DiscoverRandevoo پادکست فارسی راندوو
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Randevoo پادکست فارسی راندوو
Author: Mostafa SHALCHI
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Description
راندوو پادکستیه که درون قراره یک رمان فرانسوی رو با هم بخونیم، ترجمه کنیم و اگه لازم شد توضیح بدیم و میتونه به درد کسایی بخوره که زبان فرانسه بلدند، دارند یاد می گیرند یا فقط به زبان فرانسه یا به صورت کلی تر به رمان علاقمندند
38 Episodes
Reverse
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ترجمه شفاهی : مصطفی شالچی
Killing Me Softly With His Song
Al Green - Let's Stay Together
Stand by Me
52.Jour J – 1
Le soleil est inéluctable. Cela ne se voit peut-être pas mais j’ai mis des heures à trouver cette phrase. Les oiseaux piaillent, c’est comme ça que je m’aperçois qu’il fait jour. Même les oiseaux sont amoureux. C’était l’été où les Fugees avaient repris Killing me softly with his song de Roberta Flack et je savais que je m’en souviendrais.
— Tu sais, Marc, que demain ce sera l’anniversaire de nos trois ans ensemble ?
— Chut ! Tais-toi ! On s’en fiche, je ne veux pas le savoir !
— Moi je trouve ça mignon, je ne vois pas pourquoi tu devrais être désagréable.
— Je ne suis pas désagréable, simplement il faut que je travaille.
— Tu veux que je te dise ? Tu es un égoïste prétentieux, tu t’intéresses tellement qu’à toi que ça en devient écœurant.
— Pour pouvoir aimer quelqu’un d’autre, il faut d’abord s’aimer soi-même.
— Ton problème, c’est que tu t’aimes tellement qu’il n’y a plus de place pour personne d’autre !
Elle est partie sur mon scooter, soulevant derrière elle une traînée magique de poussière sur le chemin cahoteux. Je n’ai pas essayé de la rattraper. Quelques heures plus tard, elle est revenue et je lui ai demandé pardon en lui baisant les pieds. Je lui ai promis que nous ferions un barbecue en tête à tête pour fêter notre anniversaire. Les fleurs du jardin étaient jaunes et rouges. Je lui ai demandé :
— Dans combien de temps tu me quitteras ?
— Dans dix kilos.
— Eh ! J’y peux rien si le bonheur fait grossir !
Au même moment, à Paris, un artiste nommé Bruno Richard notait dans son Journal cette phrase : « Le bonheur, c’est le silence du malheur. » Il pouvait mourir tranquille après ça.
Demain cela fera trois ans que je vis avec Alice.
53. Jour J
La dernière journée de l’été est arrivée. La fin des haricots se fait sentir sur les plages de Formentera. Matilda est partie sans laisser d’adresse. Le vent se faufile dans les murets de pierre, et sous les pieds. Le ciel est inexorable. Les domaines du silence s’agrandissent, aux Baléares.
Épicure préconise de s’en tenir au présent, à la plénitude du plaisir simple. Faut-il préférer le plaisir au bonheur ? Plutôt que de se poser la question de la durée d’un amour, profiter de l’instant est-il le meilleur moyen de le prolonger ? Nous serons des amis. Des amis qui se tiennent par la main, qui bronzent en se roulant des patins, s’interpénètrent avec délicatesse contre le mur d’une villa en écoutant Al Green, mais des amis quand même. Une journée splendide a béni notre anniversaire. À la plage nous avons nagé, dormi, heureux de chez Heureux. Le barman italien du petit kiosque m’a reconnu :
— Hello, my friend Marc Marronnier !
Je lui ai répondu :
— Marc Marronnier est mort. Je l’ai tué. À partir de maintenant il n’y a plus que moi ici et moi je m’appelle Frédéric Beigbeder.
Il n’a rien entendu à cause de la musique qu’il diffuse à tue-tête. Nous avons partagé un melon et une glace. J’ai remis ma montre. J’étais enfin devenu moi-même, réconcilié avec la Terre et le temps.
Et le soir est arrivé. Après un détour chez Anselme pour boire un gin-Kas en écoutant le clapotis des vaguelettes contre le ponton, nous sommes rentrés à la casa.
La nuit était éclairée par les étoiles et les bougies. Alice a préparé une salade d’avocat aux tomates. J’ai allumé un bâtonnet d’encens. La radio grésillante diffusait un vieux disque de flamenco. Les côtelettes d’agneau cramaient sur le barbecue. Les lézards se planquaient dans les azulejos. Les grillons ont fermé leur gueule d’un seul coup. Elle s’est assise près de moi en souriant d’émotion. Nous avons bu deux bouteilles de rosé chacun. Trois ans ! Le compte à rebours était terminé ! Ce que je n’avais pas compris, c’est qu’un compte à rebours est un début. À la fin d’un compte à rebours, il y a une fusée qui décolle. Alléluia ! Joie ! Merveille ! Et dire que je m’angoissais comme un con ! Ce qu’il y a de fantastique avec la vie, c’est qu’elle continue. On s’est embrassés lentement, mains jointes sous la lune orange, à l’écoute de l’avenir.
J’ai regardé ma montre : il était 23 h 59. Encore soixante secondes, et nous serions fixés.
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Charles Aznavour - Vivre avec toi
50.Jour J – 3
Avec Alice, nous faisons l’amour moins souvent mais de mieux en mieux. J’effleure ses centimètres carrés favoris. Elle ferme mes yeux. Avant elle jouissait une fois sur deux, maintenant elle jouit une fois par fois. Elle me laisse écrire tout l’après-midi. Pendant que je travaille, elle se dore au soleil sur la plage. Vers six heures du soir, elle revient et je lui prépare une mauresque bien glacée. Puis je vérifie son bronzage intégral. Je trais ses pamplemousses. Elle me suce, puis je l’encule. Ensuite, elle lit ceci par-dessus mon épaule et me demande de supprimer « je l’encule ». J’accepte, j’écris « je la prends », et quand elle s’éloigne je fais un petit « Pomme-Z » sur mon Macintosh. La littérature est à ce prix, l’Histoire des Lettres n’est qu’une longue litanie de trahisons, j’espère qu’elle me pardonnera. Je refuse de finir Tendre est la nuit ; j’ai comme un sinistre pressentiment : à mon avis, cela ne va plus très fort entre Dick Diver et Nicole. J’écoute La Sonate à Kreutzer en songeant au roman éponyme de Tolstoï. L’histoire d’un homme trompé qui tue sa femme. Le violon et le piano de Beethoven lui ont inspiré le couple. Je les écoute se rejoindre, s’interrompre, s’envoler, se quitter, se réconcilier, se fâcher, et enfin s’unir dans le crescendo final. C’est la musique de la vie à deux. Le violon et le piano sont incapables de jouer seuls…
Si notre histoire tourne court, je serai complètement blasé. Jamais je ne pourrai donner autant à quelqu’un d’autre. Finirai-je ma vie en baisant des putes de luxe et des cassettes vidéo ?
Il faut que ça marche.
Il faut que nous parvenions à passer le cap des trois ans. Je change d’avis toutes les secondes.
Peut-être faudrait-il que nous vivions séparés. La vie à deux, c’est trop usant.
Je n’ai pas de tabou ; l’échangisme ne me choque pas. Après tout, quitte à être cocu, autant l’organiser soi-même. L’union libre, c’est cela la solution : un adultère sous contrôle.
Non. Je sais : il faut que nous fassions un enfant, vite !
J’ai peur de moi. Le compte à rebours égrène ses journées de Damoclès. Dans trois jours cela fera trois ans que je vis avec Alice.
51. Jour J – 2
L’erreur est de vouloir une vie immobile. On veut que le temps s’arrête, que l’amour soit éternel, que rien ne meure jamais, pour se prélasser dans une perpétuelle enfance dorlotée. On bâtit des murs pour se protéger et ce sont ces murs qui un jour deviennent une prison.
Maintenant que je vis avec Alice, je ne construis plus de cloisons. Je prends chaque seconde d’elle comme un cadeau. Je m’aperçois qu’on peut être nostalgique du présent. Je vis parfois des moments si merveilleux que je me dis : « Tiens ? Je vais regretter ce moment plus tard : il faut que je n’oublie jamais cet instant, pour pouvoir y repenser quand tout ira mal. » Je découvre que pour rester amoureux, il faut une part d’insaisissable en chacun. Il faut refuser la platitude, ce qui ne veut pas dire s’inventer des soubresauts artificiels et débiles, mais savoir s’étonner devant le miracle de tous les jours. Être généreux, et simple. On est amoureux le jour où l’on met du dentifrice sur une autre brosse à dents que la sienne.
Surtout, j’ai appris que pour être heureux, il faut avoir été très malheureux. Sans apprentissage de la douleur, le bonheur n’est pas solide. L’amour qui dure trois ans est celui qui n’a pas gravi de montagnes ou fréquenté les bas-fonds, celui qui est tombé du ciel tout cuit. L’amour ne dure que si chacun en connaît le prix, et il vaut mieux payer d’avance, sinon on risque de régler l’addition a posteriori. Nous n’avons pas été préparés au bonheur parce que nous n’avons pas été habitués au malheur. Nous avons grandi dans la religion du confort. Il faut savoir qui l’on est et qui l’on aime. Il faut être achevé pour vivre une histoire inachevée.
J’espère que le titre mensonger de ce livre ne vous aura pas trop exaspéré : bien sûr que l’amour ne dure pas trois ans ; je suis heureux de m’être trompé. Ce n’est pas parce que ce livre est publié chez Grasset qu’il dit nécessairement la vérité.
Je ne sais pas ce que le passé me réserve (comme disait Sagan), mais j’avance, dans la terreur émerveillée, car je n’ai pas d’autre choix, j’avance, moins insouciant qu’autrefois, mais j’avance quand même, j’avance malgré, j’avance et je vous jure que c’est beau.
Nous faisons l’amour dans l’eau translucide d’une crique déserte. Nous dansons sous des vérandas. Nous flirtons au bord d’une ruelle mal éclairée en buvant du Marqués de Cáceres. Nous n’arrêtons pas de manger. C’est la vraie vie, enfin. Quand je l’ai demandée en mariage, Alice a eu cette réponse pleine de tendresse, de romantisme, de finesse, de beauté, de douceur et de poésie :
— Non.
Après-demain, cela fera trois ans que je vis avec elle.
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Matilda · Harry Belafonte
48.Jour J – 5
La serveuse en robe dos nu s’appelle Matilda. Elle est booonne. Jean-Georges lui a chanté la chanson de Harry Belafonte : Matilda she take me money and run Venezuela.
Je crois que je pourrais tomber amoureux d’elle si Alice ne me manquait pas autant. Au bar de Ses Roques, nous l’avons invitée à danser. Elle tapait dans ses mains mates, ondulait des hanches, sa chevelure tourbillonnait. Elle avait des poils sous les bras. Jean-Georges lui a demandé :
— Pardon Mademoiselle, nous cherchons un endroit où dormir. Vous n’auriez pas de la place chez vous, por favor ?
Elle portait une fine chaîne en or autour de la taille et une autre autour de la cheville. Malheureusement, Matilda n’a pas pris notre argent et ne s’est pas enfuie au Venezuela. Elle s’est contentée de rouler les joints avec nous, jusqu’à ce qu’on s’endorme à la belle étoile. Ses doigts étaient longs et agiles. Elle léchait le papier à cigarette avec application. Je crois que nous étions tous assez troublés, même elle.
De retour à la Casa, complètement raide, Matilda a saisi ma queue à bras-le-corps. Elle avait, une chatte géante mais musclée qui sentait les vacances. Ses cheveux puaient la sinsemilla. Elle criait si fort que Jean-Georges a rempli sa bouche pour la faire taire ; ensuite nous avons échangé les places avant d’éjaculer en chœur sur ses gros seins fermes. Juste après avoir joui, je me suis réveillé en sueur, mort de soif. Un véritable ermite ne devrait pas trop abuser de ces plantes exotiques.
Dans cinq jours cela fera trois ans que je vis avec Alice.
