Chronique de Jean-Baptiste Placca

<p>Jean-Baptiste Placca, chroniqueur au quotidien La Croix et fondateur de L’Autre Afrique livre sa vision sur l’actualité africaine de la semaine écoulée. Entre analyse, réflexion et mise en contexte, cette chronique est l’occasion de donner du sens et de prendre du recul sur les événements de la semaine, mais également de revenir sur des sujets parfois traités trop rapidement dans le flot d’une actualité intense.</p>

Si c'est un rêve…

Merci ! Après dix-huit ans de présence sur cette antenne, cet édito est le dernier que vous proposez aux auditeurs de RFI. Alors, on va changer les habitudes. Plutôt que de vous poser la première question, je vous laisse ouvrir le bal… Dans la nuit du 26 au 27 octobre, ministres et dignitaires du régime se succèdent au Palais présidentiel, dans un incessant ballet de rutilantes berlines et de luxueux 4×4. Sur le visage des personnalités qui défilent se lit une certaine gravité, de la consternation, de l’inquiétude. On devine même, ici et là, une réelle angoisse. La capitale bruisse de folles rumeurs. La télévision nationale a positionné dans la cour du Palais son car-régie réservé aux grands événements. On attend une importante annonce présidentielle. Trois jours plus tôt, la proclamation annoncée des résultats avait été subitement reportée, à la demande, paraît-il, du chef de l’État, qui aurait exigé de son état-major la vérité des chiffres. À lire aussiPrésidentielle au Cameroun: Yaoundé se prépare à l'annonce des résultats À l’heure du journal télévisé du soir, un bandeau annonce aux téléspectateurs « un important événement ». 21 heures 20, le générique du JT démarre, répétitif, trois fois plus long que d’habitude. C’est alors qu’apparaît, pimpante et impassible, la présentatrice vedette. Et que dit-elle donc ? « Mesdames et messieurs, bonsoir. Un message solennel du président de la République ». Le drapeau au-dessus du Palais flotte au vent tout au long des soixante-huit secondes que dure l’hymne national. Debout derrière un pupitre, le visage à la fois grave et détendu, le chef de l’Etat démarre posément : « Chers concitoyens, vous avez voté le 12 octobre dans le calme et la sérénité, et je vous en félicite. Au regard des résultats de ce scrutin, j’ai le plaisir et l’honneur historique de vous annoncer que vous avez choisi pour conduire la destinée de notre chère patrie… ». La plupart croient alors rêver en entendant le président prononcer le nom de son ancien ministre et challenger, qu’il félicite avant de lui souhaiter plein succès dans la conduite de la nation. Alors qu’il invite le peuple à s’unir derrière l’heureux élu, on entend, dans le lointain, des clameurs, portées en écho par les sept collines qui enserrent la capitale. Les foules se déversent presque aussitôt dans les rues. Dans toutes les villes du pays, c’est la même liesse débordante. Comme les soirs de grande victoire de l’équipe nationale de football… Rassurez-nous ! C’est bien de la fiction, l’événement que vous évoquez là, n’est-ce pas ? Et cette équipe nationale, ne serait-ce pas Les Lions Indomptables ? Quelle perspicacité ! Pour le pire, l’Afrique est désespérément prévisible. Mais elle peut aussi surprendre, pour le meilleur. Il nous est souvent arrivé de dire ici que l’Afrique est le continent du pire et du meilleur. Le pire est toujours régulier, ponctuel. Quant au meilleur, il surgit à l’improviste, au moment où on l’attend le moins. Sur les faits que nous relatons, les Camerounais seront fixés dans les quarante-huit heures, et nous avec. Si c’est un rêve, il est assumé. Et si la réalité venait à nous contredire, nos certitudes d’espérance vaudront circonstance atténuante. Car, même lorsque sombre toute joie, nous avons le devoir de continuer à croire en ce continent. L’argent, la ruse et l’imposture n’auront pas le dernier mot ! Il suffit de si peu, pour que le Cameroun renoue avec une dynamique positive. Paul Biya a beaucoup à se faire pardonner. Ce sera fait, s’il parvenait à s’extirper du guet-apens tendu par son propre entourage. Peut-être même retrouverait-il alors un peu de cette popularité immense qui a marqué son arrivée au pouvoir, il y a plus de quatre décennies. C’est, ici, le moment de dire merci aux auditeurs. Pour leur écoute vigilante. Pour leurs critiques, leur bienveillance. Je viens de vous, je vais vers vous. D’une manière ou d’une autre, nous nous retrouverons, pour continuer à penser cette Afrique qu’aucun de nous ne peut, seul, porter sur ses épaules.

10-25
12:53

Des dirigeants de meilleure qualité

Pour ne pas risquer de se retrouver avec pire que ce que les peuples rejettent, des tamis de vigilance s’imposent désormais dans la sélection des candidats à la magistrature suprême. À Madagascar comme ailleurs. Acculé par une jeunesse malgache pleine de détermination, Andry Rajoelina a déserté le pays, et l’Assemblée nationale l’a destitué. L’armée a pris les commandes, et le colonel Randrianirina, devenu héros pour avoir exhorté ses camarades militaires à refuser de tirer sur leurs amis, frères et sœurs manifestants, a été investi par la Haute cour constitutionnelle. Ne faut-il pas s’en réjouir ? Il y a peu de monde pour pleurer ce président largement comptable du passif instable de Madagascar. Pour autant, la liesse saluant sa chute ne constitue en rien la garantie d’un avenir radieux pour les Malgaches, qui ont dû déchanter tant de fois par le passé ! Les espérances que suscite la fin d’un régime décrié demeurent un mirage, aussi longtemps que les peuples oublient de tirer les leçons de leurs déconvenues antérieures. On parle, ici, de refondation. Mais celle-ci n’est possible que si tous les acteurs se situent au même niveau de sincérité, avec le même degré d'exigence. Après plus de six décennies à trébucher, tomber, se relever pour trébucher à nouveau, tomber encore et se relever, peut-être est-il temps, pour les Malgaches, et pas seulement eux, de reprendre leur souffle, pour penser enfin une manière judicieuse d’avancer surement. À certains égards, l’admiration dont déborde l’Afrique pour la détermination victorieuse de la jeunesse malgache rappelle celle des Burkinabè qui, en octobre 2014, ont chassé du pouvoir Blaise Compaoré. Celui-ci, après vingt-sept ans d’un règne sans partage, se croyait indétrônable. Un héliport de fortune dans les faubourgs de la capitale ; une exfiltration par un avion militaire français ; et tout était terminé. Comme Compaoré, Rajoelina a eu la désertion buissonnière. Par le chemin des écoliers ! Seize ans après, ce qu’est devenu le Burkina invite les Malgaches à une impérieuse vigilance, à plus d’exigence. En quoi consisteraient donc cette vigilance et ces exigences ? Aussi enivrantes qu’elles soient, ces phases de grande effervescence n’ont d’intérêt que par rapport aux leçons qu’en tirent les peuples. Ceux qui se retrouvent au pouvoir ont rarement le même agenda que les révolutionnaires qui ont risqué leur vie pour faire tomber le régime rejeté. Pour prendre le pouvoir, politiciens, militaires et autres troisièmes larrons rivalisent de stratagèmes qui, tôt ou tard, ramènent les populations à leurs frustrations de départ. La Refondation annoncée n’a de chance d’aboutir que si les maîtres de la transition demeurent sous pression, contraints d’agir vite, dans le sens de l’intérêt général. Sans quoi, dans quelques semaines, ils auront pris goût au pouvoir et tourné le dos à l’idéal révolutionnaire. En Afrique, les peuples qui font une confiance aveugle à des militaires prompts à leur promettre le paradis sans aucun chronogramme s’exposent aux pires désillusions. Quant au programme de la refondation, il est contenu dans les exigences déclamées durant les manifestations. Il s’agit, à présent, de les coucher sur papier, d’indiquer quand, comment et avec quels moyens les traduire en actes, sans cacher aux citoyens les efforts que cela implique de leur part. À lire aussiMadagascar: le mouvement Génération Z à l’origine de la contestation détaille ses revendications Tout cela ne suppose-t-il pas le retour à l’ordre constitutionnel, avec un chef d’État élu ? Bien évidemment ! Au peuple de ne pas se tromper sur le profil des candidats à la magistrature suprême. Les Malgaches pouvaient-ils espérer d’Andry Rajoelina autre chose que l’impasse dans laquelle il les a conduits ? Tout, dans son profil, aurait dû les mettre en garde. Diriger une nation africaine n’est pas un job pour des jouisseurs superficiels, pour qui tout se rapporte à ce qu’on appelle de manière triviale "la tchatche". Interrogées séparément sur les qualités que devrait avoir le président idéal pour leur pays, des femmes d’affaires ouest-africaines confiaient naguère ceci : « D’abord, ce doit être quelqu’un qui mange à sa faim chez lui. Parce que, disaient-elles, nous ne voulons pas d’un président qui vienne résoudre ses problèmes de carrière, et même de survie, aux dépens du peuple ». Un pays sous-développé ne peut s’offrir à un dirigeant qui ne peut justifier d’un parcours professionnel clair et convaincant. Qui n’a jamais eu sous sa responsabilité plus de dix collaborateurs, en entreprise ou dans l’administration. Pour ne pas risquer de se retrouver avec pire que ce que les peuples rejettent, des tamis de vigilance s’imposent désormais. À Madagascar comme ailleurs… À lire aussiÀ Madagascar, les manifestants de la GenZ veulent rester vigilants sur le respect des revendications

