Rendez-vous avec la revue «Esprit» dans ce numéro d’Idées, pour parler du numéro de novembre intitulé «Banlieues, les oubliées de la République». Pierre-Édouard Deldique reçoit Anne Dujin sa rédactrice en chef. Dans son dossier du mois, «Esprit» nous propose, en effet, une réflexion critique sur la manière dont certaines banlieues françaises sont perçues et traitées dans le débat public, par les hommes politiques ou les journalistes. Coordonné par le chercheur indépendant Hacène Belmessous, il revient sur vingt ans de dépolitisation et d’occultation, selon lui, d’une histoire sociale et politique. Le numéro s’ouvre sur le rappel des révoltes de l’automne 2005, déclenchées après la mort de deux jeunes à Clichy-sous-Bois. Vingt ans plus tard, «Esprit» constate que les banlieues ne sont plus évoquées qu’à travers des considérations sécuritaires, culturelles, effaçant leur dimension politique et sociale. Il faut dire que le narcotrafic pose aujourd’hui de redoutables questions dans certains quartiers, à Marseille notamment, mais on ne peut réduire les banlieues au trafic de drogue. À écouter aussiClichy-sous-Bois: la délicate reconstruction 20 ans après la mort de Zyed et Bouna Selon la revue, cette dépolitisation s’apparente à une stratégie qui invisibilise les luttes, les aspirations et les réalités vécues par des millions d’habitants. Les articles coordonnés par Hacène Belmessous montrent comment l’État et les médias ont contribué, selon leurs auteurs, à réduire les banlieues à des espaces de danger ou de déficit culturel, plutôt qu’à des lieux de citoyenneté et de créativité sociale. Le dossier (qui se compose également d’entretiens, avec le sociologue François Dubet notamment) insiste sur la nécessité de réinscrire les banlieues dans l’histoire de la République, en reconnaissant leur rôle dans les transformations sociales et politiques contemporaines. Les auteurs dénoncent la tendance à essentialiser les habitants des banlieues, en les réduisant à des catégories stigmatisées (jeunes, immigrés, musulmans). Ils mettent en lumière la richesse des expériences locales, des mobilisations associatives et des initiatives culturelles qui témoignent d’une vitalité démocratique ignoré. Comme dans chaque numéro, la revue «Esprit» propose des articles sur d’autres thèmes, en plus du dossier. On notera, par exemple, une intéressante analyse sur l’emprisonnement de Nicolas Sarkozy ou bien encore sur les relations entre la France et Israël. Programmation musicale : - Gogo Penguin - Living Bricks in Dead Mortar - IAM - Eldorado (Instrumental).
Cette semaine, dans IDÉES, Pierre-Edouard Deldique reçoit la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, la conceptrice d’un livre majeur intitulé sobrement : «Théories féministes». Il s’agit d’une œuvre collective de plus de cent textes écrits par des auteures et chercheuses du monde entier. L’ouvrage se présente comme une cartographie des pensées féministes à travers les siècles toutes orientées vers le même but car «le féminisme se caractérise par un foisonnement de théories mises au service d’un projet commun : renverser l’ordre patriarcal du monde» écrit notre invitée. Durant l’émission, Camille Froidevaux-Metterie parle avec passion de quelques-uns des articles de cet ouvrage afin de nous offrir un aperçu des idées sur le féminisme. Ce livre complet n’est pas seulement un panorama historique mais une véritable source vivante qui met en lumière la richesse et la diversité des approches théoriques mais aussi des témoignages personnels car «penser en féministe, c’est penser ensemble à partir de soi». On y parle par exemple des voix féminines médiévales affirmant la liberté de penser, des luttes pour les droits civils et politiques au XIXè siècle, des années 70 du XXè et la libération des corps ainsi que la critique radicale du patriarcat et, aujourd’hui des perspectives intersectionnelles, queer et décoloniales. Cette évolution montre que le féminisme n’est pas une suite de revendications isolées, mais un projet global de réinvention du monde commun avec, au-delà de sa diversité, une pensée structurée afin de déconstruire les logiques de domination : patriarcat, exploitation économique, hiérarchies raciales et sexuelles et de proposer une émancipation universelle. Le féminisme est conçu comme une philosophie visant à transformer radicalement les rapports sociaux. Camille Froidevaux-Metterie souligne d’ailleurs au micro «la nature intrinsèquement politique du féminisme». «Théories féministes» est salué à juste titre comme une somme intellectuelle inédite, un outil indispensable à la compréhension des débats du moment sur l’égalité, les corps, les identités et les luttes sociales. Il fera date. Programmation musicale Debout les femmes - Hymne du MLF Calle Silencio - Anne Paceo J'ai compris - Nana Benz du Togo.