49.Jour J – 4
L’homme seul redevient préhistorique : au bout de quelques jours il ne se rase plus, ne se lave plus, pousse des grognements. Pour mener l’être humain vers la civilisation, il a fallu quelques millions d’années, alors que le retour au Néandertal prend moins d’une semaine. Ma démarche est de plus en plus simiesque. Je me gratte les testicules, mange mes crottes de nez, me déplace par petits bonds. À l’heure des repas, je me jette en vrac sur la nourriture et la dévore avec les doigts, mélangeant le saucisson et les chewing-gums, les chips au fromage et le chocolat au lait, le coca-cola et le vin. Puis je rote, pète et ronfle. C’est ça, un jeune écrivain français de l’avant-garde.
Alice a débarqué par surprise. Elle a mis ses mains sur mes yeux au marché de la Mola, trois jours avant la date prévue de son arrivée.
— Qui c’est ?
— No sé. Matilda ?
— Salaud !
— Alice !
Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre.
— Ben ça, pour une surprise, c’est une surprise !
J’étais obligé de dire ça ?
— Avoue que tu ne t’y attendais pas, hein ? Et d’abord c’est qui cette Matilda ?
— Oh rien… Une locale que Jean-Georges a branchée hier soir.
Si cela n’est pas le bonheur, en tout cas cela y ressemble d’assez près : nous grignotons du Jabugo sur la plage, l’eau est tiède, Alice est bronzée, cela lui donne les yeux verts. Nous faisons la sieste l’après-midi. Je lèche le sel de mer sur son dos. Nous ne dormons pas tant que ça. Pendant l’amour, Alice m’énumère la liste des garçons qui l’ont suppliée de me quitter à Paris. Je lui narre en détails mon rêve érotique de la veille. Pourquoi toutes les femmes que j’aime ont-elles les pieds froids ?
Jean-Georges et Matilda nous rejoignent pour le dîner. Ils semblent très épris. Ils ont découvert qu’ils avaient tous les deux perdu leur père cette année.
— Mais moi c’est plus grave car je suis une fille, dit Matilda.
— Je déteste les filles amoureuses de leur père, surtout quand il est mort, dit Jean-Georges.
— Les filles qui n’ont jamais été amoureuses de leur père sont frigides ou lesbiennes, précise-je.
Alice et Matilda dansent ensemble, on dirait deux sœurs un peu incestueuses. Nous nous collons à elles. Il fait bon, ça aurait pu dégénérer, on se sépare à regret, mais on se rattrape chacun dans sa chambre.
Avant de m’endormir, j’accomplis enfin un geste révolutionnaire : je retire ma montre. Pour que l’amour dure toujours, il suffit de vivre hors du temps. C’est le monde moderne qui tue l’amour. Si nous nous installions ici ? Rien ne coûte cher ici. Je faxerais des papiers à Paris, je demanderais des à-valoir à plusieurs éditeurs, de temps en temps j’expédierais une campagne de pub par DHL…
Et l’on s’emmerderait à crever.
Bon sang, l’angoisse me reprend. Je sens venir le danger. J’en ai marre d’être moi. J’aimerais bien que quelqu’un me dise de quoi j’ai envie. Il est vrai que, de temps à autre, notre passion devient tendresse. La machination se remettrait-elle en branle ? Il faut repousser les endorphines. Je l’aime et pourtant j’ai peur qu’on s’ennuie. Parfois, nous jouons à être chiants exprès. Elle me dit :
— Bon… Je vais aller faire les courses… À tout à l’heure… Je lui réponds :
— Et après nous irons nous promener…
— Cueillir du romarin…
— Déjeuner sur la plage…
— Acheter les journaux…
— Ne rien faire…
— Ou nous suicider…
— La seule belle mort à Formentera, c’est de tomber de vélo, comme la chanteuse Nico.
Je me dis que si nous plaisantons là-dessus, c’est que la situation n’est pas si grave.
Le suspense augmente. Dans quatre jours cela fera trois ans que je vis avec Alice.
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Joe Dassin - L'été indien (1975)
II.
TROIS ANS PLUS TARD À FORMENTERA
46. Jour J – 7
Casa Le Moult. Me voici à Formentera pour finir ce roman. Ce sera le dernier de la trilogie Marronnier (dans le premier, je tombais amoureux ; dans le second, je me mariais ; dans le troisième, je divorce et retombe amoureux. La boucle est bouclée). On a beau essayer d’innover dans la forme (mots étranges, anglicismes, tournures bizarroïdes, slogans publicitaires, etc.) comme dans le fond (nightclubbing, sexe, drogue, rock’n roll…) on se rend vite compte que tout ce qu’on voudrait, c’est écrire un roman d’amour avec des phrases très simples – bref, ce qu’il y a de plus difficile à faire.
J’écoute le bruit de la mer. Je ralentis enfin. La vitesse empêche d’être soi. Ici les journées ont une durée lisible dans le ciel. Ma vie parisienne n’a pas de ciel. Pondre une accroche, faxer un article, répondre au téléphone, vite, courir de réunion en réunion, déjeuner sur le pouce, vite, vite, se grouiller en scooter pour arriver en retard à un cocktail. Mon existence absurde méritait bien un coup de frein. Se concentrer. Ne faire qu’une seule chose à la fois. Caresser la beauté du silence. Profiter de la lenteur. Entendre le parfum des couleurs. Tous ces trucs que le monde veut nous interdire.
Tout est à refaire. Il faut tout réorganiser dans cette société. Aujourd’hui ceux qui ont de l’argent n’ont pas de temps, et ceux qui ont du temps n’ont pas d’argent. Échapper au travail est aussi difficile qu’échapper au chômage. L’oisif est l’ennemi public numéro un. On attache les gens avec l’argent : ils sacrifient leur liberté pour payer leurs impôts. Il devient de plus en plus évident que l’enjeu du siècle prochain sera de supprimer la dictature de l’entreprise.
Formentera, petite île… Satellite d’Ibiza dans la constellation des Baléares. Formentera, c’est la Corse sans les bombes, Ibiza sans les boîtes, Moustique sans Mick Jagger, Capri sans Hervé Vilard, le Pays basque sans la pluie. Soleil blanc. Promenade en Vespa. Chaleur et poussière. Fleurs desséchées. Mer turquoise. Odeur des pins. Chant des grillons. Lézards trouillards. Moutons qui font mêêê.
— Il n’y a pas de « mais », leur rétorque-je.
Soleil rouge. Gambas a la plancha. Vamos a la playa. Lune orange. Gin con limon. Je cherchais l’apaisement, c’est ici, où il fait trop chaud pour écrire de longues phrases. On peut être en vacances ailleurs que dans le coma. La mer est remplie d’eau. Le ciel bouge sans cesse. Les étoiles filent. Respirer de l’air devrait toujours être une occupation à plein temps.
C’est l’histoire d’un type qui s’enferme tout seul sur une île pour terminer un bouquin qui ne s’appelle pas Paludes. Le type mène une vie de dingue, cela lui fait tout drôle de se retrouver livré à lui-même, dans la nature, sans télévision, ni téléphone. À Paris, il est pressé, joue les dynamiques, ici ne bouge pas de la journée, se promène le soir, toujours seul. Barnabooth à Florence, Byron à Venise, le panda du zoo de Vincennes sont ses modèles. La seule personne à qui il dise bonjour est la serveuse de San Francesco. Le type porte une chemise noire, un Jean
blanc, des Tod’s. Boit des pastis et des gin-limon. Bouffe des chips et des tortillas. N’écoute qu’un seul disque : La Sonate à Kreutzer par Arthur Rubinstein. Hier on l’aurait même aperçu applaudir un but français dans le match France-Espagne, ce qui est de mauvais goût, mais courageux, quand on est le seul Français dans un bistrot, en Espagne, sur un port. Si vous croisiez ce type, vous penseriez sans doute : « Mais que fout ce con de Parisien à la Fonda Pepe hors saison ? » Cela me chagrine un peu, vu que le type en question, c’est moi. Alors, mettez-la un peu en veilleuse, merci. Je suis l’ermite qui sourit au vent tiède.
Dans une semaine cela fera trois ans que je vis avec Alice.
47.Jour J – 6
Bon, d’accord, quand Alice a quitté Antoine, puis quand nous avons déménagé pour vivre ensemble rue Mazarine (la rue où Antoine Blondin est mort), je ne vous cache pas qu’il m’arrivait d’être pris d’angoisse. Le bonheur est bien plus effrayant que le malheur. D’avoir obtenu ce que je désirais le plus au monde me combla de joie, et simultanément, me plongea dans le doute. Referais-je les mêmes erreurs ? N’étais-je qu’un romantique cyclique ? Maintenant qu’elle était là, en voulais-je vraiment ? Deviendrais-je trop tendre ? M’arrivait-il de m’ennuyer avec elle ? Quand est-ce que j’arrêterais de me prendre la tête, bordel de merde ?
Antoine voulait me tuer, la tuer, se tuer. Notre couple se bâtissait sur les cendres d’un double divorce, comme s’il fallait se repaître de deux sacrifices humains pour construire un nouvel amour. Schumpeter appelait cela la « destruction créatrice », mais Schumpeter était économiste, et les économistes sont rarement des sentimentaux. Nous avons détruit deux mariages pour rester unis, tel le blob qui absorbe ses victimes pour s’agrandir. Le bonheur est une chose si monstrueuse que, si vous n’en crevez pas vous-même, il exigera de vous au moins quelques assassinats.
Jean-Georges est venu me rejoindre à Formentera. Ensemble, nous refaisons le monde, puis rendons visite aux poissons sous la mer. Il rédige une pièce de théâtre, et boit donc autant que moi.
Poème à lire en état d’ivresse :
À Formentera
Tu fermenteras.
Nous croisons de vieux couples de hippies défoncés, qui sont restés ensemble, ici, depuis les années soixante. Comment ont-ils fait pour tenir si longtemps ? J’en ai les larmes aux yeux. Je leur achète de l’herbe. Avec Jean-Georges, nous picolons dans les troquets, en jouant au billard. Il me raconte ses amours. Il vient de rencontrer la femme de sa vie, il est heureux, pour la première fois.
— Aimer : nous ne vivons pour rien d’autre, dit-il.
— Et faire des enfants ?
— Pas question ! Donner naissance à quelqu’un dans un monde pareil ? Criminel ! Egoïste ! Narcissique !
— Moi, les femmes, je leur fais mieux qu’un enfant : je leur fais un livre, proclame-je en levant le doigt.
Nous jetons des œillades à la serveuse. Elle est à croquer, porte un boléro, sa peau mate est légèrement duveteuse, grands yeux noirs, se tient cambrée, farouche comme une squaw.
— Elle ressemble à Alice, dis-je. Si je couchais avec elle, je serais quand même fidèle.
Alice est restée à Paris, et viendra me rejoindre ici dans une semaine.
Dans six jours cela fera trois ans que je vis avec elle.