10-18
04:43

Du bon usage électoral

Tous les chefs d'État ne se valent pas, en Afrique. Les conditions de son élection et les moyens dont chacun use pour accéder à la magistrature suprême déterminent la perception que son peuple (et l'opinion continentale) a de sa personne. Et ce peut être important pour « sa » gestion des affaires… Cameroun, Côte d’Ivoire, Tanzanie… Sur le continent africain, trois présidentielles se tiennent en ce mois d’octobre, en plus de toutes celles déjà organisées cette année, et des autres, prévues d’ici à fin décembre. Pourquoi l’élection présidentielle, pourtant ancrée dans les traditions, continue-t-elle de générer autant de tensions en Afrique ? Dans bien des pays, le pouvoir est concentré entre les mains du seul chef de l’État. Qui peut faire la fortune de qui lui plaît ; causer la ruine de qui il veut ; et même entraver la liberté de qui le gêne. D’où le sentiment qu’à la présidentielle se joue le sort personnel de chaque citoyen pour la durée du mandat. La manière dont se conquiert la magistrature suprême est loin d’être anodine. Dans les nations crédibles, les scrutins libres et transparents sont l’unique mode d’accession au pouvoir. L’Afrique, elle, se distingue encore souvent de manière peu glorieuse, avec les coups d’État, les réélections douteuses, qui jettent le discrédit sur la fonction présidentielle. Ce continent revêt des réalités multiples. Mais, par facilité, certains usent de formules expéditives pour qualifier l'Afrique, en se référant, en plus, aux tares des États les moins présentables. Ainsi, les mauvaises manières de quelques-uns en viennent à définir l’image de tous. Et ce n’est pas sans conséquences : l’an dernier, le président William Ruto, s’étonnant de voir augmenter les taux appliqués aux emprunts de son pays, le Kenya, découvrait, abasourdi, que les agences de notation avaient intégré au risque-Kenya le coup d’État survenu au Niger. Ignoraient-ils que 5642 kilomètres séparent ces deux pays ? Ramener l’ensemble du continent au niveau des cancres relève de la paresse intellectuelle. L’Afrique compte de véritables États démocratiques, performants sur le plan économique, qui ont peu à envier aux autres. La médiocrité n’est pas une fatalité, en Afrique. Mais, pour éviter ces amalgames, les Africains eux-mêmes devraient savoir être, dans la quête de l’excellence, ambassadeurs, les uns pour les autres. Il y a une trentaine d’années, le Sénégalais Kéba Mbaye, juge à la Cour internationale de justice de la Haye et vice-président du Comité international olympique avait initié l’harmonisation du droit des affaires en Afrique. Depuis, l’Ohada existe, qui rassure les milieux économiques et simplifie les échanges confiants entre États africains et avec l’extérieur. C’est du panafricanisme palpable, concret. Puisque les élections douteuses nuisent, y compris aux économies, et bien au-delà des pays qui s’y complaisent, pourquoi ne pas harmoniser, avec la même rigueur, les pratiques électorales ? Sur ce continent, tous les chefs d’État ne se valent pas. Les moyens par lesquels certains se hissent au pouvoir ou s’y maintiennent sont d’une troublante disparité, sans légitimité, sans respectabilité. Et les peuples ne sont pas toujours très fiers de ceux qui sont censés les diriger. Les élections ne relèvent-elles pas de la souveraineté des États ? Étant donné que tous arborent le pavillon « Afrique », chacun devrait se sentir responsable pour les autres. Et cela commence par les comportements électoraux, qui ont une incidence sur vos voisins. Cap Vert, Botswana, Ghana, Nigeria, Bénin et d’autres pays africains ont des usages suffisamment crédibles pour inspirer l’ensemble du continent. Au Sénégal, depuis un quart de siècle, en période d’élection, les plus sérieuses stations de radio et chaînes de télévision agissent en acteurs civiques. Les résultats parcellaires que relaient au fur et à mesure ces médias situent le citoyen qui peut, deux heures après la clôture du vote, esquisser par lui-même les grandes tendances. C’est exactement ce que font les Américains. Et c’est plus honorable que de maintenir la population dans le brouillard, en attendant qu’un ministre servile ou une commission électorale aux ordres vienne, au cœur de la nuit, asséner des résultats manufacturés, sans aucune traçabilité. Pour mieux museler leurs concitoyens, certains régimes tricheurs vont jusqu’à couper les liaisons téléphoniques et internet. Curieusement, ce sont ceux-là qui se revendiquent, urbi et orbi, comme État démocratique. Mais tout cela, sans la transparence, n’est juste qu'une imposture de plus.

10-11
04:35

Toujours plus décevants !

Ils gouvernent tous de la même manière, enchaînent plus ou moins les mêmes travers, et finissent, presque tous, poussés vers la sortie par la rue. Peut-être est-il temps, pour les Malgaches comme pour quelques autres peuples africains, de se montrer plus exigeants dans le choix de leurs dirigeants… À Madagascar, Andry Rajoelina a eu beau congédier son gouvernement, cela ne semble pas suffire à calmer une opinion, qui appelle de plus en plus à sa démission. Outre la paupérisation généralisée, le mouvement « Gen Z », la jeunesse en révolte, lui reproche les centaines de blessés et la vingtaine de manifestants tués durant la répression brutale. Mais que dire des accusations lancées par le président, sur une gigantesque cyberattaque orchestrée depuis l’étranger, et qui viserait à le renverser, avec la complicité de politiciens malgaches ? Dans leur exaspération face à l’incurie de certains de leurs dirigeants, il arrive de plus en plus souvent aux populations d’exiger, en effet, la démission d’un chef d’Etat qu’ils jugent responsable de leurs malheurs, sans que cela résulte nécessairement d’une vaste conspiration ourdie de l’étranger. Que ses adversaires politiques profitent du mécontentement général est d’une évidence qui ne devrait point surprendre Andry Rajoelina, au regard du chemin tortueux qui l’a mené, lui-même, au pouvoir. Après tout, si son pays a une telle expertise en matière d’interruption brutale des mandats présidentiels en cours à partir de la rue, c’est en partie grâce à lui. À lire aussiMadagascar: le mouvement Gen Z se dote de huit porte-parole De tous les peuples africains qui ont renoué avec la démocratie formelle au tournant des années quatre-vingt-dix, les Malgaches ont été, en 1996, les premiers, en Afrique, à destituer, par une procédure régulière d’impeachment, un chef d’Etat en fonction, le professeur Albert Zafy. Beaucoup prédisaient alors à cette démocratie une trajectoire exemplaire. C’était sans compter sur les politiciens pressés, tel Andry Rajoelina, habiles à instrumentaliser la rue, pour s'en faire une courte-échelle vers le pouvoir. La dureté de la vie, comme les coupures d’eau et d’électricité dont se plaignent ces jeunes ne sont-elles pas le lot de très nombreux Africains ? À des degrés divers, oui. Mais, en écoutant leurs griefs, on se demande quels travers de ses infortunés prédécesseurs Rajoelina n’a pas reproduits. Mais il est dans le déni, et sa prestation télévisée de ce jeudi trahit juste une cécité et une surdité propres à conforter ceux qui l’accusent de gouverner moins pour son peuple que pour lui-même et une oligarchie aux réflexes de bourgeoisie comprador. De tout temps, ce type de régime a fini mal. Il faut juste espérer que cela n’entraine pas encore plus de violence, encore plus de blessés, et toujours des morts. À lire aussi«Rajoelina n'a pas compris le message»: à Madagascar, l'opposition se range derrière la Gen Z Il vient un temps où tout peuple enchaînant à un tel rythme des dirigeants aussi décevants a le devoir, impérieux, de redéfinir les critères de sélection de ceux à qui il confie son destin. Cela est valable pour les Malgaches, valable aussi pour tous les Africains.  À ce point ? Pourquoi se voiler la face ? Au regard de la facilité avec laquelle on peut prétendre à la magistrature suprême dans de nombreux Etats, la moitié, au moins, des pays africains peut aisément échouer, demain, entre les griffes de dirigeants douteux, voire dangereux. Dès lors qu’ils peuvent disposer d’importants moyens financiers, margoulins et autres faussaires peuvent, à coups de messages sur-mesure et de promesses intenables, abuser de la crédulité de populations déjà à bout de souffle. Face à eux, la poignée d’hommes politiques sérieux qu’il reste a peu de chance, surtout s’il tente de persuader les populations de la nécessité de travailler dur, pour construire un destin national viable. Dans les véritables démocraties, à l’approche des grandes échéances, les journalistes questionnent le parcours des prétendants. Certes, quelques imposteurs parviennent à se faufiler entre les mailles du filet. Mais la plupart sont démasqués et doivent jeter l’éponge, avant qu’il ne soit trop tard. En 2017, en France, François Fillon avait dû sortir du jeu, pour un péché qui, dans bien des pays africains, aurait paru véniel. Dans une démocratie solide, en dehors du discrédit, les incidences de l’accession au pouvoir de dirigeants douteux sont atténuées par la solidité des institutions. Dans une Afrique fragile, de telles erreurs sont un passif, dont l'apurement, parfois, peut condamner toute une nation à végéter longtemps.

10-04
04:34

L'Afrique, entre Israël et Palestine: migration des solidarités

Quelques grandes capitales occidentales viennent d’annoncer la reconnaissance de l’État palestinien, adoubé, depuis 1988, par la quasi-totalité des pays africains. Mais, lorsque à la tribune des Nations unies, des dirigeants africains ont fait, cette semaine, un vibrant plaidoyer pour le peuple palestinien, certains se sont dits que l’Afrique, majoritairement, est hostile à Israël. La plupart des peuples africains ont, avec les Israéliens, des liens qui remontent à l’aube des indépendances. Cela n’interdit pas la compassion pour les Palestiniens, au regard du déferlement de violence qu’ils subissent. Et c’est à dessein que, citant le Dr Kwame Nkrumah, père de l’indépendance ghanéenne, John Dramani Mahama, son lointain successeur, a déclaré : « Nous voulons être l’ami de tout le monde, l’ennemi de personne ». En mars 1957, Kwame Nkrumah avait justement invité la cheffe de la diplomatie israélienne Golda Meir, pour l’indépendance du Ghana. C’est là qu’ont été posées les fondations de la coopération entre l’Afrique et l’État hébreu, sans doute une des plus fructueuses entre les Africains et quelques autres peuples. Cela n’exclut pas, par moments, quelques réflexions excessives ou hostiles au gouvernement israélien. Mais les Africains qui ont de la mémoire savent distinguer ce peuple dont beaucoup étaient proches, durant les 15 premières années des indépendances, de ses dirigeants du moment. Golda Meir suscitait, sur le continent, une réelle ferveur : « Nous partageons avec les Africains non seulement les défis qui vont avec la nécessité d'un développement rapide, mais aussi le souvenir de siècles de souffrances : oppression, discrimination, esclavage. Pour les Africains, comme pour les Juifs, ce ne sont pas de simples clichés, liés à de lointaines expériences vécues par des ancêtres oubliés ; ils sont en rapport avec des tourments et des humiliations qui ne datent que d'hier », disait-elle. À lire aussiFrance: le président Emmanuel Macron reconnaît l'État de Palestine à l'ONU S'inspirer de l'écrivain hongrois Theodor Herzl Elle semblait s'inspirer de Theodor Herzl, journaliste et écrivain austro-hongrois. Ce dernier écrivait que la question africaine était d’une tragédie profonde, qui ne pouvait être appréhendée que par un juif. Il évoquait ces êtres humains qui, uniquement parce qu'ils étaient noirs, étaient volés comme du bétail, capturés, faits prisonniers, vendus. Leurs enfants grandissaient en terre étrangère, objets de mépris et d'hostilité, à cause de la couleur de leur peau. Theodor Herzl disait espérer, dès lors qu’il aura assisté à la rédemption des juifs, voir aussi celle des africains. Il est mort en 1904. Mais son roman, « Altneuland », était le bréviaire de Golda Meir. L'ancienne ministre des Affaires étrangères, devenue également Première ministre, a déployé, dans toute l'Afrique, entre 1958 et 1973, des milliers d'experts israéliens en agriculture, en hydrologie, en santé publique, et divers autres domaines. Ces experts, parfois très jeunes, vivaient avec les populations, dans une simplicité inimaginable chez le colonisateur ou le coopérant occidental. Des milliers d’Africains étaient aussi formés en Israël, et rapportaient chez eux un peu de cette technicité grâce à laquelle, sur une terre austère, les Israéliens avaient su créer de la prospérité. Golda Meir se disait particulièrement fière de ce programme de coopération. Mais a avoué son amertume, lorsqu’en 1973, les États africains, collectivement, ont rompu les relations avec Israël. « Pour bénéficier à nouveau de notre amitié, ils devront vraiment la mériter », avait-elle prévenu. À lire aussiLa Palestine, un État déjà reconnu par 52 des 54 pays du continent africain Une interruption brutale en 1973 Tout cela s'interrompt brutalement en 1973 par solidarité avec l’Égypte, pays africain, dont une partie du territoire était occupée par Israël. Mais, même après la réconciliation israélo-égyptienne à Camp David, en septembre 1978, certains États africains ont continué à boycotter Israël. Dans leur rancœur, la cause palestinienne a pris le relais de la solidarité avec l’Égypte. Et lorsque, finalement, la plupart renouent avec Israël, ils ne demandent pas ces technologies, qui permettent d’aller chercher, 800m sous terre, dans le désert du Néguev, de l’eau, saumâtre, d’en utiliser la chaleur pour chauffer les serres durant les nuits froides, pour ensuite l’utiliser pour élever des poissons d’eau de mer puis, tout au bout de la chaîne, arroser les fruits et légumes. Non, la plupart préfèrent payer cher pour avoir une protection israélienne infaillible. Mais uniquement pour le chef de l’État et quelques surveillances téléphoniques. À chacun son sens des priorités.