Dans IDÉES cette semaine, Pierre-Édouard Deldique reçoit Gilles Hieronimus, docteur en Philosophie, auteur d’un «Que sais-je ?» sur Gaston Bachelard. Ce petit livre est une synthèse précise de l’œuvre du philosophe, articulée autour de sa double vocation scientifique et poétique. Cet ouvrage précieux éclaire la cohérence d’une pensée souvent jugée inclassable qu’il résume avec clarté dans l’émission. Gilles Hieronimus souligne le côté Janus de ce penseur hors-norme. «Deux images se superposent : celle de l’austère professeur de philosophie des sciences, astreint à la rigueur et à la prudence ; celle de l’ami enjoué des poètes et des artistes, réceptifs à leur audace et volontiers fantasque.», écrit-il à propos de ce personnage à la longue barbe blanche. Bachelard (1884–1962), figure majeure de la philosophie française du XXè siècle, est présenté comme un penseur subversif, dont la démarche réconcilie rigueur scientifique et liberté imaginative. Pour lui, il y a «l’homme rationaliste» et «l’homme de la nuit» et du rêve. Bachelard révolutionne la philosophie des sciences en introduisant les notions d’obstacle épistémologique, de rupture et de discontinuité dans le progrès scientifique. Il défend une rationalité dynamique, toujours en reconstruction. À travers ses études sur l’imaginaire (l’eau, le feu, l’air, la maison…), il développe une poétique des images fondée sur l’intuition, la rêverie et la résonance affective. L’imagination devient un mode de connaissance à part entière. L’auteur insiste, dans l’émission et dans son livre, sur le rythme alterné que Bachelard propose entre rationalité et rêverie. Cette alternance n’est pas une contradiction, mais, au contraire, une méthode de vie et de pensée : un art de vivre philosophique, respectueux de la pluralité des formes de la vie bonne et de la liberté de l’esprit. Cette éthique du renouveau repose sur une sagesse qui refuse les dogmes et valorise le mouvement. Elle s’incarne dans une pédagogie de l’éveil, où le philosophe est aussi un éducateur. Le livre montre comment Bachelard, souvent marginalisé dans les grands courants philosophiques, a pourtant influencé des penseurs majeurs comme Sartre, Merleau-Ponty, Ricœur, Deleuze, Foucault ou Simondon. Son style, mêlant rigueur conceptuelle et lyrisme, échappe aux classifications habituelles. Gilles Hieronimus le présente comme un philosophe combattant, marqué par son expérience de la guerre, un homme libre «logé partout mais enfermé nulle part». Au fil de ses propos, l’auteur qui dirige l’édition commentée des œuvres de Gaston Bachelard, confirme ce qu’il écrit dans son livre, le philosophe «cultive une spiritualité joyeuse, un gai savoir rationaliste, en s’appuyant sur la méditation privilégiée d’images heureuses, vitalisantes, verticalisantes». Un précieux compagnon de route en somme à «la recherche d’une sagesse et d’un art de vivre». Programmation musicale : Hommage à Haydn - Interprète : Alain Planès / Compositeur : Claude Debussy The Pearl - Harold Budd The Boat - Joep Beving To a Sea Horse - Moondog Viking - Moondog.
Cette semaine, Pierre-Édouard Deldique reçoit Franz-Olivier Giesbert, un grand nom du journalisme en France, aujourd’hui écrivain. FOG publie «Voyage dans la France d’avant» (Gallimard), un chant d’amour à la France, entre colère lucide et gratitude nostalgique. Il clôt ainsi son cycle sur la Vè République avec une méditation personnelle sur l’identité française. «Confonds-je la capilotade de ma carcasse et celle du monde moderne qui se dérobe sous mes pieds», s’interroge l’auteur. «Voyage dans la France d’avant» s’inscrit dans la continuité de son «Histoire intime de la Vè République» en trois volumes dont nous avons parlé dans «Idées». Ce nouveau tome n’est pas un livre de souvenirs, ni une autobiographie, mais plutôt une fresque personnelle où l’auteur se penche sur la France comme on contemple un édifice en demande de restauration. Il y mêle colère, amour et mélancolie. Fils d’un soldat américain du Débarquement, élevé en Normandie, Franz-Olivier Giesbert revendique une identité hybride qui nourrit son attachement viscéral à la France. Il célèbre la grâce de la langue, la civilité, la gauloiserie, les paysages ordonnés, les prodiges de la gastronomie et la chanson qui a accompagné sa vie. Loin d’un passéisme béat, notre écrivain au franc-parler assume néanmoins le «c’était mieux avant». Certaines choses l’étaient, tout en reconnaissant les zones d’ombre du passé. Cela lui permet de critiquer la France contemporaine sans sombrer dans le ressentiment. Il évoque une nation fatiguée mais attachante, où les gouvernants «laissent tout filer». Son regard est celui d’un homme libre, qui «n’en fait qu’à sa tête», conseil qui lui a été donné par l'Alberto Giacometti, qui cherche à comprendre d’où nous venons pour savoir surtout où nous allons. Il relie les passions idéologiques, les haines recuites et la tentation de l’abîme à la crise actuelle de la société française. «Voyage dans la France d’avant» est l’œuvre d’un homme libre qui reprend le célèbre mot de Groucho Marx : «Dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui s’est passé» … Programmation musicale : - Joe Dassin Dans Les Yeux D'Emilie - Sly Johnson / Erik Truffaz Nature boy - Irène Duval Sonate pour violon et piano - Troisième mouvement (compositeur :Francis Poulenc) - Pascal Comelade L'argot du bruit.
