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Lignes de défense

Lignes de défense

Author: RFI

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Dans un système globalisé, où les menaces prennent des formes de plus en plus variées, la chronique de Franck Alexandre vous plonge chaque semaine, au cœur des enjeux et des problématiques de défense et de sécurité du XXIème siècle. Les acteurs d’un monde militaire en mutation et les meilleurs observateurs des questions de Défense répondent à Franck Alexandre tous les dimanches matins dans sa chronique.

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La France en 2023 s'est hissée à la deuxième place des pays exportateurs d'armes dans le monde, nous en parlions dans Lignes de défense la semaine dernière... Mais derrière ce succès il y a un trou dans la raquette, et cette faille, c'est le continent africain. Paris exporte ses armes partout, mais quasiment pas en Afrique alors que l'armée française y est présente, un paradoxe. Décryptage. Quelques chiffres pour illustrer ce vide. Dans les autorisations d'export délivrées en 2022,  76 % sont à destination de l'Europe, 12 % vers le Moyen-Orient, 6 % l'Amérique du Nord, 3 % l'Afrique du Nord, 2 % l'Amérique du Sud, 1 % en Asie... Dans ce camembert, l'Afrique subsaharienne n'apparait pas. Sur une décennie, de 2013 à 2022, l'Afrique subsaharienne n'a représenté qu'1,5 % de l'exportation d'équipements militaires français. C'est marginal, quelles en sont les raisons ?  À l'occasion d'une conférence de presse, nous avons posé la question il y a quelques jours à Sébastien Lecornu, ministre des Armées : « C'est une très bonne question qui tient beaucoup à notre logiciel, pour être complètement transparent. Déjà, la présence militaire française a plutôt acculturé ce ministère et aussi le partenaire qui pouvait nous accueillir. Une logique de 'on fait à la place de'. Quand j'ai demandé à Emmanuel Chiva, le délégué général pour l'Armement de se rendre en Afrique, nous sommes aperçus que jamais un DGA français n'avait mis les pieds officiellement en Afrique. Tout est dit. On a laissé un terrain trop important à un certain nombre de concurrents. D'ailleurs, c'est le ministre Ouattara, en Côte d'Ivoire, qui m'a fait prendre conscience de cela. Ils ont des budgets, le Sénégal pareil qui est un pays qui va en plus être un pays producteur d'hydrocarbures, qui va donc devoir se protéger de menaces terroristes particulières, singulièrement en mer. Mais on voit bien qu'on a une modification des armées africaines. Ce sont souvent des armées françaises qui participent à cette montée en puissance. Mais restait justement le bloc capacitaire. Et on le voit sur les drones par exemple, on le voit sur les petits bateaux, on le voit aussi peut-être demain sur des petits aéronefs sur lesquels on a évidemment des coups à jouer. »Une arme sur deux sur le continent africain est une arme russeLes Russes et les Chinois sont présents depuis longtemps, mais depuis quelques années de nouveaux compétiteurs se positionnent sur ce marché.Les Turcs par exemple sont les nouveaux entrants en Afrique, avec une vraie stratégie d'implantation... Turkish Airlines a ouvert ces trois dernières années plus de soixante escales sur le continent, une dynamique qui profite à son industrie de défense. Peer de Jong, vice-président de Themiis (société de conseil en stratégie et défense), conseille plusieurs gouvernements sur les questions de sécurité ; il a vu les Turcs proposer, via des sociétés militaires privées, des offres séduisantes all inclusive, « Par le truchement de structures, comme SADAT, qui sont des SMP turcs qui depuis une dizaine d'années ont un peu le même 'business modèle' entre guillemets que Wagner, c'est-à-dire proposant à la fois la formation des troupes, la cession et la vente de matériels. Et on voit en Afrique aujourd'hui, qu'il y a une diffusion d'un armement turc de qualité, qui concerne principalement tout ce qui est transport de troupes, armement individuel, mais aussi les drones. Donc les armées africaines arrivent à s'équiper à un coût relativement abordable sur des matériels qui théoriquement sont inaccessibles en Europe. »Les armées africaines se modernisent à grand pas, exemple avec le drone TB2 Bayraktar, star de la guerre en Ukraine dont une dizaine de pays africains a déjà passé commande au constructeur turc. Un marché en pleine expansion et qui pour l'heure échappe aux fabricants français.
Les importations d'armes en Europe ont quasiment doublé ces 5 dernières années. L'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), dévoile que sur la période 2019-2023, guerre en Ukraine oblige, les importations d'armes ont bondi de 94 %. Et pour la première fois, note l'institut de Stockholm, la France se hisse sur la seconde marche des pays exportateurs, reléguant la Russie au 3e rang. Depuis 2019, la France a en effet vu ses ventes à l'internationale bondir de 47% quand la Russie voyait les siennes chuter de 53%. Un sérieux revers pour Moscou, revers d'autant plus marquant qu'il intervient dans une période de fortes tensions entre les deux pays.Bien sûr, dans cette compétition, les États-Unis restent de très loin les premiers exportateurs d'armes au monde, raflant à eux seuls 42 % du total des ventes. Néanmoins, il faut le souligner : jamais la France n'avait occupé cette deuxième place, précise Léo Péria-Peigné, spécialiste de l'armement à l'Institut français pour la recherche stratégique, voici, à ses yeux, les raisons du succès : « Je pense qu'on peut en voir deux principales, il va y avoir d'abord le recul des exportations d'armes russes, conséquence de la guerre en Ukraine, l'industrie russe produisant d'abord pour la consommation nationale plus que pour l'export et dans un second temps, il y a les très gros succès de quelques produits spécifiques de l'industrie française comme le Rafale ou quelques systèmes électroniques qui sont des systèmes à très haute valeur ajoutée. Donc ce n'est pas la peine d'en vendre beaucoup, leur prix fait que ça va peser lourd dans la balance. »Des armes Itar FreeCe succès tient aussi au fait que les armes françaises sont Itar Free, ne relevant pas de la réglementation américaine sur les ventes d'armes qui sont généralement très restrictives. Les pays qui achètent du matériel français le possèdent totalement.Un argument de poids au moment de signer des contrats XXL, mais pas seulement, il y a aussi une autre raison au choix de matériels tricolores assure Léo Péria-Peigné : « Quand l'Inde achète du Rafale, ce n'est pas forcément pour la qualité du Rafale en soi, mais c'est aussi parce que le Rafale peut porter des armes que les États-Unis seront plus réticents à vendre. Je pense notamment aux missiles. Pour ce qui va être de l'achat des Émirats ou du Qatar, c'est aussi une façon de renforcer une alliance. La France a des troupes postées au Qatar qui font de la formation, qui font de la réassurance. Acheter des armes à la France pour les Émirats, c'est aussi une façon de sceller une alliance et de la durcir. Pareil quand la Grèce achète des rafales, oui, c'est important, mais la Grèce aussi s'attache un peu le soutien de la France dans ses bisbilles avec la Turquie. »Acheter français, c'est aussi une manière de ne pas s'aliéner les États-Unis. La Turquie en a fait l'expérience : en s'équipant de batterie sol-air Russe S-400 : elle s'est ainsi retrouvée exclue de l'achat d'avions F-35. Le matériel français, c'est le choix d'une troisième voie, plus neutre, c'est aussi l'une des raisons du succès de l'industrie de défense française.
Le 4 avril, les membres de l'Otan réunis à Bruxelles, ont célébré les 75 ans de la signature du traité de l'Atlantique Nord. Avec le retour de la guerre sur le sol européen, l'Otan joue de nouveau un rôle central et considère une nouvelle fois Moscou comme une menace majeure. Mais l'Alliance atlantique craint également de traverser une sérieuse zone de turbulence lors des élections américaines de 2024. Pour célébrer cet anniversaire, le département d'État a autorisé l'envoi à Bruxelles du traité signé en 1949. Jamais jusque-là le document n'avait quitté le sol américain. Un symbole pour dire qu'avec la récente adhésion de la Suède et de la Finlande et donc désormais 32 membres, l'Otan n'a jamais été aussi forte. Depuis l'invasion de l'Ukraine en 2022, souligne Guillaume Garnier chercheur à l'Ifri, l'alliance a en effet retrouvé ses fondamentaux, la protection de l'Europe face à une Russie belliqueuse : « Concrètement, cela a consisté à renforcer la posture de défense sur le flanc est en déployant davantage de troupes. Un bataillon multinational dans chacun des huit pays du flanc est, il y en avait déjà quatre dans chacun des États baltes et la Pologne, on en a ajouté quatre autres en Bulgarie, Roumanie, Slovaquie et Hongrie. Ce sont des forces qui sont prépositionnées, c'est-à-dire qu'elles pourraient être renforcées si la situation se dégradait rapidement. »Une métamorphose pour une organisation qui était jugée en état de « mort cérébrale » par le président français Emmanuel Macron en 2019. Après des années de désaffection, la France a réinvesti l'Otan et participe aujourd'hui massivement à Steadfast Defender, le plus grand déploiement militaire otanien depuis la guerre froide, avec pour ambition d'envoyer à Moscou, un message de portée stratégique. « Si vous voulez dissuader un adversaire potentiel comme la Russie, il faut lui démontrer que vos forces sont interopérables, professionnelles et crédibles, indique Guillaume Garnier. Ça se fait par l'entraînement. Un entraînement à la hauteur de l'enjeu, c'est-à-dire avec des exercices de grande ampleur pour montrer que l'on est capable de s'organiser autour d'une certaine masse de soldats, de plusieurs dizaines de milliers d'hommes, et à travers ces exercices, il y a aussi une idée de contrôle des forces. L'Otan vérifie leur aptitude et vérifie que tous les États membres de l'Otan ont des unités aptes au combat. »Inquiétude des Européens sur le potentiel retour de Donald TrumpLe candidat républicain a d'ores et déjà annoncé qu'il pourrait remettre en cause l'article 5 qui garantit la solidarité entre membres de l'Otan. Un désengagement américain, pointe Guillaume Garnier, est par conséquent dans tous les esprits : « Les États-Unis représentent 70% des dépenses militaires de l'Otan. Donc l'article 5 repose sur la force militaire des États-Unis. Si jamais ils quittaient l'Otan, ce serait une autre organisation, elle changerait de nature. Ça, c'est le scénario cauchemar. Va-t-il se réaliser si jamais Trump est effectivement élu ? Il y a quand même un point d'interrogation puisqu'il y aura des débats et probablement de nombreuses institutions le dissuaderont de le faire. »Le secrétaire général de l'Otan, Jens Soltenberg qui dans quelques mois quittera ses fonctions, a une nouvelle fois plaidé la nécessité d'un meilleur partage du fardeau financier entre Européens et Américains, évoquant également la constitution d'un fond d'un milliard d'euros sur cinq ans pour l'Ukraine.À lire aussiL’avenir de l’Otan en préparation et en débat
