DiscoverL'invention de l'Europe par les langues et les cultures (2023-2024) - Peter Sloterdijk
L'invention de l'Europe par les langues et les cultures (2023-2024) - Peter Sloterdijk
Claim Ownership

L'invention de l'Europe par les langues et les cultures (2023-2024) - Peter Sloterdijk

Author: Collège de France

Subscribed: 15Played: 77
Share

Description

La chaire annuelle L'invention de l'Europe par les langues et les cultures a été créée en partenariat avec le ministère de la Culture (Délégation générale à la langue française et aux langues de France).

Quelques marque-pages dans le livre de l'Europe

Dans son fameux Discours sur la dignité de l'homme (Oratio de hominis dignitate, 1486), le savant de la Renaissance Pic de la Mirandole fait parler ainsi le Créateur du monde, s'adressant à Adam : « Si nous ne t'avons fait ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, c'est afin qu'en libre (arbitrarius) et honorable (honorarius) sculpteur et façonneur de toi-même (tui ipsius plastes et fictor), tu puisses te façonner (effingas) entièrement selon la forme que tu auras choisie. »

Partant du principe que la grandeur culturelle que nous appelons « Europe » peut être conçue par analogie comme une personnalité adamique multiple qui, au cours de son histoire récente, a produit une pluralité d'autoconceptions et d'autostylisations, je voudrais présenter un parcours à travers diverses déclarations de penseurs européens au sujet de l'« essence » de l'Europe, assemblées en un ensemble multiperspectiviste et polyphonique. Comme cet ensemble trouve sa meilleure représentation dans l'image d'une bibliothèque de référence ou d'un outil bibliographique, les systèmes d'énoncés à présenter concernant l'Europe pourraient être considérés comme des livres dans lesquels j'ai inséré un signet ou un marque-page à chaque endroit significatif afin de retrouver plus facilement l'élément important.

Je limiterai mon choix à des auteurs du XXe siècle, dont chacun à sa manière s'est montré sensible au fait que l'Europe est en passe de céder à d'autres acteurs son rôle de puissance centrale dans l'histoire mondiale. Tous ces auteurs semblent donner raison à la devise de Kierkegaard selon laquelle la vie est comprise à l'envers tout en étant vécue à l'endroit. En ce qui concerne l'Europe, cela signifie que cet « autre cap » possède un trésor surabondant de compréhension rétrospective, même si l'avenir s'annonce précaire, problématique et même à certains égards menaçant.

16 Episodes
Reverse
Peter SloterdijkL'invention de l'Europe par les langues et les culturesCollège de FranceAnnée 2023-202409 - Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'Europe : L'objet de haine : De l'hostilité à l'Occident à la leukophobie (2)Peter SloterdijkRecteur de l'université des Arts et du Design de Karlsruhe, professeur invité du Collège de FranceOlivier MannoniTraducteur
Peter SloterdijkL'invention de l'Europe par les langues et les culturesCollège de FranceAnnée 2023-202408 - Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'Europe : L'objet de haine : De l'hostilité à l'Occident à la leukophobie (1)Peter SloterdijkRecteur de l'université des Arts et du Design de Karlsruhe, professeur invité du Collège de FranceRésuméLa leçon de conclusion opère une sélection dans l'immense littérature qui se consacre – sans attendre le XIXe siècle – à la critique de l'Europe dans la vision des non-Européens ou des anti-Européens.Nous trouvons un premier type de réflexion extérieure sur l'« essence » de l'Europe – conçue comme un complexe de peuplades germaniques et romanes – dans la construction d'une opposition inconciliable entre « la Russie et l'Europe » dans la pensée du cofondateur du mouvement panslaviste, Nikolaï J. Danilevski. Dans le portrait que brosse Danilevski (publié à Saint-Petersbourg en 1871), l'Europe présente trois traits essentiels qui la différencient, à son détriment, de son vis-à-vis russe : la cruauté guerrière, la désunion des partis, la déformation mensongère du christianisme vrai par les confessions