Dans ce numéro du magazine IDÉES, Pierre-Édouard Deldique reçoit Elise Marrou. Professeure de philosophie contemporaine et d’histoire de la philosophie moderne à l'Université Paris-Sorbonne, elle nous propose une lecture synthétique et pédagogique de l’œuvre de Ludwig Wittgenstein (1889–1951), figure centrale de la philosophie contemporaine, dans un «Que sais-je», aux PUF. Elise Marrou / Cairn info. Philosophe du langage, mathématicien, ingénieur, Wittgenstein est présenté comme un penseur à la fois rigoureux et singulier dont la trajectoire intellectuelle échappe aux classifications simplistes. «Considéré comme l’un des plus grands penseurs du XXè siècle, Wittgenstein n’a publié que deux ouvrages, le «Tractatus logico-philosophicus» et les «Recherches philosophiques» qui, chacun à leur manière, ont provoqué une révolution philosophique profonde», écrit-elle. Non, dit-elle, contrairement à ce que l’on dit souvent de lui, il n’a pas tué la philosophie Bien au contraire car, ajoute-t-elle : «Si nous prenons réellement la peine de nous immerger dans l’œuvre du philosophe viennois, nous nous trouvons confrontés à un philosophe au service des problèmes de la philosophie comme personne peut-être ne l’a été avant lui» ; Au cours de l’émission, et au fil des pages de cet ouvrage utile pour quiconque veut comprendre ce penseur, Elise Marrou insiste sur le double moment de la pensée wittgensteinienne : celle du «Tractatus logico-philosophicus», où le langage est conçu comme un miroir du monde, et celle des «Recherches philosophiques», où la signification devient affaire d’usage et de pratiques sociales. Cette évolution, loin d’être une contradiction, est interprétée comme une radicalisation du projet initial : clarifier les confusions philosophiques en examinant les formes de vie et les jeux de langage. L’auteure déconstruit les slogans souvent associés à Wittgenstein — «la signification, c’est l’usage», «ce dont on ne peut parler, il faut le taire» — pour en restituer la profondeur. Elle montre comment il nous propose une nouvelle manière de faire de la philosophie : non en construisant des systèmes, mais en dissipant les malentendus nés de l’usage du langage. «Le philosophe se remémore l’usage ordinaire des mots afin de les reconduire de leur usage métaphysique à leur usage ordinaire». L’ouvrage met en lumière l’impact de Wittgenstein dans le monde des idées. Elise Marrou souligne que des notions comme «coutume», «institution», ou «forme de vie» permettent de penser les pratiques humaines sans recourir à des abstractions métaphysiques. Cette transversalité est au centre du livre : elle montre que Wittgenstein n’est pas seulement un philosophe du langage, mais un penseur de la culture, des usages, et des formes de rationalité incarnées. Dans ce numéro d’IDÉES et dans cet ouvrage, Elise Marrou nous propose une synthèse accessible et rigoureuse. En évitant les simplifications, elle invite les auditeurs et les lecteurs à entrer dans le détail des textes, tout en fournissant les repères nécessaires pour naviguer dans une pensée réputée à juste titre difficile. Musiques diffusées pendant l'émission Philharmonique de Vienne Zimerman / Bernstein - Concerto n°2 de Brahms Philip Glass - String Quartet n°2 Company Brad Mehldau - After Bach Rondo Jazzrausch Bigband - Dancing Wittgenstein.
Dans ce nouveau numéro d’IDÉES, Pierre-Édouard Deldique reçoit Anne-Lorraine Bujon, la directrice de la revue «Esprit» et Matthieu Febvre-Issaly, membre de son comité de rédaction, coordinateur du dossier de ce mois-ci intitulé «Consciences de l’écologie». Le numéro d’octobre 2025 de la revue Esprit propose, en effet, une analyse des fondements de la pensée écologique contemporaine. La revue interroge les manières de penser, de vivre et de politiser l’écologie à l’heure des bouleversements climatiques. Il met en lumière l’apport théorique de penseurs français majeurs tels que André Gorz ou Pierre Charbonneau. Ces éclaireurs de la fin du XXè siècle, marginaux en leur temps, éclairent les bases philosophiques et critiques de l’écologie politique. Leurs réflexions sur la technique, la décroissance, l’autonomie ou encore la critique du consumérisme nous permettent de mettre en perspective les débats actuels et d’envisager des alternatives à la logique économique du moment. Le dossier revient notamment sur les tensions entre l’écologie radicale et l’écologie réformiste. Dans ce numéro d’IDÉES, Anne-Lorraine Bujon revient aussi sur l’éditorial du numéro qui s’inquiète de la défiance des institutions ici ou ailleurs. «Comment une société peut-elle fonctionner quand ses institutions ne sont plus crédibles ?», s’interroge-t-elle. On notera aussi dans ce numéro un long et intéressant article sur le Rwanda aujourd’hui. Il en est évidemment question dans l’émission. Programmation musicale - Georg Philipp Telemann, Milan Turkovic, Naoko Yoshino - Sonata for Bassoon and Basso Continuo in F Minor, TWV 41:f1: I Triste - David Rothenberg - The Killer.
«Il est le plus profond penseur de la démocratie», écrit l’invité du magazine IDÉES cette semaine, Françoise Mélonio, -spécialiste reconnue de Tocqueville, éditrice de ses textes dans la collection «Pléiade» - dans sa biographie magistrale de l’auteur de «La Démocratie en Amérique». Loin des clichés ressassés et des aphorismes figés, elle redonne vie à un homme complexe, inquiet, parfois maladroit, mais toujours lucide face aux bouleversements de son temps, un homme de son siècle, le XIXè dont la pensée résonne plus que jamais aujourd’hui. Elle en parle avec passion au micro de Pierre-Édouard Deldique. Tocqueville est présenté comme un aristocrate enraciné, «une relique de l’ancien monde» tiraillé entre son héritage familial et son engagement dans la modernité démocratique. Françoise Mélonio explore les tensions entre son statut social et ses convictions politiques, révélant un penseur en perpétuel dialogue avec les paradoxes de son époque. Elle analyse aussi son parcours politique, conseiller général, député, éphémère ministre des Affaires étrangères. Le livre retrace ses voyages aux États-Unis, qui nourrissent son œuvre phare «De la démocratie en Amérique» (1835), et son analyse du passage de l’Ancien Régime à la Révolution française. Tocqueville apparaît comme un visionnaire, inquiet de l’individualisme croissant et du «despotisme doux», mais confiant dans les promesses de la liberté. Son analyse des mécanismes de la société américaine n’a rien perdu de sa pertinence. Françoise Mélonio met en lumière la force littéraire de Tocqueville, souvent éclipsée par son rôle d’analyste politique et souligne l’unité entre l’homme privé et l’acteur public, entre le penseur et l’écrivain. Ce livre s’impose déjà comme une référence incontournable pour comprendre Tocqueville au-delà de son image d’icône intellectuelle. Il parle autant aux historiens qu’aux citoyens soucieux de penser la démocratie contemporaine. Toute personne soucieuse de comprendre la crise démocratique du moment doit le lire. «J’ai pensé cent fois que si je dois laisser quelque chose de moi dans ce monde, ce sera bien plus par ce que j’aurais écrit que par ce que j’aurai fait», écrivait-il. Programmation musicale - Robert Shaw chorale - Dere's No Hidin' Place Down Dere - Nassima - Solo instrumental au violon alto.
