de ses émules, qui firent les belles heures des pulp’s durant la première moitié du vingtième siècle aux États-Unis. Aujourd’hui encore, les comics Conan publiés par Marvel pendant plus de vingt ans, dont les équipes créatives prestigieuses comptent des talents comme Roy Thomas, John Buscema, Earl Norem ou Marie Severin, méritent tout l’intérêt du public. Que ce soit pour le souffle épique des aventures qu’ils présentent ou l’adaptation et le développement de l’univers créé par Robert E. Howard pendant sa courte carrière plusieurs décennies auparavant. Par son travail sur l’une des licences stars des années 1980, Les Maîtres de l’Univers, Alcala marquera aussi l’esprit des plus jeunes en réalisant plusieurs mini-comics promotionnels distribués avec les figurines de la fameuse ligne de jouets de Mattel. Plus exotique encore, il encrera même plusieurs numéros de la série Scooby-Doo de Archie Comics, avant de prendre sa retraite en 1997.Décédé en l’an 2000, Alfredo Alcala aura collaboré avec les plus grands noms de la bande dessinée américaine sur des séries comme Hellblazer ou Kamandi, et son style unique, plusieurs fois récompensé, restera à jamais gravé dans l’histoire des comic books. Grâce à Neofelis Edition, qui nous offre ici un ouvrage à l'envergure patrimoniale essentielle, qui condense tout le pouvoir de la bande dessinée, l’œuvre d’Alfredo Alcala vit et pourra, je l’espère, toucher une nouvelle génération de lecteurs. Enfin, on ne peut qu’adresser un grand bravo à Tristan Lapoussiere pour son travail de recherche et de restauration, avec l'aide du fils d'Alfredo Alcala. La préface et la galerie de couvertures sont richement documentées et permettent d'en apprendre plus sur l'artiste et sur le contexte de publication de ses productions aux Philippines. Évidemment, si vous voulez en savoir plus sur cette intégrale Voltar, je vous conseille d’aller faire un tour sur le site de Neofelis pour soutenir leur démarche ! N’hésitez pas à partager cet article sur les réseaux sociaux s’il vous a plu ! Recevez mes articles, podcasts et vidéos directement dans votre boîte mail, sans intermédiaire ni publicité, en vous abonnant gratuitement ! Get full access to CHRIS - POP CULTURE & COMICS at chrisstup.substack.com/subscribe
Voilà près de trente ans que je lis des comics, et la série dont je vais vous parler aujourd’hui entre sans mal dans le top 3 de ce que j’ai pu lire de mieux dans ma vie. Oui, sur Internet, on adore faire des tops et des classements, alors qu’il n’y a pas plus inutile et subjectif quand on parle d’art. Mais vous avez saisi l’idée : le comic book qui nous intéresse est une véritable pépite : Saga de Brian K. Vaughan et Fiona Staples ! LÀ-HAUT, DANS LES ÉTOILES…Quand Star Wars rencontre Game of Thrones et Les Animaux du Bois de Quat’sous (si, si, je vous assure que le cocktail est valide), ça donne Saga, une série qui porte bien son nom et dont la publication a commencé en 2012 aux États-Unis chez l’éditeur Image Comics. Écrite par Brian K. Vaughan, déjà derrière le comic book à succès Y, Le Dernier Homme, et dessinée par Fiona Staples, Saga commence par la rencontre entre Alana et Marko. Elle est originaire de la planète Continent, dont la population ailée maîtrise une technologie très avancée, tandis que lui est natif de Couronne, le satellite naturel de Continent, dont le peuple, reconnaissable à ses cornes, pratique la magie. En conflit depuis de nombreuses années, les armées de Couronne et de Continent se livrent bataille partout où cela est possible, forçant chacun à choisir son camp à grands coups d’endoctrinement et de propagande. Capturé, Marko se voit emprisonné sur la planète Clivage, où Alana est désignée pour être sa surveillante. Mais de façon tout à fait inattendue, nos deux héros vont briser un véritable tabou en débutant une histoire d’amour. Forcés de prendre la fuite, le prisonnier et sa gardienne vont bientôt devenir la cible de toutes les attentions quand une nouvelle s’ébruite : Alana est enceinte et donc la preuve vivante que l’union entre les habitants de Couronne et ceux de Continent est possible… De leur amour défendu naît Hazel, une petite fille possédant à la fois des ailes, comme sa mère, et des cornes, comme son père. Principale narratrice de l’histoire, Hazel raconte dès lors au lecteur son périple en compagnie de ses parents, désormais considérés comme des traîtres et dont les têtes sont mises à prix. Leur voyage semé d’embûches est l’occasion pour nous de découvrir une foisonnante galerie de personnages à travers des mondes tantôt hostiles, tantôt merveilleux, où Hazel découvre, souvent malgré elle, la véritable nature et parfois les sombres motivations des gens qui l’entourent. Poursuivis et constamment sur le qui-vive, Alana, Marko et leur famille ne peuvent que trop rarement faire confiance à autrui, au risque de tout perdre et de semer le chaos sur leur passage. À l’image de l’univers de Star Wars, Saga brille par l’inventivité des concepts et des personnages présentés, chacun distillant un microscopique fragment d’un