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Dany Brillant - Quand je vois tes yeux
45. Alors
Alors je prends mon stylo pour dire que je l’aime, qu’elle a les plus longs cheveux du monde et que ma vie s’y noie, et si tu trouves ça ridicule pauvre de toi, ses yeux sont pour moi, elle est moi, je suis elle, et quand elle crie je crie aussi et tout ce que je ferai jamais sera pour elle, toujours, toujours je lui donnerai tout et jusqu’à ma mort il n’y aura pas un matin où je me lèverai pour autre chose que pour elle et lui donner envie de m’aimer et embrasser encore et encore ses poignets, ses épaules, ses seins et alors je me suis rendu compte que quand on est amoureux on écrit des phrases qui n’ont pas de fin, on n’a plus le temps de mettre des points, il faut continuer à écrire, écrire, courir plus loin que son cœur, et la phrase ne veut pas s’arrêter, l’amour n’a pas de ponctuation, et des larmes de passion dégoulinent, quand on aime on finit toujours par écrire des choses interminables, quand on aime on finit toujours par se prendre pour Albert Cohen, Alice est venue, Alice a quitté Antoine, elle est partie, enfin, enfin, et nous nous sommes envolés, mentalement et physiquement, nous avons pris le premier avion pour Rome, bien sûr, où d’autre aller, Hôtel d’Angleterre, Piazza Navona, Fontaine de Trevi, vœux éternels, balades en Vespa, quand nous avons demandé des casques le loueur de scooters a tout compris il a répondu il fait trop chaud, amour, amour ininterrompu, trois, quatre, cinq fois par jour, mal à la bite, jamais vous n’avez autant joui, tout recommence, vous n’êtes plus seuls, le ciel est rose, sans toi je n’étais rien, enfin je respire, nous marchons au-dessus des pavés, quelques centimètres plus haut que le sol, personne ne le voit sauf nous, nous sommes sur coussins d’air, nous sourions sans raison aux Romains qui nous prennent pour des mongoliens, des membres d’une secte, la secte de Ceux qui Sourient en Lévitation, tout est devenu si facile maintenant, on met un pas devant l’autre et c’est le bonheur l’amour la vie les tomates-mozarella noyées dans l’huile d’olive les pasta au parmesan, on ne finit jamais les assiettes, trop occupés à se regarder dans les yeux se caresser les mains bander, je crois que nous n’avons pas dormi depuis dix jours, dix mois, dix ans, dix siècles, le soleil sur la plage de Fregene on prend des Polaroid comme celui qu’Anne a trouvé dans son sac à Rio, il suffit de respirer et de te regarder, c’est pour toujours, pour toujours et à jamais, c’est invraisemblable, époustouflant comme la joie de vivre nous étouffe, je n’ai jamais vécu ça, est-ce que tu ressens ce que je ressens ? tu ne pourras jamais m’aimer autant que je t’aime, non c’est moi qui t’aime plus que toi, non c’est moi, non c’est moi, bon c’est nous, c’est si merveilleux de devenir complètement débile, à courir vers la mer, tu étais faite pour moi, comment exprimer quelque chose d’aussi beau avec des mots, c’est comme si, comme si on avait quitté la nuit noire pour entrer dans une lumière éblouissante, comme une montée d’ecstasy qui ne s’arrêterait jamais, comme un mal de ventre qui disparaît, comme la première bouffée d’air que tu inspires après t’être retenu de respirer sous l’eau, comme une réponse unique à toutes les questions, les journées passent comme des minutes, on oublie tout, on naît à chaque seconde, on ne pense à rien de laid, on est dans un présent perpétuel, sensuel, sexuel, adorable, invincible, rien ne peut nous atteindre, on est conscient que la force de cet amour sauvera le monde, oh nous sommes effroyablement heureux, tu montes dans la chambre, attends-moi dans le hall, je reviens tout de suite, et quand tu as pris l’ascenseur j’ai grimpé par l’escalier quatre à quatre, en sortant de l’ascenseur c’est moi qui t’ai ouvert la porte, oh nous avions les larmes aux yeux d’avoir été séparés trois minutes, lorsque tu as croqué dans une pêche bien mûre le jus de fruit dégoulinait sur tes cuisses bronzées oh putain j’ai envie de toi tout le temps, encore et encore, regarde comme je sperme sur ton visage, oh Marc, oh Alice, j’ai un orgasme, c’est looong, c’est fooort, on n’a visité aucun monument de cette ville, ça y est elle est prise d’un fou rire, qu’est-ce que j’ai dit pour que tu ries comme ça, c’est nerveux, j’ai joui si fort je t’adore, mon amour, quel jour sommes-nous ?
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JE T'AIME - LARA FABIAN LIVE
43. Épisode mesquin
Les époux dînent, les amants déjeunent. Si vous apercevez un couple dans un bistrot à midi, essayez un peu de les prendre en photo et vous vous ferez engueuler. Essayez la même chose sur un autre couple, le soir : le couple vous sourira en posant pour votre flash.
Dès son retour de vacances conjugales, Alice m’a rappelé. Après m’être bien mis à sa place, imaginant ce qui se passait dans sa tête, je lui ai proposé froidement de déjeuner en tête à tête.
— J’apporterai un projecteur de diapos.
Elle ne m’a pas trouvé drôle, ce qui tombait bien car je ne cherchais pas à l’être. Dès son arrivée, elle me jure que c’était horrible, me certifie qu’ils n’ont jamais fait l’amour, mais je l’interromps :
— Tout va bien. Je pars ce week-end avec Anne. Nous savons tous que c’est faux, sauf Alice, qui vient de se prendre un Scud en pleine poire.
— Ah.
— Alors, reprends-le-cours-de-la-conversation-je, c’était bien ce voyage ?
Alice me gifle et c’est pourtant elle qui éclate en sanglots. Je collectionne les repas mélodramatiques, ces temps-ci. Coup de chance : nous n’avons pas de voisins de table. Coup de malchance : même Alice s’en va. Le restaurant ne sera plus très animé. Et j’ai beau savourer ma vengeance, « Je demeure seul avec un cœur plein d’aumônes » (Paul Morand), et me remets à boire des hectolitres, jusqu’à ce que je ne tienne plus debout, ni même assis. Encore un déjeuner sans bouffer. La vengeance est un plat qui ne se mange pas.
Ce qui est étonnant, ce n’est pas que notre vie soit une pièce de théâtre, c’est qu’elle comporte si peu de personnages.
44.Correspondance (IV)
Une semaine plus tard.
Dernière lettre à Alice :
« Mon amour,
Ce week-end avec Anne n’a rien donné. N’en parlons plus. Comme toi, je voulais être fixé, être certain d’avoir fait le bon choix. Pardon de t’avoir fait cela. Je voulais aussi que tu sentes à quel point j’ai souffert pendant tes vacances. C’est idiot, je le sais. Parce que tu ne sauras jamais à quel point tu m’as fait mal.
Alice, nous sommes faits l’un pour l’autre. C’est effrayant. Tout est beau avec toi, même moi. Mais j’ai peur de ta peur. Il est insupportable que je ne sois pas le seul homme de ta vie. Je hais ton passé, qui encombre mon avenir. J’aimerais que toute cette douleur serve à quelque chose. Pourquoi ne me fais-tu pas confiance ? Parce que je suis fou ? Ça ne compte pas comme reproche car tu es folle aussi. Tu crois qu’on s’aime uniquement parce que c’est compliqué ? En ce cas il vaut mieux se quitter. Je préfère être malheureux sans toi qu’avec toi.
Notre amour est ineffaçable, il est incompréhensible que tu ne t’en rendes pas compte. Je suis ton futur. Je suis là, j’existe, tu ne peux pas continuer à vivre comme si je n’existais pas. Désolé. Comme disent les Inconnus : "C’est ton Destin".
Nous n’avons pas le droit de fuir le bonheur. La plupart des gens n’ont pas notre chance. Quand ils se plaisent, ils ne tombent pas amoureux. Ou quand ils sont amoureux, ça ne marche pas au lit. Ou quand ça marche au lit, ils n’ont rien à se dire après. Nous, on a passé toutes ces épreuves avec les félicitations du jury, sauf qu’on est recalés puisqu’on n’est pas ensemble.
Ce que nous faisons est impardonnable. Cessons de nous torturer. Il est criminel de ne pas se dépêcher d’être heureux quand on en a enfin l’occasion. Nous sommes des monstres envers nous-mêmes. Allons-nous continuer longtemps comme ça ? Pour faire plaisir à qui ? C’est ignoble de faire autant de peine à soi-même et aux autres, pour rien. Personne ne nous reprochera d’avoir saisi notre chance.
Ceci sera vraiment ma dernière lettre. Je n’en peux plus de jouer au chat et à la souris. Je suis abattu, fourbu, à tes pieds, attendant le coup de grâce. À partir d’un certain niveau de douleur, on perd tout orgueil. Je ne t’écris pas pour te demander de venir ; je t’écris pour te prévenir que je serai toujours là. Un geste de toi et nous fondons un élevage d’autruches. Pas de geste de toi et je suis toujours là, quelque part, sur la même planète que toi, à t’attendre. Je t’aime à la folie, je n’ai envie que de toi, je ne pense qu’à toi, je t’appartiens corps et âme.
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41.Conjectures
Alors il s’est passé une chose terrible : j’ai commencé à garder mes chaussettes pour dormir. Il fallait réagir, sans quoi bientôt je me mettrais à boire ma propre urine. Je me retournais dans mon lit en songeant à ce que m’avait dit Jean-Georges. Et s’il avait raison ? Il fallait rappeler Anne. Après tout, puisque Alice ne voulait pas venir, j’avais peut-être eu tort de divorcer. Tout n’était pas perdu : beaucoup de gens retombent amoureux de leur époux le lendemain du divorce. Tiens : Adeline et Johnny. Non, mauvais exemple. Euh, Liz Taylor et Richard Burton. Pas tellement mieux.
Je pourrais récupérer Anne. Il fallait récupérer Anne. Tout était rattrapable. Nous n’avions pas tout essayé. Nous allions tout essayer. À force de ne pas se parler pour se ménager l’un l’autre, nous nous étions quittés sans rien nous dire. Nous serions ensemble, à nouveau, et ririons bientôt en évoquant notre séparation. Nous en avions vu d’autres.
Non, à la réflexion, nous n’en avions pas vu d’autres. Autrefois les mariages résistaient à ce genre de passades. Aujourd’hui les mariages sont des passades. La société dans laquelle nous sommes nés repose sur l’égoïsme. Les sociologues nomment cela l’individualisme alors qu’il y a un mot plus simple : nous vivons dans la société de la solitude. Il n’y a plus de familles, plus de villages, plus de Dieu. Nos aînés nous ont délivrés de toutes ces oppressions et à la place ils ont allumé la télévision. Nous sommes abandonnés à nous-mêmes, incapables de nous intéresser à quoi que ce soit d’autre que notre nombril.
J’ai tout de même échafaudé un plan. J’espérais ne pas être obligé d’en arriver à cette extrémité mais le départ d’Alice en vacances avec son mari mérite une riposte nucléaire. Cette fois on jette la dignité à la rivière. Mon plan, c’est de rappeler Anne. Je décroche le téléphone avec un sourire que je voudrais machiavélique et qui n’est qu’intimidé.
42. L’émouvant stratagème
— Ça fait combien de temps qu’on ne s’est pas vus ? ai-je demandé à Anne en tirant sur la table du restaurant pour qu’elle puisse s’asseoir sur la banquette.
Avant, nous aimions dîner côte à côte dans cette brasserie, mais avant c’était avant, et ce soir nous dînons face à face. Elle m’observe avec curiosité avant de répondre :
— Quatre mois, une semaine, trois jours, huit heures et (elle dit cela en vérifiant sur sa montre) seize minutes.
— Et quarante-trois secondes, quarante-quatre, quarante-cinq…
Nous commençons par occuper la conversation avec toutes les choses qui permettent d’éviter l’essentiel : nos métiers, nos amis, nos souvenirs. Comme si tout ce qui s’est passé n’avait pas eu lieu. Mais Anne voit bien que je suis malheureux, et ça la rend malheureuse de ne pas en être la cause. Au dessert, énervée, elle m’agresse un peu.
— Bon, tu ne m’as pas invitée à dîner pour qu’on se raconte des histoires de vieux amis. Qu’est-ce que tu veux me dire ?
— Eh bien… Il y a des affaires à toi à la maison, je me demandais si tu voulais venir les récupérer. Et en même temps, on aurait pu en profiter pour passer le week-end ensemble et voir si…
— Hein ? T’es tombé sur la tête ou quoi ? On est divorcés mon vieux ! Je vois très bien que ce n’est pas moi dont tu es amoureux, et puis merde, je ne suis pas un jouet que tu peux trimballer !
— Chut ! Pas si fort…
Je m’adresse à nos voisins de table :
— Nous sommes divorcés, je viens de lui proposer de partir en week-end et elle a refusé. Voilà, ça va, vous savez tout. Vous pouvez arrêter d’écouter maintenant ? Ou alors votre vie avec cette radasse en face de vous est tellement merdique que vous avez besoin d’écouter celle des autres ?
