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Ça fait débat avec Wathi
Author: RFI
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Description
Toutes les semaines, RFI s’arrête sur les grands dossiers africains avec le laboratoire d’idées Wathi. Trois minutes pour se poser, examiner les enjeux et les solutions, en s’appuyant sur les débats citoyens initiés par ce groupe de réflexion. Une chronique présentée par Alexis Guilleux.
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C’est la dernière de « Ça fait débat avec Wathi », après près de cinq ans de présence hebdomadaire à cette antenne. Oui, toute chose a une fin et c’est avec une réelle émotion que Gilles Yabi dit au revoir aux nombreux fidèles de ce rendez-vous inauguré le 9 novembre 2019. 230 chroniques, une très grande diversité de sujets de réflexion concernant des pays d’Afrique de l’Ouest, du Centre et des autres régions du continent africain. Mais aussi un regard ouest-africain sur l’actualité internationale. Une actualité extrêmement chargée, dominée par un enchaînement de crises au cours des cinq dernières années. La pandémie du coronavirus en 2020 bien sûr et tout ce qu’elle a révélé, confirmé et bouleversé dans la marche du monde, le départ chaotique des troupes américaines d’Afghanistan en 2021 et les leçons dérangeantes qu’il a fallu enfin tirer sur les choix des grandes puissances au gré des intérêts fluctuants de leurs décideurs au fil du temps. La guerre du Tigré en Éthiopie de 2020 à 2022 avec un épouvantable bilan humain et des crimes de masse toujours impunis. Depuis 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie et ses multiples conséquences sur les pays africains. Depuis avril 2023, une nouvelle guerre au Soudan qui n’en finit pas de détruire ce pays au cœur du continent et de fragiliser tous ses voisins. Et depuis octobre 2023, la guerre sans aucune limite d’Israël à Gaza en réponse à l’attaque terroriste du Hamas et son extension aujourd’hui au Liban et même à l’Iran. Mais la majorité de nos rendez-vous ont surtout été consacrés au décryptage des évolutions politiques et sécuritaires en Afrique de l’Ouest, malheureusement négatives au cours de ces dernières années.Oui, on aurait voulu proposer une balance plus équilibrée entre des sujets positifs mettant en valeur les progrès réels dans différents secteurs économiques, technologiques, sociaux et culturels. Ou encore la myriade d’initiatives individuelles et collectives qui changent la vie de milliers ou de millions de personnes dans les pays africains. Mais il était indispensable, moralement indispensable, de regarder en face la réalité de la montée de la violence, de l’insécurité et de la fascination pour la guerre, de ne pas ignorer les signes palpables de la capture de l’État par des groupes au pouvoir même dans des pays prétendument démocratiques, de fermer les yeux sur le retour à la loi du plus fort, du plus cynique. Cela se traduisant par des disparitions forcées, des arrestations arbitraires et des condamnations abusives par des institutions judiciaires décrédibilisées. Il aurait été irresponsable de ne rien dire de ce que pourraient devenir une grande partie de l’Afrique de l’Ouest, et d’ailleurs de l’Afrique centrale aussi dans quelques années. Cela si de nouvelles raisons d’espérer une vie plaisante et valorisante n’étaient pas vite offertes à des dizaines de millions de jeunes et d’enfants ultra-majoritaires partout. En tant que plateforme de réflexion et de débat public, nous sommes avant tout ancrés dans la réalité, tenus par une exigence de lucidité dans notre regard sur notre partie du monde telle qu’elle est, sur toutes les parties du monde telles qu’elles sont et sur les perspectives que tout cela dessine. « Ça fait débat avec Wathi »sur RFI s’arrête, mais le travail de Wathi se poursuit bien sûr sur toutes vos plateformes Absolument, ce rendez-vous – fruit d’une collaboration informelle entre Wathi et RFI sans aucune dimension financière - a permis de refléter une partie de nos publications, de nos tables rondes, de nos dialogues. Ce travail se poursuit et continuera à s’amplifier à partir du site internet, de la chaîne YouTube, de nos pages sur les principaux réseaux sociaux, accessibles à toutes et à tous. À très bientôt donc ! ► Pour aller plus loinLes chroniques Ça fait débat sur RFI depuis 2019 : Le site internet de WATHI :
