Minuit dans le siècle

Tous les quinze jours, Ugo Palheta décortique le fascisme, non par fascination morbide pour les pires tendances de notre monde, mais pour regarder en face le danger, sans jamais séparer cette exploration de la lutte pour un autre monde. Dans "Minuit dans le siècle", on parle donc de l'histoire du fascisme et de ses transformations, des différentes variétés de fascisme à travers le temps et l'espace, de l'électorat des extrêmes droites contemporaines, des rapports entre capitalisme et fascisme, entre fascisme et racisme ou entre fascisme et colonialisme. On analyse aussi la manière dont les fascistes investissent aujourd’hui des terrains nouveaux (écologie, droits des femmes, etc.), ou encore les complicités qu'ils trouvent au sein des élites économiques, politiques et médiatiques. On explore enfin les mobilisations antifascistes du passé et les luttes menées au présent, les stratégies qui ont été et sont mises en œuvre par les mouvements antifascistes, avec succès ou non. "Minuit dans le siècle" est un podcast produit pour le site indépendant Spectre, et disponible sur toutes les plateformes d'écoute.

Comment les élites allemandes livrèrent le pouvoir aux nazis

Le nazisme fait l'objet d'une fascination morbide mais il est en réalité largement méconnu. En particulier, on ignore bien souvent - et les idées les plus fausses circulent sur - la manière dont les nazis sont parvenus au pouvoir. Qu'on prétende qu'ils auraient gagné les élections, pris le pouvoir par la force ou par la faute de la gauche (notamment communiste), on méconnaît le fait que Hitler ne serait jamais devenu chancelier le 30 janvier 1933 sans le soutien d'une bonne partie des élites allemandes (économiques, militaires, politiques, médiatiques). C'est cette histoire que restitue l'historien Johann Chapoutot dans son dernier livre "Les irresponsables", paru aux éditions Gallimard au début de l'année 2025. Dans cet épisode, qui reprend sous forme podcast une interview vidéo réalisée pour le site Hors-Série, je l'invite notamment à revenir sur la manière dont certains individus, représentant des forces sociales et politiques identifiables et ancrées dans les classes dominantes, ont travaillé ardemment d'abord à nouer une alliance avec les nazis puis à les installer au pouvoir, avec toutes les conséquences que l'on sait. Nous abordons d'autres points de l'ouvrage et concluons sur la manière dont nous pouvons apprendre de cette histoire, à l'heure où progressent et parviennent au pouvoir des mouvements néofascistes.

08-26
01:07:24

La libération de la Palestine : un combat anticolonial et antifasciste

Dans ce nouvel épisode de "Minuit dans le siècle", je reçois Omar Alsoumi, militant franco-palestinien et l'un des principaux animateurs de l'organisation Urgence Palestine. Centrale dans l'organisation des mobilisations en solidarité avec Gaza et la Palestine au cours des deux dernières années, Urgence Palestine est menacée de dissolution par le gouvernement actuel. Avec lui, nous abordons son parcours et la trajectoire des mouvements de solidarité avec la Palestine au cours des vingt-cinq dernières années en France, revenant sur l'importance de faire place aux récits palestiniens, de Palestiniens qui résistent et combattent, loin de l'image paternaliste de "victimes parfaites" (Mohammed El-Kurd). Nous revenons sur ce que représente le combat pour la libération de la Palestine pour des millions de personnes à l'échelle globale, en particulier dans un pays comme la France marquée à la fois par la vigueur du racisme colonial (islamophobie) et par une forte immigration postcoloniale, la portée à la fois singulière et universelle de ce combat, sa dimension matérielle, géostratégique, mais aussi spirituelle. Nous discutons enfin du lien indissociable entre fascisme et colonialisme, mais aussi des menaces auxquelles fait face Urgence Palestine dans un contexte de fascisation de l'ordre capitaliste-néolibéral, particulièrement marqué en France. Enregistrement le 17 juin 2025. Mixage : Aurélien Thome.

07-21
49:22

Trump, la Big Tech et la contre-révolution "libertarienne" : où va l’extrême droite US ?

