Japon: Rehausser le plafond des heures supplémentaires «mettrait en danger les salariés»
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Au Japon, la nouvelle Première ministre, Sanae Takaichi, a déclenché une véritable tempête. Elle qui est ultralibérale sur le plan économique exige que les Japonais travaillent davantage. Elle a donc ordonné que l'on rehausse, voire que l'on supprime, le plafond maximal d'heures supplémentaires exigibles des salariés. Actuellement, il est fixé à 45 heures par mois ou 300 par an – contre 220 seulement en France, à titre de comparaison. Sauf que, tous les ans, d'innombrables Japonais sont victimes du surtravail. Jusqu'à en mourir, souvent.
De notre correspondant à Tokyo,
Il y a dix ans, Matsuri Takahashi s'est suicidée. Le soir de Noël, cette jeune fille de 24 ans s'est jetée du toit de l'immeuble où elle habitait, épuisée physiquement et nerveusement, car son employeur l'avait contrainte à faire une centaine d'heures supplémentaires. Depuis, une loi portant son nom limite le nombre maximal d'heures de ce type que l'on peut exiger des salariés. C'est ce dispositif que la Première ministre veut abroger ou, à tout le moins, considérablement assouplir.
Cela désespère Yukimi Takahashi, la mère de Matsuri: « Le plafond des heures supplémentaires ne peut pas être haussé, et encore moins supprimé. Cela mettrait en danger des millions de salariés. Ce serait donc irresponsable, voire criminel. Mais enfin, le gouvernement a-t-il donc oublié ce qui est arrivé à ma fille ? Elle est morte pour rien, tuée par son travail et son employeur. Dix ans ont beau avoir passé, je m'en veux toujours énormément de ne pas avoir pu lui venir en aide, à l'époque. C'était une jeune fille admirable. Radieuse, aussi, jusqu'à ce qu'elle commence à travailler. Mais ensuite, elle a été détruite, broyée, anéantie. Pourquoi ? C'est terrible. Elle me manque tellement. »
Les sondages indiquent que seuls 6% des Japonais souhaitent travailler plus. Ces salariés tokyoïtes, en tout cas, ne sont pas demandeurs :
- « Assouplir la loi, donner plus de libertés aux employeurs, ça augmenterait la pression qui pèse sur les salariés et les oblige à se dépenser sans compter pour leur entreprise, explique cette employée. Pour nous, ce serait encore plus difficile de refuser de travailler jusqu'à la déraison. »
- « À la fin des années 1980, comme tous mes collègues, je ne rentrais du boulot qu'à 23 heures, se remémore cet autre employé. Mais, depuis, les entreprises ont fait des efforts pour humaniser les rythmes de travail. Cela paraît la moindre des choses, donc, selon moi, il n'y a pas à revenir en arrière. »
- « Moi, je veux profiter à fond de ma jeunesse: ma priorité, dans la vie, ce sont mes relations sociales et mes loisirs, pas le travail. Du coup, continuer à en faire le moins possible au bureau, ça me convient très bien. »
– « Je fais énormément d'heures supplémentaires, cela m'épuise mais je n'ai pas le choix: si je refusais, ce serait considéré comme un manque de dévouement à mon employeur, donc cela nuirait à ma carrière. »
Chaque année, plusieurs dizaines de Japonais meurent d'avoir trop travaillé: ils sont victimes, par exemple, d'un AVC ou d'un infarctus fatal survenu au bureau. L'an dernier, plus de 200 salariés se sont aussi suicidés ou ont tenté de mettre fin à leurs jours car ils n'en pouvaient plus sur le plan professionnel.
Enfin, on a dénombré près de 4 000 demandes d'indemnisation pour de graves problèmes de santé mentale liés au travail. C'est trois fois plus qu'il y a quinze ans.
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