09-27
05:06

Et vive l'inconséquence des opposants!

Dans nombre de pays africains, les dirigeants et régimes décriés doivent leur pérennité autant aux inconséquences de leurs oppositions qu'au soutien aveugle et zélé de leurs partisans. Il était annoncé comme une simple révision technique, mais le projet adopté, cette semaine, par l’Assemblée nationale, au Tchad, est important. Il porte sur la durée et le nombre de mandats que peut briguer le président de la République. Pourquoi cette révision constitutionnelle génère-t-elle autant de controverse ? Sans doute parce que les Tchadiens, entre les intentions proclamées et la réalité qu’ils vont devoir subir, craignent, encore une fois, un traquenard. Les dispositions adoptées par 171 des 188 députés rallongent de deux ans le mandat conquis il y a tout juste seize mois par Mahamat Idriss Déby. Et il pourra, ensuite, en briguer autant qu’il voudra. La seule voix contre était celle d’un député de l’opposition, resté dans la salle, alors que ses autres collègues en étaient sortis, après qu’un élu de la majorité ait proposé, sous prétexte d’économies, la présidence à vie pour le président, dont le pouvoir serait d’émanation divine. Que des élus de la République en viennent à vouloir sécuriser ad vitam aeternam le pouvoir d’un président qui n’a encore opéré aucun miracle dans ses fonctions est d’une désespérante niaiserie. Ils auraient pu inscrire toutes ces dispositions dans la Constitution adoptée en décembre 2023. Mais, peut-être auraient-elles paru trop indécentes, avant les élections. Il est toujours plus facile de laisser tomber les masques, quand on est déjà installé au pouvoir, et que les électeurs ne peuvent plus fuir. C’est en cela que résident les soupçons de supercherie. D’où viendraient donc ces supercheries ? À la mort d’Idriss Déby Itno, en avril 2021, on avait fait croire que le Tchad, trop vulnérable, risquait d’être livré aux rebelles, si la succession s’opérait dans le respect de l’ordre constitutionnel. C’était la justification, pour installer son fils Mahamat, militaire, dans le fauteuil présidentiel, alors qu’il n’avait même pas l’âge requis pour assumer de telles fonctions. Les parrains assuraient alors que cela ne durerait que le temps d’une brève transition. La suite, cinglante et sanglante, est encore gravée dans toutes les mémoires. Quatre ans plus tard, alors que le premier mandat de cet héritier court encore, des aménagements constitutionnels sont pris, pour s’assurer que sa présidence s’éternise. Et ses concitoyens, naturellement, suspectent une nouvelle supercherie…. Il n’empêche. Indexer les seuls tyrans, despotes et autres dirigeants plus ou moins autoritaires revient à exonérer leurs partisans, leur entourage, comptables, au Tchad comme ailleurs, des retards qu’accusent les nations. Tout comme, d’ailleurs, les opposants qui, par leurs actes et inconséquences, concourent grandement à la pérennité de régimes et dirigeants décriés, comme nous le rappelle sans cesse l’actualité. En quoi les opposants sont-ils comptables de la pérennité de régimes qu’ils combattent ? De manière consciente ou pas, ces opposants posent des actes qui engagent leur responsabilité. Ces derniers temps, au Cameroun, les opposants, historiques ou de fraîche date, tentent de persuader l’opinion de la nécessité d’en finir avec le régime de Paul Biya. Mais, en même temps, tous déclinent l’invitation à présenter une candidature unique face au président sortant. Dans ce scrutin qui se joue à la proportionnelle à un tour, onze candidats, dont aucun n’imagine devoir sacrifier sa petite personne pour faire gagner l’opposition. C’est la défaite garantie, le 12 octobre prochain, face à Paul Biya qui, si les dieux du Dja-et-Lobo lui prêtent vie, sera centenaire, au terme du prochain mandat. Ces opposants sont donc comptables, comme les recalés qui, en Côte d’Ivoire, préfèrent laisser un boulevard au président qu’ils accusent de tous les maux, plutôt que de soutenir tel ex-allié, tel frère-ennemi ou telle âme, jadis sœur… Entre le zèle imbécile des partisans et l’inconséquence des opposants, plus vindicatifs à l’égard d’autres opposants que vis-à-vis de celui qu’ils désignent comme leur principal adversaire, les dirigeants cramponnés au pouvoir et à ses privilèges savent qu’ils ont de beaux jours devant eux. Et ils en jouent. Avec une cynique délectation.

09-20
04:31

Silence aux pauvres

Là où les politiques se servent des leviers du pouvoir pour affamer leurs adversaires et même la presse, la démocratie n'a aucun avenir. Cela est valable pour le Sénégal, comme pour tous les autres pays du continent. Privés de la manne publicitaire des agences gouvernementales et sociétés d’État, nombre de médias du Sénégal risquent l’asphyxie. Ces contrats représentaient jusqu’à 70% des recettes de certains de ces organes, qui accusent le Pastef, au pouvoir, de vouloir leur mort. Exagèrent-ils ? Avec une telle dépendance, ces médias survivraient difficilement à la suppression de tels budgets publicitaires. Depuis des mois déjà, ils dénonçaient des mesures de rétorsions. Lors d’un meeting, en juillet dernier, le Premier ministre Ousmane Sonko s’en est pris, nommément, au Groupe Futurs Médias, de Youssou N’Dour, en se promettant de le combattre jusqu’au bout. Certes, sous Macky Sall, le Pastef avait connu brimades et persécutions, et certains médias ont pu se ranger du côté du pouvoir pour les accabler. Mais, les nouveaux maîtres du Sénégal auraient pu, dans la victoire, se montrer grands seigneurs, en pardonnant ou, au moins, en feignant l’oubli. Dans un environnement aussi paupérisé, certains journalistes réputés solides auraient probablement retourné leur boubou, et ç’aurait été, pour ces jeunes dirigeants, une victoire bien plus élégante que des représailles de masse, qui emporteront fatalement quelques médias crédibles, parmi les meilleurs du Sénégal. Asservir la presse avec des contrats émanant d’entreprises appartenant à tous est-il si différent de l’usage partisan du bien public que Ousmane Sonko reprochait à Macky Sall ? Nul ne peut prévoir les dérives de l'insuffisance de recettes publicitaires : au début du siècle dernier, la presse française, en contrepartie d’une énorme manne publicitaire, avait choisi de taire les faiblesses politiques et économiques de l'empire tsariste, pour favoriser les emprunts russes, au détriment des épargnants de la place de Paris. L’historien Pierre Albert conclura à une abominable vénalité de cette presse. N'est-ce pas naturel qu’un pouvoir politique désire une presse avenante ? À quel prix ? Depuis leur accession au pouvoir, quelque 400 médias ont vu leur autorisation de publication ou de diffusion remise en cause, pendant que surgit une génération spontanée d’organes nouveaux, à la gloire du Pastef. Au Sénégal, cela porte un nom : le clientélisme ! Florissant, de Senghor à Sall, en passant par Diouf, Wade... Et si le duo Faye-Sonko le perpétue, la démocratie sénégalaise continuera à ne pouvoir séduire qu’à l’occasion des alternances. La vocation d’une presse crédible n’est pas de servir les régimes qui passent, mais l’intérêt général, la nation. Cette évidence, les dirigeants d’envergure savent l’admettre. Tel le général de Gaulle, qui a voulu, en 1944, un journal de référence, en France, pour en finir avec les titres complices de l’avilissement de la nation. Conscient du tort qu’une presse sans scrupules peut causer à un peuple, il a confié à Hubert Beuve-Méry, journaliste compétent et crédible, la charge et les moyens de créer un grand quotidien de salubrité publique. Durant toutes les années passées par le général au pouvoir, Le Monde l’a constamment critiqué. De Gaulle s’en agaçait, mais supportait, parce que ce journal, il l’avait voulu pour le bien du pays, et pas pour lui. Tout le monde n’est évidemment pas de Gaulle. Mais tout bon leader devrait comprendre l’utilité d’une presse sérieuse pour la grandeur d’une nation. Les médias médiocres ou complaisants ne séduisent que les dirigeants de peu d’envergure… Encore faut-il que les journalistes eux-mêmes veillent sur leur crédibilité… À eux de se prémunir contre les politiciens rétifs à la critique, en faisant le ménage dans leurs rangs. Plus de 400 organes rayés de la liste, au Sénégal, et les effectifs demeurent effrayants ! Chaque mosquée doit-elle avoir son journal, chaque minaret sa radio, sa télévision ? Là où les journalistes ne prennent pas les devants pour assainir leur corporation, les politiques finissent par leur imposer d’inquiétants agendas. Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire, le politique, sous toutes les latitudes, a toujours usé de leviers financiers pour dompter les journalistes, asphyxier financièrement les journaux récalcitrants. C’est en réaction au cautionnement que le théologien français Lamenais, en août 1848, lança dans l’ultime numéro de son journal, « Le Peuple constituant », ce cri mémorable : « Il faut de l'or, beaucoup d'or pour jouir du droit de parler. Nous ne sommes pas riches. Silence aux pauvres ! ».

09-13
04:43

Ce Bénin qui n'en finit pas d'étonner

Au Cameroun, Paul Biya, 92 ans, s’apprête à rempiler pour un huitième mandat, le mois prochain, tandis qu’en Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, 83 ans, en briguera un quatrième. La vedette du moment est pourtant le Béninois Patrice Talon, qui vient de désigner son dauphin, confirmant son départ du pouvoir en avril prochain. L’admiration qu’il suscite est-elle justifiée ?  Dresser des colonnes d’apothéoses à la gloire d’un chef d’État, simplement parce qu’il se conforme à une limitation de mandats prescrite par la Constitution de son pays, relève d’une certaine facilité intellectuelle. Si ne pas contourner une règle ou un interdit suscite autant d’effusions, c’est parce que la propension des dirigeants africains à rudoyer la loi fondamentale est telle que beaucoup sont émerveillés, lorsque certains s’abstiennent de tricher. En Afrique, les resquilleurs prospèrent surtout dans le microcosme francophone. Anglophones et lusophones sont d’ordinaire plus respectueux des textes. En Afrique de l’Ouest, en dehors de la Gambie, revenue depuis peu à la démocratie après deux décennies de despotisme, aucun chef d’Etat anglophone n’a effectué plus de deux mandats, depuis 1992, au Ghana ; 1996, en Sierra Leone ; 1999, au Nigeria ; et 2006, au Liberia. Au Cap-Vert, Aristides Pereira est le dernier à avoir assumé trois mandats, en 1991. Même la Guinée-Bissau, avec ses travers, s’efforce de respecter cette limitation. Par contre, sur huit pays francophones, seul le Bénin s’est régulièrement conformé, depuis 1991, à cette règle. Partout ailleurs, la Constitution a subi de malicieuses révisions. Au Sénégal, Abdoulaye Wade a ainsi pu briguer, en 2012, un troisième mandat, que les électeurs lui ont refusé. À lire aussiBénin: le principal parti d'opposition sécurise les parrainages pour son candidat à la présidentielle Le Bénin, l’unique bon élève francophone ? L’opinion et les quatre dirigeants de l’ère démocratique, au Bénin, ont su préférer leur patrie au piège du troisième mandat. Battu, en 1996, après son premier mandat, Nicéphore Soglo a cédé le pouvoir à Mathieu Kérékou, qui n’a pas plus succombé à la tentation, en 2006, que Thomas Boni Yayi, en 2016. Pour ce pays, qui passait jadis pour le champion continental des coups d’État, ce sursaut est salutaire. Cette constance a conforté la crédibilité du Bénin et facilité les remarquables progrès économiques relevés ces dix dernières années. Avec un peu de sérieux et de rigueur, la stabilité démocratique finit toujours par favoriser le développement économique. La fulgurante ascension de Romuald Wadagni inconnu au Bénin il y a dix ans Peu après son élection, Patrice Talon en avait agacé plus d’un, en déclarant que son pays manquait de cadres compétents. Dans l’absolu, il n’avait pas tort. Et il a dû embaucher, déployer des moyens, pour attirer les compétences, notamment de la diaspora. Il a su détecter, former, motiver et promouvoir, sans ostracisme, y compris dans des secteurs de pointe. Y compris pour prendre le gouvernail de la nation. Et ce dauphin, rallié seulement six mois avant son élection, est un pur produit de la boulimie de compétences de ce président-capitaine d’industrie. Le choix de Romuald Wadagni devrait faire réfléchir tous ceux qui, à Yaoundé, ne cessent de clamer que seul leur champion de 92 ans a l’envergure pour diriger le Cameroun. Cela vaut aussi matière à réflexion pour ceux qui, jusqu’à ces dernières semaines, suppliaient Alassane Ouattara de rempiler pour un quatrième mandat, parce que nul d’autre que lui ne pouvait bien diriger la Côte d’Ivoire. De telles obséquiosités peuvent certes les conforter dans les bonnes grâces d’un chef d’État. Mais, l’apologie de la présidence à vie finit toujours par jeter le discrédit sur la compétence même d'un entourage présidentiel. Si Patrice Talon a pu, en moins de dix ans, détecter et promouvoir des éléments capables de lui succéder, pourquoi donc, après 15 années aux côtés d’Alassane Ouattara, ou 43 dans l’ombre de Paul Biya, les maîtres de la flagornerie s’avouent-ils inaptes à prendre la relève ? Même du temps de la présidence à vie, certains dirigeants visionnaires savaient passer le relais : Senghor, Ahidjo, Nyerere… et Mandela lui-même, à qui l’ANC et l’Afrique du Sud auraient péniblement survécu, s’il avait attendu de mourir au pouvoir.