Quelques semaines après le retour au pouvoir de Trump, j'avais rencontré pour ce podcast l'historienne Sylvie Laurent (autrice notamment de "Capital et race, une hydre moderne", aux éditions du Seuil). Nous avions essayé de comprendre ensemble ce qu'il fallait savoir et attendre du pouvoir trumpiste dans les quatre années à venir, le type de projet qui caractérise actuellement le Parti Républicain, le niveau d'attaque qu'il fallait anticiper de sa part à l'encontre des minorités, des immigrés, des mouvements sociaux ainsi que des droits sociaux et démocratiques. Dans ce nouvel épisode, je la retrouve pour faire un bilan des premiers mois de la présidence Trump (y compris des résistances populaires), mais aussi - à partir de son dernier livre "La Contre-révolution californienne" (au Seuil également) - pour revenir sur le rôle spécifique qu'ont joué les acteurs de la Big Tech, depuis les années 1980, dans la grande offensive réactionnaire en cours. Enregistrement et mixage : Aurélien Thome.

07-10
01:20:10

Écologie, nature et extrêmes droites : entre carbofascisme et écofascisme

Dans ce nouvel épisode, on revient sur les rapports entre les extrêmes droites et l'écologie, que nous avions commencé à aborder dans deux épisodes précédents (voir "Peste brune et greenwashing"). Pour approfondir le sujet, j'ai invité Antoine Dubiau, auteur notamment du livre "Écofascismes" (aux éditions Grevis). Avec lui on parle à la fois des grands partis d'extrême droite, ceux qui occupent le devant de la scène électorale et que l'on peut décrire comme relevant d'un "fascisme fossile" ou d'un "carbofascisme", et de courants ou de sensibilités numériquement plus marginaux et qui construisent un rapport différent à l'écologie, mais toujours à partir d'un socle raciste et réactionnaire, une culture qu'on peut qualifier d' "écofasciste". On montre que les rapports entre ces deux polarités, à l'extrême droite, ne sont pas simplement d'opposition : non seulement certains partis comme le FN/RN tentent de donner un vernis "écologique" à leurs obsessions identitaires mais on pourrait imaginer une cohabitation/collaboration entre un pouvoir carbofasciste et des enclaves écofascistes. On se demande pour finir ce que la gauche radicale et le mouvement écologiste peuvent opposer aux articulations proposées par l'extrême droite (entre mode de vie fondé sur les industries fossiles et identité blanche-occidentale, entre préservation de la nature et maintien des rôles traditionnels de genre, ou encore entre consommation de viande et masculinité). Enregistrement et mixage : Aurélien Thome.

06-12
01:08:05

Combattre l’extrême droite de la rue à l’Assemblée nationale

Alors que la guerre génocidaire menée par l’État colonial d'Israël se poursuit à Gaza, avec son cortège quotidien de crimes de masse, alors que l'extrême droite progresse partout, l'actuel gouvernement n'a rien trouvé de mieux que de s'en prendre à Urgence Palestine et à la Jeune Garde antifasciste en les menaçant de dissolution. Nouvelle étape dans l'offensive autoritaire que mène tambour battant la classe dominante française depuis une quinzaine d'années, et de manière amplifiée la Macronie depuis 2017. Dans cet épisode j'ai rencontré Raphaël Arnault, militant antifasciste, co-fondateur et porte-parole de la Jeune Garde, député élu en juillet dernier dans le cadre du Nouveau Front populaire, et Mathilde Millat, militante anticapitaliste, membre du NPA-L'Anticapitaliste et suppléante de Raphaël. Tou-tes deux ont milité ensemble à Lyon, y ont construit des mobilisations, en particulier contre l'extrême droite, et iels se retrouvent à présent à l'Assemblée nationale pour prolonger ce combat. On revient ensemble sur leurs parcours militants, les raisons et les circonstances de leur engagement, à Lyon où ils se sont rencontrés dans les années 2010. On discute de la création de la Jeune Garde antifasciste (entre 2016 et 2018), des objectifs de ce collectif, de sa stratégie, de ses pratiques, et de ses acquis. On revient sur ce qu'iels ont essayé de faire vivre dans leurs deux campagnes électorales aux législatives de 2022 (à Lyon) et 2024 (à Avignon), en particulier de la manière dont iels conçoivent l'articulation entre luttes sociales et batailles électorales. On parle avec Mathilde de la bagarre des assistants parlementaires contre le média fasciste Frontières. On essaie de comprendre avec elleux ce que font des militant-es de terrain à l'Assemblée nationale, les obstacles qu'iels y rencontrent mais aussi les combats qu'iels y mènent. Et enfin on évoque la situation politique, qui peut trop facilement nous pétrifier alors que la gauche de rupture a des points d'appui, en particulier au sein de la jeunesse comme le souligne Raphaël. Enregistrement et montage : Ugo Palheta.

