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Comment j’ai rendu mon chat vegan

Comment j’ai rendu mon chat vegan

Update: 2019-02-15
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Description

Cette semaine, un auditeur nous a fait parvenir une lettre dans laquelle il explique comment son chat est devenu vegan. Au-delà du bien-être de la planète, cette entreprise hasardeuse pose un tas de questions morales : peut-on être certain que le chat a bien lui-même choisi de devenir vegan ? Pourra-t-il oui ou non continuer à consommer ses aliments préférés ?

Je précise au passage que mon insistance sur la question des insectes n’est pas absurde puisque les vegans ne mangent pas de miel…

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Courrier de l’auditeur ayant rendu son chat vegan :

Dans mon entourage, personne n’ignore plus que je suis récemment devenu une âme 100% vegan. Cela signifie que mon âme est toute entière convertie au véganisme. Du coup, j’ai voulu convaincre mon chat Albert*. Désarmorçons d’office les éventuelles objections.

Premièrement : oui, je sais que les chats ne sont pas naturellement vegan. Mais figurez-vous qu’ils ne vivent pas non plus “naturellement” avec les humains, dans leurs maisons. Donc après quelques millénaires de vie commune, ne serait-il pas temps de lever nos préjugés et cesser de faire preuve de spécisme avec ces animaux qui nous sont si liés ? Pour beaucoup de gens, le chat est un être plus proche au quotidien que les amis ou même la famille. De par sa proximité immédiate, il joue un rôle prépondérant, comparé aux parents mourants placés en EPHAD, aux enfants partis s’établir à l’étranger ou aux frères et soeurs que l’on ne croise qu’à une ou deux fêtes de famille par an. Comparé à tout ce monde superficiel, le chat occupe une place de choix.

Deuxièmement, j’ai remarqué que depuis tout petit, Albert a un goût particulier pour le fromage (Époisses et Cîteaux) ainsi que les flocons d’avoine et la purée au beurre parsemée de persil. En gros, ce chat m’a toujours semblé avoir des prédispositions au véganisme : pourquoi ne pas l’aider à développer son potentiel moral ?

“Mais le fromage n’est pas vegan !” dixit une conne de véganiste qui relit mon texte. Franchement, peut-on se permettre d’être aussi radical dans un monde où il y a eu Auschwitz ? Évidemment non : tout cela nous mènerait en ligne droite aux extrémismes qui font que des avions se plantent dans des tours et qu’on doit ensuite bombarder l’Irak pour se prémunir du pire. De plus, les fromages AOP peuvent être considérés comme 100% vegan car les fermiers sont aux petits soins avec leurs bêtes. Dans la nature, celles-ci auraient fini les tripes dévidées par des ours. Une vache produisant de l’Époisses a droit à du fourrage frais toute l’année. Logement gratuit en hiver. Frais médicaux pris en charge à 100%, etc. Ce sont des vaches qui respirent le bonheur et ne troqueraient jamais leur statut social contre un autre. Ce serait comme demander à un cheminot des 90’s de devenir auto-entrepreneur. Obviousse, la vache dit non… et en conséquence, vu l’espèce de contrat social qui nous lie à elle… je ne vois pas pourquoi son fromage ne serait pas vegan. Je vous rappelle qu’à la base, le lait c’est de l’herbe. Albert a compris tout ça et il peut s’empiffrer 150 grammes d’un coup en bavant… Avant je lui chauffais un peu au grill avec des petits lardons équitables mais maintenant, ce sera sans viande puisque comme vous allez le voir, je l’ai convaincu de devenir un meilleur chat.

Sur le plan de la responsabilité éthique, il me restait néanmoins à vérifier qu’Albert était partant pour devenir vegan : n’étais-je pas en train de lui imposer ma propre volonté ? Comment se prémunir d’un tel biais et garantir que je n’étais pas moi-même en train d’écraser mon chat sous le joug d’un spécisme leucodermique caractérisé ? J’ai donc décidé de mettre l’accent sur l’autonomie et de ne pas choisir à sa place : “mon chat, son choix” me suis-je dis. Déjà qu’il ne peut pas voter, si en plus je lui impose mes lubies alimentaires… Comment procéder ?

Nous nous comprenons sur un tas de plans, tant par les gestes que les miaulements ou les coups de lattes lorsqu’il monte sur la table pour piquer un cookie ou une pancake. Néanmoins, j’ai remarqué qu’Albert peine à suivre le fil d’une discussion dès que nous parlons de choses abstraites ou absentes du lieu où il se trouve. Ce chat est bilingue anglais-français lorsqu’il s’agit de savoir s’il a faim, mais dès qu’on lui parle du spécisme et de la manière dont ses frères et soeurs animaux sont victimes de discrimination… son regard prend un air vide : Albert décroche. Si j’étais un chat, je pense que je parviendrais à lui expliquer mais ma personne s’est pourrie avec les années, à l’évidence : mille préjugés et constructions sociales ont mutilé ma sensibilité animale originelle ; je suis devenu humain, trop humain et il m’est impossible de déconstruire l’ensemble des dispositifs et autres jeux de vérité qui me permettraient d’atteindre mon intellect pré-langagier, depuis lequel je pourrais m’émanciper, penser et communiquer librement avec Albert.