09-06
04:31

Au Cameroun, quand le griot se fait détracteur…

Naguère chantre zélé du régime Biya, un ancien ministre de la Communication (et porte-parole du gouvernement) alerte : ce système politique est à bout de souffle. En parler relève-t-il de la traîtrise ou de l'œuvre de salubrité publique ? Moralité : ne jamais désespérer de l'être humain… Deux défections majeures, dans la coalition au pouvoir au Cameroun, et une petite fronde au sein du parti majoritaire laissent craindre que la présidentielle d’octobre prochain puisse ne pas être, pour Paul Biya, une promenade de santé. La sérénité affichée par l’entourage présidentiel serait-elle donc feinte ? En ouverture du bal des défections, le ministre Issa Tchiroma Bakary a osé l’expression : fin de règne. La sérénité n’est qu’une posture quand, à l’approche d’une présidentielle, on accuse un tel déficit d’enthousiasme. Issa Tchiroma, naguère griot totalement dévoué au président, décline, avec une troublante liberté de ton, l’interminable liste des insuffisances, et conclut que ce n'est plus Paul Biya qui gouverne le pays, mais des intérêts occultes antagonistes. Le plus cruel, pour un système politique vieillissant, est de voir un de ceux qui le défendaient étaler sur la place publique les secrets de famille. À lire aussiCameroun: après la démission d'Issa Tchiroma Bakary, l'avenir de l'ex-ministre pose question Issa Tchiroma Bakary reproche poliment à Paul Biya de considérer le pouvoir comme sa propriété, et d’être incapable, après quarante-trois ans, de désigner quelqu'un qui puisse lui succéder. Il affirme que Biya n’exercer plus le pouvoir que par procuration. Par délégation. Que ce soit l’ancien griot servile qui le dise fait encore plus mal que ce qu’il dit. Ses anciens alliés au pouvoir ne pourraient-ils pas minimiser son poids réel ? Seuls les résultats d’un scrutin transparent pourraient indiquer ce que représentent effectivement les deux ministres qui font défection. En attendant, on aurait tort, du côté du pouvoir, de mépriser certaines réalités et certains chiffres, dans un pays où le suffrage universel a toujours une coloration régionale, parfois dangereusement ethnique. Chaque grand leader politique a son fief électoral, un ancrage qui détermine son importance. Bello Bouba et Issa Tchiroma comptent parmi les grands leaders de ce que l’on englobe, au Cameroun sous l’appellation de Grand-Nord, région septentrionale du pays, dont les populations n’ont pas que des compliments à faire au régime Biya. À lire aussiCameroun: ces ministres qui ont osé défier le président Biya Par ailleurs, dans ce pays de 30 millions d’habitants, Paul Biya avait remporté la présidentielle de 2018 avec 2 550 000 voix, dont 1 700 000 dans ce seul Grand-Nord. Et entre la présidentielle de 2011 et celle de 2018, son score avait connu une érosion de quelque 1 820 000 voix. Partout ailleurs, de tels chiffres auraient inquiété. Pourquoi la fronde interne au RDPC fait-elle ricaner certains dignitaires du régime ? Il est plus facile de feindre la suffisance, ou même l’arrogance, que de s’interroger sur le fond des griefs de cet élu local qui s’est déclaré candidat, en faisant valoir que Paul Biya n’était plus, de fait, président du RDPC, depuis l’expiration de son mandat, en 2016. Tous auraient oublié d’organiser un congrès. Pourquoi importuner Paul Biya avec d’aussi dérisoires préoccupations statutaires ? Avec ou sans congrès, il est président du RDPC. Le parti lui appartiendrait. Et c’est bien triste. Pour le reste, reprocher au chef de l'État l’absence de conseils des ministres, ces quatorze dernières années, semble vain. Car le sort des conseils des ministres, sous Paul Biya, est connu. Après tout, il n’y a pas non plus de conseil des ministres aux États-Unis. Un État bien organisé peut fonctionner sans ce rituel. Surtout avec un président comme Paul Biya, grand commis de l’État, qui connaît parfaitement l’administration et dont le cabinet a toujours été structuré pour avoir prise sur les attributions des ministères importants. Ses conseillers maitrisent certains dossiers, mieux que les ministres concernés, qui peuvent ne pas être indispensables... En privé, certains, dans l’entourage présidentiel, se vantaient naguère de ce que le Cameroun, même avec un tel fonctionnement, s’en sortait plutôt bien. Sauf que nul ne sait comment le Cameroun s’en serait sorti avec une organisation plus… classique. Exactement comme on ignore les exploits qu’auraient réussis, au plan continental et mondial, l’équipe nationale de football, les Lions Indomptables, si elle avait été dirigée de manière plus rigoureuse. Mais ici, on se contente des petits feux d’artifice, pour excuser l’improvisation et la désorganisation généralisée. Lorsqu’un système politique est à bout de souffle, en parler n’est pas manquer de respect à qui que ce soit, mais juste faire œuvre de salubrité publique.

07-05
05:03

Côte d'Ivoire: par le chemin des écoliers

Pendant que le sortant se donne le temps de décider, quatre des challengers, disqualifiés sur le terrain judiciaire, voudraient des mesures politiques, pour se porter candidats. Que restera-t-il de l’État de droit et de la démocratie, lorsque, pour satisfaire les uns et les autres, on aura fini, à coups de petits arrangements politiciens, de contourner la loi et les règles ? Retraite définitive ou candidature à sa propre succession ? Le chef de l’État ivoirien a promis à ses partisans une décision imminente. Mais certains n’y voient qu’un stratagème, pour briguer un quatrième mandat. Se peut-il qu’il hésite vraiment, parce qu’il peine à trouver le successeur parfait, soutenu par ses partisans et acceptable pour toute la Côte d’Ivoire ? Sur la légalité d’un éventuel quatrième mandat, plus personne ne débat, en Côte d’Ivoire. Surtout dans cet environnement d’Afrique francophone, où le nombre de mandats n’émeut plus guère, tellement les mandats à foison, les mandats sans fin et autres pouvoirs sans mandat sont à la mode. Observez donc l’indifférence générale dans laquelle Paul Biya pourrait, en octobre prochain, décrocher un huitième mandat, au Cameroun, à 92 ans ! Oui, Alassane Ouattara hésite, moins, certainement, par crainte d’être décrié, que parce qu’il n’a pas trouvé l’oiseau rare, pour rassembler son camp. Un piège, classique, l’obsession du successeur parfait ! Car il n’existe pas. Même prometteur sur papier, un bon dauphin peut se révéler décevant. Une fois en place, il peut même, pour s’affirmer, devenir hostile. João Lourenço, l’homme de confiance choisi en septembre 2017 par José Eduardo Dos Santos pour diriger l’Angola, s’est mis à traquer la progéniture de son « bienfaiteur » pour prévarication, emprisonnant certains, contraignant d’autres à l’exil. S’épuiser à vouloir installer un successeur sûr dans le fauteuil n’est peut-être pas indispensable, lorsque l’on a bien travaillé pour son pays, ce qui est manifestement le cas d’Alassane Ouattara, en Côte d’Ivoire. Ce peut même être contre-productif, comme l’a expérimenté Macky Sall, au Sénégal. À force de tergiversations, son camp a fini par tout perdre, avec un bon candidat, pourtant. N'est-il tout de même pas légitime, pour les partisans du président Ouattara, de vouloir conserver le pouvoir ? Certes. Mais il faut prendre garde à ce que le président ne devienne l’otage de tous. Certains savent qu’ils perdraient tout, si celui-ci venait à s’en aller. Leurs motivations personnelles sont parfois très égoïstes. De manière intéressée, chacun le voudrait au pouvoir jusqu’à la fin des temps. Ou jusqu'à ce que coma s'en suive. Comme s’il était en servage, pour tous. À ce stade d’un parcours riche et bien rempli, ce sujet d’élite, qui a eu une belle et brillante carrière avant le pouvoir politique ne devrait plus avoir, pour unique aspiration, que d’entrer définitivement dans l’Histoire. Pour cela, il lui faut commencer par sortir de la mêlée, et laisser son œuvre grandir, après lui. Sans lui. Peu importe si les continuateurs immédiats ne sont pas ses partisans d’aujourd’hui. Toute la nation, à terme, chantera ses louanges. Le plus bel exemple est Jerry Rawlings, du Ghana voisin. Aujourd’hui célébré, non pas pour avoir sécurisé le pouvoir pour sa formation politique, mais pour avoir eu le courage de faire confiance aux électeurs. En l’an 2000, il a cédé le pouvoir à son principal opposant, John Kufuor, car son propre vice-président avait été battu. Huit ans plus tard, Kufuor passera le flambeau à John Atta Mills, l’ancien vice-président en question. Depuis un quart de siècle, le Ghana conforte ainsi son image de démocratie irréversible, et Jerry Rawlings est devenu une référence continentale, pour avoir compris qu'une nation n’appartient ni à un parti politique ni à une région. Pour Alassane Ouattara, une telle place dans l’Histoire de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique serait bien plus valorisante – et plus durable – que la transmission, à tout prix, du flambeau à un des siens, qui pourrait le décevoir. Mais, en Côte d’Ivoire, certains candidats, disqualifiés, estiment le jeu faussé… On s’attendait à les voir démontrer l’illégalité de leur disqualification, mais ils ne font que revendiquer des mesures politiques. Or, tous ne sont pas disqualifiés pour les mêmes raisons. Il va donc peut-être falloir, pour réhabiliter chacun, contourner des décisions de justice, des dispositions du code électoral, ou même la Constitution. Lorsque l’on aura fini tous ces petits arrangements politiciens, que restera-t-il de l’État de droit et de la démocratie ? Le leadership clairvoyant dont rêvent les peuples africains est incompatible avec une certaine légèreté, l’improvisation et les maladresses rédhibitoires.

