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Collège de France (Philosophie/Sociologie)
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Collège de France (Philosophie/Sociologie)

Author: Collège de France

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Collège de France (Philosophie/Sociologie)
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Claudine Tiercelin Métaphysique et philosophie de la connaissance Année 2021-2022 L'universel : aperçus historiques et perspectives contemporaines
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Pierre-Michel Menger Collège de France Année 2021 - 2022 Sociologie du travail créateur Mérite et « méritocratie ». Motiver l'égalité ou l'inégalité ? - Introduction Les mathématiques, l'égalité des chances et l'excellence (2). Du sommet à la base et de la recherche à la formation scolaire.
Pierre-Michel Menger Collège de France Année 2021 - 2022 Sociologie du travail créateur Mérite et « méritocratie ». Motiver l'égalité ou l'inégalité ? - Introduction Les mathématiques, l'égalité des chances et l'excellence (2). Du sommet à la base et de la recherche à la formation scolaire.
Pierre-Michel Menger Collège de France Année 2021 - 2022 Sociologie du travail créateur Mérite et « méritocratie ». Motiver l'égalité ou l'inégalité ? - Introduction Les mathématiques, l'égalité des chances et l'excellence (1). Du sommet à la base et de la recherche à la formation scolaire.
Pierre-Michel Menger Collège de France Année 2021 - 2022 Sociologie du travail créateur Mérite et « méritocratie ». Motiver l'égalité ou l'inégalité ? - Introduction Les mathématiques, l'égalité des chances et l'excellence (1). Du sommet à la base et de la recherche à la formation scolaire.
François Recanati Philosophie du langage et de l'esprit Collège de France Année 2021-2022 Fiction, simulation, faire comme si L’intérêt de la philosophie contemporaine pour la fiction va bien au-delà de l’esthétique et des sous-disciplines philosophiques qui prennent l’art pour objet. La fiction nous parle de choses (ou de personnes) qui n’existent pas. Comment cela est-il possible ? Le fait d’en parler ou d’y penser ne confère-t-il pas à ces choses ou à ces personnes une existence minimale ? Puisque Superman est, comme chacun sait, doté de super-pouvoirs et qu’il peut voler dans les airs, ne s’ensuit-il pas (en vertu de la règle logique dite de « généralisation existentielle ») qu’il y a un individu qui peut voler dans les airs ? Mais que signifie ce « il y a », étant donné que Superman n’existe pas ? Ces questions, présentes depuis l’origine de la philosophie, mobilisent les logiciens, les philosophes du langage et les métaphysiciens. Beaucoup, depuis les travaux pionniers de Kendall Walton, voient la fiction comme une forme de simulation en continuité avec les jeux de faire-semblant des enfants. Lorsque l’acteur jouant le rôle de Hamlet emploie le nom propre « Horatio », il fait comme s’il y avait un individu nommé « Horatio » auquel il (ou, plus exactement, le personnage qu’il incarne) faisait référence en employant ce nom. De la même façon, Flaubert, lorsqu’il emploie le nom « Emma Bovary », fait comme s’il y avait, portant ce nom, une personne réelle dont le récit rapporte les faits et gestes. Ceux qui lisent le récit font de même — ils exercent leur imagination. Cette conception offre l’avantage d’être en prise directe avec les recherches des psychologues et des philosophes de l’esprit autour de ce qu’on appelle la théorie de la simulation. Les psychologues postulent une faculté spécifique qu’ils appellent « théorie de l’esprit » et qui nous permet notamment de nous représenter les états mentaux d’autrui (leurs intentions, leurs désirs et leurs croyances) et d’interpréter leur comportement à la lumière de ces états mentaux supposés. Parmi les théories mises en avant pour analyser cette faculté spécifique, la théorie dite de la simulation la fait reposer sur une aptitude plus fondamentale à se décentrer et à se projeter dans une situation imaginaire. Or c’est dans la pratique de la fiction que cette aptitude fondamentale à la simulation se manifeste de façon paradigmatique. Dans la communication linguistique ordinaire, le locuteur dit quelque chose et l’auditeur, s’il juge son interlocuteur digne de foi, croit ce qu’on lui dit et intègre l’information à sa base de données. Dans la communication fictionnelle (celle, par exemple, qui s’établit entre l’auteur et le lecteur au moyen du texte de fiction), le destinataire fait comme si un interlocuteur digne de foi lui communiquait des informations, et il enregistre celles-ci dans un compartiment mental séparé où il bâtit une représentation complexe de l’univers fictionnel qu’on lui dépeint. Alors que la représentation du monde perpétuellement mise à jour par notre cerveau guide notre comportement, la représentation de l’univers fictionnel n’a pas d’impact sur le comportement : elle est déconnectée, séparée de la représentation du monde que nous utilisons comme base de données pour agir. Cette déconnexion nous permet