occidentales. Les idées de Danilevski ont retrouvé une importance politique ces derniers temps, depuis que Vladimir Poutine les revendique pour ses conceptions d'un « espace eurasien » anti-occidental. L'essayiste brésilien et poète Oskar de Adrade présente un deuxième type de réflexion critique à l'égard de l'Europe dans son Manifeste anthropophagique de 1928 ; l'auteur y développe l'idée que la culture colonisée doit « dévorer » le colonisateur au lieu de se laisser consommer par lui. Un troisième type de confrontation avec la théorie et la pratique européennes apparaît dans le projet présenté par le philosophe camerounais Achille Mbembe d'une Critique de la raison nègre, Paris, 2013. Ce texte, dont le titre reprend de manière parodique l'idée kantienne de la « critique », illustre de manière impressionnante le fait que la perception de l'Europe ne peut pas s'arrêter à la réflexion extérieure, mais – au-delà du stade de l'appropriation ou de la « vaccination » anthropophagique – conduit à un déploiement des potentiels d'autocritique que détient la rationalité européenne. Avec la thèse hyperbolique du « devenir-nègre du monde » formulée par Mbembe, celui-ci tente de montrer comment l'économie capitaliste mondiale produit une globalisation de la conditio nigra. Perspective : Au-delà de l'impérialisme et du déclinisme : Une Europe décentrée à l'ère des métamorphoses, qui s'éloigne
Peter SloterdijkL'invention de l'Europe par les langues et les culturesCollège de FranceAnnée 2023-2024Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'EuropeSéminaire - Robert Pogue Harrison : In Conversation with Peter Sloterdijk (En dialogue avec Peter Sloterdijk)Robert Pogue HarrisonProfessor, Stanford UniversityRésuméI will be responding to Sloterdijk's leçon at the Collège de France, posing a question about what it means to take possession of the earth, and a question about the modern citizen's obligations in the era of globalization.Robert Pogue HarrisonM. Robert Pogue Harrison est professeur de littératures française et italienne à l'université de Stanford et essayiste. Il est membre de l'American Academy of Arts and Sciences depuis 2007. En 2013, il a été décoré chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres de la République française.
Peter SloterdijkL'invention de l'Europe par les langues et les culturesCollège de FranceAnnée 2023-202407 - Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'Europe : Les globes, les bateaux, les fils superflusPeter SloterdijkRecteur de l'université des Arts et du Design de Karlsruhe, professeur invité du Collège de FranceRésuméLe point de départ des réflexions qui suivent nous est fourni par les thèses du théoricien des médias et de la culture Friedrich Kittler, selon lesquelles le poète Homère a été le fondateur de l'innovation culturelle révolutionnaire qu'a constituée la notation des voyelles dans l'écriture grecque ancienne. La capacité à restituer les voyelles par écrit serait selon lui la véritable naissance de l'Europe à partir de l'esprit de la grammatologie. Cette interprétation a été tout récemment réfutée par le germaniste et historien de la culture Klaus Theweleit, à l'aide d'une déduction spéculative de la notation des voyelles à partir de l'esprit de la navigation sur l'Égée. Sur fond de querelle hermétique des savants, on éclairera dans cette leçon quelques aspects de la mondialisation anglophone, francophone et hispanophone au commencement de la révolution numérique de l'ère Gutenberg.
Peter SloterdijkL'invention de l'Europe par les langues et les culturesCollège de FranceAnnée 2023-2024Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'EuropeSéminaire - Gilles Kepel : « Allez et enflammez le monde » du livre des extensionsGilles KepelMembre honoraire senior de l'Institut universitaire de France depuis 2010 et professeur des universités, Gilles Kepel est spécialiste de la sociologie politique et religieuse du Moyen-Orient contemporain. Il consacre également ses travaux à l'anthropologie politique des populations d'origine musulmane en France.