Dans ce nouveau numéro d’IDÉES, Pierre-Édouard Deldique reçoit Arnaud Teyssier, historien du gaullisme, pour évoquer la Constitution de la Vè République alors que la France traverse une crise politique inédite sans précédent depuis 1958. Selon lui, la Constitution est solide, capable de faire face à cette crise. «C’est un édifice puissant d’une cohérence profonde et dressé contre la tentation du déclin», écrit-il dans sa monumentale biographie intitulée «Charles de Gaulle, l’angoisse et la grandeur» (Perrin). Il l’explique dans ce nouveau numéro du «magazine qui interroge ceux qui pensent le monde». Dans cet épais ouvrage, Arnaud Teyssier explore la vie exceptionnelle de Charles de Gaulle, en mêlant rigueur historique et profondeur philosophique. Loin d’une simple biographie, le livre propose une méditation sur la grandeur politique et les angoisses quasi-existentielles qu’a connues l’homme du 18 juin. L’auteur, normalien et énarque, revient sur l’enfance de De Gaulle, marquée par une «fierté anxieuse» envers la France, selon les propres mots du général. Il souligne l’influence qu’ont eue chez lui des penseurs et des écrivains comme Chateaubriand, Barrès, Péguy, Bergson ou Maritain, qui ont nourri la vision romantique et spirituelle de Charles de Gaulle qui apparaît comme un homme tiraillé entre la lucidité politique et une quête de transcendance, entre machiavélisme et idéalisme. Le livre insiste sur la conception gaullienne de l’État : fort, souverain, garant de l’unité nationale, le général y est présenté comme profondément conscient du déclin de la France et de l’Occident, confrontés à une modernité sans repères, à une spiritualité affaiblie et à la mort des idéologies. L’auteur montre comment De Gaulle, en bâtissant les institutions de la Vè République, cherchait à conjurer le chaos de juin 1940 et à préparer la France à affronter les défis du futur. Dans l’émission, Arnaud Teyssier explique ce que Charles de Gaulle a voulu faire en créant le Vè République conçue pour lui survivre. Programmation musicale : Keith Jarrett, Sonate III en mi mineur - Vivace (Compositeur : Carl Philipp Emanuel Bach).
Cette semaine, dans le magazine IDÉES, Pierre-Édouard Deldique reçoit Sophie Nordmann. Philosophe et professeure agrégée de philosophie. Elle vient de publier un essai intitulé : « La vocation de philosophe, puissance de la mise en question » (Calmann-Lévy) dans les pages duquel elle explique que, selon elle, cet amour de la sagesse n’a pas pour vocation de produire des savoirs, mais de les bousculer. Elle en parle avec passion et précision dans l’émission. « Comment ne pas suffoquer quand l’air est irrespirable ? Où reprendre son souffle quand l’atmosphère est saturée ? La pensée, elle aussi, a besoin de respirer pour se maintenir vivante », écrit Sophie Nordmann, alors elle propose une conception audacieuse du rôle de la philosophie dans notre monde contemporain. Loin d’être une simple discipline académique, la philosophie y est présentée comme une pratique vivante de la mise en question, un geste qui libère la pensée des carcans idéologiques et des dogmatismes du moment. Professeure à l’École pratique des Hautes Études, à Paris, référence dans sa spécialité, l’auteure qui nous parle au micro avec une grande clarté ne cherche pas à transmettre des doctrines ou des concepts figés. Elle invite plutôt à éprouver la capacité de la philosophie à créer un «appel d’air» dans les discours qui saturent nos sociétés. Dans un monde plein de certitudes, le philosophe devient un empêcheur de penser en rond, à l’image de Socrate, Descartes, Kant ou Nietzsche, figures centrales du livre et précieux compagnons de vie. L’ouvrage ne se veut pas une histoire de la philosophie, mais en effet une exploration du geste philosophique de quatre penseurs : - Socrate : la maïeutique, ou l’art d’accoucher les esprits - Descartes : le doute méthodique comme outil de discernement - Kant : la critique comme fondement de la liberté - Nietzsche : la pensée comme transgression et création Spécialiste de la philosophie juive contemporaine, Sophie Nordmann insiste sur le courage qu’exige la pensée philosophique : celui de se déprendre de soi, de ses certitudes, pour ouvrir un espace critique et respirable. Elle distingue clairement la philosophie de la science : là où la science cherche des réponses dans un champ donné, la philosophie n’a pas de champ, elle est quête de mise en question. Non pas pour nous déséquilibrer, mais pour voir la vie autrement. Programmation musicale : Naïssam Jalal, Robinson Khoury - Souffle #8.
