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La Manufacture d'idées

101 Episodes
Reverse
Rencontre avec la réalisatrice Sepideh Farsi et l’architecte Eyal Weizman, directeur du Laboratoire Forensic Architecture après la projection du film Put your Soul on your Hand and Walk
Put your Soul on your Hand and Walk est devenu plus qu’un film depuis que la photographe Fatem Hassona a été assassinée lors d’un bombardement israélien à Gaza le 16 avril dernier, à l’âge de 25 ans. Ce documentaire hors du commun est né des conversations vidéo entre la jeune photographe et Sepideh Farsi pendant un an. Sous la forme d’un journal filmé par visio interposée, la cinéaste emprunte les yeux de Fatem, qui résistait en documentant la guerre, et construit avec elle ce film à la vérité brute comme « une réponse en tant que cinéaste, aux massacres en cours des palestiniens ». On sort de ce film bouleversé par le destin tragique de Fatem, ses photographies témoignant des souffrances et de la force de son peuple, son sourire lumineux, mais aussi par la sororité de ces deux femmes et la beauté de leur lien. À l’issue de la projection, Sepideh Farsi s’entretiendra avec Eyal Weizman, fondateur du Forensic Architecture, un groupe de recherche multidisciplinaire qui enquête sur les crimes commis par les États. Forensic Architecture a publié dernièrement le rapport « Kill the Press », montrant comment les journalistes et photographes palestinien·nes étaient délibérément ciblé·es par l’armée israélienne à partir de l’exemple de l’assassinat de Fatem Hassona.
Politique des récits
La question du récit, qui laisse la parole au doute, à la subjectivité, porte une plus grande attention à la complexité du vivant, occupe aujourd’hui une place importante dans les sciences sociales. Manifestes, articles, ouvrages invitent à revenir à la narration, à imiter la littérature romanesque, à s’inspirer de ses techniques ou à créer librement des formes d’hybridation entre écriture scientifique et écriture littéraire. Mais en quoi inventer des nouvelles formes d’écriture ou de nouvelles enquêtes narratives permet-il de mieux rendre compte du réel ? Ces pratiques ne risquent-elle pas de remettre en cause la rigueur scientifique et d’affaiblir la recherche à un moment où le rapport à la vérité est brouillé ? Arno Bertina, qui s’est vu attribué la première chaire artistique de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, et qui interroge sa pratique d’écrivain à travers le récit documentaire et la non-fiction, et Nathalie Quintane, dont les ouvrages se situent à la confluence du récit, de l’essai et de la poésie, et s’emparent, non sans humour, de sujets urgents et politiques, partageront leurs points de vue sur ces questions. Nous verrons avec eux quels contre-récits politiques peuvent offrir l’art et la littérature et quelles sont les zones de friction avec les sciences humaines et sociales.
Modérateur : Xavier de La Porte, journaliste au Nouvel Obs
Rencontre avec l’anthropologue Chowra Makaremi après la projection de Hitch. Une histoire iranienne
La mère de Chowra Makaremi, opposante à la République islamique d’Iran, a été arrêtée en 1981. Emprisonnée, torturée, elle a disparu durant l’exécution massive de milliers d’opposant·es au cours de l’été 1988. Hitch exhume ce passé resté tabou en Iran, le pouvoir niant toujours ses crimes et s’efforçant d’en effacer les traces. Le film part en quête des lieux, des objets et des gestes qui permettront de dénouer le silence. Se confrontant à sa propre douleur, Chowra Makaremi se demande comment l’absence des corps empêche la mémoire collective de se constituer et la manière dont le politique touche à l’intime. Cette réflexion sur nos expériences intimes et collectives de résistance, leur persistance infinie face à des politiques de la cruauté, se déploie dans son nouvel essai, Résistances affectives. Des mères de la Place de Mai en Argentine aux mouvements Black Lives Matter et Femme, Vie, Liberté, Chowra Makaremi montre comment l’attachement peut devenir un mode de résistance et explore les liens qui transforment le chagrin, l’affection ou la colère en puissance politique. Avec elle, nous nous demanderons comment cette résistance à travers l’attachement aux autres, à la vie, à l’expérience sensible, souvent observée sur des terrains de guerre et de violence, peut nous outiller pour faire face à ce qui nous arrive ici.