05-29
01:31:19

L’extrême droite : une histoire française

Pour ce nouvel épisode de "Minuit dans le siècle", j'ai invité l'historienne Ludivine Bantigny. Avec elle, nous abordons l'histoire longue de l'extrême droite française, en revenant sur plusieurs épisodes incontournables de sa trajectoire. Tout d'abord ses origines dans la Réaction à la Révolution française, qui se manifeste en particulier en 1815 au moment de la Restauration. Puis les transformations de cette extrême droite à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, du moment boulangiste à l'affaire Dreyfus, avec le rôle central que joue alors l'antisémitisme. On discute également des années 1930, en particulier sous l'angle de la controverse entre historien-nes sur la prétendue "allergie française au fascisme". Un nouveau saut dans le temps nous amène jusqu'aux années 1980 et à la résurrection de l'extrême droite avec les premières poussées électorales du Front national. Enfin, on discute de la conjoncture politique présente, marquée par l'alliance de plus en plus ouverte entre une droite extrémisée et le FN/RN. Enregistrement et mixage : Aurélien Thome.

05-20
01:07:47

Anticoloniale et antifasciste : comment la révolution a gagné le Portugal (partie 2)

Après un double épisode sur la dictature fasciste au Portugal, qui a duré près d'un demi-siècle (1926-1974), on aborde dans ce double épisode la Révolution des oeillets, à nouveau avec l'historien Victor Pereira. Cette révolution est souvent réduite au 25 avril 1974, journée magnifique durant laquelle un soulèvement militaire organisé par des officiers intermédiaires - les fameux "capitaines d'avril" - fait tomber enfin la dictature. Ce récit dissimule non seulement que la révolution a commencé sur le terrain colonial (comme on l'avait montré dans les précédents épisodes sur la dictature), avec l'offensive politico-militaire des mouvements de libération nationale - en Angola puis en Guinée, au Cap-Vert et au Mozambique - qui se déploie à partir du début des années 1960 et qui va considérablement affaiblir le régime. Mais la focalisation sur le 25 avril 1974 manque également ce qui va se jouer dans les 19 mois qui vont suivre, à savoir l'intrusion des classes populaires - ouvriers et employés des villes mais aussi paysans pauvres des campagnes du Sud - sur la scène politique. Dès les semaines qui suivent la chute du régime émerge ainsi le plus grand mouvement gréviste de l'histoire du pays. Il signale d'emblée que le peuple portugais n'aspire pas à troquer une élite modernisatrice contre une caste réactionnaire. Ce qui est vite à l'ordre du jour à mesure que la révolution se développe, c'est à la fois la décolonisation immédiate, la conquête d'une démocratie réelle (ne se réduisant pas à l'élection de "bons" représentants), et la sortie de la misère pour l'ensemble des travailleurs·ses. À travers des pratiques de lutte radicale et auto-organisées, cela va progressivement conduire à la montée d'une conscience anticapitaliste et à une aspiration à construire un "pouvoir populaire". Victor Pereira a publié notamment le livre "C'est le peuple qui commande. La Révolution des Œillets : 1974-1976", aux éditions du Détour en 2023. Épisode enregistré en octobre 2024. Enregistrement, montage et mixage : Aurélien Thome.