Cette semaine, IDÉES reçoit Anne-Lorraine Bujon, la directrice de la revue «Esprit», partenaire de l’émission. Dans son numéro de septembre, cette revue de haut vol dont la devise est «comprendre un monde qui vient» consacre un dossier au socialisme aujourd’hui, au cœur de la conversation avec Pierre-Édouard Deldique. «Barbarie ou socialisme», tel est le titre de ce numéro. Emprunté à Rosa Luxemburg, il résonne comme un cri d’alarme face aux dérives contemporaines. L’expression «socialisme ou barbarie», forgée au début du XXè siècle, est ici inversée pour souligner une inquiétude : ne reste-t-il aujourd’hui que la barbarie ? Dans leur introduction, les coordinateurs du dossier, Jonathan Chalier et Michaël Fœssel, font preuve d’une grande lucidité : «quelle que soit la manière dont on l’aborde (scientifique, utopique, démocratique ou morale), le socialisme ne s’impose plus comme une solution évident», écrivent-ils. Pourtant, il existe selon eux une voix d’avenir avec les «projets écosocialistes» qui «associent une prise de conscience des impasses du productivisme et la nécessité d’y répondre par une transformation démocratique des rapports économiques et sociaux». Il s’agirait de renouer avec une vision du socialisme qui articule, émancipation politique, transformation des rapports sociaux, refus de la logique prédatrice du capitalisme, réhabilitation du droit et de la solidarité. Ce numéro s’inscrit dans la tradition critique de «Esprit », cette revue fondée en 1932, mêlant philosophie, sociologie et engagement. Michaël Fœssel, Axel Honneth et Bruno Karsenti y proposent des analyses profondes sur les pathologies de la liberté, la reconnaissance et les impasses de la modernité politique. À lire aussi l’éditorial du numéro qui est plaidoyer en faveur de l’Europe. Son titre ? «Cap sur l’Europe». Il est question de tout cela dans ce nouveau numéro d’IDÉES en compagnie d’Anne-Lorraine Bujon. Programmation musicale : - Thiefs - Make a fist - Ablaye Cissoko, Cyrille Brotto - Nina.
Dans son dernier livre en date, «De la bêtise artificielle» (Allia) notre invitée, Anne Alombert, s’inquiète. Selon elle, «la notion d’«intelligence artificielle» recouvre une nouvelle révolution industrielle, qui implique le risque de l’automatisation et de la prolétarisation de la pensée». Elle est l’invitée de ce numéro du magazine IDÉES. Spécialiste de la pensée de Bernard Stiegler qu’elle est venue expliquer dans l’émission, professeure de Philosophie, spécialiste des nouvelles technologies et de leur impact anthropologique, Anne Alombert analyse à sa façon, claire et précise, notre servitude volontaire face à l’IA. Selon elle, ce qui caractérisait notre époque, ce serait la naissance d’une forme de bêtise artificielle née de la prolétarisation de nos capacités expressives (écrire, parler, créer) par les machines. Le risque est l’appauvrissement de nos capacités intellectuelles. En nous laissant croire à l’existence de «machines pensantes», le terme d’intelligence artificielle nous empêche de penser véritablement. Il dissimule l’idéologie des grandes entreprises qui se sont approprié ces technologies, leurs infrastructures et leurs modèles économiques. L’usage massif des IA génératives entraîne une disruption des relations humaines et une délégation de l’expression à des systèmes algorithmiques. Cela conduit à une uniformisation et une perte de singularité dans nos échanges. Plutôt que d’opposer machines et humains, la jeune chercheuse propose d’interroger leur évolution afin de comprendre les effets des automates sur nos esprits, nos cultures et nos sociétés. Malgré ce constat critique, Anne Alombert ne fait pas montre de pessimisme. Elle affirme qu’il est possible de réorienter ces technologies pour les mettre au service de l’intelligence collective et de la démocratisation de l’espace médiatique, à condition de les concevoir comme des outils de contribution, et non d’imitation ou d’automatisation. Cet essai est à la fois lucide et stimulant. Il invite à repenser notre rapport aux technologies et à préserver notre capacité à penser, créer et dialoguer en tant qu’êtres singuliers sous peine de devenir les esclaves consentants de la machine. Ses explications au micro de Pierre-Édouard Deldique sont une forme d’avertissement. À nous de l’écouter. Programmation musicale Angel Brothers - Lost In The Loop.
Dans son dernier essai en date, « L’ère des impostures », Astrid von Busekist, professeure de Théorie politique à Sciences Po, propose une nouvelle fois une analyse précise de notre société occidentale en s’intéressant aux dérives contemporaines liées aux identités. À l’heure où chacun revendique le droit de se définir librement, l’auteure interroge les limites de cette liberté : peut-on vraiment choisir son origine, sa race, sa mémoire ? Et que se passe-t-il lorsque cette revendication devient mensonge ? Ce sont les questions qu’elle traite au fil des pages de ce livre publié aux éditions Albin Michel. Elle est l’invitée d’IDÉES cette semaine. À travers des exemples littéraires, historiques et médiatiques, Astrid von Busekist que nous retrouvons avec plaisir dans l’émission explore avec sa clarté et sa précision habituelles, le phénomène de l’imposture identitaire — ces cas où des individus s’approprient une histoire ou une appartenance qui ne leur revient pas. De Coleman Silk, personnage de Philip Roth dans son roman « La tâche », aux faux rescapés de la Shoah, en passant par les controverses autour de figures se disant autochtones ou racisées, l’essai met en lumière une tension fondamentale : entre le désir d’émancipation individuelle et les exigences de vérité et de justice. Mais « L’ère des impostures » ne se contente pas de dénoncer. Le livre invite à réfléchir sur la manière dont nos sociétés construisent et verrouillent les identités, parfois au détriment de la complexité humaine. La philosophe critique une vision « carcérale » de l’appartenance, où l’origine devient une frontière infranchissable, et où toute tentative de déplacement est perçue comme une trahison. Astrid von Busekist interroge les fondements de notre rapport à nous-mêmes et aux autres. Son essai, à la fois philosophique et politique, s’adresse à tous ceux qui veulent comprendre les enjeux profonds de notre époque : entre quête de soi, mémoire collective et vérité partagée. Elle en parle avec pertinence, clarté, et énergie au micro de Pierre-Édouard Deldique dans ce nouveau numéro d’IDÉES, le magazine qui interroge celles et ceux qui pensent le monde. Programmation musicale - Jowee Omicil - Cry 4 Help - Arnaud Dolmen, Jowee Omicil et Michel Alibo - Silent Echoes.