Le voisin se lève, moi aussi, nos femmes nous séparent, bref, il y a de l’action dans ce bouquin. Puis je paie l’addition et nous sortons du restaurant. Dehors, il fait encore plus nuit qu’avant. Dans la rue, nous faisons quelques pas en rigolant. Je lui demande pardon. Elle me dit que ça va. Elle semble accepter cette rupture mieux que moi.
— Marc, il est trop tard. Nous avons atteint un point de non-retour. J’aime quelqu’un, et toi aussi : nous n’avons plus rien à faire ensemble.
— Je sais, je sais, je suis ridicule… Je me disais qu’on aurait pu réessayer… Tu es sûre que tu ne veux pas que je te raccompagne ?
— Je sais, je sais, je suis ridicule… Je me disais qu’on aurait pu réessayer… Tu es sûre que tu ne veux pas que je te raccompagne ?
— Non, merci, je vais prendre ce taxi… Marc, je vais te donner un tuyau pour tes rapports avec tes prochaines femmes. Il faut que tu apprennes à te mettre à leur place.
Et puis soudain, au moment de se séparer, l’émotion monte. Nous retenons nos larmes, mais elles coulent à l’intérieur de nos visages. Son rire d’enfant, je ne l’entendrai plus. Mon successeur en profitera à ma place, s’il la fait rire. Anne est devenue une étrangère. Nous nous quittons pour poursuivre notre chemin, chacun de son côté. Elle monte dans le taxi, je referme doucement la portière, elle me sourit à travers la vitre, et la voiture s’éloigne… Dans un beau film, je me mettrais à courir après le taxi sous la pluie, et nous tomberions dans les bras l’un de l’autre au prochain feu rouge. Ou bien ce serait elle qui changerait d’avis, soudain, et supplierait le chauffeur de s’arrêter, comme Audrey Hepburn/Holly Golightly à la fin de Breakfast at Tiffany’s. Mais nous ne sommes pas dans un film. Nous sommes dans la vie où les taxis roulent.
On quitte d’abord la maison de ses parents, et ensuite, parfois, on quitte la maison de son premier mariage, et c’est toujours la même peine qu’on ressent, celle de se sentir, une fois pour toutes, orphelin.
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Johnny Hallyday - Seul
40.Conversation dans un palace
Jean-Georges ne m’a jamais vu comme ça. Il tente désespérément d’égayer la conversation, comme on tend la main à un naufragé. Nous sommes au bar d’un grand hôtel mais je ne sais même plus lequel car nous les avons tous écumés. Je lui demande :
— Dis, tu crois que l’amour dure trois ans ?
Il me regarde avec pitié.
— Trois ans ? Mais c’est énorme ! Quelle horreur ! Trois jours, c’est amplement suffisant ! Qui t’a mis cette ânerie dans la tête, petit moussaillon ?
— Il paraît que c’est hormonal, enfin, biochimique, quoi… Au bout de trois ans c’est fini, on n’y peut rien. Tu trouves pas ça triste ?
— Non mon toutou. L’amour dure le temps qu’il doit durer, ça m’est égal. Mais si tu veux qu’il dure, je crois qu’il faut apprendre à s’ennuyer bien. Il faut trouver la personne avec qui l’on a envie de s’emmerder. Puisque la passion éternelle n’existe pas, recherchons au moins un ennui agréable.
— Oui, tu as peut-être raison… Tu crois que ça me passera un jour de courir après des apparitions ?
— Oui mon poulet. Tu prends le problème à l’envers. Plus on cherche à être passionné et plus on est déçu quand ça s’arrête. Ce qu’il faut, c’est chercher l’ennui, comme ça tu seras toujours surpris de ne pas te faire chier. La passion ne peut pas être « institutionnelle », c’est l’ennui qui doit être la normale – et la passion une cerise sur le gâteau. Tu sais, la peur de l’ennui…
— … C’est déjà la haine de soi… Je sais, tu me l’as dit et répété… Pff… Quand je vois tous ces couples d’amis qui se détestent, s’ennuient, se trompent, tirent la gueule et restent ensemble juste pour faire durer leur mariage, je ne regrette pas de divorcer… Au moins, moi, je garderai une belle image de mon histoire.
— Ma petite gouape, je te parle pas d’Anne mais d’Alice. Tu fantasmes sur elle alors que tu ne la connais même pas. Voilà, c’est ça ta maladie : tu aimes quelqu’un que tu ne connais pas. Est-ce que tu crois que tu la supporterais si tu devais vivre avec elle ? Pas sûr : ce qui vous excite, c’est de ne pas pouvoir être ensemble. Moi, si j’étais toi, je rappellerais Anne.
— Jean-Georges ?
— Quoi, mon zouzou ?
— Dis pas de conneries. On se reprend deux verres ?
— OK si c’est toi qui raques.
— Jean-Georges, je peux te poser une question ?
— Dis toujours.
— Tu as déjà souffert par amour ?
— Non, tu le sais bien. Je ne suis jamais tombé amoureux. C’est mon grand malheur.
— Parfois je t’envie. Moi, je ne suis jamais resté amoureux, c’est pire.
Son silence m’a fait regretter de lui avoir posé cette question. Un nuage voile ses yeux détournés. Sa voix se fait plus grave :
— Arrête de renverser les rôles, petite frappe. C’est moi qui t’envie, tu le sais très bien. Moi je souffre depuis ma naissance. Tu découvres en ce moment une douleur que j’aimerais bien connaître. Changeons de sujet, si tu veux bien. Et voilà, mon malheur est contagieux. Maintenant on est deux à avoir le blues, nous voilà bien avancés.
— Tu crois que je suis un salaud ?
— Mais non, mais non. Tu fais ton apprentissage, tu n’es qu’un petit amateur, mon chou à la crème. Tu as encore quelques progrès à faire. Par contre…
— Par contre quoi ?
— Par contre, t’es vraiment un gros pédé de la fesse et je vais tout de suite t’attraper par le petit orifice.
Là-dessus ce sagouin m’empoigne et nous roulons par terre en renversant la table, les verres et les fauteuils dans un grand éclat de rire, pendant que le barman cherche frénétiquement dans l’annuaire le téléphone des urgences psychiatriques de l’hôpital Sainte-Anne.
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39. La descente continue
Autant vous prévenir tout de suite : il n’est pas sûr que cette histoire aura une « happy end ». Ces dernières semaines comptent parmi les plus tristes et magnifiques souvenirs de ma vie, et rien ne m’autorise à penser que cette situation ne va pas se prolonger. J’ai beau tenter de forcer le destin, celui-ci n’est pas en pâte à modeler.
La fin du monde a eu lieu la semaine dernière. Alice m’a téléphoné pour me dire qu’elle partait en vacances avec Antoine pour essayer de recoller les morceaux. Cette fois, c’est bien fini. Nous avons raccroché sans même nous dire adieu. Mon amour est Hiroshima. Voyez les dégâts que peut causer la passion ; on en vient presque à citer Marguerite Duras.
Je regarde une mouche qui se cogne contre la fenêtre de ma chambre et je songe qu’elle est comme moi : il y a du verre entre elle et la réalité. Séparée du bonheur par une prison invisible.
La double vie est le luxe des schizophrènes. Alice a le beurre et l’argent du beurre : la passion interdite avec moi, et son petit confort avec son mari. Pourquoi n’avoir qu’une seule vie quand on peut en avoir plusieurs ? Elle change de mec comme on change de chaîne sur le câble (j’espère au moins que je suis « Eurosport »).
C’est fini. C.E.S.T. F.I.N.I. Il est incroyable que je puisse écrire ces huit lettres aussi facilement, alors que je suis incapable de les accepter. Parfois il m’arrive d’avoir des crises de mégalomanie : si elle ne veut pas de moi, m’autopersuadé-je, alors je ne l’aime plus ! Elle n’est pas à ma Hauteur ? Tant pis pour cette conne ! Mais ces sursauts d’orgueil ne durent pas longtemps car je n’ai pas un instinct de survie assez développé.
Je vous prie de m’excuser, les écrivains sont des gens plaintifs, j’espère ne pas trop vous ennuyer avec ma douleur. Écrire, c’est porter plainte. Il n’y a pas une grande différence entre un roman et une réclamation aux PTT. Si je pouvais faire autrement, je ne resterais pas enfermé chez moi à taper à la machine. Mais je n’ai pas le choix ; je ne parviendrai jamais à parler d’autre chose.
Regardez-moi ce que je suis devenu… J’écris le même livre que les autres… Chasses-croisés amoureux… On quitte une femme pour une autre qui ne vient pas… Que m’arrive-t-il ? Où sont mes soirées décadentes ? Je m’enferre dans les problèmes sentimentaux germanopratins… On dirait du jeune cinéma français… L’amour est le problème des gens qui n’ont pas de problèmes… Mais c’est la première fois que je ressens un pareil besoin physique d’écrire…
incapable de les accepter. Parfois il m’arrive d’avoir des crises de mégalomanie : si elle ne veut pas de moi, m’autopersuadé-je, alors je ne l’aime plus ! Elle n’est pas à ma Hauteur ? Tant pis pour cette conne ! Mais ces sursauts d’orgueil ne durent pas longtemps car je n’ai pas un instinct de survie assez développé.
Je vous prie de m’excuser, les écrivains sont des gens plaintifs, j’espère ne pas trop vous ennuyer avec ma douleur. Écrire, c’est porter plainte. Il n’y a pas une grande différence entre un roman et une réclamation aux PTT. Si je pouvais faire autrement, je ne resterais pas enfermé chez moi à taper à la machine. Mais je n’ai pas le choix ; je ne parviendrai jamais à parler d’autre chose.
Regardez-moi ce que je suis devenu… J’écris le même livre que les autres… Chasses-croisés amoureux… On quitte une femme pour une autre qui ne vient pas… Que m’arrive-t-il ? Où sont mes soirées décadentes ? Je m’enferre dans les problèmes sentimentaux germanopratins… On dirait du jeune cinéma français… L’amour est le problème des gens qui n’ont pas de problèmes… Mais c’est la première fois que je ressens un pareil besoin physique d’écrire…
Autrefois quand on me parlait de « nécessité », je faisais semblant de comprendre mais je ne savais rien du tout…
Même cet autodénigrement est une énième protection… (Merci Drieu, merci Nourissier…) Je n’ai rien d’autre à raconter… Fallait que ça sorte un jour… Tant que l’on n’a pas écrit le roman de son divorce on n’a rien écrit… Peut-être n’est-il pas inepte de prendre son cas pour une généralité… Si je suis banal, alors je suis universel… Il faut fuir l’originalité, s’atteler aux sujets éternels… Marre du second degré… Je fais l’apprentissage de la sincérité… Je sens qu’au fond de cette détresse il y a comme une rivière qui coule, et que si je parvenais à faire jaillir cette source, je pourrais rendre service aux « joyeux quelques-uns » qui auraient déjà fréquenté le même genre d’abîme. J’aimerais les prévenir, tout leur expliquer, pour que ce genre de déconvenue ne leur arrive pas. C’est une mission que je m’accorde, et elle m’aide à y voir plus clair. Mais il n’est pas impossible que la rivière demeure à jamais souterraine…
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38.
Correspondance (III)
Quatrième lettre à Alice :
« Chère autruche,
Je pense à toi tout le temps. Je pense à toi le matin, en marchant dans le froid. Je fais exprès de marcher lentement pour pouvoir penser à toi plus longtemps. Je pense à toi le soir, quand tu me manques au milieu des fêtes, où je me saoule pour penser à autre chose qu’à toi, avec l’effet contraire. Je pense à toi quand je te vois et aussi quand je ne te vois pas. J’aimerais tant faire autre chose que penser à toi mais je n’y arrive pas. Si tu connais un truc pour t’oublier, fais-le-moi savoir.