Modérateur : Emmanuel Laurentin, délégué au documentaire de France Culture
Révolutions de notre temps
rencontre avec des membres du réseau Les Peuples Veulent
Les Peuples Veulent est un réseau qui dépasse les frontières des nations et des corps. Il réunit des collectifs, des organisations, des lieux et des personnes du monde entier qui se sont retrouvés pour construire une pratique internationaliste adaptée à notre temps. Un internationalisme par le bas, fondé sur la solidarité, l’entraide et le partage d’expériences. De cette vision est né le manifeste « Révolutions de notre temps », fruit des récits et des analyses d’une soixantaine de personnes réparties à travers le monde qui, chacune à sa façon, a participé aux soulèvements de notre temps – révolutions d’Égypte, de Syrie, de Tunisie ou du Soudan, révoltes paysannes en Inde, vagues féministes en Amérique latine et en Iran, soulèvement pour George Floyd, résistances kurdes, palestiniennes et ukrainiennes… Avec les membres des Peuples Veulent réuni·es pour cette rencontre, nous verrons comment construire des pouvoirs populaires et des comités de résistance depuis les marges, faire de l’exil une force, mobiliser les questions de genre et la place des femmes, tout en nous demandant comment bâtir un internationalisme nouveau à l’heure où les offensives impérialistes se multiplient au risque de fragiliser encore davantage les conditions d’habitabilité de certains territoires.
Modératrice : Zineb Soulaimani, productrice du podcast Le Beau Bizarre
Apprendre et lutter au bord du monde
dialogue entre la philosophe Léna Balaud et l’anthropologue Laurence Marty
Qu’est-ce que lutter pour la justice climatique quand l’ampleur de la catastrophe, l’urgence et le sentiment d’impuissance prévalent ? Laurence Marty a suivi et participé à des collectifs, notamment écoféministes, engagés dans les mobilisations autour de la COP21. Son livre décrit l’action politique en train de se faire et les apprentissages sensibles qui s’y fabriquent. De son côté, Léna Balaud estime que la politique requiert aujourd’hui une autre idée du collectif, une sensibilité élargie à tout ce qui fait qu’un monde tient. Autrement dit, l’enjeu n’est autre que celui d’apprendre à situer notre agir politique au sein d’un maillage écologique bien plus vaste que toute communauté humaine. Nous verrons avec elles comment les soulèvements terrestres mettent à l’épreuve les catégories politiques, et ce qui arrive aux mouvements écologistes européens, majoritairement blancs et de classes moyennes supérieures, quand ils ne peuvent plus ignorer les violences coloniales, capitalistes et patriarcales à l’origine du dérèglement climatique. Nous interrogerons également la façon dont les chercheur·euses peuvent mettre leurs savoirs et leurs engagements théoriques au service des luttes pour la défense du vivant, et l’influence des pratiques innovantes d’activistes et des mouvements de résistance écologique sur le monde académique.
Modérateur : Jean-Marie Durand, journaliste aux Inrockuptibles
Amazonie, centre du monde
encontre avec l’écrivaine et militante écologiste et féministe Eliane Brum (Brésil)
Rares sont les livres dont on peut dire que leur lecture change notre rapport au monde. C’est le cas de Banzeiro Òkòtó d’Eliane Brum. La journaliste et militante écologiste brésilienne nous plonge dans les multiples réalités de la forêt amazonienne où elle s’est installée depuis 2017. Elle nous racontera sa mutation intime, comment elle s’est « déstructurée » au contact de la forêt, mais aussi les ravages subis par celle-ci. Vivre à Altamira, ville construite au cœur de l’Amazonie, c’est en effet vivre dans l’épicentre de la dévastation. Dans une analyse écoféministe implacable, Eliane Brum montre que la vision de la forêt comme un corps à violer, à exploiter et à piller n’a été abandonnée par aucun des gouvernements brésiliens successifs. Elle nous fait ensuite entendre les voix des « peuples-forêt », menacés par l’exploitation agro-industrielle, et rend hommage à leur résistance. Car c’est bien de lutte et de résistance dont il s’agit, au moment où l’Amazonie n’est plus le poumon du monde et où l’impact des actions d’une minorité dominante amène la forêt à un point de non-retour. Restituant le cri, organique, poétique et politique de l’Amazonie à travers son corps de femme devenue forêt, Eliane Brum montre comment les questions de race, de classe et de genre sont impliquées dans le destin de l’Amazonie et de la Terre. Lors de cette rencontre exceptionnelle, elle nous dira comment nous amazoniser pour construire d’autres imaginaires et d’autres pratiques, par-delà la forêt.