de ne pas confondre la fiction et la réalité. Ce phénomène de compartimentation va au-delà de la fiction entendue au sens étroit. La supposition est une opération intellectuelle qui fonctionne de la même façon. Lorsque vous supposez quelque chose, vous faites comme si vous admettiez cette chose, et vous en tirez les conséquences. Ces conséquences sont déduites de façon hypothétique. La déduction en question simule la déduction que vous feriez effectivement, ou pourriez faire, si vous acceptiez réellement la prémisse initiale (correspondant à la supposition). On fait comme si la prémisse était vraie, afin de voir ce qui s’ensuit, mais la conséquence n’est pas intégrée à la représentation primaire, pas plus que la prémisse initiale ne l’est. Tout cela suggère qu’outre la représentation du monde qui joue le rôle de représentation primaire, celle qui guide l’action et que nous mettons à jour en permanence, nous avons la capacité de déployer, de façon temporaire (comme dans la supposition) ou permanente (comme dans notre représentation de l’univers de Sherlock Holmes), des représentations secondaires qui fonctionnent de la même façon et utilisent les mêmes ressources cognitives mais sont déconnectées de la représentation primaire qui est directement en lien avec la motivation et l’action. Pour rendre compte de cette déconnexion des représentations secondaires, certains auteurs postulent un espace de travail séparé où on peut simuler les états mentaux ordinaires du premier niveau. Les états et actes mentaux de premier niveau que l’on peut simuler ainsi ne se réduisent pas aux états de connaissance. Lorsque vous voyez un monstre s’approcher sur l’écran de cinéma, vous avez un petit peu peur, mais vous ne vous enfuyez pas, parce que vous savez que c’est du cinéma. Votre état émotionnel est une version atténuée et déconnectée, c’est-à-dire sans effet sur le comportement, de la peur du monstre que vous ressentiriez si vous ne saviez pas que c’est du cinéma. Cette aptitude à « recréer » les états mentaux de premier niveau dans un espace de travail séparé et déconnecté nous permet de nous mettre à la place d’autrui afin de comprendre ou d’anticiper son comportement, mais aussi d’envisager et d’explorer des possibilités notamment en planifiant notre comportement futur. On parle d’imagination pour tous les états ou actes mentaux déconnectés de la représentation primaire, c’est-à-dire les états mentaux qui se rapportent non au monde réel (celui dans lequel nous évoluons) mais à des mondes virtuels — ce que les philosophes appellent, depuis Leibniz, des « mondes possibles ». Lorsqu’on se représente le futur , notamment lorsqu’il s’agit de faire des plans ou d’anticiper, on considère différentes possibilités, correspondant à autant de mondes virtuels. Mais l’imagination peut aussi être tournée vers le passé, comme lorsqu’on regrette ce qui a eu lieu ou lorsqu’on s’en réjouit. Dans ce cas on compare la réalité avec d’autres mondes possibles. La simulation joue ainsi un rôle essentiel dans la vie mentale, et l’étude de la fiction en fournit un observatoire privilégié.
François Recanati Philosophie du langage et de l'esprit Collège de France Année 2021-2022 Fiction, simulation, faire comme si L’intérêt de la philosophie contemporaine pour la fiction va bien au-delà de l’esthétique et des sous-disciplines philosophiques qui prennent l’art pour objet. La fiction nous parle de choses (ou de personnes) qui n’existent pas. Comment cela est-il possible ? Le fait d’en parler ou d’y penser ne confère-t-il pas à ces choses ou à ces personnes une existence minimale ? Puisque Superman est, comme chacun sait, doté de super-pouvoirs et qu’il peut voler dans les airs, ne s’ensuit-il pas (en vertu de la règle logique dite de « généralisation existentielle ») qu’il y a un individu qui peut voler dans les airs ? Mais que signifie ce « il y a », étant donné que Superman n’existe pas ? Ces questions, présentes depuis l’origine de la philosophie, mobilisent les logiciens, les philosophes du langage et les métaphysiciens. Beaucoup, depuis les travaux pionniers de Kendall Walton, voient la fiction comme une forme de simulation en continuité avec les jeux de faire-semblant des enfants. Lorsque l’acteur jouant le rôle de Hamlet emploie le nom propre « Horatio », il fait comme s’il y avait un individu nommé « Horatio » auquel il (ou, plus exactement, le personnage qu’il incarne) faisait référence en employant ce nom. De la même façon, Flaubert, lorsqu’il emploie le nom « Emma Bovary », fait comme s’il y avait, portant ce nom, une personne réelle dont le récit rapporte les faits et gestes. Ceux qui lisent le récit font de même — ils exercent leur imagination. Cette conception offre l’avantage d’être en prise directe avec les recherches des psychologues et des philosophes de l’esprit autour de ce qu’on appelle la théorie de la simulation. Les psychologues postulent une faculté spécifique qu’ils appellent « théorie de l’esprit » et qui nous permet notamment de nous représenter les états mentaux d’autrui (leurs