De Sokodé à l'Alsace, le rêve d'une mode pour toutes de Nadiya Rauscher
Description
Designer franco-togolaise, Nadiya Rauscher a grandi entre le Togo et le Gabon. Formée à la mode à Libreville, elle s'installe en France et plus précisément en Alsace. Ce parcours biculturel lui permet de fusionner dans ses créations authenticité et modernité en faisant de son identité un véritable atout. Son enfance a été marquée par la diversité culturelle, la musique, la danse, et l'artisanat local.
Ces premières années ont forgé sa sensibilité esthétique, qui se retrouve dans ses collections. Nous l'avons rencontrée lors du Yas FIMO228 à Lomé. « Créer, coudre, c'est ma vie. J'adore. C'est ce que je sais faire de mieux. Une joie de vivre, nous a confié Nadiya Rauscher, fondatrice de la marque éponyme. Je couds, je dessine tout le temps. Je travaille aux heures normales et après, je suis tout le temps à l'atelier, je travaille, je crée, je chine aussi pour trouver des tissus en coupons, ce qui me permet de faire des pièces uniques. »
Nadiya Rauscher est née à Sokodé, au Togo, dans une famille de couturières et couturiers. Dès son enfance, elle a été bercée par le tissu, la couture et l'artisanat. Elle a donc grandi dans un environnement où la créativité était une évidence :
« Quand on est enfant, être dans un atelier de couture avec les chutes de tissu par terre, pour une petite fille, c'est une manière de faire des petites robes pour sa poupée. C'est comme cela que cela a commencé. Puis, au fur et à mesure, à force de traîner dans les ateliers, on nous envoyait aller acheter des boutons, des fermetures. Pour moi, c'était un jeu d'enfant. J'aimais bien, mais je n'avais pas ce métier comme rêve. À 14 ans, mon rêve, c'était de devenir architecte. Mais la mode était en moi sans que je le sache, parce que je commençais à faire mes vêtements moi-même. À 16 ans, je suis allée vivre au Gabon, à Libreville. Chez nous, les Kotocoli, quand il y a un mariage ou un baptême, il y a toujours l'uniforme, le pagne. Tout le monde doit porter le même pagne. Et moi, j'aimais bien avoir un style particulier. Je me faisais mes propres vêtements cousus à la main. Je travaillais dans une famille comme nounou, et il y a une dame qui m'a repérée en train de coudre. Elle m'a posé la question : "Qu'est-ce que tu fais ici, pourquoi es-tu nounou ?". J'ai dit : "Bon, il faut bien que je gagne ma vie." C'est elle qui m'a encouragée à aller apprendre la couture dans un atelier. Elle m'a envoyée chez un de ses amis couturier. J'ai travaillé dans cet atelier six mois. Et un an après, j'ai décidé de m'inscrire dans une école de design de mode. »
Au Gabon, Nadiya Rauscher étudie la mode, participe à des concours, expose ses créations. Elle connaît la théorie aussi bien que la pratique : « À l'école, nous commençons tout doucement. Alors que dans un atelier de couture, avec un couturier sur place, ce n'est pas la même chose. C'est tout de suite dans la couture. Après, les deux se combinent très bien. Je trouve que c'est génial si on arrive à combiner les deux, parce que quand on devient créateur, on en a besoin surtout pour transmettre. Aussi, on a besoin de la théorie. Il faut expliquer pourquoi on fait ci, pourquoi et comment il faut travailler telle matière, il faut tel thermocollant, tel bouton, il faut expliquer... Dans un atelier, ce n'est pas tout à fait la même chose, mais je pense que le travail final revient au même. »
Lorsque Nadiya Rauscher s'installe en France, en Alsace, pour suivre l'amour et ses rêves, son arrivée lui offre la possibilité de s'ouvrir à la mode internationale tout en conservant ses racines, son histoire. Elle crée, en 2017, sa marque éponyme, puis ouvre sa boutique quelques années après. « J'ai rencontré mon mari à Libreville. C'est l'amour qui m'a fait partir de Libreville et me retrouver en France, en Alsace. J'ai dû tout recommencer, arriver dans un pays où je ne maîtrisais pas encore la culture et les mœurs. Ce n'était pas évident, mais je croyais en moi, et la passion qui m'animait m'a permis d'arriver où je suis aujourd'hui. J'ai d'abord travaillé dans le prêt-à-porter hommes et femmes, et quelques années plus tard, j'ai créé ma marque. Quand j'ai créé ma marque, je n'ai pas ouvert la boutique tout de suite. Je me suis mise à mon compte. J'ai ouvert la boutique en 2021. Au début, quand je suis arrivée en France, j'avais ce rêve-là d'avoir ma boutique, de créer ma marque, mais je ne savais pas par où commencer. Je ne maîtrisais pas les codes du pays. C'est arrivé au fur et à mesure, et le fait d'avoir travaillé dans des magasins de prêt-à-porter pour femmes et hommes m'a beaucoup apporté. Quand j'ai ouvert ma boutique, j'avais fait quelques formations, donc cela m'a facilité aussi la tâche. Ce n'était pas évident mais je croyais en mon rêve. »