Modérateur : Emmanuel Favre
Interprète : Graça Rabaroux
Zones critiques
dialogue entre la philosophe Jeanne Etelain et le géochimiste Jérôme Gaillardet
La Zone Critique désigne la pellicule la plus externe de la planète Terre, « entre les roches et le ciel », où interagissent l’air, l’eau et les minéraux pour donner naissance au sol, aux fleuves et aux êtres vivants qui la peuplent. Siège de l’habitat de l’espèce humaine sur la planète, elle est le fruit d’une longue évolution et une zone clé dans le maintien de l’habitabilité de la Terre. Elle est critique car c’est là où nous cultivons, où se forment et évoluent les ressources en eau et en sol, où nous stockons nos déchets. Cette zone est monitorée dans des observatoires situés à plusieurs endroits du monde, choisis comme sentinelles des perturbations environnementales. Spécialiste de ce concept, Jérôme Gaillardet nous fera découvrir comment des scientifiques auscultent cette zone réactive et sensible à la surface de la Terre (du fleuve Congo à l’Amazone, des Alpes à l’Himalaya, de Porto Rico à La Réunion) et décryptent le mouvement de l’eau, pistent les flux du carbone ou des métaux, percent à jour des transformations chimiques d’une seconde ou d’un million d’années. Il s’entretiendra avec Jeanne Etelain, qui dans une enquête à la croisée de la géographie, de la psychanalyse et de la science-fiction, explore comment la zone est devenue centrale pour comprendre l’espace, dans le contexte de crise des conditions d’habitabilité de la planète.
Modérateur : Xavier de La Porte, journaliste au Nouvel Obs
Les damné·es de la terre : héritage de Frantz Fanon
dialogue entre le journaliste et essayiste Adam Shatz et la chercheuse en politique internationale Shela Sheikh
L’année 2025 marque le centenaire de la naissance de Frantz Fanon (mort en 1961), figure emblématique de la pensée anticoloniale du XXe siècle, dont l’œuvre conserve une étonnante actualité et suscite depuis soixante ans une multitude d’interprétations et d’appropriations créatrices. Nous reviendrons sur la trajectoire fulgurante du psychiatre et révolutionnaire martiniquais, de son expérience clinique au centre hospitalier de Saint-Alban, qui marquera profondément sa recherche d’une psychiatrie désaliénée, à sa mutation à l’hôpital de Blida en 1953, où la confrontation avec la situation coloniale le conduira à s’engager aux côtés du Front de libération nationale (FLN) de l’Algérie. À l’heure où le racisme systémique gagne du terrain en Occident, où le conflit israélo-palestinien a franchi un nouveau cap, où la colonisation de la Terre et la dépossession de populations indigènes se sont accélérées au cours des dernières années, nous verrons comment la pensée de l’auteur des Damnés de la terre résonne avec nos questionnements contemporains les plus brûlants.
Modératrice : Chloé Leprince, journaliste à France Culture
Luttes autochtones et environnementales
dialogue entre les anthropologues Inés Calvo Valenzuela et Anahy Gajardo
L’impact de l’exploitation minière sur les populations dites « natives », « autochtones » ou « indigènes » n’est pas une thématique nouvelle en Amérique Latine. L’extraction de ressources naturelles constitue une dimension essentielle de l’histoire passée et présente de cette région du monde. Si ce processus n’est pas nouveau, il s’est intensifié et a pris une tournure inédite ces dernières années avec d’importants conflits socio-environnementaux entre des compagnies minières et des populations autochtones. Quelles sont les transformations de l’autochtonie dans un monde néolibéralisé ? Comment les interactions avec l’industrie extractive et les États influencent le tissu social et politique des communautés ? Anahy Gajardo, qui a mené une enquête au long cours sur la lutte des Diaguita contre un projet extractif menaçant leur territoire dans la région d’Atacama et leurs démarches pour être reconnus peuple autochtone par l’État chilien, et Inés Calvo Valenzuela, dont les travaux portent sur les relations qu’entretiennent les amérindiens Wayuu (Colombie) avec les éléments de leur environnement, et sur l’évolution de leur rapport à l’eau après l’implantation de la plus grande mine de charbon à ciel ouvert du continent américain, partageront leurs points de vue sur ces questions.