intentions, leurs désirs et leurs croyances) et d’interpréter leur comportement à la lumière de ces états mentaux supposés. Parmi les théories mises en avant pour analyser cette faculté spécifique, la théorie dite de la simulation la fait reposer sur une aptitude plus fondamentale à se décentrer et à se projeter dans une situation imaginaire. Or c’est dans la pratique de la fiction que cette aptitude fondamentale à la simulation se manifeste de façon paradigmatique. Dans la communication linguistique ordinaire, le locuteur dit quelque chose et l’auditeur, s’il juge son interlocuteur digne de foi, croit ce qu’on lui dit et intègre l’information à sa base de données. Dans la communication fictionnelle (celle, par exemple, qui s’établit entre l’auteur et le lecteur au moyen du texte de fiction), le destinataire fait comme si un interlocuteur digne de foi lui communiquait des informations, et il enregistre celles-ci dans un compartiment mental séparé où il bâtit une représentation complexe de l’univers fictionnel qu’on lui dépeint. Alors que la représentation du monde perpétuellement mise à jour par notre cerveau guide notre comportement, la représentation de l’univers fictionnel n’a pas d’impact sur le comportement : elle est déconnectée, séparée de la représentation du monde que nous utilisons comme base de données pour agir. Cette déconnexion nous permet de ne pas confondre la fiction et la réalité. Ce phénomène de compartimentation va au-delà de la fiction entendue au sens étroit. La supposition est une opération intellectuelle qui fonctionne de la même façon. Lorsque vous supposez quelque chose, vous faites comme si vous admettiez cette chose, et vous en tirez les conséquences. Ces conséquences sont déduites de façon hypothétique. La déduction en question simule la déduction que vous feriez effectivement, ou pourriez faire, si vous acceptiez réellement la prémisse initiale (correspondant à la supposition). On fait comme si la prémisse était vraie, afin de voir ce qui s’ensuit, mais la conséquence n’est pas intégrée à la représentation primaire, pas plus que la prémisse initiale ne l’est. Tout cela suggère qu’outre la représentation du monde qui joue le rôle de représentation primaire, celle qui guide l’action et que nous mettons à jour en permanence, nous avons la capacité de déployer, de façon temporaire (comme dans la supposition) ou permanente (comme dans notre représentation de l’univers de Sherlock Holmes), des représentations secondaires qui fonctionnent de la même façon et utilisent les mêmes ressources cognitives mais sont déconnectées de la représentation primaire qui est directement en lien avec la motivation et l’action. Pour rendre compte de cette déconnexion des représentations secondaires, certains auteurs postulent un espace de travail séparé où on peut simuler les états mentaux ordinaires du premier niveau. Les états et actes mentaux de premier niveau que l’on peut simuler ainsi ne se réduisent pas aux états de connaissance. Lorsque vous voyez un monstre s’approcher sur l’écran de cinéma, vous avez un petit peu peur, mais vous ne vous enfuyez pas, parce que vous savez que c’est du cinéma. Votre état émotionnel est une version atténuée et déconnectée, c’est-à-dire sans effet sur le comportement, de la peur du monstre que vous ressentiriez si vous ne saviez pas que c’est du cinéma. Cette aptitude à « recréer » les états mentaux de premier niveau dans un espace de travail séparé et déconnecté nous permet de nous mettre à la place d’autrui afin de comprendre ou d’anticiper son comportement, mais aussi d’envisager et d’explorer des possibilités notamment en planifiant notre comportement futur. On parle d’imagination pour tous les états ou actes mentaux déconnectés de la représentation primaire, c’est-à-dire les états mentaux qui se rapportent non au monde réel (celui dans lequel nous évoluons) mais à des mondes virtuels — ce que les philosophes appellent, depuis Leibniz, des « mondes possibles ». Lorsqu’on se représente le futur , notamment lorsqu’il s’agit de faire des plans ou d’anticiper, on considère différentes possibilités, correspondant à autant de mondes virtuels. Mais l’imagination peut aussi être tournée vers le passé, comme lorsqu’on regrette ce qui a eu lieu ou lorsqu’on s’en réjouit. Dans ce cas on compare la réalité avec d’autres mondes possibles. La simulation joue ainsi un rôle essentiel dans la vie mentale, et l’étude de la fiction en fournit un observatoire privilégié.
Pierre-Michel Menger Collège de France Année 2021 - 2022 Sociologie du travail créateur Mérite et « méritocratie ». Motiver l'égalité ou l'inégalité ? - Introduction Les mathématiques, l'égalité des chances et l'excellence (1). Du sommet à la base et de la recherche à la formation scolaire.
Pierre-Michel Menger Collège de France Année 2021 - 2022 Sociologie du travail créateur Mérite et « méritocratie ». Motiver l'égalité ou l'inégalité ? - Introduction Les mathématiques, l'égalité des chances et l'excellence (1). Du sommet à la base et de la recherche à la formation scolaire.