Peter SloterdijkL'invention de l'Europe par les langues et les culturesCollège de FranceAnnée 2023-202406 - Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'Europe : « Allez et enflammez le monde » du livre des extensionsPeter SloterdijkRecteur de l'université des Arts et du Design de Karlsruhe, professeur invité du Collège de FranceRésuméOn peut établir un parallèle stratégique et spirituel entre la maxime attribuée à Ignace de Loyola, « Allez et enflammez le monde ! » et la devise de Philippe II d'Espagne, Orbis non sufficit (« Le monde ne suffit pas »). Les deux expressions marquent des aspects de ce que l'historien suisse Jacob Burckhardt avait décrit en 1860 sous le titre apparemment neutre La découverte du monde et de l'homme et de ce que les penseurs ultérieurs de l'histoire ont désigné comme la « prise du monde » émanant de l'Europe.Alors que la marche progressive de l'exploration, de la cartographie, du travail de mission et de l'occupation impériale de nombreuses régions de la terre par les agents des nations maritimes de l'Europe a marqué l'« histoire du monde » des XVIe et XVIIe siècles, c'est à partir du Moyen Âge tardif, et de manière amplifiée à partir du XVIIe siècle, qu'ont débuté l'exploration et l'exploitation de la terre par l'industrie minière européenne et ses filiales transatlantiques. C'est dans ce contexte que l'on peut expliquer comment il faudrait comprendre la formule exprimée par le président français Emanuel Macron à l'automne 2022, « la fin de l'abondance ». L'introduction au Décaméron de Giovanni Boccaccio, dit Boccace – le livre qui fonde la littérature européenne de la nouvelle et du roman – relate la mort en masse des habitants de Florence après l'arrivée de la peste en 1348-1349. Elle inaugure une ère de sensibilité démographique sur le sol européen. Après que la « peste noire » a éliminé près d'un tiers des populations, la survie des personnes vivant au sein de communautés données devient une question politique à part entière. Entre le XVe et le XIXe siècle, la discipline de la démographie devient un élément essentiel de l'art de gouverner en Europe. Le populationnisme se mue en facteur prépolitique de la politique des États-nations en devenir, dans la mesure où il pousse en avant l'énorme supériorité démographique de l'Europe comme agent de ses prétentions. Dans son livre Fils et puissance mondiale, Gunnar Heinsohn tente de montrer comment les effets des politiques populationnistes menées dans les nations dominantes de l'Europe ont conduit à une exportation explosive de la population, phénomène qui ne pouvait que s'exprimer par le colonialisme des pays émetteurs. L'entrée de l'Europe dans l'ère du remord postcolonial implique le renversement de la dynamique démographique sur la planète. Ce que l'érudit indo-américain Chakrabarty a appelé La provincialisation de l'Europe (2015) désigne pour l'essentiel l'apaisement de l'ancien foyer d'agitation du monde – accompagné d'excédents de natalité polémogènes dans d'anciennes régions périphériques du monde.
Peter SloterdijkL'invention de l'Europe par les langues et les culturesCollège de FranceAnnée 2023-2024Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'EuropeSéminaire - Martin Meyer : The Misery of Every Philosophy of History / La misère de toute philosophie de l'histoireMartin Meyer (né en 1951) est journaliste, publiciste et auteur. À partir de 1974, il a été rédacteur en chef de la rubrique reportages de la Neue Zürcher Zeitung et de 1992 à fin 2015, il en a été le patron. Il a étudié l'histoire, la littérature allemande et la philosophie à l'université de Zurich et a obtenu son doctorat en 1976 avec une thèse sur Schiller et le romantisme allemand. D'autres livres ont suivi sur Ernst Jünger, sur le thème de la fin de l'histoire, sur les journaux intimes de Thomas Mann et sur la guerre des valeurs. Dernièrement, sont parus aux éditions Carl Hanser : « Piranesis Zukunft. Essays zu Literatur und Kunst » (L'avenir de Piranèse. Essais sur la littérature et l'art, 2009) ainsi que la grande monographie « Albert Camus – Die Freiheit leben » (Albert Camus – Vivre la liberté, 2013), le livre « Gerade gestern. Vom allmählichen Verschwinden des Gewohnten » (Juste hier. Sur la disparition progressive du familier, 2018) ainsi que le recueil d'entretiens avec Rüdiger Safranski et Michael Krüger « Klassiker ! » (Classique, 2019). En 2003, Meyer a reçu le prestigieux Prix européen de l'essai de la Fondation Charles Veillon. Meyer est, entre autres, membre correspondant de la Deutsche Akademie für Sprache und Dichtung (Académie allemande de langue et de poésie) et membre de la Zürcher Gelehrten Gesellschaft (Société savante de Zurich). À partir de 2008, il est délégué, et depuis 2013, président du comité directeur de l'Institut suisse pour la recherche internationale. En 2011, il a reçu le titre de docteur honoris causa de l'université de Saint-Gall pour son travail journalistique et scientifique. En 2014, il a reçu le prix Cythère et en 2016 le prix Ludwig Börne.
