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Intérieur jour
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Intérieur jour

Author: Blandine Rinkel

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Description

Des discussions à bâtons rompus avec des personnes dont les manières de parler/d’écrire stimulent, des voix dont la précision, la densité, le sens de l’humour, intriguent et irriguent à la fois. Des échanges d’une heure à partir de textes littéraires qui font (ou ne font pas) l’actualité. Le podcast d'Intérieur nuit.

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Ce qui suit est une discussion sur la solitude, le goût du jeu, les contradictions qui nous fondent. Elle a été enregistrée début août, chez moi, avec l’auteur Victor Jestin, qui écrit des livres brefs et corrosifs, à la fois ramassés et ardents. Des petits royaumes de solitude où les narrateurs et narratrices cultivent à la fois un écart vis à vis du monde et une envie de rejoindre ce monde. Ils ne sont pas toujours isolés socialement, mais disons que personne ne parle tout à fait leur langue. Cette langue leur vient de l’enfance, un territoire dont ils ont le sentiment d’avoir été exfiltrés brutalement. Les deux premiers romans de Victor étaient La chaleur (Flammarion 2019, Prix Femina des lycéens) et L’homme qui danse (Flammarion, 2022). Son troisième livre, La mauvaise joueuse (Flammarion, 2025) raconte l’histoire de Maude, une jeune femme addicte aux jeux de toutes sortes et qui, en voiture, une nuit, heurte quelque chose ou quelqu’un. Suite à ça, brutalement, elle fugue. Allant de jeux en jeux comme on chercherait à fuir les autres, à se fuir soi tout à la fois. « Je n’espérais rien, et un bowling est apparu. J’ai su que c’était un bon bowling. Je l’ai su à la façon dont BOWLING était écrit, en lettres violet néon. Ça ne clignotait pas. Les mauvais bowlings clignotent. Ils aguichent. Celui-ci ne cherchait pas à plaire. Il était tranquille, souverain dans la nuit, au bord de la nationale. Les voitures passaient devant en sifflant sur le bitume mouillé, et chacune semblait rater sa chance, foncer vers sa perte. »Ce qui m’a plu dans ce livre c’est l’ambiguïté entre un goût des règles et un désir de sédition. Plus ou moins de règles ? Plus ou moins de normes ? Que cherche Maude ? Que cherche Victor ? Que cherche-t-on ? Et que peut l’écriture pour cette traque profonde de vivre une vie qui serait un peu plus que la vie ? « De cette vision datait peut-être ma plus vieille intuition de ce qu’était un jeu : un autre monde tout à la fois proche et lointain, dont il me fallait comprendre les lois afin d’y pénétrer, un monde possiblement supérieur à celui que j’habitais, si j’en croyais l’ombre jetée tout autour de lui, sur les meubles, sur les couleurs et même sur les gens, un monde qui m’inspirait. »Ce sont les questions qu’on va se poser, en vrac, et dans une atmosphère à la fois amicale et inquiète, pendant une heure. Bonne écoute.Mon passage de la discussion préféré : "Je pense que la tension entre l’aspiration à l’ordre et goût du désordre est fondamentale dans le livre. Quand je tiens, comme ça, une contradiction insondable, je suis très content. J’ai l’impression que la vérité est là, que le point est là, qu’on ne doit pas trancher (…) Si on rentre dans le détail entre aspiration à l’ordre et au désordre, je suis frappé, par exemple, par le fait que ma sympathie immédiate dans l’espace social, dans l’espace politique, va a ce qui va essayer de contester, de bousculer, l’ordre en place. Des choses qu’on peut trouver dans la gauche radicale. Mais esthétiquement j’ai un immense goût pour l’ordre. J’adore quand y’a rien qui dépasse, ou quand ça dépasse bien comme il faut, au bon endroit, j’adore le classicisme en littérature, j’aime beaucoup Pascal, La Fontaine - je pourrais presque les citer comme mes écrivains préférés - et aussi évidemment la musique, le classicisme en musique. Une personne entièrement requise par la politique pourrait presque me reprocher mes goûts, elle pourrait les trouver suspects. C’est intéressant. C’est là que cohabite en moi la contradiction (…) Et je pense que le geste fondamental du jeu est un geste de sédition - de rejet de l’ordre -, mais très vite après ça, il y a évidemment le besoin, l’envie, d’instaurer un nouvel ordre… C’est un peu l’histoire de l’anarchisme. D’un grand « non » imposé à l’ordre, va-t-on, en fait, reproduire un nouvel ordre ? C’est séculaire comme question, c’est une des grandes questions de l’humanité. »Livres évoqués : Stallone d’Emmanuèle Bernheim, ed. Gallimard 2002Le Joueur d'échecs, Stefan Zweig, original 1943, trad. Jean Torrent, Payot-Rivages 2013Film évoqué :Good Time des frères Safdie, avec Robert Pattinson Article cité : Le grand bluff à l’irakienne, Courrier International août 2025, citant The AtlanticGénérique : Le temps libre de Maison PierōPhoto sur le visuel : AFP / Joël SagetIntérieur nuit est jeune et indépendant. Pour l’encourager, vous pouvez vous y abonner : Get full access to Intérieur nuit at blandinerinkel.substack.com/subscribe
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