L’existence de biais cognitifs, définis comme une déviation involontaire dans la pensée logique, est un des résultats les plus ancrés de la psychologie moderne. Elle en a recensé des dizaines. Ces résultats ont contribué à instiller l’idée, désormais communément acceptée, que notre cerveau ne peut pas penser correctement sans être dévié, et que nous ne sommes donc pas des acteurs rationnels. Mais est-ce si sûr? Et si ces « déviations » n’en étaient pas vraiment? Si elles servaient un objectif important pour nous, celui d’agir en incertitude?
Dans une vidéo récente, l’économiste LFI Thomas Porcher déclarait que les entrepreneurs n’inventent rien, prétendant qu’Internet et la téléphonie mobile avaient été inventés par l’État. C’est une affirmation fréquente qui traduit une profonde méconnaissance de l’innovation et de son histoire.
Le procès de nos institutions d’enseignement supérieur est désormais ouvert depuis plusieurs années, aussi bien au titre de leur fonctionnement, de leur contribution sociétale décroissante et de leurs dérives éthiques, mais elles ne semblent pas disposées à l’entendre, et encore moins à entreprendre les changements nécessaires. Ce refus de changer, et la poursuite de pratiques désastreuses, ont conduit certains acteurs à conclure qu’elles n’étaient plus réformables, et que le salut résidait désormais dans la création de nouvelles institutions. La plus intéressante d’entre elles est sans doute l’Université d’Austin au Texas, ou UATX. Le récent discours de bienvenue à la nouvelle promotion par son président rappelait les raisons de sa création et les principes sur lesquels elle entendait s’appuyer.
Qu’est-ce qu’on intègre? Qu’est-ce qu’on sous-traite? La question est aussi ancienne que l’entreprise. Comme souvent, il n’y a jamais de réponse dans l’absolu, seulement des choix avec leurs avantages et leurs inconvénients. Mais le contexte compte aussi. Alors que depuis quarante ans, la réponse à la question était « Intégrons le moins possible et sous-traitons le plus possible », l’incertitude massive qui caractérise désormais le monde rebat les cartes et remet l’intégration verticale au premier plan des priorités.
Qui se souvient du rapport Draghi? Il y a exactement un an, il sonnait l’alarme sur le déclin dangereux de la compétitivité européenne. Il avait fait beaucoup de bruit à l’époque. Mais depuis? Rien! Il a été rapidement oublié, les politiques étant passé à autre chose. Pourtant, il reste d’actualité et résonne particulièrement dans la France de 2025 confrontée à la crise de la dette. Car si celle-ci résulte d’une dépense excessive, elle s’explique aussi par une capacité déclinante à créer de la richesse.
Un collectif ne peut pas survivre lorsqu’il est rongé par le mensonge. Cette observation, faite par le dissident Alexandre Soljenitsyne à propos de l’Union Soviétique des années 70, résonne dans la France de 2025. Car si notre démocratie n’a rien à voir avec les régimes totalitaires, elle partage avec eux une faille inquiétante : l’incapacité collective à regarder en face ses propres difficultés. Depuis des décennies, la France entretient avec sa situation économique un rapport fait de promesses impossibles et de diagnostics complaisants. Ce mensonge, qui traverse tout l’échiquier politique, constitue la véritable raison de la crise de la dette. Plus encore que ses déficits, c’est cette allergie à la vérité qui risque de transformer cette crise en déclin durable.
L’ascenseur social est en panne, tout le monde en convient. Mais si le vrai problème était plus profond ? Et si c’était la croyance elle-même en cet ascenseur — ce modèle mental fondateur de notre pacte collectif — qui était en train de disparaître ? Quand une société cesse de croire que l’effort peut payer, ce n’est pas seulement une promesse qui n’est plus tenue. C’est tout notre système qui vacille.
Parmi les nombreuses ruptures profondes que vit notre époque, l’un des plus importantes est celle de l’enseignement supérieur. Car un monde qui change, c’est aussi un monde de compétences changeantes. Et cela suppose que le monde de l’éducation change aussi, aussi bien dans ce qu’il offre que dans ce que les étudiants demandent. Et c’est là que le bât blesse.
Dans un monde gagné par l’envie de décroissance, la performance a mauvaise presse. Elle est suspecte du point de vue moral. On lui préfère la robustesse, synonyme de sobriété et de sécurité dans un monde très incertain et dangereux. Pourtant, comme toutes les dichotomies, elle masque une réalité complexe qui est que l'une ne peut aller sans l'autre.
Comment enseigner à l’heure où l’IA est déjà massivement utilisée par les étudiants… et souvent par les enseignants eux-mêmes ? Dans cet épisode, j’essaie de poser quelques repères face à un constat désormais clair : l’intelligence artificielle a déjà transformé l’enseignement supérieur, mais les institutions peinent encore à s’adapter. Je propose une piste inspirée d’une allégorie de l'historien Niall Ferguson : penser l’université comme un lieu articulant deux espaces – un cloître, sans IA, pour préserver les fondamentaux de la formation intellectuelle ; et un vaisseau, avec IA, pour explorer de nouvelles façons d’apprendre, de créer et de transmettre.
Pourquoi des dirigeants intelligents prennent des décisions aux conséquences catastrophiques? Les exemples dans l’histoire sont légion et le plus marquant d’entre eux est celui de la guerre du Vietnam. Il a été magistralement étudié par le journaliste David Halberstam. La réponse d’Halberstam? Ces dirigeants étaient plus intelligents que sages.