05-07
01:06:08

Anticoloniale et antifasciste : comment la révolution a gagné le Portugal (partie 1)

Après un double épisode sur la dictature fasciste au Portugal, qui a duré près d'un demi-siècle (1926-1974), on aborde dans ce double épisode la Révolution des oeillets, à nouveau avec l'historien Victor Pereira. Cette révolution est souvent réduite au 25 avril 1974, journée magnifique durant laquelle un soulèvement militaire organisé par des officiers intermédiaires - les fameux "capitaines d'avril" - fait tomber enfin la dictature. Ce récit dissimule non seulement que la révolution a commencé sur le terrain colonial (comme on l'avait montré dans les précédents épisodes sur la dictature), avec l'offensive politico-militaire des mouvements de libération nationale - en Angola puis en Guinée, au Cap-Vert et au Mozambique - qui se déploie à partir du début des années 1960 et qui va considérablement affaiblir le régime. Mais la focalisation sur le 25 avril 1974 manque également ce qui va se jouer dans les 19 mois qui vont suivre, à savoir l'intrusion des classes populaires - ouvriers et employés des villes mais aussi paysans pauvres des campagnes du Sud - sur la scène politique. Dès les semaines qui suivent la chute du régime émerge ainsi le plus grand mouvement gréviste de l'histoire du pays. Il signale d'emblée que le peuple portugais n'aspire pas à troquer une élite modernisatrice contre une caste réactionnaire. Ce qui est vite à l'ordre du jour à mesure que la révolution se développe, c'est à la fois la décolonisation immédiate, la conquête d'une démocratie réelle (ne se réduisant pas à l'élection de "bons" représentants), et la sortie de la misère pour l'ensemble des travailleurs·ses. À travers des pratiques de lutte radicale et auto-organisées, cela va progressivement conduire à la montée d'une conscience anticapitaliste et à une aspiration à construire un "pouvoir populaire". Victor Pereira a publié notamment le livre "C'est le peuple qui commande. La Révolution des Œillets : 1974-1976", aux éditions du Détour en 2023. Épisode enregistré en octobre 2024. Montage : Aurélien Thome.

04-25
59:46

Offensive réactionnaire et islamophobe à l’école : comprendre pour mieux combattre

Contrairement à une représentation courante, faisant de l’École une sorte de chasse gardée pour la gauche, les droites et extrêmes droites ont fortement investi la question scolaire ces vingt dernières années. Le premier aspect de cette offensive des droites, sans doute le plus visible, ce sont les politiques austéritaires qui - depuis Sarkozy notamment - ont contribué à dégrader les conditions de travail des personnels de l’Éducation nationale et les conditions d'étude pour les élèves. Ce qui ne pouvait manquer d'accroître les inégalités sociales face à l’École tout en favorisant l'enseignement privé (en France ultra-majoritairement un enseignement confessionnel catholique). Mais les forces réactionnaires et libérales ne se sont pas arrêtées là : une offensive idéologique et institutionnelle a été menée à plusieurs niveaux : pour délégitimer la démocratisation scolaire, favorisant - explicitement ou non - un retour à des procédures précoces de tri scolaire (qui fonctionne largement et objectivement comme tri de classe et racial) ; pour s'opposer aux politiques visant à lutter contre les inégalités de genre, les discriminations en fonction de l'orientation sexuelle, et les violences sexistes et sexuelles ("ABCD de l'égalité", "Enseignement de la vie affective, relationnelle et sexuelle", etc.) ; et enfin pour stigmatiser (et au besoin exclure) les enfants et adolescents de confession musulmane, au nom d'une "laïcité" vidée de son sens et transformée en arme de discrimination massive. On discute de toutes ces questions avec deux syndicalistes enseignant-es, Céline Sierra et Antoine Chauvel, et avec Cécile Ropiteaux, ancienne syndicaliste enseignante et militante associative. A noter que cet entretien a été réalisé en novembre 2024, avant la publication du nouveau programme d'éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité.

03-25
01:29:22

Identitaires : comment les médias dominants font le jeu d’une mouvance néofasciste