06-28
04:31

Ce beau et juteux métier!

156 millions de dollars imputés à Matata Ponyo, condamné à dix ans de prison, en mai dernier ; 50 millions, pour Vital Kamerhe, condamné en 2020, puis acquitté en 2022 ; 19 millions, aujourd’hui, qu’est présumé avoir détournés Constant Mutamba… En RDC, le peuple vivote en francs congolais, et l’élite détourne et s’engraisse en dizaines, sinon en centaines de millions de dollars. Faites de la politique ! Vous deviendrez riches ! Indexé pour avoir détourné 19 millions de dollars destinés à la construction d’une prison, le Garde des Sceaux de la RDC a dû démissionner. Privé, par l’Assemblée nationale, du dernier verrou qui le protégeait, Constant Mutamba est désormais passible de poursuites. N’est-ce pas, là, un triomphe de l’État de droit ? Il faudra sans doute attendre encore un peu, pour crier victoire, dans cet environnement où les politiques, pour échapper à la justice, débordent de manigances et de subterfuges. Parce que le courage d’une démission est plutôt rare sous ces latitudes, la décision du ministre, en soi, est une excellente nouvelle. Les politiciens ont une fâcheuse tendance à se cramponner aux postes et aux privilèges, même lorsqu’ils ont atteint leurs limites, ou qu’ils ont simplement échoué. Même compromis ou discrédités, ils n’aiment pas céder la place à plus valeureux qu’eux. Et cette propension à se croire propriétaires, à tout jamais, des fonctions qui leur sont confiées, pèse de son poids mort dans la difficulté, pour l’Afrique, à avancer, à se développer. Certes, Constant Mutamba aurait pu prendre les devants, sans attendre d’être désavoué par l’Assemblée nationale. Il aurait ainsi préservé sa dignité, plutôt que de s’épuiser à quémander une bouée de sauvetage du chef de l’Etat, à coups de serments d’allégeance et de pathétiques assurances de loyauté. On imagine qu’il doit beaucoup à Félix Tshisekedi, qui lui a octroyé, à 36 ans, un portefeuille d’importance, la Justice, avec un rang de ministre d’État que ne justifiait certainement pas son score de 0,20 % des voix à la dernière présidentielle. N’est-il pas plutôt flamboyant, le bilan qu’il dresse de l’année qu’il vient de passer au ministère de la Justice ? Il semble tellement flamboyant, que l’on se demande si Constant Mutamba a effectivement réalisé tout ce qu’il décrit. Il lui fallait être un pur génie, pour réussir, en tout juste treize mois, à transformer le champ de ruines du système judiciaire congolais en un tableau si idyllique. À moins que, dans son esprit, les grandes ambitions qu’il disait nourrir pour la Justice soient, d’office, considérées comme des projets aboutis, dès lors qu’il en a rêvé. C’est un tout aussi authentique exploit que d’être parvenu, en si peu de temps, à brouiller les traces de 19 millions de dollars. Certes, en matière de détournement de deniers publics, la RDC nous a habitués à une certaine démesure. Et la petite poignée qui finit parfois devant la justice est rarement faite de… gagne-petit. À qui donc pensez-vous ? Il y a tout juste un mois, l’ancien Premier ministre Matata Ponyo était condamné, avec quelques comparses, à dix ans de prison, pour un détournement… de 156 millions de dollars ! La plus grande frustration des Congolais découle de ce que cet ancien Premier ministre, en quatre ans de saga judiciaire, ne s’est pratiquement jamais expliqué sur le fond. Plutôt que de convaincre ses concitoyens de sa probité, il préférait disqualifier les juridictions saisies dans son affaire. Vital Kamerhe, aujourd’hui quatrième personnage de l’État, a écopé de 20 ans de prison, en 2020, pour un détournement de quelque 50 millions de dollars. Après une généreuse réduction de la peine, cette affaire a donné lieu, en appel, à un spectaculaire acquittement. Que d’aucuns avaient qualifié de politique, alors que se nouaient, en 2022, les alliances en vue de la présidentielle de 2023. Ajoutés aux 19 millions imputés à Constant Mutamba, cela fait 225 millions de dollars, pour seulement trois figures politiques. En RDC, le peuple vivote en franc congolais, tandis que l’élite politique s’engraisse, en centaines de millions de dollars. Les populations y meurent par milliers, sur les voies fluviales, les lignes de chemin de fer, les routes et pistes du pays. Elles crèvent autant dans les dispensaires et hôpitaux mal équipés. C’est ici que l’on se met à rêver du nombre de milliers de Congolais qui échapperaient à une mort certaine, si ces montants faramineux, plutôt que d’atterrir dans les poches de politiciens indélicats, parvenaient au Trésor public !

06-21
04:13

Togo: vingt ans, et après ?

En Afrique de l’Ouest, hormis les régimes putschistes, il était un des rares à refuser la limitation (à deux) des mandats présidentiels. Pour continuer à diriger indéfiniment, sans passer pour le mouton noir du groupe, il a opéré un réaménagement cosmétique de la Constitution. À présent, ses adversaires attaquent ses résultats. Sous prétexte qu’il a échoué sur tous les plans, Faure Gnassingbé a été, ce 12 juin, sommé de démissionner, par l’opposition et la société civile. Cette injonction a-t-elle quelque chance d’être entendue par le dirigeant togolais ? Ce serait un miracle. Mais, comment reprocher à un peuple qui ne croit plus au pouvoir du bulletin de vote d’espérer un signe du ciel ? De la possibilité d’éconduire Faure Gnassingbé par les urnes, les Togolais, depuis longtemps, ont fait leur deuil. Il ne sait pas perdre ! Après tout, la réforme constitutionnelle contre laquelle protestaient les jeunes arrêtés la semaine dernière visait à perpétuer son bail aux commandes du Togo, en s’épargnant les accusations de mandats sans nombre. Ce serait véritablement un miracle, si, après toutes ces contorsions, il démissionnait, à la suite d’une simple injonction d'opposant. Tout comme il serait illusoire d’espérer le voir abandonner, par fierté, à cause de l’allusion à son bilan peu glorieux. À lire aussiTogo: «Le président doit démissionner», exigent opposition et société civile Manque de légitimité, carences de la gouvernance, échec sur le plan économique, incapacité à offrir un modèle exemplaire aux jeunes générations… Le tableau dépeint par le professeur David Dosseh pour exiger sa démission est accablant. S’accrocher au pouvoir avec un tel bilan, corroboré, en plus, par certains membres de son propre camp, relève des motivations impénétrables. Il faut du courage, beaucoup de courage, pour renoncer au pouvoir. Peut-être croit-il que les opposants sont juste de mauvaise foi, et que ses anciens partisans sont aigris… Au-delà des opposants et des déçus de son propre camp, Faure Gnassingbé a un problème plus grave, qui est sous les yeux de tous : les performances plutôt étincelantes des pays voisins. Oublions le Burkina Faso, qui a ses problèmes, en plus d’être un pays enclavé, tributaire des États côtiers pour ses exportations et importations. À l’est, le Bénin, sur qui le Togo avait, dans les années 70 et 80, une avance certaine, accrue par les ravages de la Révolution marxiste, sous Mathieu Kérékou. Même les lycéens et collégiens béninois préféraient, à l’époque, aller terminer leurs études secondaires au Togo ou même plus loin. Après la Conférence nationale de 1990, le pays s’est relevé, progressivement. Mais, ces neuf dernières années, le Bénin s’est construit avec méthode, dans une modernité qui s’étend à tout le territoire national, pas seulement à  Cotonou et à Porto-Novo. D’aucuns évaluent, aujourd’hui, à un bon quart de siècle le retard qu’accuse le Togo par rapport au Bénin. Qui a, lui aussi, ses problèmes politiques. Mais, même ses plus féroces détracteurs reconnaissent à Patrice Talon d’œuvrer au mieux-être du Bénin et des Béninois. Rien à voir avec ce qu’une ancienne ministre des Armées, membre du clan au pouvoir à Lomé, qualifie de petits projets aux objectifs inavouables, vantés par une propagande dont l’unique finalité est la conservation de pouvoir. À l’ouest du Togo, le Ghana, on l’a souvent dit ici, rayonne plutôt. Est-ce bien cela ? Plus que jamais ! Un diplomate angolais, devenu ensuite ministre, raconte que dans les années 80, en poste à Accra, ils allaient, en fin de semaine, faire leurs courses et se détendre à Lomé. Aujourd’hui, lorsqu’ils ont besoin de détente, les Togolais qui en ont les moyens vont en villégiature au Ghana. Qui a, lui aussi, ses problèmes, mais avance de manière irréversible. On pourrait même poursuivre le voyage un peu plus loin, à l’ouest du Ghana, avec la Côte d’Ivoire, qui continue de se construire et d’impressionner. Il se trouve que les Togolais visitent ces États voisins, et n’ont donc nullement besoin de mauvaise foi pour constater que leur Togo, dans ce voisinage, est d’une anormalité d’autant plus triste que Faure Gnassingbé, arrivé au pouvoir à moins de 40 ans, aurait dû brûler, plus que tous, d’envie de très bien faire. S’accrocher au pouvoir n’est tolérable que si on s’applique, au moins, à faire le bonheur de son peuple. Mais toute boulimie de longévité au pouvoir qui se nourrit du mépris de ceux dont on accapare ainsi le destin est, au regard de l’Histoire, doublement coupable.