François Recanati Philosophie du langage et de l'esprit Collège de France Année 2021-2022 Fiction, simulation, faire comme si L’intérêt de la philosophie contemporaine pour la fiction va bien au-delà de l’esthétique et des sous-disciplines philosophiques qui prennent l’art pour objet. La fiction nous parle de choses (ou de personnes) qui n’existent pas. Comment cela est-il possible ? Le fait d’en parler ou d’y penser ne confère-t-il pas à ces choses ou à ces personnes une existence minimale ? Puisque Superman est, comme chacun sait, doté de super-pouvoirs et qu’il peut voler dans les airs, ne s’ensuit-il pas (en vertu de la règle logique dite de « généralisation existentielle ») qu’il y a un individu qui peut voler dans les airs ? Mais que signifie ce « il y a », étant donné que Superman n’existe pas ? Ces questions, présentes depuis l’origine de la philosophie, mobilisent les logiciens, les philosophes du langage et les métaphysiciens. Beaucoup, depuis les travaux pionniers de Kendall Walton, voient la fiction comme une forme de simulation en continuité avec les jeux de faire-semblant des enfants. Lorsque l’acteur jouant le rôle de Hamlet emploie le nom propre « Horatio », il fait comme s’il y avait un individu nommé « Horatio » auquel il (ou, plus exactement, le personnage qu’il incarne) faisait référence en employant ce nom. De la même façon, Flaubert, lorsqu’il emploie le nom « Emma Bovary », fait comme s’il y avait, portant ce nom, une personne réelle dont le récit rapporte les faits et gestes. Ceux qui lisent le récit font de même — ils exercent leur imagination. Cette conception offre l’avantage d’être en prise directe avec les recherches des psychologues et des philosophes de l’esprit autour de ce qu’on appelle la théorie de la simulation. Les psychologues postulent une faculté spécifique qu’ils appellent « théorie de l’esprit » et qui nous permet notamment de nous représenter les états mentaux d’autrui (leurs intentions, leurs désirs et leurs croyances) et d’interpréter leur comportement à la lumière de ces états mentaux supposés. Parmi les théories mises en avant pour analyser cette faculté spécifique, la théorie dite de la simulation la fait reposer sur une aptitude plus fondamentale à se décentrer et à se projeter dans une situation imaginaire. Or c’est dans la pratique de la fiction que cette aptitude fondamentale à la simulation se manifeste de façon paradigmatique. Dans la communication linguistique ordinaire, le locuteur dit quelque chose et l’auditeur, s’il juge son interlocuteur digne de foi, croit ce qu’on lui dit et intègre l’information à sa base de données. Dans la communication fictionnelle (celle, par exemple, qui s’établit entre l’auteur et le lecteur au moyen du texte de fiction), le destinataire fait comme si un interlocuteur digne de foi lui communiquait des informations, et il enregistre celles-ci dans un compartiment mental séparé où il bâtit une représentation complexe de l’univers fictionnel qu’on lui dépeint. Alors que la représentation du monde perpétuellement mise à jour par notre cerveau guide notre comportement, la représentation de l’univers fictionnel n’a pas d’impact sur le comportement : elle est déconnectée, séparée de la représentation du monde que nous utilisons comme base de données pour agir. Cette déconnexion nous permet de ne pas confondre la fiction et la réalité. Ce phénomène de compartimentation va au-delà de la fiction entendue au sens étroit. La supposition est une opération intellectuelle qui fonctionne de la même façon. Lorsque vous supposez quelque chose, vous faites comme si vous admettiez cette chose, et vous en tirez les conséquences. Ces conséquences sont déduites de façon hypothétique. La déduction en question simule la déduction que vous feriez effectivement, ou pourriez faire, si vous acceptiez réellement la prémisse initiale (correspondant à la supposition). On fait comme si la prémisse était vraie, afin de voir ce qui s’ensuit, mais la conséquence n’est pas intégrée à la représentation primaire, pas plus que la prémisse initiale ne l’est. Tout cela suggère qu’outre la représentation du monde qui joue le rôle de représentation primaire, celle qui guide l’action et que nous mettons à jour en permanence, nous avons la capacité de déployer, de façon temporaire (comme dans la supposition) ou permanente (comme dans notre représentation de l’univers de Sherlock Holmes), des représentations secondaires qui fonctionnent de la même façon et utilisent les mêmes ressources cognitives mais sont déconnectées de la représentation primaire qui est directement en lien avec la motivation et l’action. Pour rendre compte de cette déconnexion des représentations secondaires, certains auteurs postulent un espace de travail séparé où on peut simuler les états mentaux ordinaires du premier niveau. Les états et actes mentaux de premier niveau que l’on peut simuler ainsi ne se réduisent pas aux états de connaissance. Lorsque vous voyez un monstre s’approcher sur l’écran de cinéma, vous avez un petit peu peur, mais vous ne vous enfuyez pas, parce que vous savez que c’est du cinéma. Votre état émotionnel est une version atténuée et déconnectée, c’est-à-dire sans effet sur le comportement, de la peur du monstre que vous ressentiriez si vous ne saviez pas que c’est du cinéma. Cette aptitude à « recréer » les états mentaux de premier niveau dans un espace de travail séparé et déconnecté nous permet de nous mettre à la place d’autrui afin de comprendre ou d’anticiper son comportement, mais aussi d’envisager et d’explorer des possibilités notamment en planifiant notre comportement futur. On parle d’imagination pour tous les états ou actes mentaux déconnectés de la représentation primaire, c’est-à-dire les états mentaux qui se rapportent non au monde réel (celui dans lequel nous évoluons) mais à des mondes virtuels — ce que les philosophes appellent, depuis Leibniz, des « mondes possibles ». Lorsqu’on se représente le futur , notamment lorsqu’il s’agit de faire des plans ou d’anticiper, on considère différentes possibilités, correspondant à autant de mondes virtuels. Mais l’imagination peut aussi être tournée vers le passé, comme lorsqu’on regrette ce qui a eu lieu ou lorsqu’on s’en réjouit. Dans ce cas on compare la réalité avec d’autres mondes possibles. La simulation joue ainsi un rôle essentiel dans la vie mentale, et l’étude de la fiction en fournit un observatoire privilégié.
