DiscoverReportage FranceÀ Nancy, un contre-monument installé devant une statue de la colonisation algérienne
À Nancy, un contre-monument installé devant une statue de la colonisation algérienne

À Nancy, un contre-monument installé devant une statue de la colonisation algérienne

Update: 2025-11-27
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Que faut-il faire des statues coloniales dans l’espace public ? On en trouve des dizaines en France, souvent installées sur les places des grandes villes. C’est le cas à Nancy, dans le nord-est, où l’on peut encore observer une représentation du sergent Jean-Pierre Hippolyte Blandan, un militaire français mort au combat en 1842 lors de la conquête coloniale de l'Algérie par la France. Début novembre, un contre-monument a été inauguré au pied de cette statue par la ville de Nancy. Une initiative inédite en France qui a deux objectifs : interroger la mémoire de la colonisation française de l’Algérie et apaiser ceux pour qui ce passé reste un traumatisme.

Il a le regard sévère et l’index pointé vers le bas. Du haut de son piédestal, le sergent Blandan domine celui qui le regarde. « Lorsque j’ai vu cette statue pour la première fois, c’était en pleine guerre d’Algérie, en 1957, durant la bataille d’Alger, se remémore Malek Kellou. C’est un personnage qui me faisait extrêmement peur, il était très angoissant ». À cette période, le monument trône depuis 1887 sur une place de Boufarik, à 150 kilomètres de son village natal.

Cette sculpture en bronze a hanté la jeunesse de ce Franco-Algérien. En 1990, il recroise le fantôme de son enfance à Nancy, là où il vit désormais et où la statue a trouvé un point de chute après l’indépendance de l’Algérie en 1962. Immédiatement, les traumatismes ressurgissent. « Ce sont les années de guerre, de déchirement et toutes ces marques de violence que je retrouve ici. Et la statue est représentative de tous ces maux », confie Malek Kellou.

Ce mal, Malek Kellou décide de l’affronter. Réalisateur de formation, il produit l’an dernier un documentaire sur ce militaire français (Mange ton orange et tais-toi !), puis il est associé à la création d’un contre-monument, finalement inauguré le 6 novembre dernier, place de Padoue, à Nancy, où se trouve la statue. Ce contre-monument, appelé « Table de désorientation », est un imposant disque en métal réfléchissant, posé à la verticale à quelques mètres de la représentation du militaire.

Le miroir donne la réplique au sergent Blandan, dont l’action a été largement glorifiée depuis le 19e siècle. « Sa mort n’a pas lieu au cours d’une bataille particulièrement épique, commente Kenza-Marie Safraoui, conservatrice du patrimoine au musée Lorrain de Nancy. Mais cet épisode anecdotique a été utilisé par Thomas Robert Bugeaud, gouverneur général de la France en Algérie, pour faire du sergent Blandan le héros colonial par excellence, le soldat se sacrifiant », complète l’historienne, qui a été associée à la création de cette « Table de désorientation ».

Interroger l’impensé colonial

L’intérêt de ce contre-monument est de proposer un contre-récit. En s’approchant du disque de métal, le passant découvre un texte écrit en français et en arabe qui débute ainsi : « Qui es-tu ? Regardons dans le miroir mal poli de notre mémoire. » L’autrice de ce texte est Dorothée-Myriam Kellou, la fille de Malek. « J’ai écrit une phrase à la fin de ce texte qui dit : “Et toi, lecteur, quelle histoire se reflète en miroir dans ce texte ?”. Il y a une invitation à combler les blancs de l’histoire, penser l’impensé colonial », développe celle qui est également réalisatrice et journaliste.

Un autre objectif de ce contre-monument est de proposer une autre lecture de la colonisation française de l’Algérie, dans l’espace public. Car aujourd’hui, « cette contre-histoire coloniale, nous n’y avons pas accès, reprend Dorothée-Myriam Kellou. C’est un effort d’aller la chercher, parce qu'elle n’a pas été écrite le plus souvent. Donc c’est important, symboliquement, d’avoir créé cet espace de contre-mémoire pour souligner que la France s’est aussi construite sur la colonisation. »

Ce contre-monument n’efface pas les traumatismes de Malek Kellou, ceux de la guerre d’indépendance, mais il contribue à les faire reconnaître après des années passées sous silence. « Je me sens plus apaisé, admet l’octogénaire. On pense avoir trouvé ce qu’il fallait : expliquer encore et encore. On finira par comprendre. Même si ça prend du temps, on y arrivera. » C’est dans les collèges et lycées de Nancy qu’il partage désormais son histoire et celle du sergent Blandan.

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RFI