Je viens de passer le pire week-end de ma vie. Jamais personne ne m’a manqué comme ça. Sans toi ma vie est une salle d’attente. Qu’y a-t-il de plus affreux qu’une salle d’attente d’hôpital, avec son éclairage au néon et le linoléum par terre ? Est-ce humain de me faire ça ? En plus, dans ma salle d’attente, je suis seul, il n’y a pas d’autres blessés graves avec du sang qui coule pour me rassurer, ni de magazines sur une table basse pour me distraire, ni de distributeur de tickets numérotés pour espérer que mon attente prendra fin. J’ai très mal au ventre, et personne ne me soigne. Être amoureux, c’est cela : un mal de ventre dont le seul remède, c’est toi.
Alice. J’ignorais que ce prénom prendrait une telle place dans ma vie. J’avais entendu parler du malheur et je ne savais pas qu’il se prénommait Alice. Alice, je t’aime. Deux mots inséparables. Tu ne t’appelles pas Alice, mais "Alice-je-t’aime".
Ton Marc très cafardeux. »
Comme prévu, Alice me rappela le lundi suivant. Elle m’avoua qu’elle était folle de moi, et me promit qu’on ne se quitterait plus jamais. Je la dévêtis doucement dans un appartement prêté par une amie. C’est peu dire que nos retrouvailles furent agréables. Cet après-midi de plaisir pourrait servir de mètre-étalon à Sèvres au rayon « jouissance sexuelle de très haut niveau entre deux êtres humains de sexes complémentaires ». Ensuite, contrairement à sa promesse, elle me quitta vers neuf heures du soir, épuisée, et je me retrouvai de nouveau seul pour aller à la rencontre des heures.
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XXXVI
Free-lance
Je m'installe dans l'attente. Cela a le mérite de me calmer. Je remplis mon Désert des Tartares avec ce que je trouve.
Ainsi, on vient par exemple de me briefer sur une recherche de “signature” pour un lancement de parfum féminin:
Hypnose de David Copperfield, Las Vegas. C'est payé cinquante mille nouveaux francs (la moitié si l'idée n'est pas vendue). Il faut trouver une phrase courte, provocante, forte, qui dise à la fois le bénéfice consommateur et induise
de manière positive la “reason why”. En clair, exprimer que ce parfum va permettre aux femmes (la cible) de séduire les hommes (la cible de la cible) mais pas pour une nuit seulement: pour une passion éternelle et durable, et ce grâce au savoir-faire de son fabricant. Je reviens après une semaine de réflexion et propose cette liste:
Au lieu de vous marier, portez Hypnose de Copperfield.
Hypnose de Copperfield. Ce n'est pas un parfum, c 'est un tour de magie.
Hypnose de Copperfield. Parfum pour ce soir, et demain soir, et tous les autres soirs.
Hypnose de Copperfield. Il cache une histoire d'amour dans un double fond.
Portez Hypnose et laissez agir toute une vie.
Hypnose de Copperfield. Ce parfum est truqué.
Hypnose: le flacon qui rend amnésique.
Hypnose de Copperfield. Après, vous ferez semblant de ne plus vous souvenir.
La réunion se passe très mal. Personne n'est satisfait, pas même moi. Je les écoute, quitte Paris l'après-midi même
pour Verbier (Suisse), une station de sports d'hiver du Valais. De là-bas, au bout de trois semaines de travail, je
faxe le slogan que vous connaissez et qui a fait en une année de ce produit le leader mondial des fragrances
vendues en “food”:
HYPNOSE DE COPPERFIELD. SINON, L’AMOUR DURE TROIS ANS.
XXXVII
Un cynique à l'eau de rose
Je suis assis là, comme tous les soirs, au fond du même café, à chercher une solution. J'ai beau me répéter que je suis mort, je continue tout de même de vivre. J'ai failli mourir souvent: écrasé par une voiture (mais je l'ai évitée de justesse), tombé d'un immeuble (mais je me suis rattrapé aux branches), contaminé par un virus (mais j'ai mis une capote). Quel dommage. Mourir m'aurait pas mal arrangé. Avant ma descente aux enfers, la mort me faisait peur.
Aujourd'hui elle me délivrerait. Je ne parviens même pas à comprendre pourquoi les gens sont si tristes de mourir.
La mort nous réserve plus de surprises que la vie. Désormais j'attends le jour de ma mort avec impatience. Je serais ravi de quitter ce monde et de savoir enfin ce qu'il y a derrière. Ceux qui ont peur de la mort ne sont pas des gens curieux.
Mon problème, c'est que tu es la solution. Ce sont les gens les plus cyniques et les plus pessimistes qui tombent le plus violemment amoureux, car c'est bon pour ce qu'ils ont. Mon cynisme avait hâte d'être démenti. Ceux qui critiquent l'amour sont bien sûr ceux qui en ont le plus besoin: au fond de tout Valmont sommeille un indécrottable romantique qui ne demande qu'à sortir sa mandoline. Et voilà, ça y est, ça recommence, le piège se referme, la machination se met en branle. J'ai de nouveau des envies de grande maison avec jardin ensoleillé, ou bien le chant de la pluie sur le toit en fin de journée, envie de cueillir un bouquet de violettes, main dans la main avec elle, loin de la ville pour faire l'amour encore et encore, jusqu'à en crever de joie, en pleurer de plaisir, caresses pour se consoler d'être si bien ensemble, melon glacé et jambon de Parme, Florence, Milan, s'il y a le temps...
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35. Tendre est la nuit
Depuis que j’ai décidé d’en finir avec la nuit, je sors tous les soirs ; il faut bien faire ses adieux. Cela commence à se savoir que je suis seul. Un célibataire omnisexuel de mon âge, à Paris, en 1995, est aussi difficile à trouver qu’un SDF au Palace Hôtel de Gstaad. Les gens n’ont pas conscience que je suis mort de chagrin, car j’ai toujours été assez maigre, même quand j’allais bien. Je me promène un peu partout, le désespoir en bandoulière. Ce soir, une fois de plus, Alice m’a annoncé qu’elle n’en pouvait plus de mentir à son mari et qu’elle me quittait. Elle me laisse en général tomber le vendredi soir pour ne pas culpabiliser le week-end, puis elle me rappelle le lundi après-midi. J’ai donc téléphoné à Jean-Georges pour lui demander s’il voulait que j’apporte du vin pour son dîner, ou quelque chose pour le dessert.
J’ai décidé de tromper Alice avec sa meilleure amie. Julie ne s’est pas fait prier pour m’accompagner à ce dîner : je lui ai dit que j’allais très très mal et j’ai remarqué qu’aucune femme ne résiste quand le mec de sa meilleure amie lui dit qu’il va très très mal. Cela doit ranimer en elles le sens du devoir, l’infirmière dévouée, la Petite Sœur des Pauvres qui sommeille.
Julie est très sexy, c’est son principal problème. Elle se plaint sans cesse de ce que les garçons ne tombent pas amoureux d’elle. Il est exact qu’ils ont une fâcheuse tendance à vouloir d’abord la basculer n’importe où pour effectuer sur elle une palpation mammaire, voire globale. Ils ne la respectent pas beaucoup mais c’est aussi sa faute – aucune loi ne la contraint à porter toujours des tee-shirts taille huit ans s’arrêtant au-dessus de son nombril percé d’un anneau doré.
— Tu sais, si tu ne cédais pas tout de suite, ils tomberaient amoureux. Les mecs, c’est comme les poivrons. Il faut les faire mariner.
— Tu veux dire que tu me conseilles de faire aux mecs ce qu’Alice te fait ?
Pas si sosotte, la Julie.
— Euh… À la réflexion, non. Sois gentille avec les garçons, il vaut mieux avoir pitié d’eux, ce sont des créatures fragiles.
Jean-Georges a bien fait les choses. Des âmes sereines conversent chez lui en harmonie. L’agressivité est bannie de son domicile, qui regorge pourtant d’artistes célèbres. Des acteurs, des cinéastes, des couturiers, des peintres, et même des artistes qui ne savent pas encore qu’ils en sont. J’ai remarqué que plus les gens sont doués, et plus ils sont gentils. Ce principe est absolu. Avec Julie, nous nous sommes assis sur un sofa pour manger des canapés, et non l’inverse.
— Tu le connais depuis longtemps, ce Jean-Georges ? me demande-t-elle.
— Depuis toujours. Il ne faut pas se fier aux apparences : ce soir il ne va presque pas venir me parler, et pourtant c’est mon meilleur copain, enfin, une des seules personnes de mon sexe dont je supporte la compagnie. Nous sommes comme deux pédés qui ne coucheraient pas ensemble.
— Alors, susurre-elle en se redressant, ce qui exhibe sous mon nez ses deux globes de chair, tu me dis ce qui ne va pas ?
— Alice m’a quitté, ma femme aussi, et ma grand-mère est morte. Je ne savais pas qu’on pouvait se retrouver aussi seul.
Tout en me lamentant, je progresse vers elle sur le divan. Séduire dans une fête consiste essentiellement à réduire les distances. Il faut parvenir à gagner du terrain, centimètre par centimètre, sans que cela se remarque trop. Si vous voyez une fille qui vous plaît, il faut s’en approcher (à 2 mètres). Si elle vous plaît toujours à cette distance, vous vous mettez à lui parler (à 1 mètre). Si elle sourit à vos balivernes, vous l’invitez à danser ou à boire un verre (à 50 centimètres). Vous vous asseyez ensuite à ses côtés (à 30 centimètres). Dès que ses yeux brilleront il faudra soigneusement ranger une mèche de ses cheveux derrière son oreille (à 15 centimètres). Si elle se laisse recoiffer, parlez-lui d’un peu plus près (à 8 centimètres). Si elle respire plus fort,
collez vos lèvres sur les siennes (à 0 centimètre). Le but de toute cette stratégie est évidemment d’obtenir une distance négative due à la pénétration d’un corps étranger à l’intérieur de cette personne (à environ moins 12 centimètres en moyenne nationale).
— Je suis malheureux comme la pierre, reprends-je donc en réduisant l’écart qui me sépare de l’irréparable. Non, plus malheureux qu’une pierre, car personne ne quitte une pierre, et que les pierres ne meurent pas.
— Mouais, c’est dur… Tu flippes, quoi.
Je commence à me demander ce qu’Alice lui trouve, à cette ravissante idiote. On a dû mal me renseigner. Ce ne peut pas être sa meilleure amie. Je continue néanmoins mon numéro.
— Enfin… Il n’y a pas d’écrivain heureux… Je n’ai que ce que je mérite.
— Ah bon ? Pourquoi ? Tu écris des livres ? Je croyais que tu organisais des fêtes ?
— Euh… Oui, c’est vrai, mais j’ai publié, ma foi, bon an mal an, quelques textes de-ci, de-là, cahin-caha, dis-je en regardant mes ongles. Voyage au Bout du N’importe Quoi, tu en as peut-être entendu parler ?
— Euh…
— Eh bien, c’est de moi. Je suis aussi l’auteur de L’Insoutenable Inutilité de l’Être et je prépare en ce moment Les Souffrances du jeune Marronnier…
— Elle est quand ta prochaine fête ? Tu m’enverras une invitation, hein ?
Certaines filles ont un tel regard de vache que vous avez soudain l’impression d’être un train de campagne. Mais il faut que je me force, si je sors avec elle Alice en crèvera, il faut tenir, coûte que coûte.
— Julie, tu sais, le principal intérêt du divorce, c’est qu’il permet de se laver les mains sans accrocher du savon au doigt…
— Ah oui ? Pourquoi ?
— Ben, à cause de l’alliance.
— Ah… d’accord… T’es un marrant, toi.
— Tu as un fiancé en ce moment ?
— Non. Enfin, oui, plusieurs. Mais aucun de sérieux.
— Oui, comme moi.
— Mais non, toi tu es amoureux d’Alice.
— Oui, oui, mais c’est plus compliqué que ça. Je pense que mon problème, c’est que je tombe amoureux, mais n’arrive pas à le rester.
À cet instant précis, je me situe à une distance millimétrique de sa bouche « ourlée ». Je me demande s’il n’y a pas un peu de collagène dans sa lèvre supérieure. Je suis sur le point de conclure lorsqu’elle tourne le visage et me tend la joue. Veste.