Peter SloterdijkL'invention de l'Europe par les langues et les culturesCollège de FranceAnnée 2023-202405 - Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'Europe : Dire vrai sur soi-même : Le livre des aveux Peter SloterdijkRecteur de l'université des Arts et du Design de Karlsruhe, professeur invité du Collège de FranceRésuméOn compte, parmi les particularités de la culture européenne, la pratique du « dire vrai sur soi-même », exercée depuis le premier christianisme dans les cercles savants. De ce point de vue, il est justifié de qualifier l'Europe de continent autobiographique, et même de continent des aveux. À titre de paradigme, on mentionnera dans cette leçon des auteurs comme Augustin, Pétrarque et Rousseau. L'élément caractéristique de la physionomie de la culture européenne est que les aveux ne sont pas faits privatim et pro domo, mais aussi au nom de l'espèce humaine dans son ensemble. Si l'Europe est devenue la patrie de la psychologie, c'est aussi parce que les moralistes français des XVIIe et XVIIIe siècles, avec leur doctrine de l'amour propre qui pénètre tout, avaient mis en marche la conversion des confessionnaux en scènes littéraires. Aux XIXe et XXe siècles, l'art de l'auto-accusation s'étend pour devenir une critique de la culture. Désormais, ce sont surtout les poètes et les philosophes qui avouent, par délégation de leurs contemporains, les manquements et les aberrations de la civilisation occidentale dans son ensemble.
Peter SloterdijkL'invention de l'Europe par les langues et les culturesCollège de FranceAnnée 2023-2024Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'EuropeSéminaire - Johann Chapoutot : L'histoire a priori : Les leçons d'Oswald Spengler Johann ChapoutotProfesseur d'histoire contemporaine à la Faculté des lettres de Sorbonne UniversitéJohann ChapoutotJohann Chapoutot est professeur d'histoire contemporaine à Sorbonne Université. Spécialiste de l'histoire du nazisme, de l'Allemagne et de la modernité occidentale, il est l'auteur de dix ouvrages traduits dans quinze langues et distingué par dix prix nationaux et étrangers.Ancien élève de l'ENS (1998), agrégé d'histoire (2001), diplômé de l'IEP de Paris (2002), il est docteur des universités Paris-I et TU Berlin (2006), habilité à diriger les recherches (Paris-I, 2013), membre honoraire de l'IUF (2011-2016). Il a été maître de conférences à l'université Grenoble Alpes (2008-2014), puis professeur à la Sorbonne Nouvelle (Paris-III, 2014-2016) avant d'être élu à Paris-Sorbonne (désormais Sorbonne Université, 2016).Ses recherches portent sur la modernité occidentale sur le terrain allemand. Une thèse de doctorat et une HDR lui ont permis d'explorer le rapport nazi au temps (Le Nazisme et l'Antiquité, Paris, PUF, 2008, rééd. 2012, traduit en six langues), puis la culture normative nazie (La Loi du sang, Paris, Gallimard, 2014, rééd. 2020, traduit en sept langues ; La Révolution culturelle nazie, Paris, Gallimard, 2017, rééd. 2022, traduit en cinq langues).Des travaux ultérieurs lui ont permis d'explorer la période post-1945 (Libres d'obéir. Le management, du nazisme à aujourd'hui, Paris, Gallimard, 2020, traduit en dix langues) ainsi que la période pré-1914 (projet en cours). Dans deux ouvrages publiés en 2021 (Le Grand Récit, Paris, PUF, 2021, traduit en deux langues ; Les 100 mots de l'histoire, Paris, PUF, Que sais-je ?, 2021, traduit en une langue étrangère), il explore les enjeux historiographiques et épistémologiques de l'écriture de l'histoire contemporaine, singulièrement en histoire culturelle du politique.Il a, parallèlement à environ deux cents publications en nom propre, dirigé l'Histoire de la France contemporaine, publiée aux éditions du Seuil entre 2012 et 2023, un projet de quinze ans qui a mobilisé onze autrices et auteurs.