06-14
04:22

Petite décrispation à Kinshasa

Dans la rencontre de ce 5 juin entre Martin Fayulu et Félix Tshisekedi, certains voient une victoire politique pour le chef de l’État congolais, tandis que d’autres soupçonnent un ralliement et parlent d’opposition, de connivence. Comment se faire un avis, avec des appréciations aussi contrastées ? D’abord, une certitude : cette rencontre est un événement marquant de la vie politique congolaise. Mais, avant de tirer des conclusions définitives sur les motivations de l'opposant Martin Fayulu, comme sur la sincérité du président congolais Félix Tshisekedi, les Congolais devraient observer calmement l’évolution de ce nouveau climat. En mettant une multitude de guillemets bien solides au substantif « rapprochement ». À lire aussiRDC: le début d’un rapprochement entre Félix Tshisekedi et Martin Fayulu?Le diagnostic posé par Martin Fayulu se fonde sur des réalités que vivent douloureusement, dans leur chair, des millions de Congolais. Oui, la RDC est dans une passe difficile, et même en danger ! Oui, le sang des Congolais a trop coulé. Mais, devant un tel tableau, les leaders politiques devraient-ils constater et laisser faire, en espérant voir le chef de l’État déstabilisé, disqualifié ou renversé ? Ou alors surmonter les rancœurs pour sauver l’essentiel, qui peut encore l’être ? Voici venus les jours où les hommes d’État, ayant le sens du sacrifice et de l’intérêt général, se distinguent. À l’opposé des tacticiens de la politique, qui rapportent tout au profit personnel qu’ils peuvent en tirer. Au regard du contentieux historique entre lui et Félix Tshisekedi, il a probablement fallu à Martin Fayulu un certain courage, pour oser une telle initiative.Accusations de se positionner en candidat au poste de Premier ministreEst-ce pour cela que certains le soupçonnent de se positionner pour le poste de Premier ministre ? Dans ce monde, beaucoup aiment prêter aux autres leurs propres mesquineries. Le souci de l’intégrité territoriale et des victimes du M23 ne devrait pas être irrémédiablement suspect. Il est facile, pour chacun, de désigner l’autre comme opposition de connivence, de se proclamer opposition de rupture, à bonne distance de l’opposition armée. Mais, certains se positionnent à leur manière, en laissant la gangrène se propager, avec le cynique et secret espoir que la déconfiture aura raison du pouvoir qu'ils combattent et leur profiterait. Comme Premier ministre, Martin Fayulu, qui sait, serait peut-être moins incompétent que d’autres. Après tout, en 2018, lorsque son nom a surgi dans la présidentielle en RDC, les échos venant de Bamako vantaient ses qualités de dirigeant, du temps où il officiait à la tête de la compagnie ExxonMobil, au Mali. La jeunesse y admirait son leadership stimulant, il l’incitait à se surpasser, accroissait la productivité de tous et de chacun, en payant mieux les salariés. Cela ne garantit évidemment rien. Mais, s’il était finalement l’exception, qui confirmerait la règle de l’incurie généralisée ?Félix Tshisekedi et Martin Fayulu pointent accusent Joseph KabilaMartin Fayulu et Félix Tshisekedi accusent ouvertement Joseph Kabila d’être derrière la rébellion du M23. Joseph Kabila avait sous-estimé Félix Tshisekedi, qu’il espérait sans doute manipuler, comme tant de politiques, plus préoccupés par leurs intérêts tortueux que par le destin de leur peuple. Et si lui-même faisait partie du problème ? Avant 1997, il était totalement inconnu des Congolais. Puis, en janvier 2001, du jour au lendemain, il s’est retrouvé aux commandes de ce grand pays, au mépris de tout cadre constitutionnel. Son grand mérite était d’être le fils de Laurent-Désiré Kabila, assassiné par une main aussi mystérieuse que les intérêts opaques des armées étrangères qui l’avaient porté au pouvoir, quatre ans plus tôt. À la faveur d’une rébellion expéditive, les Congolais ont donc eu le père pendat quatre ans, et le fils pendant 18 ans. En pure perte, comme les 32 ans de Mobutu ! Et personne ne s’étonne de cette maladresse qui consiste, pour un ancien chef de cet État-là, à transiter, pour regagner sa patrie, par Kigali, capitale accusée de télécommander la rébellion du M23. Et il n’imagine pas que s’afficher avec les mêmes rebelles, à Goma sous contrôle, est une faute politique. Quel consternant désastre serait-ce, si le sursaut auquel appelle Martin Fayulu devait consister à seulement redistribuer les places autour de la mangeoire, sous les yeux ahuris d’un peuple congolais qui, depuis six décennies, résiste frénétiquement à l’avilissement !À lire aussiÀ New York, la RDC brigue un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU

06-07
04:48

BAD: de quelle couleur est donc le développement ?

Encore combien de décennies, pour que les peuples africains réalisent à quoi peut bien ressembler cette grande promesse des indépendances ? C'est là une question qui devrait préoccuper davantage la BAD, au moment où son président depuis dix ans s'en va, tout fier de son bilan, et que l'on vient d'élire son successeur pour les cinq prochaines années. Sidi Ould Tah, ex-grand argentier de la Mauritanie, élu, cette semaine, président de la Banque africaine de développement (BAD), prendra fonctions en septembre prochain. Vous évoquiez ici, la semaine dernière, cette élection avec d’infinies précautions. Le résultat vous paraît-il rassurant pour l’Afrique ?À présent que la messe est dite, on peut, non pas questionner les aptitudes et les éventuelles lacunes de certains prétendants, mais juste s’étonner que tel candidat d'Afrique centrale, pris en flagrant délit de népotisme dans des fonctions antérieures, ait pu aspirer à ce poste qui requiert impartialité, doigté et sens de l’intérêt général. Pour l’Afrique, c’est un véritable drame que de devoir subir les élites qui traînent d’institution en institution leurs tares et leurs échecs personnels.À la BAD, les problèmes sensibles que l’on retrouve dans la plupart des pays africains sont multipliés par cinquante. On ne peut donc la livrer à une élite capable de privilégier la médiocrité d’une culture de clan au sort d’un milliard et demi d’Africains. Ce n’est pas nécessairement le meilleur candidat qui l’emporte. Mais le niveau général est d’ordinaire suffisamment bon pour qu’un candidat qui a franchi l'étape de la pré-sélection puisse théoriquement diriger cette banque, où les compétences internes sont d'ailleurs telles que l’institution peut tourner normalement, sans président. En ces temps de déficit de respectabilité pour l’Afrique, le président dont a urgemment besoin la BAD est un leader d’envergure, capable d’imagination, de créativité, de vision, pour soustraire l’Afrique aux préjugés imbéciles dans lesquels l’enferment encore trop souvent certains.Quels sont donc ces préjugés ?Tel suggère, par exemple, que les difficultés de l’Afrique à se nourrir résultent de l’incapacité du paysan africain à travailler comme les autres. En oubliant que sous le chaud soleil, le paysan africain, avec sa houe rudimentaire, déploie parfois cinq fois plus d’énergie de ses muscles que les autres qui, eux, ont des engins agricoles mécanisés pour labourer leurs terres scientifiquement irriguées. Le paysan africain n’est pas paresseux, mais juste mal équipé. La BAD et les banques sous-régionales de développement devraient, en premier, trouver à tous des solutions, y compris coopératives, pour que la force de travail du paysan africain soit mieux utilisée.Les artisans du continent qui subissent des délestages intempestifs d’électricité amputant gravement leur productivité ne sont pas plus des fainéants. L’éducation, la santé et tant d’autres secteurs qui portent les conditions déterminantes de ce que l’on appelle le développement peuvent s’améliorer, avec une BAD plus proche des préoccupations de tous. Cela n’enlève rien à l’incurie de certains gouvernements, incapables, parfois, de simplement constituer des dossiers crédibles pour accéder aux financements disponibles.Où sont donc les certitudes d'espérance ?Taïwan, Singapour, Hong Kong et la Corée du Sud, qui étaient au même stade que les mieux portants des États africains dans les années 1970, disent aujourd’hui du développement : « Mission accomplie ! ». Ils sont passés au stade supérieur ! Le pire serait que les peuples africains en soient toujours à se demander, dans quarante ans, à quoi peut bien ressembler le développement. La crédibilité de la BAD réside plus que jamais dans sa capacité à proposer aux peuples africains des objectifs ambitieux, en précisant comment, par étapes, les atteindre.Babacar Ndiaye, président de la BAD entre 1985 et 1995, avait conforté la crédibilité l’institution en l’inscrivant durablement dans les notations des grandes agences. Il avait initié la création d’une Banque africaine d’import-export, pour que les États d’Afrique puissent vendre entre eux et hors du continent. Il a poussé à la création d’une table ronde des hommes d’affaires africains, en se promettant de pousser, le moment venu, à la jonction de ces deux entités avec la BAD, dans un objectif précis, qu’aucun de ses successeurs n’a vraiment repris. Sans continuité dans les ambitions, l’Afrique pourrait ainsi végéter encore longtemps. Et tous ces présidents qui prétendent avoir opéré des miracles, parce qu'ils ont simplement bien fait leur travail, convaincront d’autant moins que les peuples du continent ne perçoivent, dans leur quotidien, aucun signe de ces miracles.À lire aussiLe Mauritanien Sidi Ould Tah élu président de la Banque africaine de développement

05-31
04:36

BAD: ce qui manque le plus: des leaders visionnaires

Des profils pointus, capables de gérer valablement une institution comme la Banque africaine de développement, l’Afrique en regorge à profusion, autant sur le continent que dans la diaspora. « Tirer le meilleur parti du capital de l’Afrique pour favoriser son développement ». Tel est le thème des Assemblées de la Banque africaine de développement, qui se tiennent, la semaine prochaine, à Abidjan, en Côte d’Ivoire. En quoi, précisément, ces assemblées sont-elles importantes pour la Banque et pour l’Afrique ?Dans le contexte international actuel, ces Assemblées auraient dû revêtir une importance majeure, qui ne transparaît, hélas, pas dans le thème retenu : « Tirer le meilleur parti du capital de l’Afrique pour favoriser son développement » semble d’une banalité ennuyeuse, pour une institution créée il y a plus de soixante ans.L’Afrique n’en finit pas d’être humiliée, et ce thème sonne comme un aveu d’impuissance, au moment où les peuples ont réellement besoin de voir leurs espérances portées par un leadership de qualité. Si l’Afrique était une seule nation, la Banque africaine de développement en aurait été le ministère du Développement. Et, dans un pays sous-développé ou en voie de développement, quel département est plus important que le ministère du Développement ? La vision du président de cette institution a donc forcément une incidence sur la manière dont les autres traitent l’Afrique. Souvenez-vous du guet-apens dont a failli être victime, cette semaine, Cyril Ramaphosa dans le Bureau ovale ! Le chef de l’État sud-africain, une des trois premières, sinon la première économie du continent ne pouvait être traité comme l’a fait son homologue américain.Sauf que Donald Trump traite la plupart comme il a traité l’Ukrainien Volodymyr Zelensky, en février dernier…Non, pas exactement. Nous avons vu le même Donald Trump doux, presque obséquieux, face aux dirigeants du Golfe. Il sait donc montrer du respect à ceux qui lui en imposent, au moins par leurs richesses, leur fortune sinon par leurs largesses. L’Afrique du Sud est un pays aux potentialités immenses. Comme une dizaine d’autres États du continent qui, s’ils étaient mieux gérés, feraient aussi bonne figure que certains de ceux que le locataire de la Maison Blanche révère, bon gré mal gré, dans le Golfe.Dans le nouvel ordre mondial qu’il nous conçoit, seule la puissance économique protège. Car, pour ce qui est de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des grandes valeurs que prône habituellement les États-Unis, les amis devant lesquels Trump se fait tout doux dans le Golfe n’ont rien de plus que ceux qu’il méprise en Afrique. Pour se hisser à la hauteur de ses critères de respectabilité, l’Afrique a plus que jamais besoin de mieux se gouverner. D’où la nécessité d’un leadership visionnaire dans une institution comme la Banque africaine de développement, qui devrait être non seulement « la banque », mais aussi un prestigieux bureau d’études à la disposition des États du continent. Croire qu’il leur suffit d’apporter en offrandes à la Maison Blanche les richesses de leur sous-sol pour que Donald Trump leur montre du respect est une douce illusion.Qu’attend alors la BAD pour se trouver d’excellents dirigeants ?Des profils pointus capables de gérer valablement une institution comme la Banque africaine de développement, l’Afrique en regorge à profusion, autant sur le continent que dans la diaspora. Mais, dans un monde qui ne fonctionne plus que par intérêt, l’Afrique ne s’imposera pas juste avec des gestionnaires, aussi excellents soient-ils. Ce dont elle a cruellement besoin, ce sont des leaders visionnaires, capables d’anticiper et de relever les défis, de penser l’avenir pour valoriser au mieux les atouts d’un continent par ailleurs généreusement doté par la nature.Depuis sa création, en 1964, la Banque africaine de développement a eu des présidents bien formés, bardés de diplômes, souvent décrochés dans les plus prestigieuses institutions de la planète. Le Soudanais Mamoun Beheiry, premier président de l’institution, était diplômé d’Oxford. Et tous ses successeurs avaient de remarquables références à faire valoir. Mais seulement deux ou trois ont pu propulser la Banque à des niveaux significativement plus élevés que celui auquel ils l’ont trouvée. Peut-être que les actionnaires devraient, à l’avenir, demander aux postulants un véritable programme de gouvernement, avec un chronogramme, afin de s’assurer qu’ils ne vendent pas aux peuples des rideaux de fumée, comme en politique. C’est aussi cela, penser l’avenir.À lire aussiQui succédera à Akinwumi Adesina à la tête de la Banque africaine de développement?