Guerre de haute intensité en Ukraine, retour des attentats terroristes de masse après l'attaque revendiquée par le groupe État islamique à Moscou, les menaces se multiplient, avec pour corollaire de préparer les médecins à réapprendre les gestes de la médecine de guerre, dite « de l'avant ». Le service de santé des armées forme les médecins et infirmiers civils aux techniques de sauvetage au combat, pour savoir comment prendre en charge un grand nombre de blessés avec un minimum de moyens. Rencontre au Val-de-Grâce à Paris avec Benoît Plaud, médecin réanimateur à l'hôpital Saint-Louis et également réserviste opérationnel au sein du service de santé des armées. Il est médecin en chef, et c'est d'ailleurs en treillis militaire qu’il nous reçoit. En 2015, Benoit Plaud a été en première ligne lors des attentats, ce qui a été pour lui le déclencheur pour rejoindre la réserve opérationnelle.Depuis, Benoît Plaud multiplie les formations au sauvetage au combat. L'état d'esprit change dans la médecine civile, note-t-il, « L'idée, c'est vraiment que le plus grand nombre maîtrise ces gestes de base, un peu comme du secourisme. D'essayer que le plus grand nombre d'équipes soignantes qui sont autour de l'anesthésie réanimation soient formées à ces gestes, car le moment venu, de par notre formation, il y a une continuité, je dirais assez naturelle pour nous. Pouvoir être opérationnel immédiatement, travailler sur le collectif, la cohésion, c'est des choses aussi qu'on travaille beaucoup. Le sauvetage au combat, on le dit souvent, c'est un sport d'équipe, donc il faut avoir la notion du collectif, de la cohésion, de la confiance. Et ça, ça s'apprend. »Passer de la Golden Hour au Golden DayModifier les logiciels, les pratiques : jusqu'à présent, la règle de prise en charge était d'amener le blessé au bloc opératoire en moins d'une heure. Chose impossible à faire avec beaucoup de blessés. Une nouvelle médecine de guerre est donc en train d'émerger, qui doit aussi irriguer la médecine civile. « Typiquement aujourd’hui, pendant que vous êtes là, on fait des exercices de ce type avec des médecins du Samu qui apprennent ces techniques de sauvetage au combat en utilisant des algorithmes », explique-t-il. « Vous avez peut-être entendu parler du M.A.R.C.H. par exemple, qui est une succession d'étapes pour prendre en charge un blessé qui saigne, un blessé qui a du mal à respirer, un blessé qui est en état de choc, un blessé qui a des problèmes neurologiques. L’objectif majeur, c'est de permettre l'évacuation du blessé vivant. C'est vrai qu'avec le retour de la guerre de haute intensité, ce modèle va devoir évoluer, compte tenu du nombre très important de blessés à prendre en charge. Donc du Golden Hour, on va passer au Golden Day. Il va falloir apprendre à prendre en charge ces blessés dans la durée », ajoute Benoît Plaud.Problèmes éthiquesPrendre en charge un grand nombre de blessés, c'est aussi faire un tri, ce qui peut poser des problèmes éthiques au corps médical.Il existe cependant des méthodes pour que cela ne soit pas justement un tri, pointe Benoit Plaud, « Au mot de tri, je préfère celui de priorisation. Plutôt que de dire "on va prendre en charge ou pas tels types de victimes", on revient à des schémas opérationnels très cadrés qui permettent de rechercher parmi le grand nombre de victimes ceux qui nécessitent des soins immédiats. La première chose à rechercher, c'est le saignement », précise-t-il.« Donc, cette phase-là de priorisation permet de réaliser des gestes de sauvetage instantanés qui peuvent parfois suffire à gagner du temps pour pouvoir prendre en charge d'autres victimes dans un état moins grave. C'est vraiment de l'organisation et de la logistique. Il y a une vraie réflexion médicale, stratégique, organisationnelle, parce que l'objectif, il ne faut pas l'oublier, c'est de sauver le plus grand nombre de blessés, avec les moyens dont on dispose », témoigne le médecin.La médecine d'urgence est en pleine révolution et le service de santé des armées est à la pointe des nouvelles techniques de prise en charge dans un contexte de guerre de haute intensité.À lire aussiGaza: «Certains sont morts sous nos yeux, parfois car il ne manquait qu'un simple outil médical»
L'escalade verbale ne cesse de croitre en Russie contre la France depuis qu'Emmanuel Macron a déclaré que l'envoi de militaires occidentaux en Ukraine ne pouvait être exclu. Menace nucléaire régulièrement brandie sur les plateaux de télévision russe, menace contre la sécurité du président français s'il se rendait en Ukraine, propos orduriers contre le Premier ministre Gabriel Attal ... Face à cette escalade verbale, Paris multiplie les signalements stratégiques comme autant de lignes rouges à l'adresse de Moscou. Les outrances russes se multiplient et gravissent à grands pas l'échelle de la provocation. Dernier exemple en date, l'affaire des petits soldats : mardi 19 mars, l'ambassade de France à Moscou a reçu une boîte de jouet contenant des petits soldats aux couleurs de la RossGardia, la garde prétorienne de Vladimir Poutine, chargée notamment du maintien de l'ordre en Ukraine occupée. Message, on ne peut plus clair, à l'adresse des autorités françaises :  Paris est la bête noire du Kremlin. Mais les autorités françaises ne font plus le dos rond : lors d'une conférence de presse conjointe avec son homologue suédois ce jeudi, le Général Burkhard, chef d'état-major des armées, a réaffirmé que le soutien occidental pourrait aller au-delà de la seule livraison d'armes et il a lâché le mot « guerre » pour parler de la Russie. « La Russie est déjà un peu en guerre avec les pays occidentaux. Dans le champ des perceptions, la Russie, depuis déjà de nombreuses années, mène une guerre informationnelle pour déstructurer nos sociétés. Ça se traduit par des attaques cyber. Ce n’est pas forcément quelque chose qui cherche à promouvoir les idées russes, mais c'est plutôt quelque chose qui cherche à fragiliser les sociétés occidentales et en particulier le modèle démocratique. »Afficher sa détermination, c'est déjà pour le Général Thierry Burkhard « gagner la guerre avant la guerre » et pour cela, « il est prêt » dit-il, à « prendre des risques ». Message ferme et partagé par le chef d'état-major suédois, le Général Micael Byden. « Nous avons une guerre qui fait rage en Europe. Pour moi, il est clair que cette réalité doit être au sommet de nos agendas. Nous ne pouvons pas laisser la guerre en Ukraine devenir une sorte de normalité et la laisser végéter sur la liste de nos priorités. Si nous le faisons, nous jouerons alors le jeu de la Russie. Naturellement, la Suède contribuera aux opérations de l'Otan dans les pays de l'Otan, mais aussi au-delà. Nous devons regarder à 360°. Bien sûr, nous vivons des moments difficiles, mais il ne faut pas désespérer et faire un effort conjoint. C'est la quintessence de mon message. »À lire aussiLe soutien à l'Ukraine pourrait aller au-delà de la livraison d'armes, selon le chef d'état-major françaisDouble signalement stratégiqueAprès l'ambiguïté stratégique sur l'envoi de soldats en Ukraine, second signalement de la conférence de presse des deux chefs d'état-major : la récente arrivée de la Suède et de la Finlande dans l'Otan bouleverse les équilibres sur le flanc Nord européen. Général Thierry Burkhard : « Cette entrée dans le temps, bien évidemment, c'est quelque chose qui augmente encore la crédibilité de l'Alliance atlantique. D'autant plus que la Suède est un apport précieux. C'est une armée de grande valeur, bien équipée, bien entraînée. Mais c'est aussi une position stratégique. Quand la Suède et la Finlande basculent dans l'Otan, ça modifie complètement la géométrie du champ de bataille, ça rend un flanc nord beaucoup plus cohérent et beaucoup plus fort. Aujourd'hui, la mer Baltique, c'est un lac Otanien, c'est exactement ça. »La France et l'Otan montrent donc les muscles et face à une Russie belliqueuse envoient à Moscou ce message : en attaquant l'Ukraine, la Russie a commis une erreur stratégique.
Au début du mois de mars, l’Otan a donné le coup d’envoi de Steadfast Defender 2024. Le plus grand exercice jamais organisé depuis la Guerre froide, une manœuvre qui se décline des plaines de Pologne jusqu’à l’arctique Norvégien avec l’exercice Nordic Response qui s’achève ce dimanche. Dans l'arctique l'Alliance veut se réapproprier l'environnement "Grand Froid". Reportage.