François Recanati Philosophie du langage et de l'esprit Collège de France Année 2021-2022 Fiction, simulation, faire comme si L’intérêt de la philosophie contemporaine pour la fiction va bien au-delà de l’esthétique et des sous-disciplines philosophiques qui prennent l’art pour objet. La fiction nous parle de choses (ou de personnes) qui n’existent pas. Comment cela est-il possible ? Le fait d’en parler ou d’y penser ne confère-t-il pas à ces choses ou à ces personnes une existence minimale ? Puisque Superman est, comme chacun sait, doté de super-pouvoirs et qu’il peut voler dans les airs, ne s’ensuit-il pas (en vertu de la règle logique dite de « généralisation existentielle ») qu’il y a un individu qui peut voler dans les airs ? Mais que signifie ce « il y a », étant donné que Superman n’existe pas ? Ces questions, présentes depuis l’origine de la philosophie, mobilisent les logiciens, les philosophes du langage et les métaphysiciens. Beaucoup, depuis les travaux pionniers de Kendall Walton, voient la fiction comme une forme de simulation en continuité avec les jeux de faire-semblant des enfants. Lorsque l’acteur jouant le rôle de Hamlet emploie le nom propre « Horatio », il fait comme s’il y avait un individu nommé « Horatio » auquel il (ou, plus exactement, le personnage qu’il incarne) faisait référence en employant ce nom. De la même façon, Flaubert, lorsqu’il emploie le nom « Emma Bovary », fait comme s’il y avait, portant ce nom, une personne réelle dont le récit rapporte les faits et gestes. Ceux qui lisent le récit font de même — ils exercent leur imagination. Cette conception offre l’avantage d’être en prise directe avec les recherches des psychologues et des philosophes de l’esprit autour de ce qu’on appelle la théorie de la simulation. Les psychologues postulent une faculté spécifique qu’ils appellent « théorie de l’esprit » et qui nous permet notamment de nous représenter les états mentaux d’autrui (leurs intentions, leurs désirs et leurs croyances) et d’interpréter leur comportement à la lumière de ces états mentaux supposés. Parmi les théories mises en avant pour analyser cette faculté spécifique, la théorie dite de la simulation la fait reposer sur une aptitude plus fondamentale à se décentrer et à se projeter dans une situation imaginaire. Or c’est dans la pratique de la fiction que cette aptitude fondamentale à la simulation se manifeste de façon paradigmatique. Dans la communication linguistique ordinaire, le locuteur dit quelque chose et l’auditeur, s’il juge son interlocuteur digne de foi, croit ce qu’on lui dit et intègre l’information à sa base de données. Dans la communication fictionnelle (celle, par exemple, qui s’établit entre l’auteur et le lecteur au moyen du texte de fiction), le destinataire fait comme si un interlocuteur digne de foi lui communiquait des informations, et il enregistre celles-ci dans un compartiment mental séparé où il bâtit une représentation complexe de l’univers fictionnel qu’on lui dépeint. Alors que la représentation du monde perpétuellement mise à jour par notre cerveau guide notre comportement, la représentation de l’univers fictionnel n’a pas d’impact sur le comportement : elle est déconnectée, séparée de la représentation du monde que nous utilisons comme base de données pour agir. Cette déconnexion nous permet de ne pas confondre la fiction et la réalité. Ce phénomène de compartimentation va au-delà de la fiction entendue au sens étroit. La supposition est une opération intellectuelle qui fonctionne de la même façon. Lorsque vous supposez quelque chose, vous faites comme si vous admettiez cette chose, et vous en tirez les conséquences. Ces conséquences sont déduites de façon hypothétique. La déduction en question simule la déduction que vous feriez effectivement, ou pourriez faire, si vous acceptiez réellement la prémisse initiale (correspondant à la supposition). On fait comme si la prémisse était vraie, afin de voir ce qui s’ensuit, mais la conséquence n’est pas intégrée à la représentation primaire, pas plus que la prémisse initiale ne l’est. Tout cela suggère qu’outre la représentation du monde qui joue le rôle de représentation primaire, celle qui guide l’action et que nous mettons à jour en permanence, nous avons la capacité de déployer, de façon temporaire (comme dans la supposition) ou permanente (comme dans notre représentation de l’univers de Sherlock Holmes), des représentations