05-24
04:27

Au Mali, consternant pari !

Dans un pays, le Mali, où tant de jeunes sont morts, depuis mars 1991, pour la démocratie, dissoudre purement et simplement les partis politiques, avant d'avoir pensé, ensemble, l'avenir, n'a rien de rassurant. À bien des égards, cela revient à miser sur l'apathie, sinon la résignation de ce peuple. Une méprise. C’est par un décret, lu à la télévision nationale, ce 13 mai, que le pouvoir de Bamako a dissous les partis et organisations politiques du Mali. Peut-on, comme le font certains, assimiler cette décision à celle de Brice Oligui Nguema, qui a annoncé aux chefs de partis, ce 6 mai à Libreville, des réformes visant à réduire le nombre des formations, avec des critères plus contraignants pour la création d’un parti au Gabon ?Entre la démarche de la junte malienne et celle du président élu du Gabon, aucune comparaison possible. D’un côté, un pouvoir militaire sans l’onction démocratique se débarrasse de ce qui le gêne ou ne lui convient pas dans la vie politique. De l’autre, un président, certes, également parvenu au pouvoir par un putsch, mais qui a attendu d’être réhabilité par le suffrage universel pour engager – seulement engager – des consultations visant à réduire, sur la base de critères plus rigoureux, le nombre de formations. Pour le reste, la pléthore de partis politiques est préoccupante, au Mali, comme au Gabon et dans bien trop de pays africains.Trois cents partis pour 23 millions d’habitants, au Mali ; quelque 106 formations, pour seulement 2 millions d’âmes, au Gabon. C’est d’autant plus affligeant que, dans la réalité, la part de la population adhérant effectivement à ces partis représente rarement plus de 10% de l’ensemble. Mettre de l’ordre dans ce capharnaüm relève de la salubrité publique. Et, justement parce qu’il s’agit de salubrité publique, ce ne peut être l’œuvre, unilatérale, du seul pouvoir du moment, a fortiori lorsqu'il est issu d’un putsch. Pour emporter l’adhésion de tous, les décisions qui engagent autant une nation requièrent un minimum de consensus. N'est-ce pas ce que suggérait, cette semaine sur RFI, l’avocat malien Mamadou Ismaïla Konaté, qui s’interrogeait sur les motivations du général Assimi Goïta ?Maître Mamadou Ismaïla Konaté est un sujet brillant, articulé et d’autant plus crédible que nul ne lui connaît d’affiliation politique. Ancien Garde des Sceaux, il est un des rares ministres à avoir eu, durant la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta, le courage de démissionner, quand les autres se faisaient congédier. Ces dernières années, sur les réseaux sociaux, pendant que beaucoup se taisaient, lui rappelait aux inconditionnels de la junte le côté risible de certaines de leurs incohérences. Comme lui, beaucoup se demandent en quoi, concrètement, la suppression des partis politiques sert les intérêts du peuple malien.À lire aussiMali: après la dissolution des partis, les réformes vont se poursuivre, la «résistance» s'organiseLa démarche des Gabonais semble bien plus cohérente, qui laisse à un président élu l’autorité, non pas pour tout abolir, mais pour engager des consultations (et un chantier) visant à assainir cet environnement, sur des bases rigoureuses, pour plus de représentativité des partis, d’ici aux législatives.Ces restrictions ne sont-elles pas, par essence, un frein à la liberté ?Aux États-Unis, pays de quelque 340 millions d’habitants, la vie politique est régie par deux grandes formations. Certes, il y en a quatre, dits « partis tiers », et une petite trentaine, périphériques, dits « partis nationaux », mais dont on ne parle qu’accidentellement sur l’échiquier politique. À part quelques grandes déceptions survenues ces derniers temps, la démocratie américaine fonctionne, en général, plutôt bien. Au Nigeria, pays de 230 millions d’âmes, deux partis dominent la vie politique, en plus d'une petite dizaine de formations végétatives. On pourrait aussi citer le Ghana, 33 millions d’habitants et seulement deux partis politiques majeurs. La démocratie y est vivante, davantage que dans toutes ces nations africaines où chaque groupe ethnique, chaque région dispose de « son » parti. Assainir cette jungle est un impératif. Mais, en la matière, les réformes durables et bénéfiques sont celles qui s’appuient sur un vaste consensus démocratique. Ce que déplorent les Maliens, c’est que, d’autorité, une junte démolisse tout, sans avoir pensé l’avenir. Un peu comme dans ces armées où on ne commence à réfléchir qu’une fois le coup de feu parti. Dans un pays où tant de jeunes sont morts, depuis mars 1991, pour la démocratie, cette méthode est juste consternante.

05-17
04:33

Léon XIV a tout pour comprendre les Africains

« L'homme humilié ne peut être voulu de Dieu », disait, au IVᵉ siècle, Saint Augustin l’Africain, évêque d’Hippone, Père de l'Église, théologien, père spirituel de l’ordre dont vient le nouveau pape. Dans un monde où tant d’hommes de pouvoir, chrétiens, semblent n’avoir pour programme politique que l’humiliation de l’autre, des autres, l’insistance de Léon XIV sur le fait qu’il était « un fils de Saint Augustin » n’était pas un rappel anodin. En l’espace de vingt-quatre heures, les cardinaux, réunis en conclave dans la chapelle Sixtine, ont porté l’Américain Robert Francis Prevost à la tête de l’Église catholique. Comment expliquer que l’enthousiasme déclenché par l’élection du pape Léon XIV gagne bien plus que le milliard et demi de catholiques que revendique la religion catholique ?Des obsèques du pape François à l’élection de son successeur, ce 8 mai, l’Église catholique, apostolique et romaine a rendu une copie plutôt propre, voire impeccable. Elle a exhibé son plus attrayant profil, et l’impressionnant faste romain a fait le reste. Le pape élu, rayonnant d’humilité, a conquis le monde aussi bien par sa simplicité que par la sincérité de ses propos. Par définition, le souverain pontife est un homme influent. Mais s’il séduit tant, c’est parce qu’il ne parle pas qu’aux seuls fidèles de son Église. Il parle pour tous, surtout pour les plus faibles, sans chercher à séduire ou à impressionner. Au-delà du prestige que confère a priori le Saint-Siège, la façon dont ce pape saura incarner la fonction déterminera son poids dans le monde. Ses premiers pas semblent convaincants, mais Léon XIV devra, face à chaque défi planétaire, prouver son courage et son souci de la justice. Son histoire personnelle laisse espérer qu’il saura être un grand pape.À lire aussiLéon XIV, nouveau pape élu: Robert Francis Prevost, un homme de synthèse modéré et premier pape nord-américainQuelle est donc cette histoire personnelle ?Cela a été dit et répété : il est le premier pape américain. Lui-même l’a précisé : il est aussi le premier pape péruvien. Mieux encore, il est un authentique citoyen du monde, grâce à la diversité et la richesse de ses origines. Même les non-croyants pourraient croire que le Saint-Esprit s’est effectivement mêlé de l’élection de ce pape.Entre le père, lieutenant de vaisseau de l’US Navy, d’ascendance française et italienne, et la mère, d’ascendances riches et variées, ce pape est un concentré de tant de peuples ! Son histoire interpelle les champions de l’intolérance et du rejet de toute différence. Il se glisse comme un subtil trait d’union entre les peuples et divers mondes. Léon XIV est comme un hymne à la tolérance, à l’ouverture. Américain, évidemment ! Péruvien, aussi ! Italien, également ! Français, aussi, quelque part. Mais alors, du côté de sa mère, la diversité des origines pousse à se demander si l’histoire n’est pas trop belle. Que les cardinaux aient choisi un pape né d’une mère aux origines aussi diversifiées est un… don du ciel.La mère de Léon XIV, bibliothécaire, est en effet d’ascendance créole, louisianaise, haïtienne et espagnole. Son grand-père maternel est natif d’Haïti, et sa grand-mère maternelle, une créole métisse de Louisiane, native de La Nouvelle-Orléans. Ses grands-parents maternels sont tous deux issus de familles mulâtres, avec des ancêtres esclaves noirs. De cette présentation, que confirment diverses sources, dont le New York Times, on pourrait conclure que Léon XIV, premier pape américain, premier pape péruvien, pourrait aussi être un lointain descendant d’esclaves, et le premier pape ayant une ascendance africaine depuis le Vᵉ siècle. Pape migrant, aussi, quelque part, Léon XIV est une cinglante interpellation à tout ce que proclament les plus intolérants des dirigeants du monde d’aujourd’hui. Une histoire personnelle aussi riche ne pouvait qu’influencer ses choix et son évolution comme missionnaire.En quoi, concrètement ?Parmi les nombreuses congrégations que compte l’Église catholique, il a choisi, pour donner à sa vocation une orientation pertinente, l’ordre de Saint Augustin, un de ces ordres mendiants apparus au XIIIᵉ siècle, avec vœu de pauvreté radicale, pour vivre de charité, en joignant vie contemplative et vie apostolique. Saint Augustin l’Africain, leur père spirituel, est né dans l’actuelle Algérie. Il disait que l’homme humilié ne pouvait être voulu de Dieu. En somme, que l’humiliation de l’autre ne pouvait être une attitude vraiment chrétienne. Voilà qui définit parfaitement le pape que viennent de se donner les catholiques.À écouter aussi[1] Émission spéciale : « Habemus papam »