La Suède est devenue le 32e membre de l'Alliance atlantique. Stockholm, désireuse de rejoindre l'Alliance atlantique depuis l'invasion russe de l'Ukraine il y a deux ans, a rompu, tout comme la Finlande, avec une politique de neutralité et de non-alignement militaire depuis la fin de la Guerre froide. L’entrée de ces deux pays nordiques dans l’Otan risque de bouleverser les équilibres en Arctique. Entretien avec Mikaa Mered, spécialiste des enjeux géoéconomiques et stratégiques de l'Arctique et de l'Antarctique. RFI : Mikaa Mered, est-ce que l'entrée dans l’Otan de la Finlande et de la Suède change complètement la donne, face à la Russie et comment la Russie peut-elle réagir ?Ça change la donne de plusieurs manières. La première, c'est tout simplement déjà dire que parmi les huit pays de l'Arctique, les huit pays riverains, donc, du Grand Nord, avant, on avait cinq pays qui étaient effectivement dans l'Otan. On avait la Russie de l'autre côté. Et puis, on avait entre les deux, la Finlande et la Suède, qui jouaient un peu ce rôle de tampon, qui menaient un certain nombre d'exercices avec l'Otan, mais plus comme observateur ou autre.Évidemment, on avait quand même des correspondances et des relations. Mais là, on va passer dans un cadre inédit en Arctique, à sept contre un. Très clairement, tous les pays de l'Arctique sont coalisés contre la Russie dans une certaine mesure, ou en tout cas sont coalisés au sein de l'Alliance atlantique. Ça, c'est le premier point. Et c'est un environnement complètement nouveau puisque, même du temps de la guerre froide – ou même avant – on n'avait pas ce genre de configuration en Arctique.Le deuxième sujet, c'est que, après des siècles de tentatives de construction eurasienne et européenne avec la Russie, Moscou s’est tourné, à la faveur des récents événements, vers la Chine. Or, la Chine s’est déclarée être un pays dit « du Proche Arctique ». Ils ont inventé ce concept dès 2018, bien avant la nouvelle guerre en Ukraine. La Chine cherche évidemment à prendre de plus en plus pied en Arctique. Donc la question qui va se poser par rapport à ça, maintenant que la Russie et la Chine ont cette alliance, qui, de fait, se renforce à la faveur de ce qui se passe sur le front européen, et de savoir quelle place les Russes vont laisser à la Chine en Arctique. C'est là pour moi que va se situer le cœur du sujet dans les dix années qui viennent.À lire aussiLa Suède fait désormais officiellement partie de l'Alliance atlantiqueLes Russes ont-ils les moyens, justement, de repositionner des forces militaires dans le Grand Nord, alors qu'ils sont occupés ailleurs, en Ukraine ? C'est l'un des sujets, c'est-à-dire qu'on attend évidemment toute déclaration de Moscou. Comme si ce qui se passait sur le front européen d'un point de vue militaire, ou ce qui se passait d'un point de vue économique également, n'impactait pas du tout l'Arctique, au sens où la Russie indique qu’elle va continuer à investir sur sa flotte en Arctique, sur ses moyens militaires au sens, cette fois-ci, des infrastructures, des bases, des équipements aériens et d'observation. Continuer à investir comme si de rien n'était. Comme s'il n’y avait pas un gouffre financier qui attirait beaucoup de capitaux d'État vers le front ukrainien et au-delà.Et puis, le deuxième sujet, c'est le volet économique. C'est-à-dire qu'on entend la Russie dire que la route maritime du Nord, cette route maritime qui pourrait connecter l'océan Pacifique à l'océan Atlantique par l'Arctique – des alternatives potentielles à d'éventuels blocages du canal de Suez ou de la mer Rouge. On entend le gouvernement russe continuer à dire : « bien sûr que le modèle économique de cette route du Nord est tout à fait valide. Il va continuer à se développer. Nous allons continuer à investir ». Bref, c'est comme s’il ne se passait rien.La réalité, c'est qu’aujourd'hui, si la Russie peut tenir ces discours-là, ce n'est pas qu'elle en a les moyens, mais c'est qu'elle a réussi à coaliser un certain nombre de partenaires qui aujourd'hui lui disent : « tu veux continuer à préserver ton pré carré en Arctique ? Tu vas avoir besoin de nous ». Et évidemment, le principal allié, c'est la Chine.La Chine, est-ce le loup dans la bergerie russe ? C'est la crainte à Moscou, et c'est une crainte de longue date. On se souvient par exemple en 2011, quand le gouvernement russe avait expliqué qu'il fallait créer une « route de la soie » par l'Arctique. À l'époque, ce concept-là venait d'eux, et pas de la Chine. Ils avaient justement émis un certain nombre de réserves quant à la possibilité de donner une trop grande place à Pékin, sur le volet économique, mais aussi sur le volet militaire, dans cette zone Arctique. Il ne voulait pas laisser le loup, ou plutôt le panda dirons-nous, entrer dans cette bergerie. Et c’est pourtant ce qui s’est passé après la première Guerre en Ukraine en 2014. Il y a eu toute une dynamique de coopération, y compris militaire, en zone Arctique qui existait entre la Russie et les États-Unis et ses alliés, qui a été relativement abîmée.Puis, vous avez cette deuxième guerre en Ukraine qui arrive en 2022. Et là, évidemment, c'est le coup de grâce car, au moment où les Russes attaquent l'Ukraine, Moscou assure la présidence tournante du Conseil de l'Arctique, chargée de faire vivre cette diplomatie arctique. Tout cela vole en éclat et se retrouve à terre et donc, le seul partenaire véritable qui est capable de s'engager militairement dans cette zone pour aider la Russie, c'est la Chine. Or, depuis plus de dix ans, c’était justement la crainte des Russes. La crainte de devenir un partenaire junior dans la relation bilatérale avec la Chine. Or, si Vladimir Poutine en personne incarne cette remilitarisation partielle de l'Arctique, fondamentalement, cela ne veut pas dire que la Russie entend laisser la Chine devenir le senior partenaire. Dans cette relation aujourd'hui, je ne vois pas comment à l'horizon 2025, à l'horizon 2030, la Russie pourra empêcher la Chine de devenir un partenaire au moins d'égal à égal avec la Russie dans sa zone Arctique. Et ça, il va falloir le gérer, car les Américains et l'Otan ne laisseront évidemment pas faire. Mais il faudra gérer ça aussi vis-à-vis de la population russe, qui ne comprendra pas pourquoi on a laissé la Chine entrer dans l'Arctique russe, dans le jardin, dans le joyau de la couronne.À lire aussiL'entrée de la Suède dans l'Alliance atlantique renforce la stratégie de défense de l'Otan dans la régionCes déséquilibres en Arctique ont-ils des répercussions de l'autre côté du globe, en Antarctique ? Oui, on commence à observer de nouvelles rivalités. En plus de l'émergence de la Chine qui, dans les années 2010, faisait déjà un petit peu office d'épouvantail pour beaucoup de pays occidentaux dans ce jeu antarctique, ce qu'on observe dès 2020, indépendamment de la deuxième guerre en Ukraine, on a vu la Russie reprendre pied en Antarctique en menant à nouveau des campagnes d'exploration à la recherche d’hydrocarbures.Dans le sillage russe, la Chine, l'Iran, la Turquie, se sont montrés intéressés par l’Antarctique. Développant des narratifs de plus en plus agressifs, disant « nous allons prendre pied en Antarctique. L'Antarctique est une zone stratégique. L'Antarctique ne peut pas être un syndic de copropriété géré par les puissances historiques de de cette zone ». Et effectivement, on a vu la Chine construire une cinquième base en Antarctique. Et ce, sans respecter les us et coutumes traditionnels de la diplomatie Antarctique. Aujourd'hui, l'Australie et la Nouvelle-Zélande manifestent une inquiétude et ces deux pays s’interrogent : « est-ce que la Chine n'est pas au Sud en train d'essayer de créer un nouveau front ? Alors pas un front militaire, mais en tout cas un front de renseignement et de captation de signaux électroniques ? ».On a vu l'Iran, très récemment, parler de militarisation ou d'activités militaires en Antarctique. Là, on est dans le même type de logique. On a vu la Turquie parler de présence en Antarctique comme étant un vecteur de prestige national important. Et oui, on peut faire une connexion avec ce qui se passe en Arctique, car de fait, si vous arrivez à maîtriser un environnement aussi difficile que l'Arctique, les correspondances sont tout à fait imaginables. Et la légitimité arctique de certains États est effectivement renforcée par une présence antarctique. C'est le cas par exemple de la France, où exister en Arctique permet d'exister en Antarctique. Et, il y a surtout des États qui sont prêts à jouer ces deux cartes, la carte arctique et la carte antarctique. Parce que les deux se répondent, d'un point de vue maîtrise de l'environnement, connaissance de l'environnement opératif, la mise en œuvre de brise-glace lourds. Au-delà de la maîtrise de l'environnement, il y a aussi la maîtrise de l'information. C'est-à-dire que, si vous voulez développer des constellations satellitaires qui permettent d'observer ce qui se passe en Arctique, vous allez mettre en œuvre des constellations de satellites d'observation en orbite polaire Nord-Sud. Et, à ce moment-là, évidemment, ce que vous pouvez faire en Arctique vous donne des capacités d'observation en Antarctique.À quelle échéance des frictions, peut-être même des affrontements sont-ils envisageables dans ces régions jusque-là désertiques ?Ce qu'il faut bien avoir en tête, c'est que personne, ni dans la communauté diplomatique, ni dans la communauté académique universitaire, n'envisage une guerre en Arctique pour l'Arctique. Personne encore moins n'envisage de conflits en Antarctique pour l'Antarctique. En fait, ce qu'on est en train d'observer, c'est la fin de l’exceptionnalisme arctique. Ce que j'entends par exceptionnalisme, c'est un concept simple qui veut dire que, jusqu'à maintenant, l'Arctique et l'Antarctique ont été relativement éloignés des grandes logiques de conflits. Jusqu’en 2022, l'Arctique a su maintenir une forme de coopération. Depuis la deuxième guerre
Emmanuel Macron a affirmé, ce 29 février, que chacun de ses mots sur l’Ukraine était « pesé » et « mesuré » après ses propos sur l’envoi potentiel de troupes au sol dans le pays et qui lui ont valu une fin de non-recevoir de la part des principaux alliés. En n’excluant pas l’envoi de soldats en Ukraine, le président français a brisé un tabou et il a envoyé un message très clair à Moscou. Les propos du président français sont intervenus le 26 février, à l’issue d’une conférence internationale de soutien à l’Ukraine organisée en urgence, alors que les forces ukrainiennes sont en grande difficulté sur le front.« En dynamique, rien ne doit être exclu », a dit le président français, disant assumer une ambiguïté stratégique. Aucune décision sur l’envoi de troupes n’est prise, mais le simple fait de l’évoquer ouvre des possibilités, c’est un signalement envoyé à Moscou. Pour gagner la guerre avant la guerre, il faut instiller le doute chez l’adversaire, c’est l’ambiguïté stratégique. C’est aussi une affaire de timing, alors que le soutien américain s’étiole, juge Thibaut Fouillet de la fondation pour la recherche stratégique : « On a la volonté, avec les polémiques autour de la campagne présidentielle américaine et donc une remise en cause potentielle du soutien à l'Ukraine, de montrer l'Europe unie, l'Europe comme alternative crédible, une Europe forte. C’est un signalement à la fois externe et interne. Pour montrer que la position de la France n'est pas celle de la lassitude de la guerre. Donc, on ne va pas laisser Moscou gagner parce que la guerre s'enlise et que les Ukrainiens n'ont pas réussi leur dernière contre-offensive. »Une ambiguïté stratégique mal compriseReste que la communication de l’Élysée a été mal comprise par les alliés et les opinions publiques. Les mots sont malheureux car ils prêtent à interprétation, note Thibault Fouillet : « La forme laisse à désirer parce qu'elle laisse à penser qu'on est prêt à entrer en guerre et à risquer l'escalade directe avec la Russie. Mais le fond, lui, est cohérent. C'est de dire qu'il y a deux ans, on avait peut-être une position, on pensait que la guerre était impossible. Maintenant, on sait qu'elle est possible, donc on ne s'interdit plus rien. On ne va surtout plus dire jamais et on est prêt si un jour c'est vraiment nécessaire, à prendre les mesures qui s'imposent, y compris de se battre. Donc sur le fond, y a une certaine cohérence. Malheureusement, la forme a gâché ça, parce qu'elle laisse la place à trop d'interprétations. »C’est pourtant un secret de polichinelle, un certain nombre de pays occidentaux ont déjà des hommes en Ukraine.Des soldats occidentaux potentiellement déjà présents en UkraineSans le dire, mais la Pologne a par exemple envoyé des policiers pour surveiller la frontière entre la Biélorussie et l’Ukraine. Les Britanniques ont une grande tradition de forces spéciales, et à demi-mots laissent entendre qu’a minima, ils ont pu former sur place leurs homologues ukrainiens. Les Français, eux, restent discrets. Mais il y a forcément des soldats occidentaux déjà déployés en Ukraine.C’est aussi ce qu’il fallait comprendre de l’intervention d’Emmanuel Macron, pointe Vincent Tourret de l’université de Montréal : « À la déclaration du président, tout le monde imagine des unités constituées sabre au clair fonçant sur les troupes russes. La réalité, c'est surtout du personnel pour assurer la maintenance, vérifier que l'aide occidentale soit bien acheminée. Ça peut être aussi également de l'aide beaucoup plus directe, pour l'utilisation de certaines armes. C'est plutôt des postes de soutien et d’appui qu’autre chose. Et peut-être même, que la déclaration du président est liée à une question de sécurité de ce personnel. Il y a probablement des menaces qui pèsent sur celui-ci. Il doit y avoir un message très clair pour les Russes, que nos troupes et notre personnel déployé ne sont pas une cible acceptable. »Le signalement stratégique de l’Élysée est aussi une ligne rouge pour dire à Moscou, pas de frappes contre les soldats occidentaux potentiellement déployés en Ukraine.
