Randevoo - Episode 21
Description
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27.
Correspondance (I)
Première lettre à Alice :
« Chère Alice,
Tu es merveilleuse. Je ne vois pas pourquoi, sous prétexte que tu t’appelles Alice, personne ne pourrait te dire que tu es une merveille.
J’ai la tête qui tourne. On devrait interdire aux femmes comme toi de se rendre aux enterrements de mes grand-mères. Pardon pour ce petit mot. C’était ma seule chance de rester près de toi ce week-end,
Marc. »
Aucune réponse.
Seconde lettre à Alice :
« Alice,
Dis donc, tu ne serais pas la femme de ma vie, toi, tout de même ?
Tu dis que tu as peur. Et moi, alors, qu’est-ce que je devrais dire ? Tu crois que je joue alors que je n’ai jamais été plus sérieux.
Je ne sais pas quoi faire. Je voudrais te voir mais je sais qu’il ne faut pas. Hier soir j’ai accompli mon devoir conjugal en pensant à toi. C’est ignoble. Tu as dérangé ma vie, je ne veux pas déranger la tienne. Ceci sera ma dernière lettre mais je ne t’oublierai pas tout de suite.
Marc. »
Post-scriptum : « Quand on ment, qu’on dit à une femme qu’on l’aime, on peut croire qu’on ment, mais quelque chose nous a poussé à le lui dire, par conséquent c’est vrai. » (Raymond Radiguet)
Aucune réponse. Ce ne fut pas ma dernière lettre.
28.
Le fond du gouffre
Salut, c’est encore moi, le mort-vivant des beaux quartiers.
J’aurais aimé n’être que mélancolique, c’est élégant ; au lieu de quoi je balance entre liquéfaction et déliquescence. Je suis un zombie qui hurle à la mort d’être toujours en vie. Le seul remède contre ma migraine serait un Aspégic 1000 mais je ne peux pas en prendre car j’ai trop mal à l’estomac. Si seulement je touchais le fond ! Mais non. Je descends, toujours plus bas, et il n’y a pas de fond pour rebondir.
Je traverse la ville de part en part. Je viens regarder l’immeuble où tu vis avec Antoine. Je croyais t’avoir draguée par jeu, et voici que je me retrouve errant devant ta porte, le souffle coupé. L’amour est source de problèmes respiratoires.
Les lumières de votre appartement sont allumées. Peut-être dînes-tu, ou regardes-tu la télé, ou écoutes-tu de la musique en pensant à moi, ou sans penser à moi, ou alors peut-être que tu… que vous… Non, pitié, dis-moi que tu ne fais pas ça. Je saigne debout dans ta rue, devant chez toi, mais il n’y a pas de sang qui sort, c’est une hémorragie interne, une noyade en plein air. Les passants me dévisagent ; mais qui est ce type qui vient tous les jours contempler la façade de cet immeuble ? Y aurait-il un magnifique détail architectural qui nous aurait échappé ? Ou bien ce jeune mal rasé, aux cheveux ébouriffés, serait-il un nouveau SDF ? « Chérie, regarde : il y a des SDF en veste Agnès B, dans notre quartier. » « Tais-toi imbécile, tu vois bien que c’est un dealer de jeunes ! »
Le mai le si laid mois de mai. Avec ses ponts qui n’en finissent pas : Fête du Travail, Anniversaire du 8 mai 1945, Ascension, Pentecôte. Les longs week-ends sans Alice s’additionnent. Terrible privation organisée par l’État et la religion catholique, comme pour me punir de leur avoir désobéi à tous les deux. Stage intensif de souffrance.
Rien ne m’intéresse plus à part Alice. Elle prend toute la place. Aller au cinéma, manger, écrire, lire, dormir, danser la techno, travailler, toutes ces occupations qui constituaient ma vie d’abruti à quatre patates par mois sont désormais sans saveur. Alice a décoloré l’univers. Tout d’un coup j’ai 16 ans. J’ai même acheté son parfum pour le respirer en pensant à elle, mais ce n’était plus son odeur adorable de peau amoureuse brune endormie longues jambes ravissante minceur aux cheveux de sirène alanguie. On n’enferme pas tout cela dans un flacon.
Au XXe siècle, l’amour est un téléphone qui ne sonne pas. Après-midi entiers à guetter chaque bruit de pas dans l’escalier, comme autant de fausses joies absurdes puisque tu as annulé le rendez-vous vers midi, précipitamment, sur notre messagerie secrète. Encore une histoire d’adultère qui a mal tourné ? Eh oui, ce n’est pas très original, désolé ; je n’y peux rien si c’est tout de même la chose la plus grave qui me soit jamais arrivée. Ceci est le livre d’un enfant gâté, dédié à tous les étourdis trop purs pour vivre heureux. Le livre de ceux qui ont le mauvais rôle et que personne ne plaint. Le livre de ceux qui ne devraient pas souffrir d’une séparation qu’ils ont eux-mêmes provoquée et qui souffrent tout de même, d’une douleur d’autant plus irréparable qu’ils s’en savent les uniques responsables.
Car l’amour ce n’est pas seulement : souffrir ou faire souffrir. Cela peut aussi être les deux.