Lipanda 2021 : quelle indépendance et pour qui ?
Description
“...[L]e jour glorieux où devant l’histoire, le monde a été témoin du couronnement de la lutte acharnée menée corps et âme par les Pères fondateurs de notre nation, dans le but de permettre l’accession du pays de nos ancêtres à sa souveraineté”. Voici les premières lignes du discours du président Félix Tshisekedi à l’occasion du soixante et unième anniversaire de l’indépendance de la République democratique du Congo, le 30 juin 2021. Mais que signifie l’indépendance du Congo aujourd’hui ?
Bonjour ! Nous sommes le vendredi 2 juillet. Je m’appelle Fred Bauma, et je suis le directeur de recherche du Groupe d'étude sur le Congo, un projet de recherche indépendant basé à l'Université de New York. Vous écoutez le 20e numéro de Po na GEC, notre capsule audio qui tente d’éclairer l’actualité de la RDC.
Chaque année, les Congolais célèbrent la fête du 30 juin, et chaque année, les mêmes discours reviennent dans les discussions : “Nous ne sommes pas réellement indépendants.” “Qu’est-ce que nous avons à fêter ?” “Après 61 ans d’indépendance, avons-nous vraiment su ‘assurer’ la ‘grandeur’ du Congo, comme le dit l’hymne national ?”
Y a-t-il moyen d’améliorer le débat public autour de l’indépendance ?
Ce 30 juin 2021, le Collectif Ekolo--un groupe de jeunes ayant pour but de stimuler la conscience de l’histoire congolaise--a mené une “visite guidée décoloniale” sur le boulevard du même nom, à Kinshasa. Au menu : visite des bâtiments de l’époque coloniale, et récit de l’histoire extractive de la RDC, en commençant par l’Etat indépendant du Congo, en passant par le Congo belge avant d’arriver au Congo postcolonial. Le message : depuis sa naissance, le Congo a toujours été un pays d’où les ressources partent ailleurs ; un pays extraverti, dont les richesses servent les autres pays, en laissant les Congolais pauvres. En effet, à la différence d’autres colonies, le Congo est né comme une colonie “internationale”, du moins en théorie. L’Etat indépendant du Congo--quel nom ironique--était censé être un espace libre pour le commerce international, au lieu d’un site d’extraction lié formellement à un seul pays comme dans d’autres colonies.
C’est ainsi que l’historien Guillaume Nkongolo Funkwa, lors d’une interview récente à l’occasion du 30 juin, a exhorté les dirigeants et les populations congolais à comprendre “pourquoi leur pays est le seul à être soumis sous le statut de colonie internationale, propriété commune des capitalistes mondiaux”. A cette problématique on pourrait ajouter celle évoquée par le critique martiniquais Frantz Fanon, qui, dans son ouvrage Les damnés de la terre, décrivait la façon dont les élites africaines--les bourgeoisies nationales--faisaient souvent cause commune avec les bourgeoisies des métropoles coloniales, au détriment des paysans de leurs propres pays. Double exploitation des Congolais, donc : d’abord par le capital et les puissances internationales, et ensuite par l’élite nationale, en collusion avec ces derniers.
Trois jours avant la fête de l’indépendance cette année, la RDC et le Rwanda ont signé plusieurs accords, dont un qui porte sur la coopération entre les deux pays dans l’exploitation de l’or congolais. Certains observateurs congolais se sont dits révoltés par cet accord, estimant qu’on ne doit pas laisser le raffinage à une société rwandaise : le Congo n’est-il pas capable de raffiner son propre or ? Et sinon, pourquoi ?
Plutôt que d’être simplement des signes de frustration, ce type de questions devrait être au cœur du débat national. A qui les richesses du Congo doivent profiter, et de quelle manière ? Comment les faire profiter davantage à tous les Congolais, plutôt qu’à l’élite ? Pour qui la souveraineté du Congo tant recherchée par les héros de l'indépendance existe-t-elle ? Les paysans ? L'élite ? Voilà d’autres questions qui pourraient animer un débat riche et nuancé sur la signification de l’indépendance du Congo aujourd’hui.
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