La guerre en Ukraine entre dans sa troisième année et pour Kiev le contexte n’est pas favorable. Fragilisée par le blocage de l’aide américaine, l’échec de sa contre-offensive l’été dernier et un manque croissante de munitions, l’armée ukrainienne, de l’aveu même du président Zelensky, fait face à une situation « extrêmement difficile » sur le front. Face à Moscou qui fait tourner à plein son industrie militaire et qui mobilise massivement, l’Ukraine a dû se retirer de la ville forteresse d’Avdiivka, un symbole et plaide pour un soutien accru de l’Occident. Quels sont les enjeux pour cette troisième année de guerre qui commence ? Premier enjeu : les munitions, en particulier les plus gros obus d’artillerie, ceux de 155 mm, qui permettent de contenir la poussée de l’infanterie russe. Kiev en consomme 3000 par jour, quand les Russes en tirent 10000 : face à un tel déséquilibre Kiev joue la montre, souligne le général d’armée Grégoire de Saint Quentin (le général de Saint-Quentin a été sous-chef de l'état-major des armées chargé des opérations) : « Aujourd'hui, dans le rapport de force sur le terrain et entre les équipements, les munitions, l'Ukraine n'a pas l'avantage. Donc l'enjeu, c'est de tenir le temps que ce rapport de force puisse s'inverser. Aujourd'hui, on sait que la Russie dispose de plus de munitions, plus d'équipements. Et on voit que d'ailleurs sur le terrain son armée avance, pas beaucoup, peut-être, mais malgré tout c’est elle qui a l'initiative. L'enjeu pour les Ukrainiens, c'est donc de tenir sans consommer trop de ressources, notamment les ressources humaines. L’arrivée des F16Kiev attend de nouveaux canons, des obus, et des avions… Les avions de chasse F16 longtemps espérés, pourraient, avant l’été, être opérationnels et devraient permettre de desserrer l’étau russe. « Les fameux F 16 permettraient de rééquilibrer le rapport de force dans les airs, et notamment permettre aux Ukrainiens d'avoir une meilleure maîtrise de leur espace aérien et éventuellement de frapper plus dans la profondeur, même au-delà des frontières de l'Ukraine ; mais déjà à l'intérieur des frontières de l'Ukraine ce serait déjà beaucoup. Ces avions permettront d'empêcher l'aviation russe d'appuyer ses troupes au sol, là où il n'y a pas les moyens sol-air. Car il y a des endroits où l'aviation russe arrive à passer et arrive à appuyer les troupes au sol, ce qui donne un avantage considérable côté russe. L’arrivée des F16 rééquilibrera le rapport de force. » Après deux années de guerre de haute intensité, les pertes dans les deux camps sont effroyables, la question des effectifs devrait aussi se poser en 2024.Des pertes effroyablesSelon des sources occidentales, 120.000 soldats russes auraient été tués, deux fois plus que du côté ukrainien. Dans ce conflit, l’équation humaine devient compliquée estime le général de Saint-Quentin: « J'ai le sentiment que les choses ne se posent pas de la même façon des deux côtés. D'abord parce qu'il y a une asymétrie. Le rapport de population c'est un Ukrainien pour trois Russes, donc on peut penser que le leur réservoir humain russe est trois fois plus important. Après, il y a une façon de se battre. Il est quand même beaucoup plus économe de la vie humaine côté ukrainien, même s'ils ont perdu du monde, c'est indéniable. Et de l'autre côté, côté russe, pour des gains qui finalement sont assez mineurs, ils consomment énormément de ressources matérielles mais aussi humaines. Je pense que, à un moment, ça finit par corroder le moral, le soutien de la population à la guerre. J'ai le sentiment que le président Zelenski fait très attention à ça. Du côté russe, on a un peu le sentiment que c'est un peu 'même pas mal' ! Mais je pense qu'à terme ça peut avoir des effets assez délétères. On parle quand même aujourd'hui de 350 000 soldats hors de combats (tués et blessés) côté russe. Est-ce qu'ils peuvent continuer longtemps à ce rythme-là ? Je n’en suis pas sûr. » 2024 sera donc une année d’attente, attente pour l’Ukraine d’une aide massive occidentale, 2024 sera aussi assurément une année d’âpres combats où tout peut arriver.
Alexandre Syrsky a été nommé le 8 février dernier à la tête des forces ukrainiennes. Il remplace le très populaire général Valéry Zaloujny après deux ans de guerre et alors que le front est gelé. Mais ce changement au sommet pourrait se révéler délicat à gérer pour le président Zelensky.  Depuis plusieurs semaines, l'éviction du général Zaloujny, héros de la résistance ukrainienne, était évoqué avec insistance. Il aura donc fallu un peu de temps et pas mal d'hésitations semble-t-il pointe le géopolitologue Cyrille Bret, pour remplacer celui que les ukrainiens surnomment « Saint Zaloujny » : « Il faut envoyer à la fois un signal à la population ukrainienne, un signal aux alliés de l'Ukraine et un signal à l'ennemi à la Russie. Donc le casting n'était pas facile à faire. En tout cas le couple Zelensky- Zaloujny était arrivé au bout du chemin. Et ce qu’a essayé de faire le président Zelensky, c'est de prendre un nouveau départ, aussi bien politique que militaire. »2024, une zone de turbulencesLe président Zelensky a immédiatement réclamé au général Syrsky un plan de bataille réaliste pour 2024, désormais reste à faire accepter ce changement à la tête des armées et pour l'historien Michel Goya, c'est une équation difficile : « D'autant plus difficile qu’il n’y avait pas de défaite visible sur le terrain qui permettait de justifier ce renvoi, il n’y avait rien de très concret. Donc c'est toujours difficile de changer de chef alors que l’on n’a pas grand-chose de très visible à lui reprocher et qu'il est très populaire. Néanmoins, on peut changer de commandant en chef pour différentes raisons. Le général en chef, a à la fois la charge des opérations militaires mais aussi de l'organisation. Donc, on peut avoir des désaccords politiques avec l’exécutif, on peut avoir tout un tas de choses. Voilà. Mais l'histoire des guerres en est pleine. » À lire aussiUkraine: le chef d'état-major de l'armée Valery Zaloujny limogé En quittant son poste, le général Zaloujny retrouve donc sa liberté de parole et pour le président Zelensky, avoir un rival qui ne soit plus soumis à un devoir de réserve, analyse Cyrille Bret, c'est un potentiel danger.« Si on prend un scénario favorable au président Zelensky, très bien, il aura de nouvelles idées, un nouveau commandement plus soumis nécessairement puisque la nomination est récente. Il aura éloigné son principal rival, le général Zaloujny et il pourra bénéficier d'un effet de surprise, voir également un capital de sympathie parmi les alliés. Il peut y avoir un autre scénario qui serait : une désorganisation provisoire des chaînes de commandement ukrainiennes. Cela pourrait aussi affaiblir son image en le montrant si peu sûr de son autorité qu'il ait besoin de se débarrasser d'un rival et ça peut le faire entrer dans une zone d'incertitude. Dans une période où les élections présidentielles auraient dû avoir lieu à l'automne dernier et où le président Zelensky fait face à des contraintes budgétaires, militaires, politiques également et de popularité qui peuvent s'aggraver dans l'année 2024 ». Le nouvel attelage Syrsky-Zelensky a pour objectif immédiat de résoudre l'un des problèmes majeurs de Kiev : conserver le soutien de l'Occident et trouver des munitions pour alimenter le front.À lire aussiUkraine: le gouvernement Zelensky introduit un projet de loi sur la mobilisation de nouveaux soldats
Le navire amiral de la flotte française a appareillé de Toulon il y a quelques jours après avoir passé près de neuf mois en réparation. Le porte-avions remonte en puissance avant un déploiement opérationnel, dans un contexte international tendu où les conflits se règlent désormais aussi au large. Embarquement à bord du navire en Méditerranée.