Au Bénin, un code électoral bien étrange et un malaise politique profond... Wathi a organisé le 10 octobre dernier une table ronde virtuelle sur les « Réformes électorales et perspectives politiques au Bénin », l’occasion d’examiner les réformes du cadre électoral et des réformes institutionnelles de manière générale mises en œuvre sous la présidence de Patrice Talon Oui, ce fut l’occasion aussi de se projeter dans les prochains mois alors que des élections communales, législatives et présidentielle prévues en 2026 sont déjà dans toutes les têtes. (L’exercice a d’abord permis de mieux connaître et faire connaître les nouvelles dispositions du code électoral modifié en mars 2024, des dispositions d’une telle complexité que beaucoup de citoyens sont perdus).Ce code électoral durcit considérablement les conditions de candidature à la présidentielle et d’obtention de sièges de députés. Pour être éligibles, les candidats à la présidence et à la vice-présidence devront avoir le parrainage d’un nombre de députés et/ou de maires correspondant à au moins 15% de l’ensemble des députés et des maires et provenant de 3/5ème des circonscriptions électorales législatives. Et un député ou un maire ne pourra parrainer qu’un candidat membre ou désigné du parti sur la liste duquel il a été élu. (Un député ou maire ne pourra parrainer un candidat issu d’un autre parti qu’en cas de signature d’un accord de gouvernance conclu avant l’élection).Ce sera par ailleurs difficile pour les partis politiques d’avoir le moindre député puisque seuls pourront obtenir des députés les partis dont les listes ont recueilli au moins 20% des suffrages exprimés dans les 24 circonscriptions électorales législatives. Ce seuil de 20% dans toutes les circonscriptions pour qu’un parti puisse obtenir le moindre poste de député est un record mondial.Pour le pouvoir en place, ce code électoral est cohérent avec l’objectif assumé de structurer le champ politique autour de grands partis en nombre très limitéOui, c’est le point de vue défendu par un de nos invités, Malick Gomina, député issu d’un des deux partis soutenant le président Talon à l’Assemblée nationale du Bénin, qui explique que « les réformes ont conduit à une réduction significative du nombre de partis politiques, passant de plus de 200 à une dizaine. Cette transformation vise à simplifier le paysage politique et à favoriser une gouvernance plus stable ». Il fallait selon lui corriger le système partisan dans son fonctionnement.Sans surprise, le point de vue de Nathaniel Hinnougnon Kitti, enseignant-chercheur en science politique à l’université d’Abomey-Calavi mais aussi vice-président du principal parti d’opposition « Les démocrates » , est très différent. Il estime que les réformes introduites depuis l'arrivée de Patrice Talon au pouvoir ont contribué à dégrader la démocratie. Ce point de vue est plutôt partagé par les deux autres invités, qui ne sont pas des acteurs politiques, Maryse Glèlè Ahanhanzo, coordinatrice nationale de WANEP-Benin, réseau de la société civile pour l’édification de la paix en Afrique de l’Ouest et Expédit Ologou, Président du Civic Academy for Africa’s future (CIAAF), un think tank béninois.La principale recommandation est la relecture du code électoral perçue comme un facteur de crise potentiellement graveTout à fait et cela traduit un malaise beaucoup plus profond. C’est la paix, la stabilité politique, la cohésion nationale et l’avenir des libertés individuelles qui sont en jeu. Maryse Glélé Ahanhanzo a demandé avec gravité aux acteurs politiques de « prendre un tout petit en compte l’intérêt des populations du Bénin » ainsi que l’ouverture d’un dialogue sur le code électoral et les conditions des futures élections. Expédit Ologou a résumé sa recommandation en un mot : Talon, le nom du président. Il faut, dit-il, « encourager, inciter le président Talon à dialoguer », et il ne faut pas faire de la question de l’après 2026 une question taboue parce que les perspectives de paix au Bénin en dépendent. Malheureusement, cela signifie que les institutions du pays qui a inauguré les conférences nationales des années 1990 en Afrique se sont considérablement affaiblies.► Pour aller plus loin :Réformes électorales et perspectives politiques au Bénin, table ronde virtuelle, Wathi et Fondation Konrad Adenauer :
