Sénèque, De la vie brève, chapitre 3
Update: 2020-01-23
Description
Ainsi n’êtes-vous en droit de reprocher à personne les services que vous avez rendusVous les rendiez moins par le désir d’être avec un autre Que par impuissance de rester avec vous-même
Quand bien même les plus brillants esprits du monde se réuniraient pour méditer sur ce thèmeIls ne pourraient jamais assez s’étonner de cet aveuglement de l’esprit humainAucun homme ne souffre qu’on s’empare de ses propriétés Pour le plus léger différend sur leurs limitesOn fait parler les pierres et les armesEt voilà que beaucoup permettent qu’on empiète sur leur vie On les voit même en livrer d’avance à d’autres la domination pleine et entièreOn ne trouve personne qui partage facilement son argentEt pourtant chacun distribue sa vie à tout venantCeux-là s’appliquent à conserver leur patrimoine Et à la première occasion de perdre leur tempsIls s’en montrent ProdiguesAlors qu’ici seule serait honnête L’avarice
Arrivé à ce point je m’adresserais volontiers à n’importe quel vieillardVous êtes parvenuJe voisAu terme le plus lointain de la vie humaineVous avez cent ans ou plus sur la têteAlors calculez bien l’emploi de votre tempsDites-nous combien vous en ont enlevé un créancierUne maîtresseUn souverain Combien un client vous en a ôtéCombien vos litiges avec votre femmeCombien la punition de vos esclavesEt vos démarches officieuses dans la villeAjoutez les maladies que vos excès ont produitesAjoutez le temps perdu dans l’inaction- et vous verrez que vous avez beaucoup moins d’années que vous n’en comptez
Rappelez-vous combien de fois vous vous êtes perdus dans un projetCombien de jours ont vraiment eu leur utilitéQuels avantages avez-vous retirés de vous-mêmeQuand votre visage a été calme Votre âme intrépideQuels travaux fructueux ont rempli une si longue suite d’annéesCombien d’hommes ont pillé votre existenceSans que vous ayez senti le prix de ce que vous perdiezCombien de temps vous ont volé des chagrins sans objetDes joies sans aucun sensLa convoitise avideLes charmes de la conversation oisiveVous verrez alors combien il vous reste peu du temps qui vous appartenaitEt vous reconnaîtrez que votre mort vient trop tôt
Quelle en est donc la cause Mortels vous vivez comme si vous deviez toujours vivre
Vous ne vous souvenez jamais de la fragilité de votre existenceVous ne remarquez pas combien le temps s’est écouléEt vous le perdez comme s’il venait d’une source débordanteTandis que ce jourQue vous consacrez à une telle autre personneOu à telle affaireEst peut-être le dernier de vos jours
Vos craintes sont celles de mortelsà vos désirs on vous croirait immortels
La plupart des hommes disentA 50 ans je ferai retraite A 60 ans je me démettrai de mes emplois Et qui vous a donné l’assurance d’une vie plus longue Qui permettra que tout se passe comme vous l’organisez N’avez-vous pas honte de ne vous réserver que les restes de votre vieet de destiner à la culture de votre esprit le seul temps qui n’est plus bon à rien N’est-il pas trop tard de commencer à vivre lorsqu’il faut en sortir
Quel oubli insensé de notre condition mortelleQue de remettre à 50 ou 60 ans de sages desseinsEt de vouloir commencer sa vie à une époque de l’existence où peu de personnes peuvent parvenir
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