Entre la fuite en avant et le principe de précaution, notre invitée, érudite, Catherine Van Offelen propose une voie médiane, subtile et audacieuse : celle de la phronesis, cette prudence antique qui n’a rien de timorée. Dans son essai Risquer la prudence, elle exhume une vertu oubliée, à la fois pratique et courageuse, capable de guider l’action humaine dans l’incertitude. Catherine Van Offelen en parle avec une précision rare dans ce nouveau numéro d’Idées au micro de Pierre-Édouard Deldique. Contrairement à l’idée moderne de prudence – souvent associée à l’immobilisme ou à la peur du risque – cette jeune intellectuelle nous rappelle que la phronesis aristotélicienne est une forme de sagesse active. Elle ne consiste pas à éviter le danger, mais à l’évaluer avec justesse, à décider malgré l’ambiguïté, et à agir avec discernement. C’est une prudence qui ose, qui tranche. L’auteure critique le règne du principe de précaution, devenu selon elle un dogme paralysant. Elle plaide pour une réhabilitation de la décision humaine, fondée sur l’expérience, le jugement et une forme de courage intellectuel. Catherine Van Offelen, aux multiples références, puise dans les textes d’Aristote, mais aussi dans les traditions stoïcienne et chrétienne, pour montrer que la prudence n’est pas une faiblesse, mais une force. Elle est la vertu du capitaine dans la tempête, du médecin face à l’incertitude, du citoyen dans un monde complexe. Dans un style limpide et rigoureux, elle tisse des liens entre philosophie antique et enjeux contemporains : écologie, politique, éthique médicale, intelligence artificielle. Partout, la phronesis apparaît comme une boussole précieuse. Risquer la prudence est plus qu’un essai philosophique : c’est une invitation à penser autrement notre rapport au risque, à l’action et à la responsabilité. En réhabilitant cette vertu oubliée, Catherine Van Offelen nous offre une clé pour naviguer dans l’incertitude sans renoncer à agir. Son enthousiasme est roboratif. Il nous invite à être prudent, mais pas trop… ► Catherine Van Offelen, Risquer la prudence – Une pratique de la sagesse antique (Gallimard) Programmation musicale : - Brad Mehldau - Dear Prudence - Yves Jamait - Ah ! la Prudence - Louis Sclavis - Aboard Ulysses's boat.
Dans J’ai choisi la vie, Monique Lévi-Strauss, livre un récit intime et profond à travers une série d’entretiens menés par l’Académicien Marc Lambron. Ce livre est bien plus qu’une autobiographie : c’est une traversée du siècle, une plongée dans les souvenirs d’une femme qui a vécu les bouleversements majeurs du XXè siècle avec dignité, lucidité et une élégance rare. Pour IDÉES, Pierre-Edouard Deldique est parti à sa rencontre. Née en 1926, fille d’une mère juive et d’un père belge, Monique Lévi-Strauss a connu l’horreur du nazisme en Allemagne, où sa famille s’est installée en 1939. Elle y a vécu dans la peur constante d’être dénoncée, une expérience traumatisante qu’elle partage avec une sincérité bouleversante. Après la guerre, elle part aux États-Unis avant de revenir en France, où elle rencontre Claude Lévi-Strauss, qu’elle épousera en 1954. Monique n’est pas seulement la compagne du célèbre anthropologue. Elle est aussi une chercheuse reconnue, passionnée par les textiles anciens, notamment les châles, auxquels elle a consacré une partie de sa carrière. Elle a accompagné son mari dans ses expéditions, relu ses manuscrits, et participé activement à ses réflexions, tout en conservant son indépendance intellectuelle. Le livre est construit comme une conversation à bâtons rompus entre deux esprits brillants. On y découvre les goûts de Monique pour l’art, la littérature, la nature, mais aussi ses réflexions sur les grands événements du siècle. Elle évoque avec tendresse et humour sa vie, son admiration pour les écrits de son mari, dont elle fut la première lectrice exigeante. À ne pas manquer. Programmation musicale : - Jean-François Zygel, Antoine Hervé : Paris ; Sceaux.