L’année scolaire 2024-2025 a commencé début octobre dans un grand nombre de pays d’Afrique de l’Ouest. Wathi a organisé le 1er octobre une table ronde sur « Les innovations dans le secteur éducatif au Sénégal : les apports du secteur privé et des ONG ». Oui, cette table ronde s’inscrivait dans une série d’événements en ligne et en présentiel de Wathi sur les questions d’éducation depuis le début de l’année, en partenariat avec l’ambassade d’Irlande au Sénégal. Ce pays européen vécut l’expérience de la colonisation presque aussi récemment que les pays africains et fut il y a encore quelques décennies un pays pauvre avec une forte émigration. Comme tous les pays qui ont significativement amélioré les conditions de vie de leurs populations, l’Irlande a beaucoup investi dans son système d’éducation et de formation, avec une attention particulière à l’égalité d’accès entre garçons et filles, à l’enseignement des sciences et des technologies et aux innovations. Nous considérons que toutes les expériences sur tous les continents peuvent et doivent nous inspirer. S’inspirer ne signifie pas copier et reproduire à l’identique. En choisissant le thème des innovations portées par le secteur privé de l’enseignement et les organisations non gouvernementales, nous voulions encourager un partage de connaissances entre les écoles privées qui ont plus de flexibilité dans leurs approches pédagogiques, dans leur manière de passer des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être et le secteur public qui accueille le plus grand nombre d’écoliers, d’élèves et d’étudiants. La place du numérique, les changements nécessaires dans la manière d’enseigner aux enfants de la génération actuelle, les implications du développement de l’intelligence artificielle, les conditions d’enseignement précaires dans les zones rurales et même dans des quartiers d’une ville comme Dakar, tout cela a été abordé lors des échanges...Tout à fait, des échanges passionnants grâce à l’expérience et à l’engagement de nos invités qui ont partagé leurs inquiétudes quant au rythme beaucoup trop lent des changements du système éducatif sénégalais dans le contexte d’un pays extrêmement jeune, et de l’observation d’une impréparation d’une majorité de jeunes diplômés aux exigences du marché du travail et d’un entrepreneuriat digne de ce nom.Yasmine Sy, Directrice académique du groupe SupDeco Dakar, une école de commerce, Sandrine Lemare qui dirige la Soft Skills Academy de l'Institut supérieur de management (ISM), ont souligné le besoin de donner plus d’importance à ces compétences douces transversales qui manquent beaucoup aux jeunes, la connaissance de soi, de sa culture et de son environnement, la curiosité, la créativité, l’engagement pour la communauté… Il est évident que les groupes privés en particulier au niveau supérieur ont beaucoup plus les moyens d’introduire des innovations que les établissements publics. Mais là aussi, il ne s’agit pas de copier et de répliquer mais de s’inspirer de ce qui se fait de prometteur dans un espace donné pour imaginer des solutions plus frugales dans un espace plus large, celui de l’enseignement public. Il ne faut pas perdre de vue des défis majeurs comme le contrôle et la régulation des écoles privées et les conditions matérielles encore très précaires de nombre d’établissements publics et même privés...Tout à fait. Mamadou Cissé, qui préside l'Union nationale des écoles privées laïques du Sénégal, a témoigné de l’absence de fait d’un contrôle effectif de la qualité des apprentissages dans les établissements privés, hors de l’enseignement supérieur. Les plus de 5000 écoles privées dûment enregistrées sont très rarement contrôlées par des inspecteurs de l’éducation nationale, en nombre largement insuffisant. Des centaines d’écoles privées n’ont par ailleurs aucune existence légale et font passer les examens nationaux à leurs élèves sous le couvert d’écoles enregistrées. Abdou Sarr, formateur au sein de ARED, Associates in Research and Education for Development, une ONG qui a développé une expertise reconnue dans l’introduction des langues nationales sénégalaises dans le système éducatif, à travers la production de manuels adaptés, a insisté sur l’implication nécessaire et légitime de toutes les catégories de la société, dans la définition du type d’école que l’on veut pour le pays. C’est précisément l’objectif que nous poursuivons en organisant ce type de rencontres. ► Pour aller plus loin - Sénégal : appel à une synergie pour réformer le système éducatif- Éducation privée au Sénégal / Avec un faible taux de scolarisation : Plus de 5 000 établissements autorisés- Renforcement et transformation des systèmes éducatifs en Afrique de l’Ouest, page dédiée sur le site de Wathi