Pour l'Otan, 2024 sera l'année de Steadfast Defender. Soit le plus important exercice militaire jamais organisé sur le sol européen depuis quarante ans. L'Ukraine est brutalement venue rappeler aux Européens qu'un conflit avec la Russie est possible, et qu'il s'agit même d'un scénario crédible d'ici cinq à huit ans, a déclaré il y a quelques jours Boris Pistorius, ministre allemand de la Défense. L'Otan montre donc ses muscles, avec cet exercice militaire XXL. Le scénario retenu : faire face à un adversaire de taille équivalente. L'état-major de l'Otan l'énonce sans détours : « Nous nous tenons prêts à une attaque russe... ». La manœuvre : les troupes de l'Otan vont s'entraîner à rejoindre au plus vite le flanc est-européen, la Pologne et notamment les pays baltes. L'exercice se déroulera d'ailleurs autour de la mer Baltique, en Lituanie, Lettonie et Estonie.Un exercice qui a tout du « signalement stratégique » dit Guillaume Garnier, spécialiste de l'Otan à l'Institut français des relations internationales. « Tout exercice de cette ampleur implique nécessairement une dimension de signalement stratégique. C'est-à-dire qu'on dit quelque chose à l'adversaire potentiel. Steadfast Defender, c'est quand même 90 000 hommes qui vont être concernés par cet exercice. Exercice qui s'étale de février au mois de mai. Donc c'est une masse assez considérable. Pour vous donner un ordre de grandeur, l'édition précédente, en 2021, avait rassemblé 9 000 hommes. On est sur un exercice tout de même de grande ampleur et nécessairement, il y a du signalement stratégique, ce qui veut dire concrètement que l’on démontre à la Russie que nous sommes déterminés à défendre le continent européen le cas échéant », explique-t-il.Une logistique hors normesAvec Steadfast Defender, l'Otan va donc réviser ses gammes et sa capacité de projection, en déployant 90 000 soldats, cinquante navires de guerre et plus de 1 000 blindés. L'entrée des troupes américaines sur le sol européen se fera via les ports belges. De la logistique à grande échelle dans laquelle excelle l'US Army, indique Guillaume Garnier : « C'est aussi le point fort des armées américaines, cette compétence de projection stratégique, c’est-à-dire de mouvoir un grand ensemble de forces, d'unités aux quatre coins de la planète et avec la célérité requise. Ça permet aussi aux États-Unis de rappeler ce point-là, si besoin en était. À ce niveau-là de matériel, de compétences, de savoir-faire, il n’y a que les Américains, évidemment, qui peuvent se le permettre ».Une guerre de communicationEn réalité, cet exercice géant va chapeauter l'ensemble des entraînements prévus cette année par l'Otan, mais cette fois l'Alliance renoue avec les grandes manœuvres de la guerre froide. Le dernier d'une telle importance pour l'Otan était en 1988, soit un an seulement avant la chute du mur de Berlin. Moscou ne pourra donc pas rester inerte face à tel déploiement de forces à ses frontières, souligne Guillaume Garnier : « Ils répondront, au moins en termes de stratégie de communication, des messages qui sont délivrés par médias interposés. C'est quelque chose qui se planifie et qui est soigneusement calibré. Donc il y aura un narratif, un discours russe en réponse et au vu de l'ampleur de cet exercice, probablement qu'ils utiliseront la thématique de la provocation. Et nous, de notre côté, les alliés, il y aura également une stratégie de communication pour expliquer les buts de l'exercice, les attendus ».L'armée russe est aussi coutumière de ces exercices à grande échelle, désignés sous le nom de Zapad, ils ont lieu tous les quatre ans et le dernier en 2021 avait rassemblé 200 000 soldats. Mais une question reste en suspens, l'état-major russe a-t-il encore les moyens d'organiser de telles manœuvres, alors que l’essentiel de ses troupes fait la guerre en Ukraine ?À lire aussiL’Otan en dix questions
Après l’échec de l’offensive terrestre à l’été dernier, l’Ukraine change de stratégie et fait preuve d’imagination pour desserrer l’étau russe. Ce mercredi, un missile Patriot ukrainien a abattu un Iliouchine 76 russe, et les forces ukrainiennes sont parvenues, en janvier, à détruire un nombre significatif d'avions à haute valeur ajoutée, réduisant ainsi la capacité de l'armée russe à lire le champ de bataille. C'est la stratégie d'usure de Kiev.  La ligne de front étant figée, l'Ukraine cherche à mettre la Russie dans une position de déséquilibre. Après avoir écarté la menace de la flotte russe en mer Noire, l'objectif est désormais la maîtrise du ciel... Et elle passe par la Crimée... Ainsi ces quatre dernières semaines, des frappes massives ont éliminé, les radars au sol et les systèmes de défense sol air de la péninsule. Puis le 15 janvier, les forces ukrainiennes ont utilisé un système Patriot pour cibler deux appareils stratégiques russes qui pensaient voler en sécurité au-dessus de la mer d'Azov.Dans le collimateur : un illiouchine 22 de renseignement électronique ; il a été endommagé et un A50 Beriev de guet aérien, lui, a fini au fond de l'eau.L'A 50, c'est l'équivalent de l'AWACS pour l'Otan, souligne Philippe Gros de la Fondation pour la recherche stratégique : « Pourquoi un AWACS c'est important… car les Russes sont confrontés aux mêmes problèmes que tous les systèmes intégrés de défense anti-aériennes mondiaux, c'est-à-dire la difficulté à détecter les objets qui volent à très basse altitude, comme les missiles de croisière et les drones d'attaque. Ça signifie qu'il faut pouvoir avoir un surplomb et voir la ligne d’horizon. Et c'est à ça que servent les AWACS : à déjà gérer la bataille aérienne et à détecter les engins qui volent bas. Les Russes, devant les pertes qu'ils ont eues avec leurs radars au sol, ont peut être redéployés leur A 50 Beriev pour pouvoir combler ces gaps de détection.Certains envisagent le fait que les Ukrainiens aient presque mené une embuscade contre l’ A50. C'est en anticipant le fait que les Russes redéploient leurs AWACS plus à l'Ouest pour mieux couvrir la Crimée et donc de ce fait les Ukrainiens auraient quelque part fait une embuscade aérienne, anticipant ce redéploiement-là. »Les Ukrainiens appuient là où ça fait malSurtout l'A50 Beriev, avion rare et cher, a disparu avec tout son équipage hautement qualifié... Il y avait aussi à bord le général Oleg Pchela commandant de l'aviation à long rayon d'action.À lire aussiUkraine: ce que l'on sait de la perte de deux avions stratégiques russesUn rude coup porté à la Russie, dit Vincent Tourret, chercheur à l'Université de Montréal: « Les Ukrainiens appuient sur le point faible du dispositif russe. Les Russes ont toujours manqué d'ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance), de moyens de reconnaissance, d'intelligence. Les Russes ont toujours eu beaucoup de vecteurs, beaucoup de missiles, de moyens de frappe de précision, mais ils ont toujours manqué de jumelles, d'une vision assez précise pour pouvoir les utiliser à leur pleine efficacité. Les Ukrainiens appuient donc là où ça fait vraiment mal. Ils les rendent aveugles en fait. Et c'est vraiment ça l'objectif recherché par les Ukrainiens en visant des avions de reconnaissance électronique et de commandements aériens. C'est tout le dispositif russe pour (frapper) L'Ukraine en profondeur qui est amputé de sa vision et de ses capacités de coordination. »L’aveuglement des forces russes et l'insécurité dans les airs permettent aux Ukrainiens de frapper loin... Le 21 janvier dernier des drones chargés d'explosifs ont ainsi bombardé le terminal d'Oust Louga sur la Baltique, où se trouvent les plus importantes infrastructures de gaz naturel liquéfié de Russie.Un missile Patriot à l’origine du crash de l’Il 76Le Conseil de sécurité de l'ONU s’est réuni jeudi 25 janvier en urgence à la demande de Moscou, qui accuse l'Ukraine d'avoir abattu mercredi un avion de transport militaire russe et tué tous ses passagers. La Russie affirme que les forces ukrainiennes ont lancé « deux missiles » issus « d'un système de défense antiaérien ». De source militaire française, c'est bien un missile Patriot qui a abattu l'Iliouchine 76... Pourtant dans la doctrine, le système Patriot est fixe et destiné à la protection des villes.Mais les Ukrainiens l'ont rendu mobile. En tout cas un système, qu'ils déplacent au plus près de la ligne de front... pour tendre des embuscades. Et pour rester discrets les experts estiment que pour ne pas dévoiler la position du Patriot les Ukrainiens n'allument pas son radar, bien trop signant.Ils utilisent probablement celui d'un système de facture russe S300, placé à distance : ce dernier illumine la cible qui est ensuite détruite par un missile d'interception Patriot.La méthode n'est pas orthodoxe mais elle se révèle redoutable. Fin décembre les Ukrainiens ont ainsi, en quelques minutes, envoyé au tapis cinq avions de chasse SU34 et SU30, et le 15 janvier l’A50 Beriev, avion de guet aérien stratégique, fut à son tour foudroyé.À chaque fois des cibles à haute valeur ajoutée, c'est la stratégie d'usure ukrainienne contre la Russie.
