DiscoverLIMINAIRELa chambre à brouillard, d'Éric Chevillard
La chambre à brouillard, d'Éric Chevillard

La chambre à brouillard, d'Éric Chevillard

Update: 2023-04-21
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Description



La chambre à brouillard est un dispositif utilisé en physique pour visualiser les trajectoires des particules élémentaires. Elle fait apparaître des phénomènes dont l'existence ne saurait être prouvée autrement. Le roman d'Éric Chevillard mélange à loisir les fils d'un récit qui met en scène un personnage, universitaire ou écrivaillon, en quête de son sujet. « Un livre commence, je dois en connaître la fin, même un méchant petit roman. Je suis happé par tous les suspenses, et tout en ce monde est suspendu. » On retrouve dans ce récit d'Éric Chevillard la forme prosodique disparate de ses courts textes, qui fait le charme de son journal poétique de bord, l'autofictif. Un texte jubilatoire et nébuleux, qui oscille du roman noir au burlesque.


La chambre à brouillard, Éric Chevillard, Les éditions de Minuit, 2023.









Extrait du texte à écouter sur Spotify











« Il est temps.

Nous allons aujourd'hui commencer les exercices.

Je dois évaluer les aptitudes de mon élève, savoir si je peux m'appuyer sur quelques acquis, à défaut sur quelques dons naturels, ou si, comme je le redoute, nous partons de zéro.

Zéro disposition.

Zéro compétence.

Et que tout reste à faire.

Je compte au moins sur les réflexes élémentaires.

Rétractation.

Dilatation.

Cela suffira sans doute si je parviens à articuler ma leçon à ce double mouvement.

La menace et la récompense agiront comme déclencheurs.

Il importe que je m'impose rapidement et de façon incontestable comme le maître.

C'est d'abord cette figure altière qu'il me faut incarner pour mon élève.

Une figure qui lui inspire crainte, respect, admiration, amour aussi, et aversion bien sûr, car le bon éducateur doit savoir, quand il le faut et donc également quand il ne le faut pas, s'ériger en contre-exemple, en parfait repoussoir et, quoiqu'il lui en coûte, une fois par jour, fouetter son fils.

Le dégoût et l'effroi obtiennent ce qui se refuse à la flatterie et à la caresse.

Je m'inflige là une grande violence.

Mon cœur est tendre, je répugne par nature à toute forme de coercition.

Je vais donc fouler aux pieds mes principes les plus sacrés en même temps que cet innocent et que cela soit pour la bonne cause n'amoindrit qu'à peine mon remords si cela, en effet, gâche un peu mon plaisir.

Avec quatre de mes vieilles ceintures – c'est donc pour cela que je les conservais, tout s'éclaire ! et baigne même dans une lumière de paradis –, celles-ci reliées par une cordelette passée dans leurs boucles, je me suis confectionné un martinet qui claque bien.


Clac ! (la preuve)


Je constate déjà quelques transformations, certainement dues à ses nouvelles conditions d'existence.

Vont-elles dans le bon sens ? Il est trop tôt pour le dire.

Il reprend des couleurs, incontestablement.

Le mauve, le vert pâle.

Il est aussi moins agité.

J'ai remarqué des traces grasses sur le drap que j'ai étalé au sol.

Du suint ?

Du suif ?

Je ne sais pas.

Aurait-il pris du volume ? C'est l'impression que j'ai, mais il faudra que je le mesure et le pèse plus précisément.

Et pour cela parvenir d'abord à le percevoir plus nettement dans cette pénombre.

Sans doute vais-je devoir fabriquer moi-même les instruments idoines, car je ne possède rien qui fasse l'affaire dans mon outillage.

(Ni dans mon arsenal.)


Et je ne vois pas très bien auprès de quel commerçant me fournir.

Moi qui me croyais équipé pour traiter ou affronter tous les cas de figure ! Je n'aurai pourtant besoin ni de mon oscilloscope ni de mon trébuchet.

C'est un détecteur de particules qu'il me faudrait.

Une chambre à brouillard.

Celle de Wilson ou celle de Langsdorf peut-être me permettraient d'observer ce muon tout à loisir.

À moins que la chambre à bulles de Glaser ne soit mieux indiquée en l'occurrence.

J'hésite.

Ou encore la chambre à étincelles, qui semble promettre une fulgurante élucidation.

C'est le même embarras du choix que dans les grandes surfaces du meuble et de la literie.

Je vais réfléchir.

En parler à ma femme.

Je repasserai.


Commencer par faire place nette sur l'établi.

Mais je garde l'étau.

Il se peut que j'aie à immobiliser le

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La chambre à brouillard, d'Éric Chevillard

La chambre à brouillard, d'Éric Chevillard

Pierre Ménard