Ça fait débat avec Wathi, comme chaque dimanche sur RFI avec vous Gilles Yabi. Vous avez modéré, au nom de Wathi, un forum régional de la Banque mondiale sur la reconstitution des ressources de l’Association internationale de développement qui s’est tenu en juillet dernier à Cotonou. Alors que les assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI se tiennent fin octobre à Washington DC, vous nous expliquez en quoi consiste cette Association internationale pour le développement. Oui, l’Association internationale de développement, plus connue sous son acronyme IDA (International Development Association), représente la principale source de financement de la Banque mondiale pour les 75 pays les plus pauvres de la planète. 39 se trouvent en Afrique. Les ressources de l’IDA sont allouées aux différents pays sous forme de dons et de prêts à taux d’intérêt réduit, pour le financement de leurs programmes de développement. Le Groupe de la Banque mondiale regroupe aujourd’hui cinq institutions qui ont des missions, des clients et des modalités d’intervention différents. La Banque mondiale a été créée en 1944 sous le nom de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) avec pour mission de contribuer au financement des pays qui sont sortis économiquement dévastés de la Deuxième Guerre mondiale. La BIRD fournit désormais des prêts, des garanties, des produits de gestion des risques et des services de conseil aux pays à revenu intermédiaire et aux pays pauvres considérés comme solvables. L’Association internationale pour le développement a été créée plus tard, en 1960. C’est la première fois que la Banque mondiale organise des forums régionaux dédiés au recueil des avis des organisations de la société civile, des think tanks et chercheurs à l’occasion de la reconstitution de ces ressources ?Tout à fait. Tous les trois ans, les ressources de l’IDA sont reconstituées, c’est-à-dire que les pays donateurs dans le monde allouent des ressources au Fonds qui sont ensuite réallouées par la Banque mondiale aux pays bénéficiaires. C’est donc un moment clé parce que l’enveloppe peut augmenter, ou se réduire. Lors de la dernière reconstitution de l’IDA en décembre 2021, ce sont 93 milliards de dollars américains qui avaient été mobilisés pour la période 2022-2025. L’affectation des ressources de l’IDA est guidée par des orientations stratégiques qui font l’objet de consultations. Celles-ci avaient jusque-là été limitées aux gouvernements des pays contributeurs et des pays bénéficiaires. Un sommet de chefs d’État africains avait eu lieu notamment à Nairobi en avril dernier. Cette année, la Banque mondiale a donc organisé des forums avec la société civile sur tous les continents, dont celui de Cotonou pour les 22 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre.Vous estimez qu’il est aujourd’hui essentiel de sortir les discussions sur le financement des économies africaines et sur le rôle des institutions financières internationales comme la Banque mondiale et le FMI, des cercles fermés des décideurs politiques et des économistes ?Absolument. De la même manière qu’il y a une exigence de réformes du Conseil de sécurité, il y a un impératif de réformes au niveau des institutions financières internationales. Cette dynamique a été enclenchée à la Banque mondiale qui a publié en janvier 2023 une feuille de route sur son évolution (Evolution Roadmap). Les acteurs de la société civile des pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre n’ont pas manqué de poser des questions et de donner leur avis sur ce qui devrait changer dans l’approche de la Banque mondiale. Le processus de reconstitution des ressources de l’IDA s'achèvera les 5 et 6 décembre prochains à Séoul en Corée du Sud, avec la réunion finale d’annonce des contributions des pays donateurs. Comme la Chine, l’Inde, le Chili, la Turquie, la Corée du Sud fait partie des 36 pays qui sont passés en quelques décennies de pays bénéficiaires de l’IDA à pays donateurs. L’occasion de rappeler que c’est d’abord et avant tout la détermination des décideurs dans chaque pays du monde à améliorer les conditions de vie de leurs concitoyens qui fait la différence. ►Pour aller plus loinSite internet de l’Association internationale de développementOrientations stratégiques d’IDA21Le Danemark annonce une augmentation de 40 % de sa contribution à l’IDAÉvolution du Groupe de la Banque mondiale : Rapport aux Gouverneurs Consultations sur le processus d’évolution du Groupe de la Banque mondiale