Nadiya Rauscher propose des pièces qui s'adaptent à toutes les morphologies, genres et styles de vie. La personnalisation est un pilier de sa démarche : « Je prône la mode inclusive parce que je n'ai pas envie de me mettre dans une case, je n'ai pas envie d'avoir du style. Mon style, c'est de ne pas en avoir parce que j'ai envie de donner la possibilité à toutes les femmes, peu importe leur morphologie, leur style, leur genre, d'affirmer leur personnalité. »
La passion qui l'anime se traduit dans chaque pièce que Nadiya Raucher conçoit. S'y mêlent émotion, savoir-faire traditionnel et une touche personnelle qui reflète sa vision artistique. La créatrice de mode suit son intuition dans le choix du tissu : « De loin, on peut voir le textile. Il y a les motifs, les couleurs, mais ça ne suffit pas, parce que c'est au toucher que l'idée peut naître. C'est le toucher qui définit. Ensuite, si on prend ce tissu, on sait ce qu'on va faire avec. Quand je vais dans un magasin de tissus, j'ai l'impression d'être comme un enfant qui arrive à Disney. Je ne sais pas où donner de la tête, je prends ce que je peux prendre. Et il y a aussi un tissu que j'ai envie d'utiliser, mais je n'ai pas encore commencé, parce que dans mon village natal, on a un tissu traditionnel qui y est fabriqué. Le coton est cultivé, filé et tissé dans mon village. Le tissu s'appelle tem. C'est un tissu qui est porté pendant les grandes cérémonies et j'ai envie de travailler avec, de l'associer avec la toile denim pour essayer d'apporter une touche d'originalité à ce tissu traditionnel et à la toile denim aussi. Je me dis que c'est dommage de sacrifier ces tissus traditionnels parce qu'ils ne sont vus que pendant de grandes cérémonies. »
La conception d'une collection passe par plusieurs étapes : esquisses, choix des matériaux, travail sur la coupe, et réalisation. Nadiya Raucher aime expérimenter avec les textures, les couleurs, et les formes pour créer des collections originales. Mais elle aimerait aussi valoriser un peu plus les tissus traditionnels africains dans ses créations : « Nous, créateurs africains ou d'origine africaine, nous ne mettons pas assez en valeur notre tissu traditionnel. On peut faire mieux. Il y en a certains qui le font et on peut tous faire mieux. C'est un peu compliqué parce qu'il y a aussi l'influence de la mode internationale, alors qu'en Afrique, on a tellement eu de tissus traditionnels qu'on peut mixer entre les tissus traditionnels occidentaux et nos tissus traditionnels. La mode, on en fait ce qu'on veut. Les tissus, quand on les a, il n'y a pas de limites. On peut se permettre d'associer tout ce qu'on veut et faire des propositions. Souvent, quand on lance une tendance, tout le monde est là-dessus : ''Ah oui, c'est la tendance cette année, telle coupe, telle matière, telle couleur...'' Oui, c'est parce qu'il y a certaines personnes qui ont décidé de lancer cette tendance. Mais malheureusement en Afrique, on n'a pas de tendances. Je ne sais pas si on n'a pas d'idées ou si on n'ose pas. La tendance vient toujours de l'Occident, alors qu'en Afrique, il y a de quoi faire. Nous avons la matière première. »
Nadiya Raucher rêve de revenir au Togo pour partager son savoir-faire, valoriser les tissus traditionnels, et encourager la nouvelle génération de créateurs africains à oser, à innover, et à faire rayonner leur culture : « La mode n'a pas de frontières, mais en Afrique, nous avons de quoi faire. En tant que créateurs d'origine africaine, c'est vrai que je ne vis plus à Lomé ni à Libreville. Je suis maintenant en France. Mais je suis ravie de revenir et de participer aux FIMO228. C'est aussi une manière d'apporter le savoir-faire que j'ai et de transmettre à la nouvelle génération. Il y a quelques jours, j'étais dans un centre des métiers d'art et d'artisanat. J'avais vu la responsable de cette école, j'ai proposé mes services pour faire une demi-journée d'atelier sur le cours de moulage. Je fais partie des personnes inspirantes parce que nous, nous sommes des exemples. J'ai donc été ravie. Les étudiants aussi, ils étaient captivés. J'ai travaillé à peu près 6 heures avec eux et cela a été un grand moment d'émotion pour moi, parce que je trouve que la nouvelle génération de créateurs togolais est douée et ce sont des passionnés. Mon objectif final, c'est de revenir à Lomé et de transmettre. C'est mon rêve. »
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