Mort de l'opposant Anicet Ekane au Cameroun: la colère de son amie Henriette Ekwe
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Au Cameroun, c'est la consternation sur les réseaux sociaux après la mort en prison, lundi 1er décembre, de l'opposant Anicet Ekane, qui présidait le parti Manidem. Depuis 40 ans, la journaliste Henriette Ekwe était une amie très proche de l'opposant. Il y a trois semaines, elle avait pu lui rendre visite dans sa cellule de Yaoundé. Et pour elle, vu son état de santé, Anicet Ekane n'aurait jamais dû être placé en détention le 24 octobre dernier. L'éditorialiste camerounaise, qui a reçu le prix du courage féminin en 2011 à Washington, témoigne depuis Douala au téléphone de Christophe Boisbouvier.
RFI : Henriette Ekwe, comment réagissez-vous à la mort d'Anicet Ekané ?
Henriette Ekwe : Je suis en colère parce que Anicet souffrait d'une insuffisance respiratoire due au Covid. Et donc, il était obligé d'avoir toujours à portée de main un concentrateur d'oxygène, un appareil portatif. Alors, ce qui s'est passé vendredi dernier, c'est que sa femme était là pour lui rendre visite et dans l'après-midi, trois gendarmes entrent et demandent à Anicet de s'habiller parce qu'on l'amène au tribunal militaire. Il dit : « Mais mon avocat n'est même pas prévenu. - Non, non, non, non, habillez-vous. » Bon, il s'habille et en sortant, il voit qu'on est aussi en train d'amener Djeukam Tchamen et le professeur Abaa Oyono. Le fourgon est dehors. Il dit donc à sa femme : « Il faut aller voir mon avocat. » Ils vont au tribunal militaire. L'avocat arrive, qui sermonne le commissaire de gouvernement. C'est le nom du procureur là-bas. Et Anicet fait un grand malaise. Il a failli mourir vendredi dernier. On a dû le ramener tout de suite à l'infirmerie du camp de la gendarmerie.
Donc, on imagine que quand sa femme est rentrée dans la soirée à Douala, sa situation s'est aggravée. Il n'avait plus de téléphone. Sa femme même ne pouvait pas le joindre. Et dans la nuit du dimanche à lundi, il est décédé. Voilà. En fait, Anicet ne devait pas être en détention. On aurait pu aménager une assignation à résidence. Je suis en colère et je dis que c'est de la faute à ce gouvernement qui a décidé d'en finir avec Anicet qui a un gros handicap respiratoire, qui pouvait le tuer à tout instant.
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Le ministère camerounais de la Défense a dit hier, par communiqué, qu'il niait toute négligence. Ce ministère a affirmé qu'Anicet était pris en charge de manière appropriée par le corps médical et qu'une enquête va être ouverte afin d'établir avec précision les circonstances de son décès…
C'est faux. Quand il arrive au tribunal ce vendredi après-midi, c'est là qu'il fait un grand malaise. Et son épouse m'a dit qu’il était proche de la mort. Et dans la nuit du dimanche à lundi, on ne sait pas ce qui s'est passé, il est décédé.
Est-ce que depuis son arrestation, le 24 octobre, la famille d'Anicet Ekane et le parti Manidem ont prévenu les autorités militaires et pénitentiaires qu'Anicet Ekane était gravement malade ?
Si, ils ont prévenu. Ils ont fait des communiqués pour dire qu'Anicet ne devait pas rester en détention, vu cette détresse respiratoire qu'il avait tout le temps. Je suis allée le voir il y a 3 semaines et je lui ai dit : Anicet, dans l’état où tu es, j’ai très peur. Il m’a dit : « Bon, là ou je suis, je n’ai pas peur. Peut-être qu’ils vont me tuer, et c’est pour ça que je suis là pour qu’ils m’achèvent une fois. Mais je n’ai pas peur de la mort. » Combien de nos ainés sont morts ? Et donc, quand il décide de choisir Issa Tchiroma, il vient me voir pour me dire : « Lui, c’est un véritable apposant ». Et on convoque la plateforme et c’est Issa Tchiroma qui accepte de signer cette plateforme. Anicet avait un flair, c’était un stratège. On le respectait dans le parti pour ça !
Alors c'est vrai qu'au mois d'août dernier, après l'invalidation de la candidature de Maurice Kamto, Anicet Ekane avait rejoint le camp du candidat Issa Tchiroma, à un moment où celui-ci n'avait pas encore le vent en poupe. Pourquoi ce choix de la part d'Anicet ?
Absolument. Parce que Issa Tchiroma est un membre fondateur de la coordination de l'opposition qui a fait les villes mortes.
Dans les années 90 ?
Dans les années 90, oui. Deuxièmement, c'est Issa Tchiroma qui a mené les villes mortes à Garoua en faisant imprimer le carton rouge à Garoua. Donc, nous avons gardé les contacts au-delà de son engagement avec le président Biya. On savait qu'il n'était pas tout à fait sincère avec le président Biya. Et il n'a pas changé.
La mort en prison d'Anicet Ekane dans les premiers jours du huitième mandat de Paul Biya, qu'est-ce que cela vous inspire ?
Ben, être passé sur un homme affaibli à ce point pour le tuer, c'est inimaginable. Maintenant, moi, j'attends la réponse du peuple. Mais je suis sûr que l'opinion internationale aussi peut bouger et contraindre le président de la République à faire quelque chose.
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