univers que l’on imagine sans limite. Les seconds rôles comme Le Testament, chasseur de primes accompagné de son Chat-Mensonge ; capable de déterminer si quelqu’un dit ou non la vérité ; ou bien le Prince Robot IV, chargé de poursuivre Alana et Marko au prix de son honneur, participent à la fois à la tension et au ton satirique de la série. Et si l’on sait ces personnages impitoyables et déterminés à tuer quiconque se mettra en travers de leur route, cela n’empêche pas les auteurs de les rendre attachants, et même de nous faire éprouver de l'empathie envers eux quand leur situation devient critique. Enfin, Hazel, qui reste l’héroïne servant de liant entre tous les autres protagonistes, va grandir au fur et à mesure que la série avance. De ses premiers jours à sa crise d’adolescence, elle est le fil conducteur des lecteurs et des lectrices de Saga, et décrit les événements vus de l’intérieur, avec l’impertinence propre à beaucoup d’enfants. Ce procédé, en plus d’apporter une touche d’humour parfois nécessaire face aux drames que traverse Hazel, aide beaucoup à l’implication et l’identification du lecteur. HAPPY TOGETHER ?Brian K. Vaughan considère lui-même Saga comme une allégorie de la création, comparant la naissance d’un enfant à la conception d’une bande dessinée, avec tous les défis que cela implique. Au fil des épisodes, on verra chaque intervenant ajuster les curseurs de sa propre existence pour mieux s’adapter aux autres et à un environnement en constante évolution, comme si se surpasser et devenir quelqu’un de meilleur était la seule option pour surmonter les difficultés du vivre-ensemble dans un espace infini. De son côté, Fiona Staples pioche dans diverses influences pour donner vie à l’univers de Saga. Impliquée dans le processus créatif de la série depuis le début, elle propose à travers ses planches des paysages colorés, oniriques, et parfois oppressants qui, là encore, invitent à la contemplation et à laisser dériver son imagination dans l'immensité du cosmos, à la rencontre des créatures fantastiques qui le peuplent. En 2018, après cinquante-quatre numéros, Vaughan et Staples annoncent faire une pause pour marquer la première moitié de la publication de la série, qui devrait donc compter cent-huit épisodes au total. En janvier 2022, Saga reprend, et je dois avouer que j’attendais ce retour avec impatience. Une fois encore, la série surprend tout en raccrochant brillamment les wagons, et ce malgré sa longue absence et un saut temporel conséquent dans le scénario. S’il ne fallait qu'une preuve du génie de Vaughan et Staples, elle est là. Si l’on cite notamment Star Wars parmi les grandes influences de Saga, ce n’est pas pour rien. Tout comme la création de George Lucas, la série de Brian K. Vaughan et Fiona Staples se place en héritière de la science-fiction issue des pulp’s et des règles du Space Opera édictées par des auteurs et autrices comme Edgar Rice Burroughs, Edmond Hamilton, Leigh Brackett, Alex Raymond, et plus tard Frank Herbert. Dans le cas présent, on parlera même de Space Fantasy, car en plus des vaisseaux spatiaux et des voyages interplanétaires que leur présence implique, on trouve des éléments scénaristiques appartenant aux registres du Fantastique et de la Fantasy, comme de la magie, avec la langue bleue dérivée de l’espéranto utilisée par les habitants de Couronne, mais aussi des fantômes et autres entités surnaturelles. Au-delà de cette question de classification, finalement très secondaire, l’univers proposé par Vaughan et Staples parvient à être aussi cohérent que farfelu et sait se jouer des codes pour mieux distiller ses messages. Saga, c’est la petite histoire dans la grande, une rencontre anodine dans le marasme d’une guerre ancestrale subie par des peuples qui l’ont reçue en héritage. Évidemment, les parallèles avec des situations bien réelles ne manquent pas, et Vaughan et Staples ne se privent pas de souligner l’absurdité de tels conflits et des dérives politiques et éducatives qui en découlent. Ode à la tolérance, à la diversité des populations, des croyances, des pratiques et surtout des individus, Saga est sans doute le comic book qui porte l’un des discours les plus universels. Qu’il s’agisse d’amour, d’amitié, de confiance en soi et envers les autres, de la façon dont on doit affronter ses peurs et gérer ses frustrations, ou bien encore de la nature humaine dans ce qu’elle a de plus complexe, Saga est une série qui touche toujours juste, d’une façon ou d’une autre, et ça qui que vous soyez.  Si vous voulez découvrir Saga, qui restera pour moi l’une des meilleures bandes dessinées de tous les temps, la série est disponible en français chez Urban Comics. N’hésitez pas à partager cet article sur les réseaux sociaux s’il vous a plu ! Recevez mes articles, podcasts et vidéos directement dans votre boîte mail, sans intermédiaire ni publicité, en vous abonnant gratuitement ! Get full access to CHRIS - POP CULTURE & COMICS at chrisstup.substack.com/subscribe
loading
Comments 
Download from Google Play
Download from App Store