Suffit. Assez de salades. Je me lève et l’abandonne sur son sofa. Pauvre créature, je comprends pourquoi les mecs la traitent comme un rasoir Bic. De toute façon, même si je sautais cette nana devant toi, Alice, tu t’en ficherais complètement (au contraire : ça t’exciterait). Je n’aime que toi, il va bien falloir que tu l’admettes, même si tu ne veux rien changer à ta vie. Il y a dans ta ville un mec qui t’aime et qui souffre, que tu le veuilles ou non. Te répéter cela sera ma meilleure façon de te faire céder. Je serai ton amant patient, torture calme, tentation immobile. Appelle-moi Tantale.
Quelques heures plus tard, tandis que je feuilletais une vieille édition de poche de Tendre est la nuit sur le carrelage de la cuisine, Julie flirtait avec un père et son fils, déclenchant une belle baston familiale. Je me pris encore une sacrée cuite ce week-end-là. Nous ne sommes pas sortis de chez Jean-Georges pendant trois jours. Uniquement nourris de Chipsters et de Four Roses. Nous n’avons écouté qu’un seul disque : Rubber Soul des Beatles. À un moment, il me semble bien que Julien a composé une chanson au piano. Moi, je ne me relevais toutes les trois heures que pour me remettre à boire, car, on a beau dire, le meilleur moyen de ne pas regretter quelque chose reste de l’oublier.
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متن
34.
La théorie de l’éternel retour
Quand je les informe de ma rupture, mes parents (divorcés en 1972) tentent de me raisonner. « Tu es sûr ? » « Ce n’est pas rattrapable ? » « Réfléchis bien… » La psychanalyse a eu une influence considérable dans les années soixante ; cela explique sans doute pourquoi mes parents sont persuadés que tout est de leur faute. Ils sont beaucoup plus inquiets que moi : du coup je ne leur mentionne même pas Alice. Une catastrophe à la fois, c’est suffisant. Je leur explique calmement que l’amour dure trois ans. Ils protestent, chacun à leur façon, mais ne sont guère convaincants. Le leur n’a pas duré tellement plus longtemps. Je suis époustouflé de les sentir revivre leur histoire à travers la mienne. Je n’en reviens pas que mes parents aient autant espéré, pensé, et finalement cru que je serais différent d’eux.
Nous sommes sur Terre pour revivre les mêmes événements que nos parents, dans le même ordre, comme eux ont commis les mêmes erreurs que leurs parents à eux, et ainsi de suite. Mais ce n’est pas grave. Ce qui est bien pire, c’est quand, soi-même, on refait les mêmes conneries continuellement. Or c’est mon cas.
Je retombe dans la même ornière, tous les trois ans. Sans cesse je revis un perpétuel déjà-vu. Ma vie radote. Je dois être programmé en boucle, comme un compact-disc quand on enfonce la touche « Repeat ». (J’aime bien me comparer à des machines, car les machines sont faciles à réparer.) Ce n’est pas du comique de répétition, mais un cauchemar bien réel : imaginez une montagne russe atroce avec des loopings écœurants et des chutes vertigineuses. Vous vous laissez embarquer une fois et cela vous suffit. Vous descendez du manège en vous écriant : « Ouh lala ! J’ai failli vomir ma barbapapa trois fois, on ne m’y reprendra plus ! » Eh bien moi, on m’y reprend. Je suis abonné au Toboggan Infernal. Le Space Mountain, c’est ma maison.
Je viens enfin de comprendre la phrase de Camus : « Il faut imaginer Sisyphe heureux. »
Il voulait dire qu’on répète toute sa vie les mêmes bêtises mais que c’est peut-être cela, le bonheur. Il va falloir que je m’accroche à cette idée. Aimer mon malheur car il est fertile en rebondissements.
Un rêve. Je pousse mon rocher boulevard Saint-Germain. Je le gare en double file. Un agent de police me demande de circuler sinon il verbalisera mon rocher. Je suis obligé de le déplacer et tout d’un coup il m’échappe, il se met à descendre la rue Saint-Benoît en roulant de plus en plus vite. J’en ai perdu tout contrôle : il faut dire qu’il pèse tout de même six tonnes, ce bloc de granit. Arrivé au coin de la rue Jacob, il emplafonne une petite voiture de sport. Ouille ! Le capot, la portière et le minet qui conduisait sont écrabouillés. Je dois remplir le constat avec sa veuve sexy en larmes. Je lui mords l’épaule. À la ligne « immatriculation », j’inscris : « S.I.S.Y.P.H.E. » (modèle d’occasion). Et je remonte la rue Bonaparte en poussant mon rocher, suant sang et eau, centimètre par centimètre, pour enfin le laisser au parking Saint-Germain-des-Prés. Demain, le même cirque recommence. Et il faudrait m’imaginer heureux.
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33. L’impossible dé-cristallisation
Il faudrait tout de même que je vous raconte comment je suis mort. Vous vous souvenez de La Fureur de vivre avec James Dean ? Dans ce film, une bande de jeunes crétins s’amuse à foncer tout droit en voiture vers un précipice. Ils appellent cela le « chicken run » (la « course des dégonflés »). Leur jeu consiste à freiner le plus tard possible. Celui qui freine en dernier est le plus viril du groupe. Disons que la grosseur de son kiki est proportionnelle au laps de temps qu’il va laisser s’écouler avant de freiner. Evidemment, ça ne loupe pas, l’un des idiots termine sa course en bas de la falaise, dans une Chevrolet transformée en compression de César. Eh bien, Alice et moi, plus nous avancions dans notre aventure, plus nous nous apercevions que nous étions comme ces rebelles sans cause. Nous accélérions vers un précipice, pied au plancher. Je ne savais pas encore que c’était moi le crétin qui freinerait trop tard.
Quand on mène une double vie, la règle de base, c’est de ne pas tomber amoureux. On se voit en secret, pour le plaisir, pour l’évasion, pour le frisson. On se croit héroïque à peu de frais. Mais jamais de sentiments là-dedans ! Il ne faut pas tout mélanger. On finirait par confondre le plaisir avec l’amour. On risquerait d’avoir du mal à s’y retrouver.
Si Alice et moi sommes tombés dans ce piège, c’est pour une simple raison : faire l’amour est tellement plus agréable quand on est amoureux. Cela donne aux femmes l’impression que les préliminaires durent plus longtemps, et aux hommes l’impression qu’ils passent plus vite. C’est cela qui nous a perdus. Nous avions des goûts de luxe.
Nous avons joué la comédie du romantisme, uniquement pour jouir plus fort. Et nous avons fini par y croire. Rien de plus efficace que la méthode Coué en amour : quel dommage qu’elle ne fonctionne que dans un seul sens. Une fois qu’on a cristallisé, il est trop tard pour revenir en arrière. On pensait jouer, et c’était vrai, mais on jouait avec le feu. On flottait déjà dans le vide du précipice, comme ces personnages de dessins animés qui regardent le spectateur, puis le vide sous leurs pieds, puis de nouveau le spectateur, avant de chuter définitivement. « That’s all folks ! »
Je me souviens que, quand Anne et moi étions séparés, quelles que soient les fêtes où je mettais les pieds, je ne rencontrais plus que des gens qui me demandaient d’un air faux où était Anne, que devenait Anne, pourquoi elle était pas là Anne, et comment elle allait Anne en ce moment ? Je leur répondais, au choix :
— Elle bosse tard en ce moment.
— Ah bon ? Elle n’est pas là ? Justement je la cherchais, j’ai rendez-vous avec ma femme.
— Entre nous, elle a bien fait de ne pas venir dans cette soirée de merde : j’aurais dû l’écouter, elle a un sixième sens pour détecter les mauvais plans, ah, pardon, c’est toi qui organises…
— Anne ? On est en procédure de divorce ! Ha ha ! Je plaisante.
— Elle bosse vraiment trop en ce moment.
— Tout va bien : j’ai la permission de minuit.
— Partie en séminaire de travail avec l’équipe de football du Congo.
— Anne ? Anne comment ? Marronnier ? Quelle coïncidence, une fille qui porte le même nom que moi !
— Anne est à l’hôpital… Un accident atroce… Entre deux hurlements de douleur insoutenables, elle m’a supplié de rester avec elle, mais je ne voulais pas louper cette sympathique soirée. Exquis, ces œufs de saumon vous ne trouvez pas ?
— D’un autre côté, avec ce qu’elle bosse, je vais bientôt être bourré de fric.
— Le mariage est une institution qui n’est pas au point.
— Où est Alice ?
— Où est Alice ? Vous connaissez Alice ? Vous n’auriez pas vu Alice ? Vous croyez qu’Alice va venir ?
En revanche, chaque fois que j’entendais le mot « Alice » prononcé quelque part, c’était comme un coup de poignard.
— Chers amis, auriez-vous l’obligeance de ne plus prononcer ce prénom en ma présence, s’il vous plaît ?
Merci d’avance,
Moi.
Le paradis, c’est les autres, mais il ne faut pas en abuser. J’entendais de plus en plus de médisances sur Anne et moi. Bien sûr, je faisais une croix sur celles qui couraient sur mon propre compte : elles avaient toujours couru déjà bien avant que d’être vraies. Je n’avais jamais été dupe de la jalousie mondaine et de la superficialité des noctambules, mais là, s’attaquer à Anne, j’en fus presque dégoûté. Moi, si je sortais le soir, c’était pour ralentir ma vie, parce que je ne supportais pas que l’existence puisse s’arrêter à huit heures du soir. Je voulais voler des heures d’existence aux couche-tôt. Mais cette fois, c’en était trop. Je ne sortirais plus. Je réalisais que je haïssais tous ces gens qui se nourrissaient de mon malheur. Moi aussi, j’avais été comme eux, un charognard. Mais ça suffisait : ils ne me faisaient plus rire. Cette fois, je voulais saisir ma chance, autant que possible. Ils devraient se passer de moi. Je démissionnai des magazines où j’écrivais des chroniques mondaines.
Adieu, mes faux amis du Tout-Paris, vous ne me manquerez pas. Poursuivez sans moi votre lente putréfaction, je ne vous en veux pas, au contraire, je vous plains. Le voilà, le grand drame de notre société : même les riches ne font plus envie. Ils sont gros, moches et vulgaires, leurs femmes sont liftées, ils vont en prison, leurs enfants se droguent, ils ont des goûts de ploucs, ils posent pour Gala.
Les riches d’aujourd’hui ont oublié que l’argent est un moyen, non une fin. Ils ne savent plus quoi en faire. Au moins, quand on est pauvre, on peut se dire qu’avec du fric tout s’arrangerait. Mais quand on est riche, on ne peut pas se dire qu’avec une nouvelle baraque dans le Midi, une autre voiture de sport, une paire de pompes à douze mille balles ou un mannequin supplémentaire, tout s’arrangerait. Quand on est riche, on n’a plus d’excuses. C’est pour ça que tous les milliardaires sont sous Prozac : parce qu’ils ne font plus rêver personne, pas même eux.
Écrire sur la nuit était un cercle vicieux dont j’étais prisonnier. Je me bourrais la gueule pour raconter la dernière fois où je m’étais bourré la gueule. C’est fini, affrontons désormais le jour. Voyons voir, quels articles de journaux pourrait bien écrire un parasite au chômage ? Imaginez le comte Dracula en plein jour : quel métier ferait-il ? En quoi se recyclent les sangsues ?
Et c’est ainsi que je suis devenu critique littéraire.
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32.
Je sais pas
Il y eut beaucoup de rendez-vous clandestins place Dauphine. Beaucoup de dîners planqués chez Paul ou au Delfino. D’innombrables heures volées aux après-midi à l’hôtel Henri-IV. À force, le réceptionniste nous connaissait si bien qu’il nous épargnait son sourire complice et la question fatidique : « Pas de bagages, Messieurs-Dames ? » car notre chambre était réservée au mois. La chambre 32. Elle sentait l’amour quand nous la quittions.
Entre les orgasmes, je ne pouvais m’empêcher de l’interroger.