Depuis une vingtaine d'années, les identitaires se sont installés dans le paysage de l'extrême droite, à côté du Front national devenu Rassemblement national (mais non sans liens). Ils jouent un rôle spécifique, comme groupe violent là où ils sont présents mais surtout dans la bataille culturelle pour favoriser la diffusion et la légitimation des idées racistes, en particulier islamophobes. Avec le sociologue Samuel Bouron, spécialiste des médias mais aussi auteur d'une enquête par immersion dans la mouvance identitaire, nous revenons sur les origines de ce courant d'extrême droite singulier, sur sa vision du monde et ses stratégies, mais aussi sur les relais qu'ils trouvent dans les médias dominants. Dans son livre "Politiser la haine", qui vient de paraître aux éditions La Dispute, Samuel Bouron montre en effet que le relatif succès des identitaires - en termes d'influence, au regard de leur faiblesse numérique - est incompréhensible sans une analyse de l'écosystème médiatique. Et si celui-ci a permis la banalisation de leurs obsessions épuratrices focalisées sur l'islam et l'immigration, ce n'est pas simplement en raison de la présence croissante d'éditorialistes réactionnaires et racistes, mais du fait de transformations structurelles des médias (appropriation capitaliste de la presse, création de chaînes d'information en continu, soumission aux logiques d'audimat, journalisme web low-cost et montée des émissions de plateau, tout cela au détriment des enquêtes, etc.). Enregistrement et montage : Aurélien Thome.

03-06
01:09:33

Fascisme, race et capital : ce qu’il faut savoir et attendre de Trump

Trump a remporté l’élection présidentielle états-unienne et va revenir au pouvoir. Celui qui avait déjà occupé la fonction présidentielle de l'hyper-puissance états-unienne entre 2016 et 2020, et qui - entre beaucoup d'autres choses - avait alors voulu interdire l'immigration issue de pays musulmans ou tirer sur les manifestations antiracistes contre les crimes policiers. Celui qui a cherché à faire annuler sa défaite électorale de 2020, par diverses manoeuvres illégales et en fomentant une émeute. Celui qui, lors de sa campagne particulièrement extrémiste de 2024, a prétendu que l'immigration "empoisonnait le sang de la nation américaine", ou que les immigrés haïtiens mangeaient les animaux domestiques des bons Américains à Springfield. Comment expliquer ce succès ? Qui a voté pour Trump et pourquoi ? Qu'y a-t-il de commun avec sa précédente victoire de 2016 et qu'est-ce qui a changé entretemps ? Comment inscrire Trump et le trumpisme dans l'histoire des États-Unis, aussi bien celle de l'extrémisation du Parti Républicain lors des 15 dernières années que la longue trajectoire du suprémacisme blanc ? Comment caractériser le trumpisme : fascisme ou non ? Qu'attendre de cette nouvelle expérience de pouvoir et quelles résistances pourront ou sauront émerger ? C'est l'ensemble de ces questions, et quelques autres, que nous abordons dans ce nouvel épisode avec l'historienne Sylvie Laurent, spécialiste des États-Unis et de la question raciale. Elle est l'autrice de nombreux ouvrages, en particulier récemment : "Pauvre petit blanc. Le mythe de la dépossession raciale" (Éd. de la Maison des sciences de l'homme, 2020), et "Capital et race. Histoire d'une hydre moderne" (Éd. du Seuil, 2024). Enregistrement : Thomas Guiffard-Colombeau.

12-16
01:17:27

Guerre d’Algérie : Le Pen, le fascisme français et la matrice coloniale

Avec l'historien Fabrice Riceputi, spécialiste de la guerre d'Algérie et auteur d'un livre récent sur le sujet (publié aux éditions du Passager clandestin), on fait le point dans ce nouvel épisode sur la question de la torture en Algérie et de la participation de Jean-Marie Le Pen à la grande répression d'Alger en 1957. Cela nous permet de revenir sur la question des rapports entre colonialisme et fascisme. Dans le contexte français, si le projet colonial fut porté tout aussi bien par la "gauche" républicaine que par la droite, la renaissance de l'extrême droite après la Seconde Guerre mondiale doit beaucoup aux guerres coloniales (en Indochine et en Algérie). Non seulement de nombreux militants néofascistes s'y engagèrent, y faisant leurs premières armes au sens littéral du terme, mais cela permit également à ces courants compromis dans la collaboration avec l'occupant nazi d'apparaître à nouveau publiquement autour d'une cause considérée alors comme juste par de larges pans de la population : la défense de l'Empire. Cela les amena en outre à substituer progressivement le nouvel ennemi - le mouvement indépendantiste algérien, et à travers lui les populations arabes - au groupe qui avait constitué si longtemps la cible par excellence des extrêmes droites européennes : les juifs. Si Jean-Marie Le Pen joua un rôle absolument mineur dans la guerre d'Algérie, il est au cœur de cette histoire parce qu'il est le dirigeant politique qui, dans le champ politique français postérieur à la guerre, va donner à nouveau une expression politique spécifique, systématique et assumée à un racisme - anti-Arabes mais aussi négrophobe, et un peu plus tard islamophobe - consubstantiel à la domination coloniale et structurel dans la société française. Comprendre et combattre l'extrême droite suppose ainsi nécessairement de prendre au sérieux et d'affronter le colonialisme.