Peter SloterdijkL'invention de l'Europe par les langues et les culturesCollège de FranceAnnée 2023-202404 - Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'Europe : L'histoire a priori : Les leçons d'Oswald Spengler Peter SloterdijkRecteur de l'université des Arts et du Design de Karlsruhe, professeur invité du Collège de FranceRésuméAvec la parution du premier tome de la monumentale étude de Spengler Le Déclin de l'Occident – Esquisse d'une morphologie de l'histoire universelle (Der Untergang des Abendlandes. Umrisse einer Morphologie der Weltgeschichte, aux éditions munichoises C. H. Beck Verlag, en 1917), les tentatives menées par les historiens et philosophes européens pour définir « l'essence » de leur propre époque ont atteint un nouveau palier. En employant la « méthode morphologique », qu'il affirme avoir tirée de l'étude des considérations de Goethe en sciences de la nature, l'auteur estime être en mesure de représenter pour la première fois les processus historiques sous une forme non seulement rétrospective, mais aussi prospective. L'immense écho que suscita cette œuvre donne en quelque sorte un profil philosophique aux secousses que la Première Guerre mondiale avait imprimées aux nations européennes. À l'ombre des débats sur Spengler s'est déployée une réalité chargée d'une ironie amère : une futurologie à habillage scientifique a débouché sur le déclinisme érudit. La théorie de la décadence » ne se présentait plus seulement comme une récrimination relevant de la critique culturelle, telle qu'elle était devenue épidémique à partir du XIXe siècle, – récrimination portant sur le matérialisme croissant, la décivilisation en marche, la désagrégation de la famille, le refoulement de la religion chrétienne, etc. – mais comme une prétendue vision sur un processus de civilisation chargé des caractéristiques d'une loi fatale et suprapersonnelle. Ce que l'on continuait à appeler « l'Occident » – souvent avec un pathos guerrier – se révèle être le foyer d'un changement de climat mental fatidique : Ce qu'était l'ancienne Europe devient alors un théâtre d'opérations de guerre pour les formations rhétoriques intenses : y manœuvrent, outre le progressisme révolutionnaire des mouvements d'inspiration marxiste, aussi bien le pessimisme héroïque d'une pensée portant des traits préfascistes que l'aristocratisme artificiel de la Révolution conservatrice.Nota bene : Alors qu'après 1945 l'Allemagne s'est plutôt vouée à une trajectoire fondée sur l'optimisme culturel, des fragments de l'impulsion donnée par Spengler ont acquis un droit de cité persistant dans les divers modes du déclinisme (exemple actuel : le roman de Michel Houellebecq Soumission).
Peter SloterdijkL'invention de l'Europe par les langues et les culturesCollège de FranceAnnée 2023-202403 - Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'Europe : Out of Revolution : Comment un historien allemand explique leur autobiographie aux EuropéensPeter SloterdijkRecteur de l'université des Arts et du Design de Karlsruhe, professeur invité du Collège de FranceRésuméParmi les réactions antispenglériennes des années 1920 et 1930 – outre la polémique lancée de bonne heure par Robert Musil –, les études de philosophie de l'histoire du théologien protestant profane et juriste Eugen Rosenstock-Huessy prennent une singulière importance. Avec son œuvre précoce, parue en 1938 (et dont le titre fournit l'intitulé de ce chapitre), Rosenstock se profile comme le porte-parole d'une réinterprétation radicale-progressiste de l'histoire européenne de l'esprit et de la société. Le deuxième millénaire de l'Europe apparaît aux yeux de Rosenstock comme la longue trace d'une histoire de la liberté animée, de manière ouverte ou cachée, par des motifs chrétiens. Elle s'accomplit dans une série de « révolutions » dont les cours et les résultats forgent ce qu'on appelle les « caractères nationaux » – un concept qui tente de faire totalement