— Bon sang, Alice, je t’aime de la plante des pieds jusqu’à la pointe des cheveux. Où est-ce qu’on va comme ça ?
— Je sais pas.
— Tu crois que tu vas le quitter, Antoine ?
— Je sais pas.
— Tu veux qu’on vive ensemble ?
— Je sais pas.
— Tu préfères qu’on reste amants ?
— Je sais pas.
— Mais qu’est-ce qu’on va devenir bordel ?
— Je sais pas.
Pourquoi tu dis tout le temps « Je sais pas » ?
— Je sais pas.
J’étais trop rationnel. « Je sais pas » était une phrase que j’allais entendre souvent, je sentais que j’avais plutôt intérêt à m’y habituer.
Pourtant il m’arrivait de perdre tout sang-froid :
— Quitte-le ! QUITTE-LE !
— Arrête ! ARRÊTE DE ME LE DEMANDER !
— Divorce comme moi, MERDE !
— Jamais de la vie. Tu me fais trop peur, je te l’ai toujours dit. Notre amour est beau car il est impossible, tu le sais très bien. Le jour où je serai disponible, tu ne seras plus amoureux de moi.
— FAUX ! FAUX ! ARCHI-FAUX !
Mais au fond de moi-même, je craignais qu’elle ne dise vrai. J’étais fou d’elle parce qu’elle m’échappait. Les sourds et les malentendants dialoguaient mieux que nous.
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31.
L’amant divorcé
Aujourd’hui j’évite la place Dauphine, sauf quand je suis suffisamment cassé pour l’affronter, comme ce soir par exemple, où je suis assis sur notre banc, par pur masochisme. Le Pont-Neuf est éclairé par les bateaux-mouches. Nous avons presque été amants du Pont-Neuf, à quelques mètres près. J’ai froid et je t’attends. Six mois se sont écoulés depuis notre premier baiser ici, mais j’ai toujours rendez-vous avec toi. Jamais je n’aurais pensé pouvoir finir dans un tel état. Il doit y avoir un châtiment là-dessous, je dois expier quelque chose, c’est ça, sinon je ne vois pas pourquoi on m’infligerait pareilles épreuves. Je sanglote au réveil, je pleurniche quand je me couche, et, entre les deux, je m’apitoie. Je voulais être Laclos et je me retrouve en plein Musset. L’amour est incompréhensible.
Quand on le voit chez les autres on est incapable de le comprendre, et encore moins quand il vous arrive. À vingt ans j’étais encore capable de contrôler mes émotions mais aujourd’hui je ne décide plus de rien. Ce qui me peine le plus, c’est de voir à quel point mon amour pour Alice a remplacé celui que j’éprouvais pour Anne, comme si les deux histoires étaient des vases communicants. Je suis horrifié d’avoir si peu hésité. Il n’y aura pas eu de vaudeville, pas de dilemme entre la « légitime » et l’amante, simplement un être qui prend la place d’un autre, en douceur, sans faire de scandale, comme si on entrait dans mon cerveau sur la pointe des pieds. Ne peut-on pas aimer quelqu’un au détriment de personne ? C’est certainement ce crime que je paye maintenant… Oui, c’est étrange, je suis place Dauphine et pourtant c’est à toi, Anne, mon ex-femme, que je pense…
Peut-être, Anne, peut-être un jour, plus tard, beaucoup plus tard, nous croiserons-nous dans un lieu éclairé ; avec du monde autour, avec des arbres, un rayon de soleil, je ne sais pas moi, des oiseaux qui chanteront comme le jour de notre mariage, et au milieu du brouhaha nous nous reconnaîtrons et songerons avec nostalgie au temps passé, celui de nos vingt ans, celui de nos premiers espoirs, celui des grandes déceptions, le temps où nous avons rêvé, où nous avons embrassé le Ciel, avant qu’il ne nous tombe sur la tête, parce que ce temps-là, Anne, ce temps-là nous appartient et que personne ne pourra jamais nous le voler. On l’appelle : Adolescence.
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29.
Régime dépressif
Être seul est devenu une maladie honteuse. Pourquoi tout le monde fuit-il la solitude ? Parce qu’elle oblige à penser. De nos jours, Descartes n’écrirait plus : « Je pense donc je suis. » Il dirait : « Je suis seul donc je pense. » Personne ne veut la solitude, car elle laisse trop de temps pour réfléchir. Or plus on pense, plus on est intelligent, donc plus on est triste.
Je pense que rien n’existe. Je ne crois plus en rien. Je ne me sers à rien. Ma vie ne m’est d’aucune utilité. Qu’y a-t-il ce soir sur le câble ?
Seule bonne nouvelle : le malheur fait maigrir. Personne ne mentionne ce régime-là, qui est pourtant le plus efficace de tous. La Dépression Amincissante. Vous pesez quelques kilos de trop ? Divorcez, tombez amoureux de quelqu’un qui ne vous aime pas, vivez seul et ressassez votre tristesse à longueur de journée. Votre surcharge pondérale aura tôt fait de disparaître comme neige au soleil. Vous retrouverez un corps svelte, dont vous pourrez profiter – si vous en réchappez.
Quel dommage que je sois amoureux, je ne peux même pas profiter de mon célibat nouveau. Quand j’étais étudiant, j’adorais être seul. Je trouvais que toutes les femmes étaient belles. « Il n’y a pas de femmes moches, il n’y a que des verres de vodka trop
etits », avais-je coutume de répéter. Ce n’étaient pas seulement des propos d’alcoolique en herbe, je le pensais vraiment. « Toutes les femmes ont quelque chose, il suffit d’un silence amusé, d’un soupir distrait, d’une cheville qui frétille, d’une mèche de cheveux rebelle. Même le pire boudin recèle un trésor caché. Même Mimie Mathy, si ça se trouve, elle fait des trucs spéciaux ! » Alors j’éclatais de mon rire sonore, celui que j’utilise pour ponctuer mes propres blagues, celui d’avant que je ne découvre la vraie solitude.
Désormais, quand j’ai bu des alcools délayés, je marmonne seul, comme un clochard. Je vais me branler dans une cabine de projections vidéo, 88 rue Saint-Denis. Je zappe entre 124 films pornos. Un mec suce un Noir de 30 cm. Zap. Une fille attachée reçoit de la cire sur la langue et des décharges électriques sur sa chatte rasée. Zap. Une fausse blonde siliconée avale une bonne gorgée de sperme. Zap. Un mec cagoulé perce les tétons d’une Hollandaise qui hurle « Yes, Master ». Zap. Une jeune amatrice inexpérimentée se fait enfoncer un godemiché dans l’anus et un dans le vagin. Zap. Triple éjac faciale sur deux lesbiennes avec pinces à linge sur les seins et le clitoris. Zap. Une obèse enceinte. Zap. Double fist-fucking. Zap. Pipi dans la bouche d’une Thaïlandaise encordée. Zap. Merde, je n’ai plus de pièces de 10 francs et je n’ai pas joui, trop ivre pour y arriver. Je parle tout haut dans le sex-shop en faisant des moulinets avec les bras. J’achète une bouteille de
poppers. Je voudrais être copain avec ces ivrognes de la rue Saint-Denis qui crient en titubant que les plus belles femmes du monde étaient à leurs pieds, dans le temps. Mais ceux-ci ne m’acceptent pas dans leur confrérie : ils ont plutôt envie de me casser la gueule, histoire de m’apprendre ce que c’est que de souffrir pour de vraies raisons. Alors je rentre chez moi en rampant, le visage inondé de poppers renversé,
puant des pieds de la gueule, cela fait des années que je n’ai pas été aussi saoul, avec une atroce envie de dégueuler et de chier en même temps, impossible de faire les deux à la fois, il va falloir choisir. Je choisis d’évacuer d’abord ma diarrhée, assis sur les WC, un coulis infect éclabousse la faïence en schlinguant, mais soudain l’envie de gerber est trop forte, je me retourne pour vomir une bile acide qui m’arrache la gueule dans la cuvette, à quatre pattes cul nu dans l’odeur de désinfectant, et voici que la chiasse me reprend à toute force et je finis par projeter un litre de merde liquide pestilentielle sur la porte en chialant et en appelant ma mère.
30.
Correspondance (II)
La troisième lettre fut la bonne. Merci la Poste ; le téléphone, le fax ou Internet ne surpasseront jamais en beauté romanesque le bon vieux danger de la liaison épistolaire.
« Chère Alice,
Je t’attendrai tous les soirs à sept heures, sur un banc, place Dauphine. Viens ou ne viens pas, mais j’y serai, tous les soirs, dès ce soir.
Marc. »
Je t’ai attendue lundi, sous la pluie. Je t’ai attendue mardi, sous la pluie. Mercredi il n’a pas plu, tu es venue. (On dirait une chanson d’Yves Duteil.)
— Tu es venue ?
— Oui, on dirait.
— Pourquoi tu n’es pas venue lundi et mardi ?
— Il pleuvait…
— Je ne sais pas ce qui me retient de… t’offrir un téléphone portable.
Tu as souri. Fantômette cachée derrière une chevelure annonciatrice de plaisirs abscons. Manga au visage clair avec des lèvres qui me souriaient sans peser le pour et le contre. J’ai pris ta main comme un objet précieux. Puis il y a eu un silence gêné de circonstance, que j’ai voulu briser :
— Alice, je crois que c’est grave…
Mais tu m’en as empêché :
— Chut…
Puis tu t’es penchée pour m’embrasser les lèvres. Pas possible, je ne rêvais pas ? Quelque chose d’aussi délicat pouvait encore m’arriver ? J’ai voulu parler à nouveau :
— Alice, il est encore temps de reculer, vite, parce qu’après, il sera trop tard et moi, je vais t’aimer très fort, et tu ne me connais pas, je deviens très pénible
le pour et le contre. J’ai pris ta main comme un objet précieux. Puis il y a eu un silence gêné de circonstance, que j’ai voulu briser :
— Alice, je crois que c’est grave…
Mais tu m’en as empêché :
— Chut…
Puis tu t’es penchée pour m’embrasser les lèvres. Pas possible, je ne rêvais pas ? Quelque chose d’aussi délicat pouvait encore m’arriver ? J’ai voulu parler à nouveau :
— Alice, il est encore temps de reculer, vite, parce qu’après, il sera trop tard et moi, je vais t’aimer très fort, et tu ne me connais pas, je deviens très pénible dans ces cas-là…
Mais cette fois c’est ta langue qui m’a interrompu et tous les violons de tous les plus beaux films d’amour crachent un misérable grincement à côté de la symphonie qui résonna dans ma tête.
Et si vous me trouvez ridicule, je vous emmerde.
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27.
Correspondance (I)
Première lettre à Alice :
« Chère Alice,
Tu es merveilleuse. Je ne vois pas pourquoi, sous prétexte que tu t’appelles Alice, personne ne pourrait te dire que tu es une merveille.
J’ai la tête qui tourne. On devrait interdire aux femmes comme toi de se rendre aux enterrements de mes grand-mères. Pardon pour ce petit mot. C’était ma seule chance de rester près de toi ce week-end,
Marc. »
Aucune réponse.
Seconde lettre à Alice :
« Alice,
Dis donc, tu ne serais pas la femme de ma vie, toi, tout de même ?
Tu dis que tu as peur. Et moi, alors, qu’est-ce que je devrais dire ? Tu crois que je joue alors que je n’ai jamais été plus sérieux.
Je ne sais pas quoi faire. Je voudrais te voir mais je sais qu’il ne faut pas. Hier soir j’ai accompli mon devoir conjugal en pensant à toi. C’est ignoble. Tu as dérangé ma vie, je ne veux pas déranger la tienne. Ceci sera ma dernière lettre mais je ne t’oublierai pas tout de suite.
Marc. »
Post-scriptum : « Quand on ment, qu’on dit à une femme qu’on l’aime, on peut croire qu’on ment, mais quelque chose nous a poussé à le lui dire, par conséquent c’est vrai. » (Raymond Radiguet)
Aucune réponse. Ce ne fut pas ma dernière lettre.
28.
Le fond du gouffre
Salut, c’est encore moi, le mort-vivant des beaux quartiers.