10-28
01:14:02

Aux sources du vote FN/RN (4) : quel est cet imaginaire qui rend l’extrême droite désirable ?

On a longtemps présumé, notamment à gauche, que le vote pour le FN/RN ne constituait qu'un vote par dépit, faute de mieux. Dès lors que l'électorat de l'extrême droite s'est solidifié, jusqu'à devenir le plus stable dans l'ensemble du champ politique, il paraît difficile de maintenir cette hypothèse d'un vote par défaut. Si ces électeurs·rices n'adhèrent sans doute pas à un programme, souvent méconnu, ils se reconnaissent dans un certain imaginaire qui imprègne ce programme mais surtout les discours et les postures des porte-parole du FN/RN. D'après le philosophe Michel Feher, que l'on reçoit dans ce nouvel épisode de Minuit dans le siècle pour son dernier ouvrage ("Producteurs et parasites", éd. La Découverte), cet imaginaire doit être désigné par le concept de "producérisme" : une vision morale du monde (et de ses divisions) dans laquelle s'opposent non pas des exploiteurs et des exploités, non pas des possédants et des dépossédés, mais des producteurs méritants et des parasites nuisibles. En précisant d'emblée qu'il s'agit dans le cas des extrêmes droites d'un producérisme racialisé, puisque les parasites sont considérés comme tels car on leur attribue une essence malfaisante liée à leur statut irréductible d'étranger (à la nation française, à la civilisation européenne, à la culture occidentale, etc.). Ainsi l'extrême droite parvient-elle, selon l'auteur, à se rendre désirable en promettant d'améliorer la vie des producteurs (blancs) sans rien changer de fondamental dans l'organisation sociale et économique, par la simple soustraction des parasites d'en haut (financiers, technocrates, intellectuels, etc.) et des parasites d'en bas (immigrés, minorités, musulmans, etc.).

10-03
01:33:24

Aux sources du vote FN/RN (3) : prendre le racisme au sérieux (partie 2)

Dans cet épisode avec Félicien Faury, on continue la discussion autour de son ouvrage qui vient de paraître aux éditions du Seuil : "Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l'extrême droite". Livre important, indispensable même, dans lequel l'auteur rend compte d'une enquête sur l'électorat du FN/RN dans le Sud-Est de la France, et où il nous invite à prendre au sérieux la dimension raciale et raciste du vote pour l'extrême droite. Une dimension esquivée dans des médias dominants qui œuvrent de plus en plus à la légitimation du FN/RN et à la banalisation de son discours, mais aussi par certaines recherches sociologiques, pour lesquelles le racisme ne serait qu'un aspect superficiel du vote pour l'extrême droite et de sa dynamique politique, masquant des enjeux de classe. Dans cette seconde partie de notre entretien, Félicien Faury revient sur le sens du vote pour le FN/RN en montrant qu'il est à la fois un vote de protestation et de conviction mais qui n'est pas sans objet puisqu'il cible prioritairement les minorités altérisées et stigmatisées (migrant-es extra-européen-nes, musulman-es, etc.). Il revient sur la manière dont l'islamophobie fonctionne au quotidien et alimente le vote à l'extrême droite. Nous évoquons aussi le rapport que ces électeurs et électrices du FN/RN entretiennent aux classes dominantes. Et pour conclure cet entretien nous revenons sur le thème des "fâchés pas fachos" qui est souvent revenu dans les débats à gauche ces dernières années lorsqu'est abordée la question de la lutte contre l'extrême droite, et Félicien Faury nous donne quelques pistes, justement, sur cette lutte. À l'enregistrement : Thomas Guiffard-Colombeau

06-26
51:27

Aux sources du vote FN/RN (3) : prendre le racisme au sérieux (partie 1)