Jeudi 18 janvier à Paris, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a donné le coup d’envoi d’une coalition artillerie pour l’Ukraine. L’objectif de cette entreprise, pilotée par Paris, est de parvenir cette année à fournir plus de 70 canons Caesar à Kiev, soit la totalité de la production de l’industriel français Nexter-KNDS. Depuis des mois, l’armée ukrainienne réclame une plus grande puissance de feu et plébiscite le canon français Caesar. Ils en possèdent déjà quarante-neuf. Paris bat donc le rappel pour former cette coalition Artillerie avec pour objectif, dit le général Nicolas Le Nen, chef de la Task Force Ukraine, au ministère des Armées, d’une logique de cession de matériel à une logique de production : « L'objectif, c'est bien ça, c'est de contribuer à l'effort de guerre ukrainien pour que l'Ukraine soit capable de se battre. Dans une guerre qui va durer et dont le facteur stratégique numéro un, c'est le facteur temps, celui qui gagnera, ce sera celui qui sera le plus endurant. Et les coalitions capacitaires, c'est l'organisation des pays occidentaux pour inscrire cette guerre dans la durée et permettre au facteur temps de jouer en faveur du camp ukrainien, donc de notre camp. » 78 canons à livrer en 2024L’ambition est donc de livrer 78 canons Caesar, c’est-à-dire tous les canons qui, cette année, sortiront des ateliers de l’industriel Nexter.Kiev met la main à la poche et en a commandé six. Il reste à financer le solde. Sébastien Lecornu, ministre des Armées, a fait ses comptes : « J'ai annoncé que nous nous débloquons cinquante millions d'euros sur le Fonds de soutien d'aide à l'Ukraine, ce qui permet de financer douze canons Caesar, plus les six Ukrainiens, ça fait déjà dix-huit. Et donc évidemment, il en reste soixante désormais à financer pour une somme de 280 millions d'euros en tout. Je fais donc cette proposition à nos partenaires allemands, britanniques, américains de venir, à la mesure de leurs moyens, compléter ce plan de financement, ce qui nous permettra de lancer la production, mais surtout (la) livraison de ces canons Caesar ».À lire aussiAide militaire européenne à l'Ukraine: une «coalition artillerie» et des canons français Caesar pour soutenir l'effort de guerrePartager la facture avec les alliésLes vingt-trois pays qui participent à la coalition vont donc devoir partager la facture… Mais Paris joue gros puisque dans le cadre de l’économie de guerre souhaitée par l’exécutif, Nexter a multiplié par trois sa production du Caesar. Si les livraisons ne suivent pas, l’équation industrielle risque d’être bien compliquée estime Léo Péria-Peigné, expert armement à l’Ifri, l'Institut français des relations internationales. « La France vient de prélever 50 millions d’euros sur le fonds d'aide à l'Ukraine ; ce sont des budgets qui étaient déjà fléchés pour acheter 12 Caesar à Nexter, après avoir demandé à Nexter d'augmenter ses capacités de production pour ensuite dire à ses partenaires de la cohésion artillerie : vous achèterez bien le reste pour le donner à l'Ukraine !Est-ce que cette annonce, a été concertée avec nos partenaires ? Est-ce que ce n’est pas encore une fois la France qui fait une annonce dans son coin, qui met tout le monde au pied du mur et qui attend que les autres obtempèrent ? Ça a été fait par le passé, ça nous a valu des récriminations assez importantes. Et demander à d'autres acteurs qui, potentiellement, produisent aussi des équivalents du Caesar, d'acheter du Caesar, parce que dans la coalition, j'ai peur que ce soit mal reçu. » La coalition Artillerie ne fait que débuter. C’est un véritable pari, mais un pari qui engage la crédibilité du camp occidental.À écouter aussi«Coalition artillerie» pour l'Ukraine: «Les canons d’artillerie sont l’arme de la bataille actuelle»
Le 12 janvier, les États-Unis et le Royaume-Uni sont passés à l'action. Ils ont bombardé les positions houthies au Yémen après la plus importante attaque contre le trafic maritime en mer Rouge menée en début de semaine. On dénombre près de 30 attaques des Houthis contre des bâtiments de commerce depuis le 7 octobre. Pour rétablir la liberté de navigation, les États-Unis ont mis en place une coalition internationale en décembre. La France est aux côtés de Washington dans cette opération nommée Prosperity Guardian. L'US Centcom, le centre de commandement américain au Moyen-Orient, précise que cent munitions guidées ont été tirées contre seize positions tenues par les rebelles Houthis, le vendredi 12 janvier, tôt dans la nuit. Les cibles sont des postes de commandement, des pistes utilisées pour lancer des drones, des radars, des dépôts de munitions et des sites de fabrication d’armes.Des frappes ont été également menées par des avions de chasse embarqués F-18 de l'US Navy et des Eurofighter Typhoon britanniques basés à Chypre. « Des frappes ciblées qui sont un message clair indiquant que les États-Unis et leurs partenaires ne tolèreront plus d'attaques mettant en péril la liberté de navigation dans la région », a fait valoir le président américain Joe Biden.Reste désormais à savoir quel sera l'impact de ce raid sur l'arsenal des Houthis. Le commandant des forces françaises dans l'océan Indien, l'amiral Emmanuel Slaars, indiquait le 11 janvier aux journalistes de défense qu'il était extrêmement difficile de l'évaluer. Outre les drones kamikazes et de ciblage, les rebelles Houthis peuvent compter sur des missiles conçus et fournis en grand nombre par l'Iran, sans plus de précision quant à leur nombre précis.Si une grande partie de cet arsenal peut être qualifié de low cost, dont la valeur unitaire, à l’instar des drones kamikazes, n’excède pas quelques centaines d’euros, l’usage des missiles Aster-15 pour les détruire est justifié, assure l’amiral Slaars : « L'idée d'analyser les choses uniquement par le rapport de coût de ce que l'on détruit et de ce que l'on utilise pour détruire, je pense que l'analyse est un peu courte. Déjà, les chiffres qui ont été donnés sur la valeur des drones sont partiellement inexacts, car certains drones sont assez sophistiqués, notamment ceux utilisés par les Houthis pour repérer les bateaux. Ce qui est important de retenir aussi, c'est que certains de ces drones sont là pour faire du ciblage. Être capable de détruire ce drone, c'est finalement anticiper une frappe beaucoup plus létale et critique que celle d'un drone kamikaze. Et au-delà de ça, il faut aussi intégrer le fait que le coût à prendre en compte n'est pas que le coût du missile que l'on utilise, mais également le coût de ce que l'on protège. Il s'agit de protéger nos marins qui sont en mer, leur bateau. Puisque très clairement sur les attaques du 9 et du 11 décembre, il n'y a aucun doute sur le fait que la Languedoc était visée. Donc comparer uniquement les coûts à l'aune de ce que l'on dépense est un peu court. »Dans Prosperity Guardian sans y êtreOutre les frappes, la réponse de la communauté internationale s’articule autour d’une coalition navale, Prosperity Guardian (« Gardien de la Prospérité », en français), initiée par Washington le 18 décembre dernier. Cette coalition repose essentiellement sur un groupe aéronaval américain constitué du porte-avions Eisenhower et de plusieurs destroyers dont un britannique, le HMS Diamond. La marine nationale a engagé un bâtiment dans cette opération : la frégate de premier rang Languedoc. Présente en mer Rouge depuis le 8 décembre dernier, elle a déjà, à trois reprises, utilisé ses missiles Aster-15 pour parer des attaques houthies.Le bâtiment français patrouille donc avec les alliés, mais pas tout le temps, nuance l’amiral Emmanuel Slaars : « À tout moment, la Languedoc est placée sous mon commandement. Elle fait deux types d'actions : la première, c'est de faire des accompagnements de bâtiments qui sont sous pavillon français ou d'intérêt français. Lorsqu'elle ne fait pas ça, je décide de l'assigner à patrouiller dans un effort réparti avec les autres bâtiments qui sont engagés dans l'opération Prosperity Guardian. Toute la partie où l'on assure les accompagnements des bâtiments français, ça n'a rien à voir avec Prosperity Guardian. Et à d'autres moments, parce qu'il est utile de prendre position en face des zones à partir desquelles les Houthis mettent en œuvre leurs engins, on se répartit l'effort. C'est Prosperity Guardian qui distribue les zones de patrouille. Mais à tout moment, le bâtiment reste sous mon commandement et je peux lui assigner des tâches sans aucun État d'âme. » La France est donc dans l'opération Prosperity Guardian mais sans y être à temps plein.À lire aussiPourquoi la Chine ne rejoint pas la coalition américaine en mer Rouge?Une guérilla navale bien rodéeLa menace Houthi ne faiblit pas et commence à peser lourd sur le trafic maritime mondial. Il a baissé de 22% depuis un mois en mer Rouge. Quant aux polices d’assurance des armateurs, elles flambent et accusent une augmentation de 100%. Plus que les Supertankers (les pétroliers géants) ce sont surtout les portes containers qui sont la cible des rebelles Houthis. Épaulés par l’Iran, ils sont aujourd’hui à même d’élaborer des stratégies complexes, mêlant drones d’observations et missiles.Ainsi, dans la nuit du 9 au 10 janvier, les forces navales britanniques et américaines ont déjoué la plus importante attaque Houthis en mer Rouge. « Dix-huit drones et trois missiles ont été abattus, dans le cadre d'une attaque complexe », indique la marine américaine. Cette 26e attaque visant le trafic maritime commercial marque une escalade des tensions dans cette zone stratégique. Jamais les rebelles Houthis n'avaient organisé une attaque combinée d'une telle ampleur, avec 18 drones kamikazes, deux missiles de croisière anti-navire et un missile balistique antinavire. Les drones et les missiles ont été abattus par des avions de combat déployés depuis le porte-avions américain Eisenhower. Mais la réponse a également impliqué trois destroyers de l'US Navy.Cette nuit-là, la frégate Languedoc patrouillait dans une autre zone de la mer Rouge, mais Alindien, le commandement de la marine pour cette zone, a décortiqué la stratégie mise en place par les Houthis. Emmanuel Slaars en tire le retour d’expérience suivant :« Leur mode d'action est de chercher à arrêter ces bateaux pour en prendre le contrôle plus facilement, comme le font les pirates. Ou alors plus simplement d'arrêter ces bateaux pour chercher à les couler. Comment font-ils ? D'abord, ils localisent leur proie avec des drones qui sont assez sophistiqués, des drones d'observation. Ensuite, ils émettent des injonctions par radio, et enfin ils tentent de frapper ces bateaux avec des drones suicides, mais aussi avec des missiles anti-navires qui eux sont nettement plus sophistiqués. Donc des moyens qui sont difficilement efficaces face à des cibles mobiles. D'où l'intérêt pour les Houthis de chercher dans un premier temps à arrêter ou à ralentir les bateaux. Les Houthis déclarent s'en prendre aux intérêts israéliens, mais ils commettent beaucoup d'erreurs, précise encore l'Amiral Slaars et font même preuve « d'irrationalité dans leur ciblage ».Ciblages qui semblent aussi relever de leur principal soutien à l'Iran, qui dispose en permanence d'un navire de guerre en mer Rouge.À lire aussiFrappes au Yémen: attention aux images d’explosions détournées
Le port grec d’Alexandroúpoli situé sur la mer de Thrace est en passe de bousculer la carte géopolitique du sud de l’Europe… Ce port en eau profonde offre une alternative à la fermeture des détroits du Bosphore par la Turquie. Ce fut l’une des conséquences immédiates de l’invasion de l’Ukraine par la Russie : conformément à la convention de Montreux, la Turquie, le 24 février 2022 a fermé à tout trafic maritime militaire les détroits vers la mer Noire. Alexandroupoli, situé à proximité du détroit des Dardanelles, est alors apparu comme une alternative au passage du Bosphore. C"est une autre porte d’entrée vers la Bulgarie toute proche, puis la Roumanie, et enfin l’Ukraine que l’on peut atteindre en quelques jours.Sécuriser les flux logistiques, c’est le nerf de la guerre, et Alexandroupoli offre un accès stratégique au cœur du vieux continent, assure le géopolitologue Florent Parmentier : « Le renseignement vous dit ce qu'il faut faire, la stratégie vous dit comment on va le faire et la logistique vous dit si vous pouvez le faire ou pas. Et donc cette possibilité de rapprochement régional à travers le port d'Alexandroupoli, ça montre en fait tout l'intérêt de la logistique. Étant entendu par ailleurs qu’il y a un certain nombre de difficultés aujourd'hui que l'on observe à la frontière terrestre avec l'Ukraine… Que ce soit dans ses relations avec la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, on voit que ces différents pays de la région, plutôt au nord et à l'ouest de l'Ukraine, sont dans une situation où ils sont peut-être plus exigeants par rapport à ce qui passe par leurs frontières. Et donc l'idée, c'est de ne pas dépendre seulement de cette route terrestre, c'est tout simplement de permettre également, à travers Alexandroupoli, d'avoir quelque chose à dire en matière de transport d'armes, de troupes et donc in fine de la logistique qui s'impose comme une dimension essentielle de la guerre. »AtoutLe port grec, jusque-là méconnu, fait de l’ombre à la Turquie. Il est même devenu un atout de taille dans le bras de fer que se livrent depuis des années Athènes et Ankara en Méditerranée orientale. « La Turquie est jalouse en quelque sorte de son mandat de protectrice, de garante de la sécurité des détroits, mais la Turquie ne peut pas s'opposer frontalement à la transformation d’Alexandroupoli, explique Florent Parmentier. Ce qui fait que cela donne certainement dans les relations difficiles qui ont existé pendant longtemps entre la Grèce et la Turquie, peut-être un avantage pour la Grèce. Cet atout pourrait même être un prélude à une forme de détente qu'on peut commencer à voir sur des petits arrangements régionaux qui existent aujourd'hui entre le Premier ministre grec et le président turc. »La France, à la tête du bataillon multinational de l’Otan déployé en Roumanie, s’intéresse de près aux installations portuaires d’Alexandroupoli, tout comme les États-Unis qui y voient un poste avancé idéal pour acheminer du matériel militaire sur les arrières ukrainiens. Alexandroupoli, chef-lieu de la province de l’Éros, jusque-là méconnu, est en passe de devenir une véritable plaque tournante occidentale et otanienne pour convoyer des armes et des hommes vers les bords de la mer Noire, sans ne plus avoir à dépendre du turbulent voisin turc.À lire aussiÀ la Une: la Grèce et la Turquie enterrent la hache de guerre... vraiment?
