Michel Barnier : "On a besoin des nations pour combattre le nationalisme"
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L’ancien Premier ministre Michel Barnier, ex-commissaire européen, négociateur du Brexit, plusieurs fois ministre, nous livre sa vision d’une Europe sous tension. Il revient sur les grands moments et dossiers à l’occasion de la sortie de son livre "Ce que j’ai appris de vous" (aux éditions Calmann Levy).
La date butoir du 9 juillet pour de nouveaux droits de douane américains sur les produits européens a été repoussée au 1er août, laissant un sursis à la Commission européenne pour négocier un accord. Mais pour Michel Barnier, face à un Donald Trump "agressif" il faut la plus grande fermeté des Européens : "S'il nous attaque, nous répondrons. Ce sera perdant perdant, Ce sera dommage pour tout le monde, mais ce sera notre réponse". Il en appelle à la force d’une unité européenne, même face à des secteurs différents à protéger selon les États membres, "nous Français, l’agriculture et le vin, les Allemands, les voitures (...) L’unité ne tombe pas du ciel. Il faut la construire au Conseil des ministres, à la Commission". Le marché unique reste, selon lui, la meilleure arme de l’Union, c’est : "le plus dynamique du monde, le principal partenaire des États-Unis : il est très important pour l’industrie et l’économie Américaine, et monsieur Trump ainsi d'ailleurs que le président chinois nous respectent".
"Alliance ne veut pas dire allégeance"
Michel Barnier considère que les États-Unis sont nos alliés. Mais "alliance ne veut pas dire allégeance. Et voilà un président américain qui nous agresse commercialement et qui menace de laisser tomber l’Ukraine, un pays non membre de l’UE, mais européen, qui défend son intégrité, sa souveraineté, attaqué par la Russie". L’ancien chef de la diplomatie française rappelle que "monsieur Trump et l’administration actuelle ne seront pas toujours là", et les États-Unis auront toujours avec l’Union européenne des intérêts stratégiques partagés : lutter ensemble contre les grands défis contemporains, du climat au terrorisme.
Face aux mesures de rétorsion économiques de la Chine – notamment la menace sur le cognac français – Michel Barnier appelle, là aussi, à la plus grande fermeté : "Attaquer le cognac, c’est attaquer notre tradition. Vous créez un problème politique inutile". S’il refuse de parler de guerre commerciale, "ça ne peut pas être non plus la naïveté".
Il insiste sur la nécessité pour l’Europe de définir ses propres priorités stratégiques en ce qui concerne l'Ukraine, sans attendre l’aval de Washington ou de Pékin : "Il faut que la Chine utilise son influence, son poids, pour convaincre monsieur Poutine qu'il faut mettre fin à cette agression et retrouver les moyens d'une discussion diplomatique".
Brexit : "Ils nous manquent, et nous leur manquons"
Alors que Londres et Bruxelles renouent un dialogue plus chaleureux, Michel Barnier, ancien négociateur du Brexit, déplore le coût du divorce : "Le Brexit reste un non-sens. Il n’y a aucune valeur ajoutée. Mais c’était le choix souverain des britanniques : nous l’avons respecté, et regretté". Il regrette l’absence de discussions au moment du Brexit sur des sujets clefs comme la défense ou la sécurité, mais appelle à reprendre la négociation des accords dans un cadre clair : "il n’y aura pas de beurre et l'argent du beurre en même temps" .
Sur les questions migratoires, avec une hausse de 50 % des traversées vers le Royaume-Uni en 2025, "ça ne marche pas bien", reconnaît-il, parlant de "passoires aux frontières de l’UE".
Au moment de la primaire des Républicains, il y a trois ans, Michel Barnier a surpris toute l’Europe en appelant à une "liberté de manœuvre" par la Cour européenne des droits de l’homme sur les règles du droit d’asile. Il se justifie : "Ce n’est pas être anti-européen que de pointer les contradictions entre juridictions nationales et européennes".
Ursula von der Leyen, extrême droite : défendre les règles
La présidente de la Commission européenne vient d’échapper à une motion de censure, et Michel Barnier pointe l’évolution de l'institution : "Il y a de moins en moins de collégialité et de plus en plus de gestion présidentielle… Or la Commission est un peu un collectif maudit, avec un président qui fait le travail d’un Premier ministre qui n’existe pas ! (…) on a aussi besoin des nations pour combattre le nationalisme !"
Concernant la nouvelle enquête ouverte contre le Rassemblement national et son ancien groupe ID au Parlement européen, il ironise : "l’extrême droite européenne, qui donne parfois des leçons de morale à tout le monde, doit respecter la loi et si elle ne la respecte pas, il est normal qu'elle soit sanctionnée".
La France : puissance bridée ?
Interrogé sur la place de la France dans le jeu européen, l’ancien Premier ministre juge que "la France pèse moins qu’avant" . Il l’attribue à sa dette, son manque de compétitivité, mais aussi à une sur-réglementation nationale et européenne, notamment concernant le Pacte vert : "On ne résout pas la pollution contre les agriculteurs, les entreprises ou les citoyens. Il faut une écologie concrète, pas idéologique".
Malgré la chute de son gouvernement au bout de trois mois, après une motion de censure en décembre 2024, Michel Barnier participe "au débat dans ma famille politique, dirigée par Bruno Retailleau, et j’en suis heureux. Je vais rester présent dans le débat politique".
Émission préparée par Isabelle Romero et Perrine Desplats