Modératrice : Lucie Delaporte, journaliste à Médiapart
Langage et colonialisme
dialogue entre la sociolinguiste Cécile Canut et l’essayiste Vincent Debaene
Lorsqu’ils ont colonisé l’Afrique, les Européens y ont imposé leur conception idéologique du langage. Cet impérialisme linguistique a renforcé le modèle dichotomique entre les vraies langues des nations cultivées et les parlers anarchiques des « indigènes », relégués au bas d’une fantasmatique hiérarchie des langues. L’anthropologie, en France, s’est elle-même construite dans une absence de dialogue avec la parole « indigène », considérée comme objet de discours et non comme sujet d’énonciation. Si une telle vision a largement survécu aux indépendances, elle n’a jamais cessé d’être contestée. Sur la base d’un corpus de textes africains, antillais et malgaches, Vincent Debaene montre comment des auteurs indigènes ont inventé des formes, littéraires et savantes, pour forcer la possibilité d’un dialogue et faire entendre leurs voix. Avec Cécile Canut, qui propose une nouvelle approche du langage à partir de son travail sur les imaginaires linguistiques en Afrique, ils s’interrogeront sur ce que signifie écrire en pays dominé et sur les pratiques langagières en tant que praxis sociales.
Modératrice : Chloé Leprince, journaliste à France Culture
Habiter le monde en commun
dialogue entre l’anthropologue Danouta Liberski-Bagnoud et la professeure d’hindi/linguistique Annie Montaut
Comment la conception de la Terre de certaines sociétés africaines peut nous aider à repenser nos manières d’habiter le monde ? Quelles leçons tirer de la gestion ancestrale de l’eau ou des forêts en Inde ? S’intéressant aux systèmes de pensée des peuples voltaïques (Burkina Faso), Danouta Liberski-Bagnoud a étudié une notion centrale dans ces sociétés : l’inappropriable. La Terre y est envisagée comme une instance souveraine autour de laquelle s’organise toute la vie de la communauté et le partage du sol, contrairement à la logique occidentale de propriété privée et à nos fictions juridiques et économiques qui permettent d’agir comme si la Terre était une marchandise. De son côté, Annie Montaut analyse comment la pensée et les luttes écologiques de l’Inde contemporaine prolongent les spéculations anciennes sur l’indissociabilité de la nature et de la culture, et la façon dont les pratiques agroécologiques actuelles consolident le lien des êtres humains avec leurs milieux de vie grâce à une expérience plurimillénaire. Avec elles, nous verrons comment ces pratiques et ces systèmes de pensée peuvent offrir des pistes pour reconsidérer notre relation à la Terre et à l’habitat.
Modératrice : Aïnhoa Jean-Calmettes, journaliste à Mouvement
Contre-récits pour une nouvelle histoire du monde
Depuis des siècles, on nous raconte une histoire très simple sur les origines des inégalités : les êtres humains auraient vécu « heureux » au sein de petits clans de chasseurs-cueilleurs jusqu’à l’apparition de l’agriculture, qui aurait engendré la propriété privée. Puis seraient nées les villes, marquant l’avènement de la civilisation, mais aussi des guerres, du patriarcat et de l’esclavage. Dans Au commencement était…, un des ouvrages les plus marquants de ces dernières années, David Wengrow et le regretté David Graeber réfutent ce récit classique sur l’évolution des sociétés et le développement linéaire de l’histoire. S’appuyant sur des travaux d’anthropologie oubliés et sur des recherches archéologiques récentes, ils nous livrent une enquête d’une extraordinaire portée intellectuelle et politique, où nous découvrons que les êtres humains ont expérimenté pendant des milliers d’années des organisations sociales complexes et diverses formes de pouvoir : un pouvoir tantôt saisonnier, matriarcal, autoritaire, ou relativement libre et égalitaire, y compris à grande échelle. Et comme souvent chez Graeber, la conclusion est tournée vers l’avenir : puisons dans ce gigantesque contre-récit de l’histoire humaine pour imaginer les sociétés de demain avec plus d’inventivité.