Dans IDÉES ce dimanche, Pierre-Edouard Deldique vous propose en quelque sorte une traversée du désert avec son invitée, Marie Gautheron, spécialiste d’histoire de l’art. Dans son livre Désert, déserts, du Moyen-Âge au XXIè siècle (Gallimard), elle propose d’analyser le regard occidental sur le désert avec force images. Marie Gautheron s’interroge dans son livre : « Pourquoi et depuis quand les vastes pays arides fascinent-ils l’Occident ? Ce livre raconte l’histoire sensible, esthétique et politique de nos images de déserts, entre créations et stéréotypes, fantasmes et savoirs positifs. Car l’image du désert n’a pas toujours été celle de ces sables à laquelle nous l’identifions souvent aujourd’hui. Née dans l’Orient judéo-chrétien, c’est d’abord celle, paradoxale, d’une expérience intérieure, et de tout espace abandonné de Dieu et des hommes. L’Occident médiéval la réinvente dans des clôtures ou des lieux d’ascèse et d’isolement, île ou forêt. Au fil des siècles, les déserts affreux de la verte Europe se muent en beaux déserts, tandis qu’un flux croissant d’Occidentaux parcourt les déserts d’Orient. Le vaste pays aride est alors promu paysage – sublime parfois, essentialisé souvent. Dans l’imaginaire hexagonal, la « pacification » du Sahara fait de l’empire du vide un champ de bataille, et une terre où rêver d’altérité. Espaces immersifs d’expériences extrêmes, les déserts sont l’objet d’enjeux géopolitiques majeurs au XXᵉ siècle, et le lieu de mutations radicales. Mondialisées, nos images de déserts s’ouvrent à de nouveaux lieux de mémoire. Figure de déréliction et d’exaltation, icône postmoderne de nos non-lieux, souvent déceptive et plus que jamais paradoxale, l’image du désert prête aux utopies, aux dystopies, et résonne encore d’antiques rémanences. » Elle en parle avec passion dans ce nouveau numéro d’IDÉES le magazine qui interroge ceux qui pensent le monde. Programmation musicale : Maurice Jarre - Ouverture du film Lawrence d’Arabie Ahman Pejman - Ecstasy ; Sunset Félicien David (musique), Auguste Colin (paroles) - Ode-Symphonie Le désert Yazz Ahmed - La Saboteuse Vladimir Spivakov, Sergej Bezrodny - Spiegel im Spiegel (Miroir dans le miroir)Compositeur : Arvö Part
Journaliste et écrivain, Giuliano da Empoli est un des esprits les plus brillants du moment. L’auteur des Ingénieurs du chaos ou du roman Le mage du Kremlin est l’invité de ce numéro d’Idées pour parler des « prédateurs qui sont au pouvoir aujourd’hui sur tous les continents ». (Rediffusion) Ancien adjoint au maire en charge de la culture à Florence, conseiller politique du président du Conseil italien Matteo Renzi, il a publié son premier livre en 1996, Un grande futuro dietro di noi à propos des difficultés rencontrées par les jeunes Italiens. En tant qu'auteur et commentateur politique, il intervient régulièrement dans des émissions télévisées et radiophoniques en Italie et en France. Il publie aujourd’hui L’heure des prédateurs chez Gallimard. « Aujourd’hui, l’heure des prédateurs a sonné et partout les choses évoluent d’une telle façon que tout ce qui doit être réglé le sera par le feu et par l’épée. Ce petit livre est le récit de cette conquête, écrit du point de vue d’un scribe aztèque et à sa manière, par images, plutôt que par concepts, dans le but de saisir le souffle d’un monde, au moment où il sombre dans l’abîme, et l’emprise glacée d’un autre, qui prend sa place. », écrit-il dans ce récit. Au micro de Pierre-Edouard Deldique, Giuliano da Empoli nous fait voyager de New York à Riyad, de l’ONU au Ritz-Carlton de MBS, « là où le pouvoir s’acquiert par des actions irréfléchies et tapageuses, où des autocrates décomplexés sont à l’affût du maximum de chaos, où les seigneurs de la tech semblent déjà habiter un autre monde, où l’IA s’avère incontrôlable ». L’auteur qui a une parfaite connaissance du milieu politique regarde sans ciller : « L’union de la rage et des algorithmes ». Il préconise de « réinventer une propagande adaptée à l’ère des selfies et des réseaux sociaux » car « le moment que nous vivons est machiavélien ». Idées, le magazine qui interroge ceux qui pensent le monde. Programmation musicale : Edouard Ferlet – Herd instinct
Invité par Pierre-Edouard Deldique dans un nouveau numéro du magazine qui interroge ceux qui pensent le monde, Marc Crépon est inquiet. Philosophe, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École normale supérieure de Paris, ancien directeur du département de Philosophie de l’ENS, auteur notamment de La Vocation de l’écriture. La littérature et la philosophie à l’épreuve de la violence (2014), L’Épreuve de la haine (2016), Inhumaines conditions. Combattre l’intolérable (2018), Le Désir de résister (2022), Sept leçons sur la violence (2024), il nous propose cette fois « Le spectre du nationalisme » (Odile Jacob). « Qu’est-ce qui a manqué au rêve européen et à la construction de l’Europe pour que ressortent des oubliettes de l’histoire les idéologies nationalistes qui font aujourd’hui un retour en force sur toutes les scènes politiques européennes, avec leur cortège de discours discriminants et d’incitations à la haine et à la violence ? » s’interroge Marc Crépon. Dans ce livre, le philosophe reconnu tente de répondre en convoquant de grands intellectuels : Romain Rolland au lendemain de la Première Guerre mondiale, Julien Benda et Léon Blum, entre les deux guerres, Klaus Mann révélant dès 1933 l’emprise nazie sur la culture et l’éducation, Alberto Savinio dénonçant le discrédit de l’intelligence dans le fascisme italien, etc. « Nous voici mis en garde contre le fond commun de toutes les formes du nationalisme, dont le spectre s’invite dans nos existences partagées, toutes nations confondues : son racisme constitutif, ses nostalgies impériales et coloniales, ses hantises démographiques. Les valeurs qui ont fait l’Europe sont-elles encore porteuses d’une espérance suffisante pour contrer le retour d’une idéologie liée aux pages les plus sombres de son histoire ? » écrit-il. À lire et à écouter en ces temps troublés. Programmation musicale : Roxane Elfasci, Baptiste Erard, Théo Lampérier - Étude No9 (Arr. for 2 Guitars and Drums by Roxane Elfasci, Baptiste Erard, and Théo Lampérier). Compositeur : Philip Glass.