Lundi 16 octobre 2023, l’armée de terre a créé un poste de commandement « Terre Europe ». Aux ordres du général Toujouse, cette entité a pour vocation de superviser toutes les opérations aéroterrestres sur le continent. Un révélateur du recentrage de l’armée de terre française. [Rediffusion de la chronique Lignes de défense du 22 octobre 2023] C’est l’un des effets du conflit ukrainien. Le retour de la guerre en Europe, bouleverse les priorités et l’organisation de l’armée de terre française. Bertrand Toujouse, ancien commandant des forces spéciales, est le premier général à occuper ces nouvelles fonctions, qui doivent permettre à l’armée de terre de réagir plus vite avec les alliés, en cas de crise.Le commandement pour les opérations aéroterrestres en Europe (CTE) s’installe à Lille, près du commandement des forces terrestres.« Avec le CTE, nous changeons de modèle et d’échelle, souligne le général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de terre. C’est clairement un complément que nous avons apporté, qui est apparu d'autant plus important que nous avons augmenté le nombre et le niveau des forces que nous déployons en Europe, avec notre bataillon en Roumanie, nos compagnies qui sont en Estonie et puis les forces que nous avons en Pologne et qui forment les Ukrainiens. Compte tenu de ces déploiements accrus, il nous est apparu indispensable, d'avoir un commandement qui soit capable de commander le déplacement des unités entre le moment où elles quittent leur garnison jusqu'au moment où elles se déploient sur les zones d'opération avant d'être formellement placée sous les ordres de l'Otan ou d'une coalition au sein de laquelle elles seraient engagées. Et par ailleurs, nous conservons un certain nombre de responsabilités nationales, notamment de soutien logistique. C'est vraiment pour assurer la coordination et le commandement de l'ensemble de ces responsabilités que nous avons mis sur pied ce commandement. »Défense collectiveLe CTE sera placé sous les ordres du Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), qui dirige toutes les opérations militaires. Le CTE servira d’interface avec l’Otan, mais aussi l’Union européenne, au niveau opératif, entre le niveau stratégique et celui du champ de bataille. Un modèle d’organisation bien connu de l’armée de l’air et de la marine qui l’ont mis en place depuis longtemps.En revanche, l’armée de terre accusait un certain retard, dans le combat en coalition. C’est un recentrage, martèle le général Schill : « C’est avant tout un retour marqué et assumé sur les questions de la défense collective. Et la défense collective, c'est en Europe. Il est clair que la probabilité qu'un conflit dure ou qu'en tout cas une situation implique le déclenchement des mécanismes de la défense collective a cru en termes de probabilité au cours des dernières années. Donc, nous devons davantage nous préparer à ces occurrences, alors qu'il est clair également qu’au cours des dernières décennies, nous avions plutôt mis la priorité sur le profilage de l'armée de terre pour s'engager au mieux dans les opérations de gestion de crise plus loin. »Alors que la France a engagé son retrait du Niger, la création du commandement « Terre Europe », illustre la bascule des priorités militaires de l’Afrique vers le Vieux continent.À lire aussiUkraine: les formations militaires occidentales, un dispositif pas toujours adapté
Dans la bande Gaza, le déploiement de l'infanterie israélienne est systématiquement appuyé par les chars de combat Merkava. Les États-Unis ont d'ailleurs approuvé « d'urgence » la vente à Israël de près de 14 000 obus équipant ces blindés lourds. Jamais depuis la création d’Israël, les forces armées de l’État hébreu n’ont conçu une opération sans chars de combat. Le Merkava aujourd’hui de 5e génération, fabriqué à plusieurs centaines d’unités est depuis le 7 octobre dernier, le fer-de-lance de l’armée israélienne dans la bande de Gaza, souligne Marc Chassillan spécialiste des blindés.« Quel que soit l’ennemi, quel que soit le terrain et quelles que soient les circonstances, l’armée israélienne déploie des chars, ça fait partie de leur corpus doctrinal », explique-t-il. « Les chars sont quasiment une deuxième religion après le judaïsme en Israël. C’est un objet de vénération et c’est un objet de perfectionnement et d’investissement constant et continu, depuis 50 ans. On peut trouver curieux ou inapproprié l’engagement de chars dans les zones urbaines, mais ce n’est pas l’apanage de l’armée israélienne, toutes les armées du monde depuis le début de l’utilisation des chars ont employé les chars en zone urbaine. » Les chariots de feu de l’armée israélienneDe par sa géographie, et les contraintes pesant sur l’armée d’un pays de moins de 10 millions d’habitants et seulement 22 000 km2, le développement de la cavalerie israélienne a suivi un schéma assez singulier. Quand dans les années 1970-1980, les Occidentaux penchaient pour une stratégie basée sur l’avance technologique et la rapidité d’action avec une forte intégration des moyens, terrestres, aériens, et maritimes, l’armée israélienne a eu une approche moins novatrice et très pragmatique.Pour bien comprendre la genèse du Merkava, il convient de rappeler deux points importants. Tout d’abord, Israël a toujours connu un état de belligérance, plus ou moins marqué, avec ces voisins arabes. Cela s’est traduit par des escarmouches régulières, une guerre d’usure, ou des conflits de haute intensité sur des durées plus ou moins longues. Deuxième point, il suffit pour s’en convaincre de regarder une carte- dans le domaine de la géographie physique, Israël n’a pas de profondeur stratégique.Cela ne veut pas dire que l’armée israélienne ne manœuvre pas (elle l’a prouvé dans le Sinaï, et sur les hauteurs du Golan, particulièrement en 1973 et surtout lors de la guerre éclair de 1967), mais cela a conduit à une utilisation plus « défensive » de l’armée blindée de cavalerie par rapport à ce qu’on peut connaître ailleurs. Si le char reste une arme dite de « mêlée », les stratèges israéliens ont toujours gardé en tête l’infériorité numérique – en hommes et en matériels – de leur armée vis-à-vis des forces terrestres arabes, mais aussi le fait qu’ils pourraient bénéficier assez rapidement de la maîtrise du ciel au-dessus du champ de bataille. Pour schématiser, le char n’est donc pas déterminant pour l’emporter, mais en revanche il constitue un rempart, et/ou un outil capable de repousser l’adversaire loin des frontières. C’est en partie cette philosophie qui a conduit au dessin du premier Merkava au milieu des années 1970.Un tank conçu dans l’urgencePetit rappel historique. Israël a longtemps utilisé des chars britanniques et américains, Centurion ou Patton. Après la guerre des Six Jours en 1967, la France et le Royaume-Uni ont décrété des embargos sur les armes à destination d’Israël. L’industrie israélienne en a été réduite à modifier quelques vieux tanks (remotorisation et adaptation de canons), et à passer commande de qui était alors disponible et autorisé à l’exportation par les États-Unis. Israël se lança même dans le rééquipement de vieux chars d’origine soviétique T-54 capturés à l’ennemi.Ceci étant, il restait encore un pas important à franchir pour concevoir un char de fabrication nationale. Afin de contourner les embargos internationaux, et prenant en compte les limites de sa propre industrie de défense, Israël se tourna alors vers l’Afrique du Sud, pour se procurer les aciers nécessaires à la fabrication du blindage (de 20 mm d’acier à 300 mm de matériaux composites selon les versions et les éléments à protéger comme la tourelle). Pour le reste, Israël se débrouilla, pour acheter, copier, ou produire des éléments et des pièces détachées déjà utilisés à l’étranger. Ce fut le cas entre autres de la motorisation, des chenilles, de la transmission ou de la suspension des premiers Merkava. Suivant le même schéma, dans le secteur aéronautique, les Mirages III et V d’origine française furent progressivement transformés en Nesher, et Kfir assemblés et produits en Israël.  Les sapeurs et leurs charsLe pion tactique de l’armée israélienne à l’œuvre à Gaza est composé d’un binôme infanterie-sapeurs du génie, protégés par les tanks, mais la pointe de la flèche, insiste Marc Chassillan se sont les sapeurs et leurs chars.« Les sapeurs du génie sont finalement quasiment quelquefois les éléments précurseurs dans certaines zones de Gaza. C’est d’abord le génie d’assaut, donc appuyé par les chars et protégé par l’infanterie qui se charge d’ouvrir ce qu’on appelle les itinéraires », indique-t-il. « Ils disposent pour ça de bulldozer Caterpillar D9 sûr blindé. Ils ont aussi des engins qu’on appelle les Pumas, qui sont en fait des châssis de chars qui ont été détourellés et qui ont été couverts de blindage et qui abritent une équipe de sapeurs d’assaut avec un certain nombre de matériels et d’outils pour en fait percer les murs, ouvrir les portes, dégager les obstacles, déminer… Le rôle des sapeurs du génie est absolument essentiel. » 30 à 40 blindés détruitsMais avec leur masse de 70 tonnes, les Merkava peinent à manœuvrer dans un environnement urbain. Ils ne voient pas grand-chose non plus de leur environnement immédiat et sont par conséquent vulnérables à courte distance aux tirs de missiles antichars et les pertes s’accumulent :« Depuis le 7 octobre, ils auraient perdu entre 30 et 40 blindés, mais tous types confondus, il n’y a pas que des chars de combat », dit Marc Chassillan, « Il y a aussi des véhicules de transport de troupes, il y a des engins du génie et un peu de tout sachant que le 7 octobre ils en ont perdu beaucoup puisque quand le Hamas a attaqué le 7 octobre, ils ont en particulier pris une caserne qui se trouvait à l’entrée nord de la bande de Gaza. C’est en fait la caserne qui garde un peu les portes d’entrée vers Gaza, et ils ont saboté, détruit beaucoup de véhicules qui étaient sur les parkings. » Le Merkava au combatSi le Merkava est devenu au fil du temps, un char « iconique », il faut garder en tête que la saga du tank israélien s’est écrite au fil de temps, et que même si le nom a été conservé, le Merkava I, n’a plus grand-chose à voir en termes de performances avec le Merkava V en cours d’introduction dans l’armée israélienne.Dès 1982 Israël a perdu ses premiers Merkava au combat au Liban. Ce très lourd char de combat découvre les difficultés du combat en milieu urbain, mais enregistre aussi des succès contre des chars d’origine soviétiques employés par les Syriens. Ceci étant à l’époque, le fleuron de la cavalerie israélienne vient tout juste d’entrer en service et pour l’essentiel ce sont des tanks plus anciens qui sont déployés. Au fil des engagements, le Merkava va se forger une réputation de quasi-invincibilité, jusqu’à la guerre de 2006 contre le Hezbollah ou l’armée israélienne va enregistrer de lourdes pertes. Sur le plan technique : « Le Merkava était réputé être l’un des meilleurs au monde […], mais 52 d’entre eux (33 Mk2/3, 19 Mk4) ont été mis hors de combat par les tirs de missiles antichars et 3 autres détruits par des mines artisanales IED », peut-on lire dans un rapport cité par l’IFRI après la guerre.