Modérateur : Emmanuel Favre
Interprète : Dawn Sheridan
Désoccidentaliser la pensée urbaine : ethnographies dessinées
dialogue entre la paysagiste-urbaniste Dolores Bertrais et l’anthropologue Émilie Guitard
Aujourd’hui, de plus en plus de chercheur·es revendiquent l’usage du dessin comme méthode d’enquête sensible, outil d’investigation, dispositif d’analyse et source pour la réflexion, notamment dans les études urbaines ou les problématiques écologiques. Au fil du temps, ces objets graphiques peuvent aussi devenir des archives qui témoignent des transformations environnementales et paysagères. Dans une ethnographie dessinée, Dolorès Bertrais retrace la filière du sable au Cambodge et nous livre une réflexion originale sur la matérialité des villes et la production de l’espace urbain en suivant la vie d’un grain de sable. Elle s’entretiendra avec Émilie Guitard, qui associe enquêtes ethnographiques et collaborations artistiques pour interroger les relations à la nature dans plusieurs villes d’Afrique (Nigeria, Cameroun, Zimbabwe) et s’intéresse aux imaginaires des villes africaines dans le futur. Elles nous inviteront à reconsidérer les liens entre urbanisation, extractivisme et justice socio-environnementale depuis l’Asie du Sud-Est et l’Afrique subsaharienne, et nous diront en quoi la mobilisation de médiums artistiques, dont le dessin, permet de renouveler les modes de production des savoirs et de nouer d’autres formes d’interaction sur le terrain.
Modérateur : Martin Guinard, curateur
Rencontre avec l’écrivain Tristan Garcia
Mêlant les genres et les styles, Tristan Garcia bâtit une des œuvres actuelles les plus ambitieuses et les plus singulières. Nourri des pensées féministes, antispécistes, décoloniales, il se refuse à tout dogmatisme et cherche à élaborer une utopie nouvelle, celle d’un « commun distinct », par une réflexion qu’il veut enveloppante. Dans une époque qui asphyxie, son œuvre philosophique est une tentative de penser le monde du point de vue du possible, de ne pas se limiter à dire ce qui est – ou pire, ce qui devrait être – mais à ouvrir des brèches pour le futur en nous livrant des repères essentiels pour renouveler nos conceptions du temps, du vivant, de la coexistence politique et de nos manières d’être. En littérature, son autre « milieu de vie », il se déplace au plus près du sensible, et met en tension son travail théorique en explorant d’autres subjectivités. Dans son dernier projet littéraire en cours, il essaie, par une foisonnante épopée, de porter attention à toutes les formes de vie, petites ou grandes, rares ou nombreuses, en traversant les époques et les lieux… Ce que j’espère et qui appartient à tous, c’est une puissance de sauver qui ne serait pas divine, qui serait propre à tout ce qui vit, sent, perçoit et pense, ne serait-ce qu’un peu.
Modérateur : Emmanuel Favre
Rencontre avec les anthropologues Grégory Delaplace et Emmanuel Grimaud
À Calcutta, dans le cabinet d’une hypnothérapeute, des patients explorent leurs vies antérieures et se retrouvent propulsés à diverses époques, pour essayer de traiter les traumatismes de leur existence actuelle. Dans le même temps, des chasseurs de fantômes enquêtent sur des maisons délabrées et tentent d’établir une communication avec les présences qui les hantent… Black Hole nous propose un déplacement du regard sur une société, son histoire coloniale, ses engagements spirituels, ainsi que sur la réincarnation. Coréalisateur du film, Emmanuel Grimaud s’entretiendra avec Grégory Delaplace, dont l’anthropologie de l’invisible, La voix des fantômes, entend prendre au sérieux ces êtres que nous appelons communément « fantômes ». Tous les deux se demanderont si l’humanité n’est pas née hantée, si la mort n’a pas toujours été là, si les rituels funéraires n’ont pas été mis au point par d’habiles médiums pour limiter ou encadrer leurs existences débordantes.
Modérateur : Olivier Pascal-Mousselard, journaliste à Télérama
Table-ronde avec l’anthropologue Carolina Kobelinsky, la géographe Sarah Mekdjian et le politologue Sébastien Thiéry
Une assemblée qui se constitue pour mettre un navire à disposition de celles et ceux qui sauvent des vies en Méditerranée : une œuvre agissante visant à faire reconnaitre les gestes de sauvetage et de soin au patrimoine culturel immatériel de l’humanité et à les transmettre aux générations futures qui seront confrontées au centuple aux mouvements migratoires ; un petit groupe d’habitant.e.s de Sicile qui se mobilise pour redonner un nom à des personnes anonymes retrouvées mortes après leur traversée en Méditerranée, dans un contexte d’indifférence générale et un environnement politique marqué par la criminalisation des migrant.e.s ; des ateliers de cartographies réalisés avec des personnes réfugiées pour ouvrir des brèches dans les normes de représentation classique et prendre en compte le point de vue de celles et ceux qui se déplacent. Ce débat aura pour objet d’interroger les questions de migrations et d’hospitalité à partir des gestes citoyens portés par trois expériences remarquables.