Ça fait débat avec Wathi, comme chaque dimanche sur RFI. Gilles Yabi, vous avez organisé le 19 septembre dernier une table ronde sur la situation sécuritaire au Sahel et dans les pays côtiers voisins, qui a dressé un état des lieux très préoccupant ? Tout à fait. Après deux heures et demie d’exposés des faits et des tendances récentes, on n'en est pas ressortis avec le sentiment d’une région ouest-africaine qui serait engagée dans la voie d’un retour progressif à la sécurité, à la paix, à la cohésion.Olivier Walther, consultant au Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest (CSAO), notre partenaire dans l’organisation de ce cycle de débats, a fait une présentation très illustrée des changements dans la géographie des violences en Afrique de l’Ouest et du Nord de 1999 à 2023. Cela avec le constat d’une diminution spectaculaire de la violence en Afrique du Nord et d’une hausse tout aussi spectaculaire en Afrique de l’Ouest.Les cartographies réalisées par le Club du Sahel montrent très clairement l’extension géographique continue de la violence. Cela avec une double dynamique de concentration dans les zones frontalières et de dispersion croissante dans de nouvelles régions d’une année à l’autre.Constat de l’échec des approches militairesLes autres invités, sur la base des évolutions récentes de la situation au Mali, au Niger, au Burkina Faso, ont fait le constat de l’échec des approches militaires quasi-exclusives adoptées dans les pays du Sahel central. Cette analyse n’est certes pas nouvelle. De nombreux experts qui connaissent les trajectoires historiques ainsi que les dynamiques sécuritaires, politiques, économiques, sociales de la région, alertent depuis des années sur les pièges de la croyance en la possibilité de réduire considérablement le niveau d’insécurité par le seul usage de la force militaire contre tous les groupes armés irréguliers. Cela en excluant toute approche politique.Le secrétaire général de l’organisation Alternative espaces citoyens au Niger Moussa Tchangari et Nana Alassane Touré, présidente de l’organisation Sahéliennes pour la gouvernance légitime, la paix et la sécurité, ont partagé leurs observations sur les zones les plus affectées par l’insécurité au Niger et au Mali respectivement. Ils ont insisté sur les implications en termes de déplacements des populations civiles, d’aggravation de la pauvreté, de sacrifice de l’éducation des enfants.Même les victoires militaires marquantes comme la reconquête de Kidal au Mali par les forces armées nationales ne garantissent ni une réduction significative de la capacité de nuisances des groupes armés hostiles ni une amélioration durable de la sécurité des populations dans une vaste région à la lisière de l’Algérie.Fahiraman Rodrigue Koné, chef de projet Sahel au bureau régional de l’Institut d’études de sécurité (ISS) pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad, a de son côté souligné les tensions entre les pays sahéliens et leurs voisins côtiers. Celles-ci compliquent l’indispensable coopération sécuritaire régionale. Il a particulièrement appelé à une implication de l’Union africaine pour combler le vide laissé par une Cédéao paralysée.La menace des groupes armés se poursuit chez les pays côtiers voisinsDans les pays côtiers voisins immédiats des pays du Sahel central, la menace des groupes armés reste aussi intacte. Ella Abatan, chercheuse principale à l’Institut d’études de sécurité qui travaille spécifiquement sur les pays côtiers, a insisté sur le rôle clé et ancien de ces pays dans l’économie des conflits de la région. Cela en faisant partie des chaînes d’approvisionnement des groupes armés. Les relations économiques et humaines entre les pays du Sahel et leurs voisins du Nord comme du Sud ont toujours été intenses. Il est illusoire de penser que les pays comme la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Togo et le Ghana pourront être protégés durablement de