Le numéro d’été (juillet-août 2025) de la revue Esprit nous propose une plongée dans les ressorts idéologiques des mouvements autoritaires et d’extrême droite. Coordonné par Marc-Olivier Padis et Anne Dujin, la rédactrice en chef de la revue (notre invitée), le dossier intitulé «La convergence des haines» met en lumière une dynamique inquiétante : celle de la coalition des ressentiments. Anne Dujin et Marc-Olivier Padis en parlent au micro de Pierre-Edouard Deldique. ⇒ Revue Esprit : La convergence des haines. Ce dossier complet se fonde sur les travaux de Daniel Lindenberg (Le Rappel à l’ordre, enquête sur les nouveaux réactionnaires, 2002), les auteurs montrent que les discours réactionnaires ne reposent pas sur une cohérence intellectuelle, mais sur une capacité à agréger des colères disparates. Qu’il s’agisse de rejet de l’autre, de nostalgie identitaire ou de frustration sociale, ces haines convergent dans un projet politique qui séduit par sa simplicité et sa radicalité. Le dossier analyse le rôle de plusieurs penseurs et écrivains dans cette recomposition idéologique : Michel Onfray, présenté comme un vecteur de confusionnisme, mêle références de gauche et rhétorique conservatrice Michel Houellebecq, quant à lui, incarne une posture post-politique, où le désenchantement devient esthétique Charles Maurras, figure historique de la droite nationaliste, revient en force dans certains cercles intellectuels. Face à cette montée des discours illibéraux, les auteurs appellent à une réaction politique forte. Il ne suffit plus de dénoncer : il faut reconstruire un projet démocratique et émancipateur, capable de répondre aux peurs sans céder à la tentation autoritaire. La gauche en sera-t-elle capable ? Ce numéro du magazine Esprit dont la devise est « comprendre le monde qui vient » ne se contente pas d’un constat. Il propose une cartographie des pensées réactionnaires. Il invite à repenser les conditions d’un débat public éclairé. Dans un contexte où les passions l’emportent souvent sur la raison, cette enquête est une contribution précieuse à la défense de l’esprit critique. À écouter absolument. Site de la revue Esprit. Programmation musicale : Cinquième Saison - Cinquième Saison.
Dans son dernier livre, l’essayiste, observateur critique et amusé de son époque s’interroge avec pertinence sur le rôle des intellectuels et surtout sur leur lucidité. Il est l’invité de Pierre-Édouard Deldique dans un numéro estival du magazine IDÉES. Samuel Fitoussi est un essayiste français, diplômé de HEC et de l’Université de Cambridge, qui s’est imposé comme une voix singulière dans le paysage intellectuel contemporain. Chroniqueur au Figaro, il s’est fait remarquer par son ton incisif et son goût pour la controverse argumentée. Il est, sans nul doute, un des meilleurs observateurs du monde des idées en France aujourd’hui. Après Woke Fiction (2023), où il dénonçait l’influence de l’idéologie de la diversité dans les œuvres culturelles, il revient en 2025 avec un essai percutant : Pourquoi les intellectuels se trompent (Éditions de l’Observatoire) qui est au cœur de notre conversation cette semaine. Dans ce livre, Samuel Fitoussi explore les raisons pour lesquelles les intellectuels, malgré leur intelligence, adhèrent parfois à des idées absurdes ou nuisibles. Nourri par les pensées de George Orwell, Raymond Aron ou Jean-François Revel, il s’appuie sur des études en psychologie cognitive pour démontrer que l’intelligence ne protège pas de l’erreur — elle peut même y prédisposer. Programmation musicale : Gogo Penguin - Umbra
Pierre-Édouard Deldique reçoit cette semaine la journaliste, romancière, essayiste, Judith Perrignon qui, dans son dernier livre « L'autre Amérique » (Grasset) nous propose une évocation historique fondée sur la figure de Franklin Delano Roosevelt, le 32è président des États-Unis. Au fil des pages, et dans l’émission, l’auteure explore les années de crise, les années 30, qui ont marqué l’Amérique — de la Grande Dépression à la Seconde Guerre mondiale — et la manière dont Roosevelt a tenté de redresser un pays à genoux grâce au New Deal, sa politique de réformes sociales et économiques. À des années-lumière des années Trump. Mais ce livre ne se contente pas de raconter l’histoire officielle. Il met surtout en lumière les tensions profondes qui traversent les États-Unis : la fracture raciale, les inégalités sociales, et les luttes de pouvoir entre les élites économiques et le gouvernement démocratique. Au micro d’IDÉES, Judith Perrignon tisse des parallèles édifiants entre Roosevelt et l’Amérique contemporaine, celle de Donald Trump, soulignant que les combats d’hier résonnent encore aujourd’hui. Penser le passé pour mieux appréhender le présent. Elle évoque aussi les figures qui ont accompagné Roosevelt : Eleanor Roosevelt, femme engagée et visionnaire, et Henry Morgenthau Jr, son bras droit et secrétaire au Trésor, dont l’amitié et les convictions ont influencé les décisions du président. Les échanges épistolaires entre les deux hommes sont au centre du travail de l’auteur. Ce livre est bien plus qu’une biographie : c’est un miroir tendu à notre époque, une invitation à réfléchir sur les fondements de la démocratie, les dérives du capitalisme et la force de conviction en politique. Programmation musicale : - Hezekiah Jenkins - The Panic is on - Leo Reisman and his orchestra - Happy days are here again - Woody Guthrie - Pastures of plenty - Lead Belly - The Roosevelt song.