J’aurais aimé n’être que mélancolique, c’est élégant ; au lieu de quoi je balance entre liquéfaction et déliquescence. Je suis un zombie qui hurle à la mort d’être toujours en vie. Le seul remède contre ma migraine serait un Aspégic 1000 mais je ne peux pas en prendre car j’ai trop mal à l’estomac. Si seulement je touchais le fond ! Mais non. Je descends, toujours plus bas, et il n’y a pas de fond pour rebondir.
Je traverse la ville de part en part. Je viens regarder l’immeuble où tu vis avec Antoine. Je croyais t’avoir draguée par jeu, et voici que je me retrouve errant devant ta porte, le souffle coupé. L’amour est source de problèmes respiratoires.
Les lumières de votre appartement sont allumées. Peut-être dînes-tu, ou regardes-tu la télé, ou écoutes-tu de la musique en pensant à moi, ou sans penser à moi, ou alors peut-être que tu… que vous… Non, pitié, dis-moi que tu ne fais pas ça. Je saigne debout dans ta rue, devant chez toi, mais il n’y a pas de sang qui sort, c’est une hémorragie interne, une noyade en plein air. Les passants me dévisagent ; mais qui est ce type qui vient tous les jours contempler la façade de cet immeuble ? Y aurait-il un magnifique détail architectural qui nous aurait échappé ? Ou bien ce jeune mal rasé, aux cheveux ébouriffés, serait-il un nouveau SDF ? « Chérie, regarde : il y a des SDF en veste Agnès B, dans notre quartier. » « Tais-toi imbécile, tu vois bien que c’est un dealer de jeunes ! »
Le mai le si laid mois de mai. Avec ses ponts qui n’en finissent pas : Fête du Travail, Anniversaire du 8 mai 1945, Ascension, Pentecôte. Les longs week-ends sans Alice s’additionnent. Terrible privation organisée par l’État et la religion catholique, comme pour me punir de leur avoir désobéi à tous les deux. Stage intensif de souffrance.
Rien ne m’intéresse plus à part Alice. Elle prend toute la place. Aller au cinéma, manger, écrire, lire, dormir, danser la techno, travailler, toutes ces occupations qui constituaient ma vie d’abruti à quatre patates par mois sont désormais sans saveur. Alice a décoloré l’univers. Tout d’un coup j’ai 16 ans. J’ai même acheté son parfum pour le respirer en pensant à elle, mais ce n’était plus son odeur adorable de peau amoureuse brune endormie longues jambes ravissante minceur aux cheveux de sirène alanguie. On n’enferme pas tout cela dans un flacon.
Au XXe siècle, l’amour est un téléphone qui ne sonne pas. Après-midi entiers à guetter chaque bruit de pas dans l’escalier, comme autant de fausses joies absurdes puisque tu as annulé le rendez-vous vers midi, précipitamment, sur notre messagerie secrète. Encore une histoire d’adultère qui a mal tourné ? Eh oui, ce n’est pas très original, désolé ; je n’y peux rien si c’est tout de même la chose la plus grave qui me soit jamais arrivée. Ceci est le livre d’un enfant gâté, dédié à tous les étourdis trop purs pour vivre heureux. Le livre de ceux qui ont le mauvais rôle et que personne ne plaint. Le livre de ceux qui ne devraient pas souffrir d’une séparation qu’ils ont eux-mêmes provoquée et qui souffrent tout de même, d’une douleur d’autant plus irréparable qu’ils s’en savent les uniques responsables.
Car l’amour ce n’est pas seulement : souffrir ou faire souffrir. Cela peut aussi être les deux.
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26. فصل رابطهٔ جنسی - قسمت دوم
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Notre génération est extrêmement mal éduquée sur le plan sexuel. On croit tout savoir, parce qu’on est bombardé de films hard et que nos parents ont soi-disant fait la révolution sexuelle. Mais tout le monde sait que la révolution sexuelle n’a pas eu lieu.
Sur le sexe comme sur le mariage, rien n’a bougé d’un millimètre depuis un siècle. On approchait l’an 2000 et les mœurs étaient les mêmes qu’au XIXe – et plutôt moins modernes qu’au XVIIIe. Les mecs étaient machos, maladroits, timides, et les filles étaient pudiques, mal à l’aise, complexées à l’idée de passer pour des nymphomanes. La preuve que notre génération est nulle sexuellement, c’est le succès des émissions qui parlent de cul à la radio et à la télé, et l’infime pourcentage de jeunes qui mettent un préservatif pour faire l’amour. Cela atteste bien qu’ils sont incapables d’en parler normalement. Alors imaginez, si les jeunes sont mauvais, a fortiori, les jeunes bourgeois… Une catastrophe.
lice, elle, n’a pas fréquenté ces cercles pourris. Elle considère le sexe, non comme une obligation, mais comme un jeu dont il convient de découvrir les règles avant, éventuellement, de les modifier. Elle n’a aucun tabou, collectionne les fantasmes, veut tout explorer. Avec elle, j’ai rattrapé trente années de retard. Elle m’a appris à caresser. Les femmes, il faut les effleurer du bout des doigts, les frôler avec la pointe de la langue ; comment aurais-je pu le deviner si personne ne me l’avait dit ? J’ai découvert qu’on pouvait faire l’amour dans un tas d’endroits (un parking, un ascenseur, des toilettes de boîtes de nuit, des toilettes de train, des toilettes d’avion, et même ailleurs que dans les toilettes, dans l’herbe, dans l’eau, au soleil) avec toutes sortes d’accessoires
(sados, masos, fruits, légumes) et dans toutes sortes de positions (sens dessus dessous, sans dessous dessus, à plusieurs, attaché, attachant, flagellant de Séville, jardinier des Supplices, distributeur de jus de couilles, pompe à essence, avaleuse de serpents, domina démoniaque, 3615 Nibs, gang-bang gratos aux Chandelles). Pour elle, je suis devenu plus qu’hétéro, homo ou bisexuel : je suis devenu omnisexuel. Pourquoi se limiter ?
Je veux bien baiser des animaux, des insectes, des fleurs, des algues, des bibelots, des meubles, des étoiles, tout ce qui voudra bien de nous. Je me suis même trouvé une étonnante capacité à inventer des histoires plus abracadabrantes les unes que les autres rien que pour les lui susurrer dans le creux de
’oreille pendant l’acte. Un jour, j’en publierai un recueil qui choquera ceux qui me connaissent mal (Nouvelles sous ecstasy). En fait, je suis devenu un authentique obsédé pervers polymorphe, bref, un bon vivant. Je ne vois pas pourquoi seuls les vieillards auraient le droit d’être libidineux.
En résumé, si une histoire de cul peut devenir une histoire d’amour, l’inverse est très rare.
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26. فصل رابطهٔ جنسی
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26.
Chapitre très sexe
Il faut bien en venir à l’essentiel, à savoir le sexe. La plupart des bêcheuses de mon milieu sont persuadées que faire l’amour consiste à s’allonger sur le dos avec un abruti en smoking qui s’agite par-dessus, saoul comme une barrique, avant d’éjaculer en leur for intérieur et de se mettre à ronfler. Leur éducation sexuelle s’est faite dans les rallyes snobinards, les clubs privés chic, les discothèques de Saint-Tropez, en compagnie des plus mauvais coups de la terre : les fils-à-papa. Le problème sexuel des fils-à-papa, c’est qu’ils ont été habitués dès leur plus tendre enfance à tout recevoir sans rien donner. Ce n’est même pas une question d’égoïsme (les mecs sont tous égoïstes au lit), c’est juste que personne ne leur a jamais expliqué qu’il y avait une différence entre une fille et une Porsche. (Quand on abîme la fille, papa ne vient pas te gronder.)
Dieu merci, Anne ne faisait pas partie de cet extrême, mais elle n’était pas spécialement portée sur la chose. Notre plus grand délire sexuel eut lieu pendant notre voyage de noces, à Goa, après avoir fumé du datura. Giclage, bourrage, mouillage, spermage. Il nous fallait cette fumée pour nous décoincer sous la mousson épaisse. Mais bon, ce sommet ne fut qu’une exception hallucinée : d’ailleurs j’étais tellement épris pendant ce voyage que je l’ai même laissée me battre au ping-pong, c’est dire si je n’étais pas dans mon état normal. Oui, Anne, je te l’apprends ici même, si tu lis ce livre : pendant notre voyage de noces, j’ai fait exprès de perdre au ping-pong, OK ? ?
Le sexe est une loterie : deux personnes peuvent adorer ça séparément, et ne pas prendre leur pied ensemble. On pense que cela peut évoluer, mais ça n’évolue pas. C’est une question d’épiderme, c’est-à-dire une injustice (comme toutes les choses qui ont trait à la peau : le racisme, le délit de faciès, l’acné…).
En outre notre tendresse ne faisait qu’aggraver les choses. En amour la situation devient réellement inquiétante quand on passe du film classé X au babillage. À partir du moment où l’on cesse de dire : « je vais te baiser la bouche, espèce de petite pute » pour dire : « mon gnougnou d’amour chérie mimi trognon fais-moi un guili poutou », il y a lieu de tirer la sonnette d’alarme. On le voit très vite : même les voix muent au bout de quelques mois de vie commune. Le gros macho viril à la voix de stentor se met à parler comme un bambin sur les genoux de sa maman. La vamp fatale au ton rauque devient fillette mielleuse qui confond son mari avec un chaton. Notre amour fut vaincu par des intonations.
Et puis il y a ce monstrueux concept refroidisseur, le plus puissant somnifère jamais inventé : le Devoir Conjugal. Un ou deux jours sans baiser : pas grave, on n’en parle pas. Mais au bout de quatre ou cinq jours, l’angoisse du Devoir devient un sujet de conversation. Une autre semaine sans faire l’amour et tout le monde se demande ce qui se passe, et le plaisir devient une obligation, une corvée, il suffit que tu laisses encore une semaine s’écouler sans rien faire et la pression deviendra insoutenable, tu finiras par te branler dans la salle de bains devant des bédés pornos pour pouvoir bander, ce sera le fiasco garanti, le contraire du désir, voilà, c’est ça le Devoir Conjugal.
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موسیو شالچی عزیز عزیز لطفا ادامه دهید . مقسی بکوو
مچکرم 🌸💘🌸🌺
سلام بسیار مچکرم
Merci beaucoup
بسیار متشکرم عالی بود❤️🙏
پادکستر عزیز، پادکست شما در گروه " دنیای زبان " پادکست استور معرفی شد. https://t.me/ziipodcaststore پادکست استور حامی پادکست هاست. (برای دیدن ادامه این کامنت اینجا 👆 ضربه بزنید) در صورت اشتباه در ارائه اطلاعات مانند لینک پادکست یا نام پادکستر ما را از طریق پشتیبانی پادکست استور در تلگرام مطلع کنید. در ضمن شما دعوت هستید به دو گروه پادکستر ها https://t.me/ziiPcreationguide و شنوندگان https://t.me/ziicastboxLguide #پادکست #پادکستاستور....
دم شما گرم. دم شما خیلی گرم. منتظریم
چقدر خوب چفت کردین آخر اپیزود رو با اون آهنگ زییا
✨️❣️
mais parfois ça me rendre triste:( منم سوسک دارم انگار
j'aime ce roman et aussi votre voix🌱
La Rua Madureira Song by Bon Entendeur and Nino Ferrer
ممنون ازتون .
ممنونم آقای شالچی واقعا عالی بود
مرسی جناب شالچی تا اینجا ( اپیزود ۱۵) بهره بردیم ترجمه تون واقعا خوبه که کار بسیار پر مشقت و زمان بریه، اگه بشه حضوریم ملاقاتتون کنم که عالی میشه
خدا قوت جناب شالچی بزرگوار قرار بود ا بیگانه البرکامو کار کنید و ما همچنان منتظریم مرسی از زحماتتون
مشابه این پادکست برای زبان انگلیسی داریم؟
چقدر زیبا صحبت میکنین🦋🌌
C'est parfait👌
عالی 🩵