DiscoverL'Épopée des musiques noiresJoe Chambers, légende du jazz, danse sur des rythmes afro-latins
Joe Chambers, légende du jazz, danse sur des rythmes afro-latins

Joe Chambers, légende du jazz, danse sur des rythmes afro-latins

Update: 2024-04-11
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Description

À bientôt 82 ans, le batteur Joe Chambers n’a plus rien à prouver tant son parcours illustre parle pour lui. Pilier des séances de studios historiques pour le label Blue Note, partenaire de Charles Mingus, Wayne Shorter, Archie Shepp, entre autres, il s’autorise aujourd’hui à jouer avec les effluves mélodiques et rythmiques du patrimoine afro-cubain. Le 4 avril 2024, il présentait à L’Ecuje à Paris le fruit de son intérêt caribéen. Nous avons suivi les répétitions et interrogé le patriarche.

Longtemps, Joe Chambers fut un accompagnateur de talent pour nombre de ses contemporains. Batteur et vibraphoniste émérite, il a soutenu avec goût les œuvres de ses compagnons de route. Sa constance l’a hissé au rang des grands instrumentistes de notre temps. Si l’érosion du temps fragilise son énergie corporelle, elle n’altère en rien son intellect. Ce grand personnage est un esprit vif et savant. Conscient des vicissitudes de la communauté afro-américaine au fil des siècles, il laisse volontiers son discours prendre des accents professoraux quand il évoque l’histoire de ses ancêtres : « Je me sens évidemment totalement connecté à l’Afrique car j’ai indubitablement des ancêtres sur ce continent. Pour autant, je ne me sens pas africain. Je suis d’abord américain. En disant cela, j’aborde un sujet épineux. Je ne veux pas feindre qui je ne suis pas. Je ne fais pas partie de ces Américains qui prônent le retour à la terre nourricière. Ce n’est pas ce que je recherche. Tâchons de présenter les choses d’une autre manière… Quand on parle de cultures africaines, quand on parle de musique, et précisément de jazz, il faut impérativement évoquer deux éléments essentiels à notre compréhension : le syncrétisme et la culturation. Pour essayer de simplifier mon propos, je vais prendre un exemple : quand les colons portugais, espagnols et français, ont emporté dans les cales de leurs navires des esclaves africains vers Cuba, Porto Rico, Haïti ou le Brésil, ils ont tenté de museler les rites et codes yoruba de ces populations soumises. Évidemment, ils n’y sont pas parvenus parce que les cultures africaines s’expriment par le rythme. Une nouvelle identité hybride a alors germé de cette rencontre afro-européenne. C’est ainsi que sont nés la Santeria et le Candomblé. Ces rythmes sont la fusion de plusieurs cultures dont les matrices proviennent de populations qui n’ont pas suivi les règles et l’enseignement religieux de leurs oppresseurs mais ont préféré vénérer leur divinité, leur « dambala ». Voilà ce que vous devez comprendre lorsque vous évoquez l’héritage africain des Américains ». (Joe Chambers au micro de Joe Farmer)

 

Joe Chambers a étudié avec application les musiques métisses héritées de l’Afrique ancestrale. Sa passion pour les sonorités afro-latines ne date cependant pas d’hier. Sa prime jeunesse fut bercée par un environnement sonore caribéen pétri de sources culturelles diverses. Au contact de nombreux virtuoses, il a développé une musicalité cadencée qui repose sur sa parfaite connaissance du swing et de l’harmonie. « L’influence afro-latine que vous ressentez dans mes compositions est en moi depuis toujours. Je me suis d’abord intéressé à la culture afro-cubaine, notamment le Guaguanco. Dès l’âge de six ou sept ans, j’entendais toutes ces musiques latines à Philadelphie où je vivais avec mes parents. La scène musicale afro-latine était très vivace et l’on entendait régulièrement à la radio le répertoire de tous ces musiciens. Cela dit, j’écoute tout type de musique. Je prends plaisir à savourer les œuvres classiques européennes mais aussi le jazz américain et le rhythm and blues. Quand j’ai commencé à jouer des percussions, c’était à l’école, je participais aux orchestres de mon établissement scolaire mais j’étais davantage intéressé par le rhythm and blues. En fait, je me voyais devenir jazzman car cette forme d’expression qu’on appelle le swing me paraissait plus intelligente. Et puis, subitement, je me suis rendu compte que personne n’était capable de jouer correctement les musiques afro-latines. À cette époque, je ne savais pas ce que la « clave » signifiait. C’est en arrivant à New York que j’ai compris qu’il s’agissait d’un rythme fondateur des musiques latines. C’est aussi à New York que j’ai rencontré quelques-uns de mes futurs bons camarades. Je pense notamment à McCoy Tyner, le pianiste de John Coltrane. Parallèlement, je liais amitié avec Steve Berrios et Ray Mantilla, deux excellents percussionnistes d’origine latine, sans oublier Ray Armando. Vous avez certainement entendu parler du groupe « M’Boom » créé par le batteur Max Roach. À mon initiative, Steve Berrios et Ray Mantilla ont rejoint l’orchestre. Je voulais qu’ils nous montrent la meilleure manière de jouer le Guaguanco, la rumba et la batucada. C’est ainsi que j’ai appris à reconnaître tous ces rythmes et à utiliser la « clave » originelle ». (Joe Chambers sur RFI)

 

 

Dans les années 60, alors que ses homologues revendiquaient une forme d’expression politique au cœur du mouvement des droits civiques, Joe Chambers préférait se consacrer à la maîtrise de son art. Bien qu’il fût le témoin de cette époque cruciale dans la lutte du peuple noir pour l’égalité et la justice, il ne se considéra jamais militant. Parfaire sa technique musicale l’emportait sur la fronde sociale. « Je ne réfléchissais pas vraiment à la dimension politique de mon engagement artistique à cette époque. Archie Shepp et beaucoup de mes compagnons d’alors étaient perçus comme des musiciens d’avant-garde. Ils étaient des activistes très impliqués. Moi, je regardais tout cela avec une certaine distance. J’essayais surtout de devenir un bon musicien. Quand le mouvement free jazz est apparu, j’étais déjà un musicien confirmé mais je n’essayais pas de jouer cette musique-là. À New York, il y avait plusieurs familles de musiciens. Il y avait les adeptes de Miles Davis dont je faisais partie, il y avait les inconditionnels des grands orchestres swing, et il y avait les amateurs de free jazz que je n’ai d’ailleurs jamais critiqués mais je considérais, comme le disait le journaliste et critique musical Stanley Crouch, que les vrais avant-gardistes étaient les musiciens signés sur le label Blue Note, c’est-à-dire, Wayne Shorter, Bobby Hutcherson, McCoy Tyner et, j’ose le dire, moi-même ! ». (Joe Chambers, le 3 avril 2024)

 

 

Cette pointe de fierté d’avoir été parmi les « élus » de l’histoire du jazz est tout à fait justifiée. Joe Chambers peut s’enorgueillir d’avoir partagé la scène avec les grandes figures d’antan. Il est une mémoire vive qui continue de défendre un patrimoine. Il est aussi un fervent instrumentiste qui poursuit son chemin avec malice et une profonde expérience. Les heureux spectateurs parisiens, ayant assisté à son concert printanier, ont rapidement pris conscience de la valeur artistique de ce pilier de « L’épopée des Musiques Noires ». Son allure nonchalante d’octogénaire éprouvé par le poids des années contrastait singulièrement avec son indiscutable vigueur métronomique. L’interprétation en quintet de son dernier album Dance Kobina enchanta le public et les acclamations nourries en furent la plus belle récompense.

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RFI