l'économie des implications essentialistes ou génétiques. Débutant avec la révolution pontificale du XIe siècle, qui joua un rôle déterminant pour l'Italie et qui permit à l'Église de se détacher des puissances de ce monde, elle se prolonge dans la Réforme allemande qui, aux yeux de Rosenstock, provoque l'émancipation des princes à l'égard de la tutelle exercée par l'Ancien Empire, jusqu'à la Révolution anglaise du XVIIe siècle, par laquelle la moyenne et basse noblesse du pays, la gentry, obtient par le biais de la construction sophistique du King in Parliament la domestication de la couronne, mettant ainsi en route le processus de parlementarisation de la souveraineté. Avec son impressionnante interprétation de la Révolution française et son analyse tout à fait problématique de la Révolution russe, Rosenstock-Huessy se fraie un chemin qui lui permet d'approcher les réalités du XXe siècle. Quelques petites années après son grand coup de 1931, en 1938, Rosenstock-Huessy complète son grand portrait du monde européen par le tableau panoramique Out of Revolution, que l'auteur – se rapprochant ainsi de la perspective de l'œil de Dieu adoptée par – présente sans ambages comme une « Autobiographie de l'homme occidental ». Si l'un des éléments de l'ironie caractérisant la conception spenglérienne de l'histoire était son débouché sur un pessimisme à fondement scientifique – avec, en perspective finale, la « fellahisation » des masses –, l'épopée des Européens dessinée par Rosenstock aboutit à l'effet ironique que passe désormais pour un Européen celui qui n'a pas lu sa propre biographie.
Peter SloterdijkL'invention de l'Europe par les langues et les culturesCollège de FranceAnnée 2023-2024Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'EuropeSéminaire - Johann Chapoutot : La grande école du monde : L'Europe comme cadre d'apprentissageJohann ChapoutotProfesseur d'histoire contemporaine à la Faculté des lettres de Sorbonne UniversitéJohann ChapoutotJohann Chapoutot est professeur d'histoire contemporaine à Sorbonne Université. Spécialiste de l'histoire du nazisme, de l'Allemagne et de la modernité occidentale, il est l'auteur de dix ouvrages traduits dans quinze langues et distingué par dix prix nationaux et étrangers.Ancien élève de l'ENS (1998), agrégé d'histoire (2001), diplômé de l'IEP de Paris (2002), il est docteur des universités Paris-I et TU Berlin (2006), habilité à diriger les recherches (Paris-I, 2013), membre honoraire de l'IUF (2011-2016). Il a été maître de conférences à l'université Grenoble Alpes (2008-2014), puis professeur à la Sorbonne Nouvelle (Paris-III, 2014-2016) avant d'être élu à Paris-Sorbonne (désormais Sorbonne Université, 2016).Ses recherches portent sur la modernité occidentale sur le terrain allemand. Une thèse de doctorat et une HDR lui ont permis d'explorer le rapport nazi au temps (Le Nazisme et l'Antiquité, Paris, PUF, 2008, rééd. 2012, traduit en six langues), puis la culture normative nazie (La Loi du sang, Paris, Gallimard, 2014, rééd. 2020, traduit en sept langues ; La Révolution culturelle nazie, Paris, Gallimard, 2017, rééd. 2022, traduit en cinq langues).Des travaux ultérieurs lui ont permis d'explorer la période post-1945 (Libres d'obéir. Le management, du nazisme à aujourd'hui, Paris, Gallimard, 2020, traduit en dix langues) ainsi que la période pré-1914 (projet en cours). Dans deux ouvrages publiés en 2021 (Le Grand Récit, Paris, PUF, 2021, traduit en deux langues ; Les 100 mots de l'histoire, Paris, PUF, Que sais-je ?, 2021, traduit en une langue étrangère), il explore les enjeux historiographiques et épistémologiques de l'écriture de l'histoire contemporaine, singulièrement en histoire culturelle du politique.Il a, parallèlement à environ deux cents publications en nom propre, dirigé l'Histoire de la France contemporaine, publiée aux éditions du Seuil entre 2012 et 2023, un projet de quinze ans qui a mobilisé onze autrices et auteurs.