Dans cet épisode en deux parties, on discute avec Félicien Faury de son ouvrage qui vient de paraître aux éditions du Seuil : "Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l'extrême droite". Livre important, indispensable même, dans lequel l'auteur rend compte d'une enquête sur l'électorat du FN/RN dans le Sud-Est de la France, et où il nous invite à prendre au sérieux la dimension raciale et raciste du vote pour l'extrême droite. Une dimension esquivée dans des médias dominants qui oeuvrent de plus en plus à la légitimation du FN/RN et à la banalisation de son discours, mais aussi par certaines recherches sociologiques, pour lesquelles le racisme ne serait qu'un aspect superficiel du vote pour l'extrême droite et de sa dynamique politique, masquant des enjeux de classe. Dans cette 1re partie, Félicien Faury montre au contraire qu'il faut penser ensemble les frontières de classe et les frontières raciales, autrement dit saisir la position spécifique des électeurs·rices du FN/RN dans un espace social racialisé, pour comprendre le sens et la force du vote d'extrême droite dans certaines fractions de classe et certains territoires. À l'enregistrement : Thomas Guiffard-Colombeau

06-04
38:55

Portugal : de la dictature salazariste à la Révolution des oeillets (partie 2)

On commémore cette année au Portugal le 50e anniversaire de la Révolution des oeillets, qui mit fin le 25 avril 1974 à la plus vieille dictature fasciste du monde, issue d'un coup d'État militaire accompli en 1926. On est revenu dans un 1er épisode sur ce coup, mais aussi sur l'affirmation du pouvoir de Salazar, la mise en place de l'Estado novo (État nouveau), le rôle de l'armée mais aussi de la violence - puisque ce régime repose sur l'écrasement total de la gauche et de toute opposition sociale et démocratique. Dans ce 2e épisode, on aborde d'autres piliers du régime, en particulier l'Église catholique, le patronat et le système colonial. On discute également des transformations de la société portugaise au cours des années 1950 et surtout 1960, et enfin des guerres coloniales qui vont entraîner la dictature vers une crise militaire et politique qui l'amènera à sa chute. Ainsi le soulèvement militaire lancé par des jeunes officiers intermédiaires réunis dans le cadre du Mouvement des Forces armées (MFA) fait tomber en quelques heures le régime comme un château de cartes. Pour cela, je reçois à nouveau l'historien Victor Pereira, auteur de nombreux travaux sur la dictature salazariste, sur la politique d'émigration et les exilés portugais, et plus récemment d'un livre - intitulé "C'est le peuple qui commande" (aux éditions du Détour) - sur cette révolution qui permit d'en finir avec un régime particulièrement autoritaire et réactionnaire.

04-25
01:02:26

Portugal : de la dictature salazariste à la Révolution des oeillets (partie 1)

On commémore cette année au Portugal le 50e anniversaire de la Révolution des oeillets, qui mit fin le 25 avril 1974 à la plus vieille dictature fasciste du monde, issue d'un coup d'État militaire accompli en 1926. Avant d'en venir au soulèvement militaire qui fit tomber en quelques heures le régime comme un château de cartes, je voudrais dans cet épisode exposer précisément ce qu'était cette dictature, le contexte dans lequel elle a été fondée, les forces qui ont été à l'origine du coup d'État de 1926, leurs objectifs, mais surtout comment a pu perdurer aussi longtemps ce régime qui inspira en son temps une bonne partie de l'extrême droite française et fut une référence pour Pétain et sa "révolution nationale". Pour cela, je reçois l'historien Victor Pereira, auteur de nombreux travaux sur la dictature du "docteur" Antonio de Oliveira Salazar, et plus récemment d'un livre - intitulé "C'est le peuple qui commande" (aux éditions du Détour) - sur cette révolution qui permit d'en finir avec un régime particulièrement autoritaire et réactionnaire.