secondaires qui fonctionnent de la même façon et utilisent les mêmes ressources cognitives mais sont déconnectées de la représentation primaire qui est directement en lien avec la motivation et l’action. Pour rendre compte de cette déconnexion des représentations secondaires, certains auteurs postulent un espace de travail séparé où on peut simuler les états mentaux ordinaires du premier niveau. Les états et actes mentaux de premier niveau que l’on peut simuler ainsi ne se réduisent pas aux états de connaissance. Lorsque vous voyez un monstre s’approcher sur l’écran de cinéma, vous avez un petit peu peur, mais vous ne vous enfuyez pas, parce que vous savez que c’est du cinéma. Votre état émotionnel est une version atténuée et déconnectée, c’est-à-dire sans effet sur le comportement, de la peur du monstre que vous ressentiriez si vous ne saviez pas que c’est du cinéma. Cette aptitude à « recréer » les états mentaux de premier niveau dans un espace de travail séparé et déconnecté nous permet de nous mettre à la place d’autrui afin de comprendre ou d’anticiper son comportement, mais aussi d’envisager et d’explorer des possibilités notamment en planifiant notre comportement futur. On parle d’imagination pour tous les états ou actes mentaux déconnectés de la représentation primaire, c’est-à-dire les états mentaux qui se rapportent non au monde réel (celui dans lequel nous évoluons) mais à des mondes virtuels — ce que les philosophes appellent, depuis Leibniz, des « mondes possibles ». Lorsqu’on se représente le futur , notamment lorsqu’il s’agit de faire des plans ou d’anticiper, on considère différentes possibilités, correspondant à autant de mondes virtuels. Mais l’imagination peut aussi être tournée vers le passé, comme lorsqu’on regrette ce qui a eu lieu ou lorsqu’on s’en réjouit. Dans ce cas on compare la réalité avec d’autres mondes possibles. La simulation joue ainsi un rôle essentiel dans la vie mentale, et l’étude de la fiction en fournit un observatoire privilégié.
Pierre-Michel Menger Collège de France Année 2021 - 2022 Sociologie du travail créateur Mérite et « méritocratie ». Motiver l'égalité ou l'inégalité ? - Introduction Introduction : Ce que nous apprennent les débats, les critiques et les défenses de la méritocratie depuis l'invention de la notion par Michael Young (1958). Une exploration sélective de la production de recherche.
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François Recanati Philosophie du langage et de l'esprit Collège de France Année 2021-2022 Fiction, simulation, faire comme si L’intérêt de la philosophie contemporaine pour la fiction va bien au-delà de l’esthétique et des sous-disciplines philosophiques qui prennent l’art pour objet. La fiction nous parle de choses (ou de personnes) qui n’existent pas. Comment cela est-il possible ? Le fait d’en parler ou d’y penser ne confère-t-il pas à ces choses ou à ces personnes une existence minimale ? Puisque Superman est, comme chacun sait, doté de super-pouvoirs et qu’il peut voler dans les airs, ne s’ensuit-il pas (en vertu de la règle logique dite de « généralisation existentielle ») qu’il y a un individu qui peut voler dans les airs ? Mais que signifie ce « il y a », étant donné que Superman n’existe pas ? Ces questions, présentes depuis l’origine de la philosophie, mobilisent les logiciens, les philosophes du langage et les métaphysiciens. Beaucoup, depuis les travaux pionniers de Kendall Walton, voient la fiction comme une forme de simulation en continuité avec les jeux de faire-semblant des enfants. Lorsque l’acteur jouant le rôle de Hamlet emploie le nom propre « Horatio », il fait comme s’il y avait un individu nommé « Horatio » auquel il (ou, plus exactement, le personnage qu’il incarne) faisait référence en employant ce nom. De la même façon, Flaubert, lorsqu’il emploie le nom « Emma Bovary », fait comme s’il y avait, portant ce nom, une personne réelle dont le récit rapporte les faits et gestes. Ceux qui lisent le récit font de même — ils exercent leur imagination. Cette conception offre l’avantage d’être en prise directe avec les recherches des psychologues et des philosophes de l’esprit autour de ce qu’on appelle la théorie de la simulation. Les psychologues postulent une faculté spécifique qu’ils appellent « théorie de l’esprit » et qui nous permet notamment de nous représenter les états mentaux d’autrui (leurs intentions, leurs désirs et leurs croyances) et