En bon vegan décidé, j’ai donc dû faire preuve de pragmatisme : Albert ne comprenant rien à mes démonstrations, j’ai commencé par lui montrer des vidéos d’abattoirs. Stoïque, il ne bronchait pas mais j’avais la certitude qu’il comprenait. J’ai supputé de la mauvaise foi. Quelque part, une onde de spécisme flottait dans son propre crâne de chat et son oeil amusé me rappelait certaines expressions inquiétantes qu’il prenait plus jeune, lorsqu’il me ramenait un oiseau étêté ou une souris déchiquetée par ses soins. Du coup, j’ai passé un coup de fil à mon pote Kévin qui bosse à l’abattoir de la petite ville à côté de chez moi. Il fait de la découpe surtout, et est devenu végan après son passage à l’égorgement d’agneaux sur la chaîne halal-casher. Lui était chargé de tenir le bébé tandis qu’on lui tranche la gorge sans étourdissement, afin de garantir que Dieu soit content. Le sang giclait partout et on jetait le machin par terre pour enchaîner. Le premier remuait encore tandis que quatre ou cinq autres agonisaient après avoir été bazardés par dessus. Kévin n’en pouvant plus, il avait demandé à retourner prendre son poste d’avant, où il lui suffisait de tirer des cervelles au matador, pour étourdir des cochons. Sauf que non, plus un porc ne passait le seuil de l’abattoir depuis qu’une ligne religieuse y avait été montée. Kevin avait alors été renvoyé aux vaches laïques mais n’empêche que… même avec l’étourdissement, ces bestioles contiennent tellement de liquide… il se retrouvait avec du sang partout, jusque dans les bottes. La pièce toute entière de son poste de travail nageait dans le sang, malgré les jets d’eau incessants. En rentrant chez lui, sa copine coiffeuse lui disait qu’il puait la mort et Kévin avait beau se faire des hammams dans la nouvelle salle de sport de la mairie socialiste… ben il suintait toujours le cadavre et sa meuf l’a quitté au final, véridique ! Sachant tout cela, et lui ayant déjà évoqué ma curiosité quant à son métier, je savais que Kévin daignerait me badger l’entrée. Il s’en foutait bien de se faire virer et quand bien-même, on le rappelerait la semaine suivante parce qu’un collègue aurait une tendinite, un doigt coupé ou une dépression, et qu’il faudrait le remplacer pour continuer à fournir Paris en steaks. Du coup, j’ai emprunté la valise pour clébard de ma voisine Solange, celle qu’elle utilise pour monter son téquel à la grande ville quand il a besoin d’un toilettage léché. J’ai foutu Albert dedans en lui disant “Ah tu fais celui qui ne comprend pas ! Eh bien on va voir ce qu’on va voir mon petit chat, allons découvrir d’où viennent tes fucking croquettes que tu me demandes d’acheter en miaulant chaque soir ! T’imagines ma souffrance à chaque fois que je dois financer le lobbie de la viande ? Moi, complice du plus grand génocide de l’humanité ? Les animaux ! C’en est fini, je te le dis ! Allons voir ces idées soi-disant abstraites ! Ah tu comprends ce qui t’arranges hein ! Bien, on va voir ça !”

Albert m’a eu l’air tout misérable le temps d’un instant. Il s’est mis en boule au fond de sa cage tandis que je lui criais dessus. J’ai compris que j’avais dérapé. J’en oubliais mes principes éducatifs Montessori : éviter l’autorité, c’est très important, surtout pour les chats. Un chien, à la rigueur… quelques coups de triques s’il a mordu un enfant au visage… pourquoi pas ? Toujours mieux qu’une euthanasie, non ? Et puis c’est dans leurs gènes d’avoir besoin de coups de bâtons pour rentrer dans le droit chemin. Tandis qu’un chat ! Sa psyché est si sensible… faut se baser sur ses instincts et partir de ses envies. Sa sophrologue avait insisté là-dessus, je me souviens.

J’ai donc calmé le jeu mais rien de glorieux pour la suite, donc je ne vais pas insister. En bref, Kévin nous badge et j’enfile une combi en plastoque. Ravi, je fais un selfie de moi et le chat blotti au fond de sa boîte : il entend les mugissements des animaux et a dû ressentir l’atmosphère inquiétante. À noter qu’on me confisque le smartphone, dommage :/ Toutes les bêtes beuglent, y compris celles qui stationnent dehors : j’ai croisé le regard désolé d’une troupe charolaises, impossible de douter qu’elles connaissent leur sort. Même le paysan les déposant avait l’oeil triste, comme s’il comprenait qu’elles ne reviendraient pas, ses chères vaches qu’il a vu grandir. Probablement était-il même là au vêlage pour couper le cordon ombilical, piquer le p’tiot aux antibios et s’assurer que la mère mangeât son placenta bourré de vitamines et d’anticorps. Je penche donc la boîte pour forcer le chat à stationner contre la grille afin qu’il contemple l’affreux spectacle que ses soi-disant “besoins” en viande génèrent.

Ça pue pire qu’une morgue et je manque de m’évanouir, mais je dois montrer la vérité au chat. Kévin m’emmène aux agneaux : ils crient comme des enfants, ça me rappelle la crèc

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