À l’époque on a beaucoup dit que le char était mal protégé sur la partie arrière, mais en réalité, cette faiblesse était connue depuis longtemps, et c’est surtout la tactique du mouvement armée chiite libanais combiné à l’emploi en masse, de missiles anti-char modernes qui a porté ses fruits. Les dernières vidéos, du Hamas publié à Gaza en 2023, prouvent d’ailleurs qu’à leur tour, les miliciens du Hamas tentent d’utiliser les mêmes techniques, allant jusqu’à déposer des charges « à la main » sous les tourelles des chars israéliens.Ceci étant, il semble que de nombreux projectiles employés par le Hamas soient d’origine artisanale, fabriqués localement dans la bande de Gaza. Ils n’auraient donc pas la même efficacité que des ATGM modernes industrialisés comme les Kornet (code OTAN : AT-14) d’origine russe, mais produits sous licence en Iran. On a pu s’étonner aussi de voir les Merkava dépourvus de blindages réactifs, remplacés en partie par le système de protection active (APS) « Trophy » destiné à barrer la route aux projectiles adverses en les détruisant avant l’impact.À l’épreuve dans la bande de Gaza Au début du conflit, on a pu s’étonner de voir très peu de fantassins israéliens « débarqués », laissant les tireurs du Hamas se rapprocher très près des blindés. De petites charges ont également été larguées par drones du Hamas, sur les tanks israéliens, sans – semble-t-il – inquiéter les équipages placés sous blindage.Toutefois des grilles anti-drone monté au-dessus de la tourelle ont fait leur apparition. On peut penser qu’elles servent à protéger les équipements de visée montés sur la partie haute, ou un soldat qui s’exposerait en utilisant la mitrailleuse de 7,62 montée sur le toit. Il est évident enfin qu’en milieu urbain, la vitesse de pointe n’est plus déterminante (64 km/h pour la version IV en rase-campagne), là où la protection particulièrement des tirs venant du haut (depuis les immeubles) ou des charges artisanales (IED) enfouies dans le sol le devient… Historiquement on a toujours admis que les Merkava étaient sous-motorisés (1500 chevaux pour la version IV). À ce niveau on a souvent lu que l’emplacement du moteur à l’avant, si caractéristi
Les ministres français des Armées et des Affaires étrangères se sont rendus, jeudi 14 décembre, à Djibouti, pays à la position stratégique entre l'océan Indien et la mer Rouge, pour négocier le renouvellement des accords de défense entre les deux pays. Cette zone connaît ces dernières semaines une tension croissante avec la multiplication d'attaques des rebelles houthis en mer Rouge. Disposer d'un point d'ancrage dans la région est - par conséquent - essentiel pour les armées françaises. La Corne de l'Afrique, Djibouti point d'entrée en mer Rouge, face au détroit de Bab-el-Mandeb, là où transite une grande partie du commerce et des approvisionnements énergétiques mondiaux... Depuis son indépendance en 1977, le pays accueille la plus grande base française en Afrique : 1 500 hommes, des capacités terrestres, aériennes et bien sûr navales, un « porte-avions » naturel, un point d'appui unique, où l'amiral Alain Coldefy ancien « pacha » du groupe aéronaval français a souvent fait escale : « C’est une base totalement stratégique. Après les guerres du Golfe, les Américains sont arrivés en force au camp Lemonnier et les Chinois, bien sûr, sont arrivés derrière. Donc, actuellement, Djibouti, c'est une base américaine, chinoise et française, mais c’est une base historiquement française. Aujourd’hui, on est passé un petit peu en deuxième rideau, on n'est plus la force militaire dominante. Il y a quelques années, il y avait encore la 13e demi-brigade de la Légion étrangère, mais aussi des frégates basées en permanence. Néanmoins, il reste une capacité d'entretien des bateaux de passage, des bonnes capacités de maintenance, des ateliers spécialisés, un soutien logistique qui permet aux forces qui sont déployées, en particulier dans le golfe arabo-persique, de venir se régénérer lors de relâches opérationnelles. Donc ça reste un point d'appui avancé. »À lire aussiDjibouti: l'avenir de la base militaire française au centre de la visite de Lecornu et ColonnaBase d’Abu DhabiMais Djibouti n'est plus le seul point d'appui français dans cette région, car depuis quelques années une seconde base navale a vu le jour dans le golfe Persique. La base d’Abu Dhabi fait aujourd’hui de l'ombre à celle de Djibouti. Mais Djibouti qu'il ne faut pas négliger pour autant, pointe Vincent Groizeleau rédacteur en chef de Mer et marine : « Depuis la fin des années 2000, il y a la base navale d'Abu Dhabi et finalement, c'est plutôt de là-bas maintenant qu’opèrent les bâtiments français. L'état-major, qu'on appelait Alindien (dans la Marine nationale française, l'acronyme Alindien désigne l'amiral commandant de la zone maritime de l'océan Indien) qui longtemps est resté sur un bâtiment, qui était un état-major de la Marine itinérant et qui se chargeait donc de toute cette région maintenant, est installé à Abu Dhabi. Pour autant, effectivement, Djibouti, les escales y sont encore régulières et ça reste un point d’appui important. Ne serait-ce que parce qu'en cas de conflit avec l'Iran, le golfe sera fermé. Le détroit d'Ormuz sera très compliqué à franchir et donc il faut effectivement conserver un point d'appui extérieur au golfe Persique pour pouvoir intervenir en toute liberté, sachant que les autres possessions françaises, les autres territoires français, sont beaucoup plus au sud, c'est-à-dire à La Réunion et à Mayotte. Djibouti reste quelque chose de stratégique. »D'autant plus stratégique, que les rebelles houthis qui disent agir en solidarité avec les Palestiniens de Gaza, prennent pour cible tous les navires de commerces qui transitent au large du Yémen à destination d'Israël. À trois reprises cette semaine, la frégate Languedoc a fait feu contre leurs drones, et c'est justement dans la base navale de Djibouti que ce bâtiment de la Marine devrait faire relâche et y recompléter ses munitions.
Le Rafale, emblématique avion de chasse de l'armée de l'air française, est encore là pour trente ans ou plus, assure Eric Trappier, le patron de Dassault aviation. Mardi 5 décembre dernier, devant l'Association des journalistes de défense (AJD), Éric Trappier a défendu le programme Rafale, il a aussi précisé sa vision de l'avion du futur et des craintes qui sont les siennes pour cet appareil de sixième génération, co-produit avec l'Allemagne. Premier message d'Eric Trappier : le Rafale demeure le cœur battant de Dassault. Avion de chasse dont il a longtemps été dit qu'il était invendable... Aujourd'hui, près de 500 avions ont été fabriqués, dont 243 vendus à l'étranger : « J'ai arrêté de compter » plaisante le patron de Dassault, car en cette fin d'année, l'avionneur a encore plusieurs fers au feu. Un contrat de 26 Rafale marine en passe d'être signé avec l'Inde, une nouvelle tranche de 18 appareils pour l'Indonésie et peut-être même un méga contrat en vue avec l'Arabie Saoudite, ce serait une première pour ce pays qui a toujours acheté des appareils américains ou britanniques. Le Rafale, c'est une success story, mais il a fallu s'accrocher, assure Eric Trappier : « Il faut être tenace quand on pense avoir raison, c'est compliqué d'avoir raison avant tout le monde. Je pense que le Rafale a été en avance sur son temps. Serge Dassault s'est battu comme un lion pour dire que cet avion était un bon avion et qu'il se vendrait un petit peu partout. Tous les ingénieurs qui ont travaillé sur le Rafale avaient vu juste. »Succès pour le Rafale...En 2024, trois avions sortiront chaque mois de l'usine de Mérignac, et le carnet de commande affiche plein pour dix ans. Sans export, pas de Rafale, car exception faite de la Grèce et de la Croatie, le chasseur ne s'est guère vendu en Europe, déplore Eric Trappier : « 80% des achats en Europe ne sont pas Européens, 80% ! Donc c'est la solution de facilité : j'achète aux Américains et en contrepartie, ils sont là et ils protègent. Vous voyez les budgets qui sont mobilisés quand même dans le domaine de la défense en Europe. Donc si la Commission européenne pouvait faire une préférence européenne, vous savez, ça fait à peu près 20 ans que je pousse l’idée, ça serait pas mal, car nous ne sommes pas encore dans la défense européenne, on en est loin. »Difficultés avec le ScafLe Scaf, l'avion du futur, est co-produit avec l'Allemagne. Ce qui fait débat, c'est la garantie de pouvoir justement exporter l’appareil. Car l'actuel refus du Bundestag, le Parlement allemand, de vendre des Eurofighter à l'Arabie saoudite pose problème. Éric Trappier ne veut pas s'engager dans ce qui pourrait devenir une impasse commerciale : « Ça pose en fait la question de la garantie donnée par les Allemands, si un jour il y avait un avion de combat franco-allemand, qu'on puisse l'exporter dans les pays qui sont nos pays traditionnels. Car il faut avoir l'accord de ceux qui sont autour de la table pour arriver à exporter ou sinon ils bloquent. Donc il y a des mécanismes qui ont été définis pour dire si on fait une coopération, on s'engage à ne pas bloquer. Il faut juste y croire ! Est-ce que le Bundestag s'assure que ce qui a été défini aujourd'hui s'appliquera dans 20 ans ? Si aujourd’hui, ça n’a pas d’impact, ce pourrait être le sujet de demain ou d’après-demain ».Dans ce contexte où les européens, entre eux, ne se font pas de cadeau, Dassault semble vouloir à tout prix conserver son autonomie, ce qui, jusque-là, ne lui a pas trop mal réussi.À lire aussiDéfense: pourquoi l'Inde a choisi le chasseur Rafale français
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