d’interpréter leur comportement à la lumière de ces états mentaux supposés. Parmi les théories mises en avant pour analyser cette faculté spécifique, la théorie dite de la simulation la fait reposer sur une aptitude plus fondamentale à se décentrer et à se projeter dans une situation imaginaire. Or c’est dans la pratique de la fiction que cette aptitude fondamentale à la simulation se manifeste de façon paradigmatique. Dans la communication linguistique ordinaire, le locuteur dit quelque chose et l’auditeur, s’il juge son interlocuteur digne de foi, croit ce qu’on lui dit et intègre l’information à sa base de données. Dans la communication fictionnelle (celle, par exemple, qui s’établit entre l’auteur et le lecteur au moyen du texte de fiction), le destinataire fait comme si un interlocuteur digne de foi lui communiquait des informations, et il enregistre celles-ci dans un compartiment mental séparé où il bâtit une représentation complexe de l’univers fictionnel qu’on lui dépeint. Alors que la représentation du monde perpétuellement mise à jour par notre cerveau guide notre comportement, la représentation de l’univers fictionnel n’a pas d’impact sur le comportement : elle est déconnectée, séparée de la représentation du monde que nous utilisons comme base de données pour agir. Cette déconnexion nous permet de ne pas confondre la fiction et la réalité. Ce phénomène de compartimentation va au-delà de la fiction entendue au sens étroit. La supposition est une opération intellectuelle qui fonctionne de la même façon. Lorsque vous supposez quelque chose, vous faites comme si vous admettiez cette chose, et vous en tirez les conséquences. Ces conséquences sont déduites de façon hypothétique. La déduction en question simule la déduction que vous feriez effectivement, ou pourriez faire, si vous acceptiez réellement la prémisse initiale (correspondant à la supposition). On fait comme si la prémisse était vraie, afin de voir ce qui s’ensuit, mais la conséquence n’est pas intégrée à la représentation primaire, pas plus que la prémisse initiale ne l’est. Tout cela suggère qu’outre la représentation du monde qui joue le rôle de représentation primaire, celle qui guide l’action et que nous mettons à jour en permanence, nous avons la capacité de déployer, de façon temporaire (comme dans la supposition) ou permanente (comme dans notre représentation de l’univers de Sherlock Holmes), des représentations secondaires qui fonctionnent de la même façon et utilisent les mêmes ressources cognitives mais sont déconnectées de la représentation primaire qui est directement en lien avec la motivation et l’action. Pour rendre compte de cette déconnexion des représentations secondaires, certains auteurs postulent un espace de travail séparé où on peut simuler les états mentaux ordinaires du premier niveau. Les états et actes mentaux de premier niveau que l’on peut simuler ainsi ne se réduisent pas aux états de connaissance. Lorsque vous voyez un monstre s’approcher sur l’écran de cinéma, vous avez un petit peu peur, mais vous ne vous enfuyez pas, parce que vous savez que c’est du cinéma. Votre état émotionnel est une version atténuée et déconnectée, c’est-à-dire sans effet sur le comportement, de la peur du monstre que vous ressentiriez si vous ne saviez pas que c’est du cinéma. Cette aptitude à « recréer » les états mentaux de premier niveau dans un espace de travail séparé et déconnecté nous permet de nous mettre à la place d’autrui afin de comprendre ou d’anticiper son comportement, mais aussi d’envisager et d’explorer des possibilités notamment en planifiant notre comportement futur. On parle d’imagination pour tous les états ou actes mentaux déconnectés de la représentation primaire, c’est-à-dire les états mentaux qui se rapportent non au monde réel (celui dans lequel nous évoluons) mais à des mondes virtuels — ce que les philosophes appellent, depuis Leibniz, des « mondes possibles ». Lorsqu’on se représente le futur , notamment lorsqu’il s’agit de faire des plans ou d’anticiper, on considère différentes possibilités, correspondant à autant de mondes virtuels. Mais l’imagination peut aussi être tournée vers le passé, comme lorsqu’on regrette ce qui a eu lieu ou lorsqu’on s’en réjouit. Dans ce cas on compare la réalité avec d’autres mondes possibles. La simulation joue ainsi un rôle essentiel dans la vie mentale, et l’étude de la fiction en fournit un observatoire privilégié.