04-22
50:14

Combattre le fascisme dans les années 68

L'antifascisme a déjà une longue histoire, qui correspond à celle du fascisme puisque celui-ci suscita d'emblée une riposte de la part des gauches, du mouvement ouvrier et de tou·tes celles et ceux attaché·es aux idées d'égalité et de justice sociale. Avec l'installation des extrêmes droites dans les champs politiques des sociétés capitalistes actuelles, partout dans le monde, il est nécessaire de revisiter l'histoire riche de l'antifascisme. C'est à cette démarche que nous nous consacrons dans cet entretien - enregistré durant l'été 2023 - avec deux frères, Alain et Philippe Cyroulnik, tous deux militants de longue date de la gauche communiste et révolutionnaire (d'abord à l'Union des étudiants communistes puis à la Jeunesse communiste révolutionnaire, ensuite au sein de la Ligue communiste, refondée plus tard sous le nom de Ligue communiste révolutionnaire, et aujourd'hui du Nouveau parti anticapitaliste). On revient avec eux sur leur entrée dans le militantisme, la place du combat contre le fascisme dans leur engagement révolutionnaire et ce que signifiait concrètement lutter contre l'extrême droite avant, pendant et après mai-juin 1968. On s'arrête notamment sur l'attaque par la Ligue communiste du meeting fasciste d'Ordre nouveau le 21 juin 1973, qui pose notamment la question de l'usage de la violence dans la lutte antifasciste. On conclut en s'interrogeant sur les défis présents, alors que l'extrême droite ne se réduit plus à des organisations violentes mais groupusculaires, car elle dispose d'une large base de soutien électoral, qui lui permet d'envisager la conquête du pouvoir politique en France - comme elle l'a fait dans d'autres pays.

04-01
01:30:57

Viktor Orbán, ou quand l’autoritarisme néolibéral fusionne avec le nationalisme réactionnaire

Dans ce nouvel épisode de "Minuit dans le siècle", on s'arrête sur l'un des représentants les plus influents des extrêmes droites contemporaines, en Europe et au-delà : Viktor Orbán. Modèle de Marine Le Pen en France, en raison notamment de ses politiques xénophobes et de sa longévité au pouvoir, il entretient de bonnes relations avec Vladimir Poutine mais aussi Narendra Modi, Recep Erdoğan, Benjamin Netanyahou, ou encore Donald Trump. Si les choix politiques d'Orbán s'ancrent dans l'histoire de la Hongrie, elles ne reflètent en rien un simple particularisme hongrois. Il se pourrait même d'ailleurs que sa trajectoire, exprimant une synthèse entre le néolibéralisme d'origine thatchérienne (qui fut son inspiration initiale) et le nationalisme réactionnaire (pour lequel il a opté ensuite), ait anticipé des transformations qui sont à l'oeuvre dans les droites de nombreux pays, y compris en France. Pour parler de tout cela, je reçois la journaliste Amélie Poinssot, autrice du livre "Dans la tête de Viktor Orbán", aux éditions Actes Sud.

01-08
01:06:10

Le projet sioniste, la colonisation de la Palestine et l’extrême droite israélienne (partie 2)

Dans ce nouvel épisode, on poursuit avec Pierre Stambul - militant de l'Union juive française pour la paix - notre questionnement sur le projet sioniste, la colonisation de la Palestine et l'extrême droite israélienne, dans le contexte de la guerre génocidaire menée, en ce moment même, par le pouvoir israélien contre les Palestinien·nes de Gaza. Après être revenu sur le mouvement sioniste et sur l'histoire de l'extrême droite en son sein, une histoire plus ancienne que la création de l'État d'Israël et du nettoyage ethnique de 1948, qui a vu des centaines de milliers de Palestinien·nes être expulsé·es de leurs terres, on évoque dans cet épisode la domination politique de cette extrême droite en Israël ainsi que les différentes branches - notamment orthodoxe et laïque - en son sein, qui peuvent se différencier sur des sujets internes à la société israélienne mais qui toutes aspirent à construire un "Grand Israël" et, pour cela, à se débarrasser des Palestinien·nes. On aborde également la question de l'instrumentalisation du génocide des Juifs d'Europe à des fins de légitimation de l'État d'Israël, de sa politique de colonisation et de sa guerre actuelle contre Gaza. On termine sur la question de la répression des mouvements de solidarité avec la Palestine et du rôle que joue cette répression dans le processus de fascisation à l'oeuvre en France, tout en posant la question de la lutte contre l'antisémitisme.

11-20
51:53

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