Peter SloterdijkL'invention de l'Europe par les langues et les culturesCollège de FranceAnnée 2023-202402 - Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'Europe : La grande école du monde : L'Europe comme cadre d'apprentissagePeter SloterdijkRecteur de l'université des Arts et du Design de Karlsruhe, professeur invité du Collège de FranceRésuméÀ côté de la proclamation de l'Europe dans la mise en marche de la dramaturgie politique, la particularité de ce continent peut être définie par un continuum de l'apprentissage qui englobe toute la période allant de la fin du Moyen Âge jusqu'à nos jours. En commençant par la scolastique tardive, l'Europe acquiert peu à peu les qualités d'une expérimentation scolaire qui marque une époque et se transforme à partir du XVIIe siècle en un processus d'inventaire permanent, processus qui prend une forme institutionnelle avec les Académies (après Leibniz) et les grandes écoles polytechniques (Paris, Karlsruhe, etc.). Il existe quelque chose comme un « secret », relevant de l'évolution, des développements cognitifs et techniques sur ce continent, on peut avant tout le trouver dans la logique processuelle des feed-backs positifs, ou mieux : des dynamiques systémiques qui s'amplifient d'elles-mêmes.
Peter SloterdijkL'invention de l'Europe par les langues et les culturesCollège de FranceAnnée 2023-2024Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'EuropeSéminaire - Karlheinz Stierle : L'Europe latine : L'imperium romanum et ses transpositionsKarlheinz StierleProfesseur émérite à l'université de Constance (Allemagne)Romaniste allemand, Karlheinz Stierle est professeur émérite à l'université de Constance en Allemagne. Il est, depuis 2005, membre correspondant à Saarbrucken (Allemagne) pour la section philosophie de l'Académie des Sciences morales et politiques de l'Institut de France. Il est également membre de l'Académie des Sciences de Heidelberg en Allemagne.
Peter SloterdijkL'invention de l'Europe par les langues et les culturesCollège de FranceAnnée 2023-202401 - Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'Europe : L'Europe latine : L'imperium romanum et ses transpositionsPeter SloterdijkRecteur de l'université des Arts et du Design de Karlsruhe, professeur invité du Collège de FranceRésuméLes réflexions suivantes développent la thèse que l'« identité » de l'Europe ne peut être définie en termes essentialistes et ne peut être éclairée que par une étude politico-dramaturgique. Il s'agit en l'espèce de réfuter le mythe de la « décadence de Rome ». En tant que script impérial, l'imperium romanum ne s'est pas seulement conservé sous la forme de l'Église catholique ; il s'est maintenu jusqu'au XVe siècle dans l'Empire gréco-byzantin, tandis que dans l'Occident latin se déroulait une série de métamorphoses, de l'ère des Carolingiens et des Ottos jusqu'à l'ultime translatio imperii vers les États-Unis d'Amérique, en passant par les formations d'empires des Portugais et des Britanniques.
Peter SloterdijkL'invention de l'Europe par les langues et les culturesCollège de FranceAnnée 2023-2024Leçon inaugurale - Peter Sloterdijk : Le continent sans qualités : des marque-pages dans le livre de l'EuropePeter SloterdijkRecteur de l'université des Arts et du Design de Karlsruhe, professeur invité du Collège de FranceRésuméLe discours inaugural développe l'idée qu'il ne peut y avoir, jusqu'à nouvel ordre, d'identité politique commune pour les habitants de l'Europe et de l'Union européenne, parce qu'ils sont encore majoritairement socialisés dans leurs identités nationales traditionnelles. Dans le cas le plus favorable, ils développent quelque chose que l'on pourrait qualifier d'« identité politique amphibie » en portant au-dessus de leurs costumes nationaux un surcot taillé à l'européenne.Les réflexions portant sur la refondation mythologique, démographique et politique de l'Europe après la Seconde Guerre mondiale débouchent sur la thèse qu'avec la création de l'Union européenne, c'est l'innovation catégorielle d'une grande structure post-impériale qui a fait son apparition sur la scène de l'histoire du monde.Les difficultés qu'ont les Européens avec leur identité post-impériale se reflètent de diverses manières dans leur comportement politique – notamment par le faible taux de participation aux élections du Parlement européen. Dans le même temps, le débat public de l'Union européenne est submergé par les diagnostics défaitistes et les slogans déclinistes.
Comments