Game over. L’entreprise serait politique ou ne serait pas, nous avait-on promis. Elle s’engagerait sur les sujets de société pour devenir une force du bien contre le mal. L’idée était séduisante. Mais elle reposait sur un pari risqué: celui que les dirigeants choisiraient toujours les « bonnes » causes, c’est à dire celles que les promoteurs de cette idée voulaient défendre. Elon Musk a tout fait exploser. Son exemple, pour extrême qu’il soit, montre que le risque en demandant leur avis à des dirigeants est qu’ils le donnent, et qu’il ne plaise pas à ceux qui l’avaient demandé. Et si, au lieu d’exiger des entreprises qu’elles se transforment en acteurs politiques, on les laissait simplement bien faire leur travail ?
Clap de fin pour Elon Musk. Le brillant entrepreneur n’aura pas tenu longtemps dans les hautes sphères gouvernementales américaines pour réformer l’administration avec son fameux programme DOGE. Quelles leçons tirer de cet épisode rocambolesque pour la transformation organisationnelle? Certainement pas que toute réforme est impossible. Plutôt que c’est la posture et la méthode du réformateur qui comptent.
Comment réduire l’incertitude? C’est la question qui agite tous les Comex de France et du reste du monde dans les temps troubles que nous vivons. La tentation la plus évidente est de mobiliser l’arsenal de la pensée prédictive: foresight, scénarios, modélisation, enquêtes clients, et de nos jours, naturellement, IA. Or l’incertitude ne se résout pas par des efforts de prévision, mais par l’action. Et en la matière, l’action la plus puissante est la coopération. Un aveugle tenant la main à un autre aveugle? Pas forcément: la coopération permet de ne plus avoir besoin de prédire pour agir de façon créative et avancer sans rester paralysé.
Attirer des investisseurs étrangers en France, c’est très important. Garder ceux qui y sont, c’est aussi important. Derrière les paillettes du grand show ‘Choose France’ à Versailles, la réalité est qu’il est difficile d’investir en France, en particulier pour y construire des usines, comme l’ont souligné récemment quelques grands patrons. Inverser la désindustrialisation française se fera par un travail de fond sur la réglementation, et pas seulement par quelques gros coups médiatiques. Dans un monde gouverné par l’immédiat et la comm, ce n’est pas gagné d’avance.
Lorsqu’on évoque les progrès incroyablement rapides de la technologie dans le monde du travail, on observe deux réactions opposées: soit une crainte très forte de ses effets (« Le métier de comptable va disparaître »), soit un enthousiasme débridé (« Chacun peut être un Michel-Ange maintenant! »). Les deux supposent que les compétences professionnelles vont compter de moins en moins face à la machine. Or, rien n’est moins sûr. Une décision prise par la Marine américaine apporte un éclairage intéressant sur la question.
Il y a un paradoxe de l’entreprise: beaucoup de ceux qui sont censés la diriger avouent parfois leur impuissance à faire avancer leurs projets d’innovation ou de transformation. Et cela ne concerne pas que les managers intermédiaires. Il m’arrive souvent d’entendre « à mon niveau je ne peux rien faire. » Venant de hauts dirigeants, l’aveu est étonnant. La raison est souvent que ces dirigeants n’ont pas pris conscience de la dimension politique de leur fonction. Par dimension politique, il faut entendre la capacité à peser sur le collectif pour le faire aller dans une direction donnée, ici pour faire avancer des projets bloqués. Cette capacité repose rarement sur une autorité formelle; elle doit se construire. Un exemple historique dont on peut utilement s’inspirer est la façon dont Lyndon Johnson a réussi à dominer le Sénat américain avant de devenir Président des États-Unis.
Tout le monde aime les belles histoires. Mais pourquoi? Parce qu’elles sont bien plus qu’un divertissement. Leur importance a depuis longtemps été comprise par les grands dirigeants qui, avec le story telling, posent le récit comme un acte de leadership. Mais celui-ci constitue un art difficile. Pour comprendre pourquoi, il faut évoquer une controverse entre Tolkien et Disney à ce sujet.
Comment ne pas être frappé par le déchaînement de forces irrationnelles et autodestructrices à l’œuvre aux États-Unis avec Donald Trump mais aussi en Europe? Partout, des discours publics déconnectés de la réalité prospèrent dans un climat de délitement institutionnel. Cette séduction de l’irrationnel, face aux bouleversements du monde que nous vivons, n’est toutefois pas inédite. L’Europe des années 1920 a connu un phénomène remarquablement similaire, dont les leçons méritent notre attention si nous voulons éviter la répétition tragique de l’histoire.
Nous restons souvent prisonniers d’oppositions que nous croyons évidentes, mais qui ne résistent pas à l’analyse. L’une des plus tenaces est celle qui oppose performance et humanité. Comme si la première ne pouvait s’obtenir qu’au prix de la seconde, et que pour cultiver la seconde il faudrait renoncer à la première. Dans ce schéma, la morale semble dicter son choix : l’humanité, bien sûr — la performance étant entachée de soupçons d’inhumanité. Et si, au lieu de les opposer, nous apprenions à les tenir ensemble? Et si, mieux encore, la tension entre performance et humanité devenait une source d'énergie, voire d'avantage concurrentiel?