05-10
04:15

Gabon: spectaculaire retour en grâce

Prendre le pouvoir par les armes n'est pas, en Afrique, un péché fatalement mortel, qui vous envoie brûler en enfer. Vous pouvez même, au terme d'un bref passage au purgatoire, avoir droit à une entrée triomphale dans le club des chefs d'État. C'est juste une question d'habileté. Jour de fête, à Libreville ! Le général Brice Oligui Ngema prête serment, ce samedi 3 mai, en présence d’une quinzaine de chefs d’État africains. Ces réjouissances célèbrent à la fois le rétablissement de l'ordre constitutionnel, interrompu par le coup d’État d’août 2023, et le retour du Gabon dans la grande famille continentale. L’Afrique n’a-t-elle pas raison d’y adhérer ?Il y a probablement quelque chose à célébrer en dehors des succès personnels du général Brice Oligui Ngema. Avec ses compagnons de putsch, il avait, en 2023, mis le Gabon au ban des nations africaines, qui les sommaient alors de retourner dans les casernes, en rendant le pouvoir aux civils, en rétablissant l'ordre constitutionnel par des élections libres, équitables, crédibles et transparentes. La plupart de ces injonctions se sont vite évaporées. Il n’empêche. Ce sont les mêmes dirigeants africains qui vont le célébrer, ce jour, à Libreville. Avec une telle capacité d’oubli, l’Union africaine serait peut-être plus crédible en admettant, une fois pour toutes, que les coups d’État ne sont qu’un mode d’accession au pouvoir, comme un autre. Le général Oligui Nguema pouvant aussi inspirer d’autres aspirants putschistes…En quoi consisterait donc cette inspiration ?Vous commencez par prendre le pouvoir par les armes. Puis, une fois aux commandes de l’État (et de ses moyens), vous vous constituez une clientèle politique. Vous vous présentez ensuite devant les électeurs, et voilà votre situation régularisée ! Alors, en costume civil impeccable, vous pourrez écumer les sommets, sans que nul n’ose vous demander comment vous y êtes parvenu. Quant à votre prédécesseur qui s’est débrouillé pour être renversé. Tant pis pour lui ! Il mérite son sort, le vaincu ! Ainsi fonctionne le club des chefs d’État. Peu importe si les coups d’État, comme prône l’Union africaine, compromettent la démocratie, la paix, la sécurité et la stabilité, ainsi que le développement des pays du continent !Avec près de 95% des voix, Brice Oligui Nguema ne peut-il pas s’enorgueillir d’être réellement désiré par son peuple ?Oui, ce score époustouflant, presque sans fraudes, mériterait même de chaleureuses félicitations ! Les Gabonais l’ont plébiscité. Il saura mériter leur confiance. Sinon, comme tous les peuples, ils accepteront plus facilement de subir sa politique. Bien sûr, la facilité avec laquelle l’électorat se convertit à de nouveaux cultes laisse souvent songeur. Sous tous les cieux, les peuples ont une telle soif de héros que certains finissent par être victimes de leur propre crédulité. Même si on n’en est pas encore là, au Gabon.Mais, étant donné que les célébrations ont déjà commencé, pourquoi ne pas se réjouir de ce que, sur cinq nations africaines passées sous la botte de militaires putschistes depuis 2020, une, au moins, aura renoué avec la normalité. Quelle chance ! Car, ailleurs, tel autre putschiste, sans passer par le suffrage universel, s’apprête à s’octroyer une rallonge de cinq années de pouvoir, en plus des quatre déjà passées au palais présidentiel. En attendant d’autres prorogations, si le peuple le désire… Président à vie, putschiste à bail emphytéotique, qui voudrait ne plus être désigné que comme président de la République. Tous les putschistes ne se valent décidément pas !Faut-il comprendre que certains putschistes sont dignes d’admiration ?Il y en a que l’on admire pour avoir mis fin à un régime insupportable, c'est le cas de Brice Oligui Nguema, tombeur d’Ali Bongo, ou de Zine el-Abidine Ben Ali, qui avait renversé Habib Bourguiba, en Tunisie. Cela ne présume rien de ce que sera, ensuite, leur propre régime. D’ailleurs, Ben Ali lui-même a mal fini. Certains prennent le pouvoir pour nettoyer les écuries et impulser une dynamique politique saine, tel Amadou Toumani Touré qui, parce qu’il a bien conduit sa transition, reviendra par les urnes, dix ans plus tard. Autre cas, emblématique, trop souvent cité ici, faute d’antidote : Jerry Rawlings, au Ghana. En trois mois, il a organisé des élections et rendu le pouvoir au civil élu. Il reviendra cependant quinze mois plus tard, pour finir d’assainir l’économie et initier, en 1992, une démocratie exemplaire. Rien en commun avec les putschistes rêvant d’éternité, qui craignent tant le suffrage universel.

05-03
04:29

Le pape François: testament pour la Création et les Créatures

Il l'adressait aux Américains, en septembre 2015. « Traitez les autres avec la même passion et la même compassion avec lesquelles vous souhaitez être traités ». Ainsi parlait le pape François aux élus américains, réunis pour l'acclamer en 2015. Dix ans plus tard, cette exhortation s'impose plus que jamais, et tous devraient la méditer, au moment où la planète fait ses adieux au pape argentin. Quelque 130 délégations étrangères, dont une bonne cinquantaine de chefs d’État assistent, ce samedi 26 avril, aux obsèques du pape François, en plus des milliards de téléspectateurs et des centaines de milliers de fidèles qui lui rendent hommage, depuis le 21 avril. Comment comprendre cet intérêt planétaire pour ce pape réputé simple ?Au-delà de l’affliction, compréhensible, des catholiques, la disparition du souverain pontife émeut, car la plupart lui reconnaissaient des valeurs, une grande sincérité, beaucoup de simplicité et d’empathie. Autant d’atouts qui, aux yeux des peuples du monde, manquent à nombre de ceux qui tiennent aujourd’hui le gouvernail de la planète. Pour frapper l’imagination et les consciences, François savait trouver les bons termes et, au nom de ce qui est juste, il assumait de déplaire.Dans un monde régi par la brutalité, la raison du plus fort et la capacité à intimider, sinon à agresser, ce pape savait, sans haine ni malice, exprimer des convictions fortes sur les dysfonctionnements qui affectent l’humanité. Maintenant qu’il n’est plus, notre monde semble privé de l’essentiel du peu de conscience qui lui restait. Et, en attendant que le prochain pape devienne suffisamment audible, pour imposer son style et sa voix, François manquera cruellement à la terre entière.Puisqu’il demeure populaire, même dans la mort, pourquoi ne pas ressusciter, pour les valoriser, ses idées les plus percutantes ?Cela supposerait des disciples organisés, que François, pape bien trop humble, n’a pas imaginé mobiliser de son vivant. Mais certaines de ses idées infusaient déjà, qui sauront prospérer toutes seules. Ainsi de la protection de la planète, qu’il définissait, dans une encyclique, en 2015, comme « un bien fondamental », « la maison commune à sauvegarder », de « la culture du déchet ». « La protection de la planète, rappelait-il, est la tâche la plus urgente de notre temps. Nous en sommes tous responsables. Nul ne pourra dire : je n’y suis pour rien ».De même, pour protéger les faibles et les démunis, François prônait moins de disparité dans une économie mondiale où 20% de l’humanité détient environ 80% des richesses. Ce déséquilibre marginalise, exclut, laisse à l’écart. « Notre époque nous parle de tant de pauvreté, disait-il, et la pauvreté est un cri. Dans un monde avec autant de richesses, c’est un scandale que tant d’enfants soient affamés et privés d’éducation ; que tant de gens meurent de faim ! ».Pour le défunt pape, les migrants sont une boussole que les pouvoirs ne peuvent ignorer durablement, sans risquer d’en être eux-mêmes victimes. Aussi, mettait-il en garde, à Lampedusa, contre « la mondialisation de l’indifférence », qui vous habitue insidieusement à la souffrance des autres. Comme si c’était quelque chose de normal. « Ces gens sont victimes d’une injustice mondiale. Pourquoi doivent-ils, à cause de la guerre ou de la faim, quitter leurs terres ? »À lire aussiItalie: le pape François sur l'île de Lampedusa pour attirer l'attention sur le drame de l'immigrationNe faut-il pas, au regard de la situation actuelle, convenir que lui-même n’a pas été entendu ?Peut-être. Mais il avait prévenu. Cette surdité feinte ne sera pas sans conséquences : « Plus vous êtes puissant, plus vos actes ont des effets sur les gens, plus vous serez amené à être humble. Sinon, le pouvoir vous détruira, et vous détruirez les autres ». En bon pasteur, François avait, en septembre 2015, livré l’antidote au Congrès des États-Unis. La règle d’or : Traiter les autres avec la même passion et la même compassion avec lesquelles on souhaite être traité. Rechercher pour les autres les mêmes opportunités que l’on cherche pour soi-même. Aider les autres à grandir, comme on aimerait être aidé. Si on veut la sécurité, il faut donner la sécurité. Offrir des opportunités, si on veut des opportunités. « La mesure que nous utilisons pour les autres sera celle que le temps utilisera pour nous », avait insisté le pape. Feindre d’être sourd aux cris de détresse des autres, c’est prendre le risque que Dieu ne vous entende pas, lorsque vous l’invoquerez, pour lui rappeler qu’il a toujours été de votre côté.À lire aussiLe pape François, un bâtisseur de ponts et de réformes

04-26
04:14

Afrique: le sursaut ou la noyade

Dans le désordre généralisé provoqué par les guerres commerciales tous azimuts du chef de l'exécutif américain, l'Afrique risque de voir sa position sur l'échiquier mondial fragilisée. À moins de repenser enfin solidement son destin. Ce dont, pour l'instant, l'on ne perçoit aucun signe. Alors que les décisions intempestives et les volte-face à répétition de Donald Trump ne cessent de mettre le fragile équilibre du monde au bord de la rupture, pour l’Afrique, l’inaction des Africains est bien plus préoccupante que la politique erratique du locataire de la Maison Blanche.L’Afrique, en dépit de son poids relativement faible dans la balance des paiements des États-Unis, est plus durement affectée par les incohérences qui fusent du Bureau ovale. C’est la destinée du monde qui se joue, et la passivité des Africains n’en est que plus affligeante. Alors que même les alliés traditionnels de l’Amérique repensent de nouvelles stratégies à long terme pour réduire leur dépendance à cet allié si versatile, l’Afrique, elle, se contente de bredouiller d’inaudibles protestations.Les relations internationales sont à la croisée des chemins, et tous les autres s’organisent. Seuls les Africains semblent croire que les injonctions de l’Histoire s’imposent moins à eux qu’aux autres peuples. Comme si, systématiquement, ce continent se déclarait forfait aux grands rendez-vous historiques. Au début des années 1990, alors que le monde, après la chute du Mur de Berlin, était en pleine recomposition, l’Afrique, recroquevillée, oubliait de se trouver une place sur l’échiquier international. Elle était pourtant méprisée. Les grands cabinets mondiaux d’audit et de conseil, comme les agences de notation, ne la prenaient nullement en compte. Sous couvert d’anonymat, un haut-fonctionnaire français s’était même hasardé à suggérer, dans un grand quotidien, que si l’Afrique venait à disparaître, engloutie par l’océan, ce ne serait pas si grave pour l’humanité.Par sa stature, Nelson Mandela, libéré en février 1990 après 27 ans de prison, fera taire les quolibets. À lui tout seul, l’Africain Mandela, figure la plus charismatique au monde, sauva l’Afrique du mépris. À sa mort, en 2013, le premier président américain afro-descendant Barack Obama prendra discrètement la relève. Mais, depuis, les dieux qui veillaient sur l’Afrique semblent en congés. Elle est redevenue souffre-douleur de Donald Trump et de ses semblables.À lire aussiAfrique: le continent soulagé après le recul de Donald Trump sur les droits de douaneL'interruption des subventions américainesLe mépris est consubstantiel à l’idée que se fait Donald Trump de sa propre importance. Alors que le nouveau président a annoncé l’interruption des subventions américaines, celles-ci, même cumulées sur 60 ans, n’atteignent pas le millième de ce que les États-Unis, ont déboursé pour soutenir l’Ukraine ces trois dernières années, après son invasion par la Russie. Une aumône ! Que l’Afrique, avec ses immenses ressources naturelles, dépende autant de cette aumône est une anomalie. Celle-ci risque de se perpétuer, si l’Afrique ne se décide pas à s’interroger sur elle-même, sur le poids dont elle veut peser sur l’échiquier international, et sur le mépris et l’humiliation que subit, partout, l’homme africain. Ce dernier est souvent obligé de fuir sa terre d’origine, pour survivre.Une désapprobation généraleLa désapprobation générale ne prouve-t-elle pas, au fond, que Donald Trump n’épargne personne ? La plupart des alliés des États-Unis, déconcertés, sauront se prémunir, à l’avenir, contre de telles déconvenues. Mais Donald Trump n’est que l’affligeant révélateur du niveau général des dirigeants actuels du monde et de l’inconsistance de la réflexion qui sous-tend leurs politiques. À l’époque, aux États-Unis, la densité des maîtres à penser se percevait aisément chez les présidents dont ils étaient les conseillers à la sécurité nationale : Kissinger, Brezinski, McFarlane, Condoleezza Rice, et tant d'autres.Parce que le monde s’effondre et que le niveau, partout, est en chute, l’Afrique, continent anormalement émietté, ne peut se contenter d’observer et de subir. Incapable de résoudre le moindre conflit entre les quelque 55 États qui la composent, elle a une impérieuse soif de leaders d’envergure. Pour la tirer vers le haut. Inciter les Africains à se respecter, et à faire respecter l’Afrique. Et c’est bien plus judicieux que de sans cesse exiger un respect que l’on n’inspire pas… à soi-même.À lire aussiFitch rassurant sur la note des États africains malgré les droits de douane américains

04-19
03:43

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