François Recanati Philosophie du langage et de l'esprit Collège de France Année 2021-2022 Fiction, simulation, faire comme si L’intérêt de la philosophie contemporaine pour la fiction va bien au-delà de l’esthétique et des sous-disciplines philosophiques qui prennent l’art pour objet. La fiction nous parle de choses (ou de personnes) qui n’existent pas. Comment cela est-il possible ? Le fait d’en parler ou d’y penser ne confère-t-il pas à ces choses ou à ces personnes une existence minimale ? Puisque Superman est, comme chacun sait, doté de super-pouvoirs et qu’il peut voler dans les airs, ne s’ensuit-il pas (en vertu de la règle logique dite de « généralisation existentielle ») qu’il y a un individu qui peut voler dans les airs ? Mais que signifie ce « il y a », étant donné que Superman n’existe pas ? Ces questions, présentes depuis l’origine de la philosophie, mobilisent les logiciens, les philosophes du langage et les métaphysiciens. Beaucoup, depuis les travaux pionniers de Kendall Walton, voient la fiction comme une forme de simulation en continuité avec les jeux de faire-semblant des enfants. Lorsque l’acteur jouant le rôle de Hamlet emploie le nom propre « Horatio », il fait comme s’il y avait un individu nommé « Horatio » auquel il (ou, plus exactement, le personnage qu’il incarne) faisait référence en employant ce nom. De la même façon, Flaubert, lorsqu’il emploie le nom « Emma Bovary », fait comme s’il y avait, portant ce nom, une personne réelle dont le récit rapporte les faits et gestes. Ceux qui lisent le récit font de même — ils exercent leur imagination. Cette conception offre l’avantage d’être en prise directe avec les recherches des psychologues et des philosophes de l’esprit autour de ce qu’on appelle la théorie de la simulation. Les psychologues postulent une faculté spécifique qu’ils appellent « théorie de l’esprit » et qui nous permet notamment de nous représenter les états mentaux d’autrui (leurs intentions, leurs désirs et leurs croyances) et d’interpréter leur comportement à la lumière de ces états mentaux supposés. Parmi les théories mises en avant pour analyser cette faculté spécifique, la théorie dite de la simulation la fait reposer sur une aptitude plus fondamentale à se décentrer et à se projeter dans une situation imaginaire. Or c’est dans la pratique de la fiction que cette aptitude fondamentale à la simulation se manifeste de façon paradigmatique. Dans la communication linguistique ordinaire, le locuteur dit quelque chose et l’auditeur, s’il juge son interlocuteur digne de foi, croit ce qu’on lui dit et intègre l’information à sa base de données. Dans la communication fictionnelle (celle, par exemple, qui s’établit entre l’auteur et le lecteur au moyen du texte de fiction), le destinataire fait comme si un interlocuteur digne de foi lui communiquait des informations, et il enregistre celles-ci dans un compartiment mental séparé où il bâtit une représentation complexe de l’univers fictionnel qu’on lui dépeint. Alors que la représentation du monde perpétuellement mise à jour par notre cerveau guide notre comportement, la représentation de l’univers fictionnel n’a pas d’impact sur le comportement : elle est déconnectée, séparée de la représentation du monde que nous utilisons comme base de données pour agir. Cette déconnexion nous permet de ne pas confondre la fiction et la réalité. Ce phénomène de compartimentation va au-delà de la fiction entendue au sens étroit. La supposition est une opération intellectuelle qui fonctionne de la même façon. Lorsque vous supposez quelque chose, vous faites comme si vous admettiez cette chose, et vous en tirez les conséquences. Ces conséquences sont déduites de façon hypothétique. La déduction en question simule la déduction que vous feriez effectivement, ou pourriez faire, si vous acceptiez réellement la prémisse initiale (correspondant à la supposition). On fait comme si la prémisse était vraie, afin de voir ce qui s’ensuit, mais la conséquence n’est pas intégrée à la représentation primaire, pas plus que la prémisse initiale ne l’est. Tout cela suggère qu’outre la représentation du monde qui joue le rôle de représentation primaire, celle qui guide l’action et que nous mettons à jour en permanence, nous avons la capacité de déployer, de façon temporaire (comme dans la supposition) ou permanente (comme dans notre représentation de l’univers de Sherlock Holmes), des représentations secondaires qui fonctionnent de la même façon et utilisent les mêmes ressources cognitives mais sont déconnectées de la représentation primaire qui est directement en lien avec la motivation et l’action. Pour rendre compte de cette déconnexion des représentations secondaires, certains auteurs postulent un espace de travail séparé où on peut simuler les états mentaux ordinaires du premier niveau. Les états et actes mentaux de premier niveau que l’on peut simuler ainsi ne se réduisent pas aux états de connaissance. Lorsque vous voyez un monstre s’approcher sur l’écran de cinéma, vous avez un petit peu peur, mais vous ne vous enfuyez pas, parce que vous savez que c’est du cinéma. Votre état émotionnel est une version atténuée et déconnectée, c’est-à-dire sans effet sur le comportement, de la peur du monstre que vous ressentiriez si vous ne saviez pas que c’est du cinéma. Cette aptitude à « recréer » les états mentaux de premier niveau dans un espace de travail séparé et déconnecté nous permet de nous mettre à la place d’autrui afin de comprendre ou d’anticiper son comportement, mais aussi d’envisager et d’explorer des possibilités notamment en planifiant notre comportement futur. On parle d’imagination pour tous les états ou actes mentaux déconnectés de la représentation primaire, c’est-à-dire les états mentaux qui se rapportent non au monde réel (celui dans lequel nous évoluons) mais à des mondes virtuels — ce que les philosophes appellent, depuis Leibniz, des « mondes possibles ». Lorsqu’on se représente le futur , notamment lorsqu’il s’agit de faire des plans ou d’anticiper, on considère différentes possibilités, correspondant à autant de mondes virtuels. Mais l’imagination peut aussi être tournée vers le passé, comme lorsqu’on regrette ce qui a eu lieu ou lorsqu’on s’en réjouit. Dans ce cas on compare la réalité avec d’autres mondes possibles. La simulation joue ainsi un rôle essentiel dans la vie mentale, et l’étude de la fiction en fournit un observatoire privilégié.
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