l’insécurité si la situation sécuritaire continue à se dégrader au Sahel.La violence s’inscrit dans des contextes locaux, nationaux, transfrontaliers et internationaux où agissent une multitude d’acteurs qui poursuivent différents objectifs et qui s’adaptent en permanence aux réponses sécuritaires des États. C’est pour cela qu’une foi démesurée dans la capacité des drones, des blindés et de la propagande martiale à restaurer la paix est à la fois malsaine, dangereuse et sans issue. C’est vrai qu’un peu partout dans le monde, on est dans un grand moment de fascination pour la guerre totale comme moyen de résolution des conflits. Au moins les autres tirent-ils quelques avantages économiques de l’excellente santé de leurs industries d’armement.►Pour aller plus loinÉtat des lieux sécuritaire dans le Sahel et les pays côtiers, table ronde virtuelle WATHI et Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest,Sécurité, frontières et développement, Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest,Appréhender les dynamiques locales des conflits en Afrique du Nord et de l’Ouest,Des réseaux de conflit fragmentés en Afrique du Nord et de l'Ouest,La complexité des défis au Sahel
L’actualité en Guinée a été dominée ces derniers jours par l’arrestation au Liberia et le retour en prison du colonel fugitif Claude Pivi, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour crimes contre l’humanité à l’issue du procès du massacre du 28 septembre 2009. Il s’agit d’une bonne nouvelle mais Gilles Yabi rappelle qu’on est toujours sans aucune nouvelle de deux acteurs majeurs de la société civile enlevés par des militaires depuis plus de deux mois. Il faut saluer l’aboutissement du procès du massacre du 28 septembre 2009 et les condamnations de l’ancien président Moussa Dadis Camara, de Claude Pivi et de quelques autres. Mais cela ne doit pas faire illusion : l’exercice du pouvoir à Conakry reste caractérisé par la mauvaise foi, la violence et l’impunité. Sur le plan du respect des engagements, de la charte de transition et de la parole donnée, pas de changement par rapport à la junte de Dadis Camara à l’époque puisque le général Mamadi Doumbouya affiche désormais tous les signes d’une volonté de rester au pouvoir au-delà de la période de transition, en étant très probablement candidat à un futur scrutin présidentiel. Les personnalités politiques civiles qui l’accompagnent répètent ces jours-ci à l’envi qu’aucun citoyen ne doit être exclu de la prochaine élection, comme si la charte de transition n’avait jamais existé. Pas de changement non plus dans la brutalité des forces armées pour neutraliser tous ceux qui militent pour un retour à un pouvoir civil démocratique et pour la construction d’un État de droit. Ceux qui en font les frais s’appellent Oumar Sylla, alias Foniké Menguè, et Mamadou Billo Bah, deux des principaux responsables du Front national de défense de la constitution (FNDC), mouvement qui avait incarné la contestation pacifique du troisième mandat du président Alpha Condé. C’est aussi ce mouvement qui, contrairement à beaucoup d’autres, a très vite perçu le danger d’une confiscation durable du pouvoir par le général Doumbouya. Ces deux leaders de la société civile ont été arrêtés par des éléments des forces de défense et de sécurité mais aucune autorité n’a endossé la responsabilité de ces événements du 9 juillet dernier. Cela est très inquiétant, dites-vous...Oui. Un jeune militant du FNDC, Mohamed Cissé, avait été emmené par les hommes armés cette nuit-là en même temps que les deux responsables du mouvement. Il a été relâché le lendemain, et a raconté plus tard dans un témoignage vidéo glaçant les circonstances détaillées de ces enlèvements, les menaces, les coups, les gifles, les tortures subis par les trois hommes. Plus aucune nouvelle des deux dirigeants du FNDC depuis lors. Le 22 juillet dernier, les épouses des deux hommes ont déposé une plainte en France pour disparition forcée contre le général Mamadi Doumbouya, ancien légionnaire de l’armée française, du fait de sa double nationalité présumée.Les épouses des deux responsables du FNDC ont récemment appelé le général Mamadi Doumbouya à leur transmettre des signes de vie de leurs conjoints. « Aujourd'hui, tous les Guinéens sont des Oumar Sylla Fonikè Manguè et des Mamadou Billo Bah, Les gens ont tendance à s'asseoir et dire ''tant que je ne suis