Modérateur : Chloé Leprince, journaliste à France Culture
Table-ronde avec l’écrivain Pierre Chopinaud, l’écrivaine et avocate Anina Ciuciu et l’anthropologue Lise Foisneau
Les collectifs romani et voyageurs forment la première minorité européenne, mais c’est le pluriel qui la caractérise, tant les histoires, les langues, les façons d’habiter et les activités sont multiples. L’unité procède de la façon dont les États européens ont mis en place des dispositifs de surveillance et de contrôle spécifiques à l’égard des populations « nomades » ou « tsiganes ». Face à une idéologie antitsigane et aux bouleversements historiques majeurs comme les guerres et le génocide, les collectifs romani et voyageurs n’ont cessé de se réinventer. Le dialogue à trois entre un écrivain, une avocate et une anthropologue permettra de faire apparaître certaines des stratégies et tactiques de résistance des Roms, Manouches, Sinti, Gitans, Yéniches et Voyageurs, aussi bien pendant la Seconde Guerre mondiale que lors des luttes contemporaines.
Modératrice : Claire Mayot, journaliste à 28 minutes (Arte)
Rencontre avec l’anthropologue Riccardo Ciavolella
Dans une époque où la planète et l’imaginaire semblent verrouillés et exploités jusqu’à leurs frontières ultimes, peut-on encore trouver un ailleurs dans ce monde ? C’est ce que nous propose d’explorer Riccardo Ciavolella. De Bab-el-Oued à Tombouctou, de Tataouine à Bümpliz, du Podunk américain au Java chinois, le chercheur a recensé des lieux indiquant le bout du monde ou désignant un trou perdu au milieu de nulle part, entre réel et imaginaire. Il les a regroupés dans un atlas où il en retrace périples et détours, à la croisée de l’anthropologie, de l’histoire, de la géographie et de la littérature. Nous nous demanderons avec lui si ces bouts du monde ne sont pas les derniers espaces de liberté qu’il nous reste, les centres d’autres mondes en gestation.
Modérateur : Grégory Delaplace
Dialogue entre le journaliste et militant Cy Lecerf Maulpoix et la sociologue Constance Rimlinger
Le retour à la terre observé ces dernières années a contribué à une revitalisation politique de certaines campagnes, en questionnant notre rapport à l’agriculture et à l’alimentation, mais aussi la possibilité de vivre autrement. Des initiatives restent néanmoins méconnues : des utopies concrètes portées par des personnes queers ou féministes cherchant à lier reconnexion à la nature et émancipation à l’égard des normes de genre et de sexualité. Comment ces vies en marge, au confluent de différentes luttes, ouvrent des questionnements plus larges en matière d’engagement ? Comment les approches queers et féministes ébranlent l’homogénéité des discours sur l’environnement et visibilisent leurs impensés ? Cy Lecerf Maulpoix et Constance Rimlinger reviendront sur leurs enquêtes respectives et nous diront comment ces manières alternatives de vivre la décroissance et de penser de nouveaux rapports au vivant participent à un renouvellement de l’imaginaire politique.
Modératrice : Clémence Allezard, documentariste (France Culture)
Dialogue entre la sociologue Geneviève Pruvost et des membres de l’association A4 (Association d’Accueil en Agriculture et Artisanat)
Dans les sociétés de consommation-production où nous vivons, le travail de subsistance est devenu invisible, tout comme d’ailleurs les circuits mondialisés dont nous dépendons. D’autres formes de vie s’épanouissent pourtant, qui réhabilitent l’entraide, les circuits courts, et construisent pas à pas une autonomie écologique et vivrière. Après dix ans d’enquête sur des alternatives rurales, Geneviève Pruvost a concentré son étude sur l’économie d’un couple de boulangers-paysans qui a choisi de bifurquer pour résister à la « modernité » capitaliste. Elle nous décrira la forme inédite d’observation qu’il lui a fallu inventer pour rendre compte de ce mode de vie et de cette lutte feutrée qui politise le moindre geste. Elle s’entretiendra ensuite avec des membres de l’association A4 dont l’objectif est de développer un réseau d’installation et de solidarité paysanne en lien avec des territoires.
Le projet de l’Association A4 est de construire une dynamique d’accueil, de formation, d’accès au travail et d’accompagnement administratif de personnes avec ou sans papiers, urbaines ou rurales, dans les domaines de l’agriculture et de l’artisanat.
Modératrice : Lucie Delaporte, journaliste à Mediapart