Clément Beaune : "La France n'a pas le mode d'emploi de la coalition"
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Cette semaine, nous recevons Clément Beaune, Haut-commissaire à la Stratégie et au Plan et ancien secrétaire d'État aux Affaires européennes. Alors qu’Emmanuel Macron vient de nommer un nouveau Premier ministre, le cinquième depuis le début de son second mandat, Clément Beaune souligne le "besoin d’une stabilité".
Le nouveau chef du gouvernement français, Sébastien Lecornu, a entamé une série de concertations avec les responsables des partis politiques ainsi que les partenaires sociaux : "C'est un homme, tout le monde le reconnaît – qu'on partage ou pas sa sensibilité – comme les partis de gauche l'ont dit eux-mêmes, de dialogue et de discussion et je crois que tous les partis politiques et les forces syndicales dans leur immense majorité vont participer à cette concertation. On a besoin de ce compromis pour la stabilité", insiste-t-il.
La première mission du Premier ministre sera de faire voter un budget dans une assemblée fragmentée et sans majorité. Selon Clément Beaune, "on a un temps qui est encore utile, suffisant" pour espérer y parvenir. "On ne peut pas imaginer, en effet, que la France, une deuxième année, commence l'année sans avoir un budget stable, arrêté, prévisible pour l'ensemble des Français, nos services publics et les entreprises aussi". Il regrette qu’en France, le compromis soit "vu comme un mot repoussant, dégoûtant, tout mou", contrairement à nos voisins européens habitués aux négociations entre partis. "La France, en quelque sorte, s'européanise, elle a un Parlement fragmenté, mais elle n’a pas le mode d'emploi de la coalition, il faut le trouver", remarque-t-il.
Un autre défi de taille attend le nouveau Premier ministre, celui de la réduction de la dette et le retour sous la barre des 3 % du PIB de déficit : or en 2024, le déficit de la France s’élevait à 5,8 % du PIB. Certes, "la situation des finances publiques est préoccupante, ce qu'a d'ailleurs, à juste titre, expliqué, martelé François Bayrou courageusement", reconnaît Clément Beaune. Cependant, il met en garde contre "un discours 100 % négatif". "Notre économie en général a des entreprises formidables qui sont des réussites internationales, avec un taux d'emploi qui a augmenté ces dernières années, un chômage qui a reculé".
Interrogé sur la trajectoire des finances publiques annoncée par l’ancien Premier ministre, François Bayrou, pour faire passer le déficit de la France en-dessous de 3 % du PIB en 2029, Clément Beaune "rappelle qu'on serait, même avec ces objectifs-là et de loin, le dernier pays de la zone euro a passer en dessous de la barre les 3 %". "Il faut revenir sous les 3 %, pas parce que dans un bureau à Bruxelles on l'a décidé, mais parce que c'est le déficit public qui stabilise la dette et évite de l'accumuler ou de l'augmenter", estime-t-il. Il est donc "très important pour notre souveraineté, notre indépendance économique et notre indépendance tout court" de réduire le déficit.
La taxation des plus riches enflamme le débat budgétaire, l’opposition de gauche soutenant cette solution pour permettre de réduire le déficit. Le Haut-commissaire à la Stratégie et au Plan appelle à "mettre un peu de rationalité ou de justesse dans ce débat qui, parfois, est un peu caricatural ou caricaturé. On n'est pas un paradis fiscal et les taux d'imposition pour les plus riches sont déjà élevés, y compris en comparaison européenne". S’il reconnaît toutefois que "les patrimoines les plus importants concentrent une part de la richesse qu'on n'avait pas vue parfois depuis un siècle dans notre pays", il est partisan de traiter cette question plutôt au niveau européen. Il propose ainsi une "négociation européenne à quelques-uns pour voir s'il n'y a pas une taxation des très haut patrimoines supplémentaires qui éviterait des problèmes de compétitivité pour la France". Concernant la proposition de taxe de l’économiste Gabriel Zucman sur le patrimoine des plus riches, il reste circonspect. "Cela n'apporterait sans doute pas toutes les recettes qu'on nous dit parfois, plutôt cinq milliards que vingt milliards, c'est un peu différent. Et puis, il faut être lucide, ça ne résoudrait pas, quoi qu'il arrive, notre problème de dette ou de déficit à soi-seule", estime-t-il. "Il faudra faire des économies aussi".
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Clément Beaune revient sur le discours sur l’État de l’Union, prononcé par Ursula von der Leyen ce mercredi. S’il juge la présidente de la Commission européenne "plutôt convaincante sur les sujets internationaux", il se dit "moins convaincu sur la question commerciale". Il critique l’accord commercial conclu cet été entre Bruxelles et Washington qui porte à 15 % les taxes sur les exportations européennes vers les États-Unis. Cet accord lui "paraît défavorable, déséquilibré". Or Clément Beaune est "convaincu que quand l'Europe ne montre pas sa force, elle perd du soutien, d’autant plus que monsieur Trump ne comprendra que le langage de la force, de l'unité, de la fermeté européenne".
Cet accord a été largement critiqué au sein de l’hémicycle européen, par les parlementaires de tout bord. Jordan Bardella, chef du groupe Les Patriotes pour l’Europe au Parlement européen, a accusé la présidente de la Commission d’avoir négocié un accord servant les intérêts des constructeurs automobiles allemands. Mais Clément Beaune "ne croit pas qu’Ursula von der Leyen soit la présidente de la Commission de Berlin, ou de l'Allemagne, et des intérêts économiques allemands. D’autres pays comme l’Italie ont soutenu cet accord !" L’ancien secrétaire d'État aux Affaires européennes rappelle également que, dans le passé, la cheffe de l’exécutif européen, a été "très française, dans beaucoup de propositions, y compris au moment du Covid". Clément Beaune annonce "qu’on va faire beaucoup mieux dans nos négociations commerciales avec les États-Unis, très fortement". "En tant que pro-européen, on n'est pas un béat ou un naïf, on est justement un combattant et moi je suis un combattant de l'Europe", déclare-t-il.
La filière automobile européenne fait campagne à Bruxelles pour repousser ou assouplir l’objectif de fin des voitures thermiques en 2035, un objectif qu'elle juge irréaliste. Elle pointe du doigt le retard européen face à la concurrence asiatique pour la production de batteries. Clément Beaune se positionne contre l’abandon de cet objectif de 2035. "On peut avoir de la souveraineté sur le véhicule électrique, mais il faut de l'investissement, il faut de la constance, il faut du soutien social et industriel aux sites français de production, notamment à la filière des batteries", estime-t-il.
Emission préparée par Agnès Le Cossec, Isabelle Romero et Perrine Desplats