pas directement victime, cela ne me regarde pas" », a déclaré une des conjointes, plus angoissée que jamais. Elle a parfaitement raison. Au-delà du sort de ces deux hommes, ce qui est en jeu selon vous, c’est la poursuite des pratiques brutales qui détruisent l’avenir des Guinéens depuis des décennies.Oui. Les meneurs du FNDC avaient depuis 2019 de nombreuses occasions d’abandonner leur lutte et ils pouvaient comme beaucoup d’autres se ranger après le coup d’État de Mamadi Doumbouya : accepter une fonction publique pour se constituer une petite cagnotte et vivre plus confortablement, louer « les qualités exceptionnelles » des hommes forts du moment et ne plus prendre le risque d’être martyrisé. Les personnes de caractère et de principe représentent un cauchemar pour les dirigeants prêts à tout pour conserver le pouvoir. Lorsque leurs voix se font éteindre sans aucune conséquence, il n’y a plus aucune limite à la loi du plus fort, du plus violent. La Guinée en est toujours là. Pour aller plus loin:- Témoignage Mohamed Cisse codétenu de Foniké Mangué et Billo Bah- Deuxième partie du témoignage de Mohamed Cissé, codétenu de Foniké Mangué et Billo Bah- Troisième partie du témoignage du camarade Mohamed Cissé, ex codétenu de Foniké Mangué et de Billo Bah- Dernière partie du témoignage du camarade Mohamed Cissé ex codétenu de Foniké Mangué et Billo BahÀ lire aussiGilles Yabi : « La Cedeao demeure frileuse face aux dérives du pouvoir en Guinée »- Peut-on rectifier la trajectoire de la transition en Guinée ? Table ronde virtuelle Wathi et Fondation Konrad Adenauer.- Coup d'état en Guinée : Quelles leçons pour l'Afrique de l'Ouest ?, dialogue virtuel de Wathi
Gilles Yabi évoque les drames migratoires avec un nouveau naufrage le 7 septembre 2024 au large de Mbour, sur la côte sénégalaise. J’ai partagé sur RFI il y a quelques mois des faits, des analyses, et notamment ce que nous disent les travaux de recherche sur les déterminants des migrations, en rappelant que ces mouvements de personnes sont indissociables de l’histoire de l’humanité, que c’est largement la même combinaison de facteurs explicatifs que l’on retrouve sur tous les continents, à des époques différentes.J’avais notamment parlé des théories économiques de la migration qui permettent de comprendre la concentration des flux de départs de migrants dans des localités données, dans des régions spécifiques qui ne sont pas toujours les plus démunies. On migre davantage lorsqu’on a des parents et des amis qui ont déjà migré et qui vivent plus ou moins décemment à l’étranger. La pression familiale et sociale dans une zone d’émigration pousse encore plus les autres à tenter leur chance. On peut lire et écouter les experts des migrations internationales, mais on peut aussi voir un film récent qui vous a beaucoup marqué…Oui, il s’agit de Moi, capitaine, sorti en septembre 2023 en Italie, pays d’origine du réalisateur, Matteo Garrone, puis sorti en salles au Sénégal et en France en janvier 2024. Nommé aux Oscars et aux Golden Globes, le film a reçu au festival international de Venise le prix de la mise en scène et le prix d’interprétation masculine décerné au jeune acteur amateur sénégalais Seydou Sarr, âgé de 19 ans, époustouflant dans son rôle. Le réalisateur raconte que l’idée lui est venue d’une visite d’un centre pour adolescents migrants en Italie. Basé sur des histoires vécues par ces jeunes, le film raconte le périple périlleux de deux adolescents sénégalais qui décident de partir pour l’Europe en traversant le Sahara, puis la Libye où sévissent des trafiquants d’êtres humains qui infligent d’atroces tortures aux migrants, avant de se lancer dans la traversée de la Méditerranée. Comme après chaque naufrage, des survivants qui ont vu des amis mourir quelques heures plus tôt, se disent prêts à tenter à nouveau leur chance dès que possible…Oui et cela nous paraît fou mais c’est parce que nous ne pouvons simplement pas nous mettre à la place et dans la tête de ces garçons de 17 ans, de ces jeunes hommes de 25 ans, de ces jeunes femmes de 30 ans, parfois accompagnées de bébés, de ces hommes qui ont un emploi ou une petite boutique, qui sont prêts à tout pour aller en Europe ou en Amérique du Nord. Il faut bien sûr tout faire pour stopper l’hécatombe des candidats à la migration clandestine. Mais il faut aussi dire et surtout montrer aux jeunes du Sénégal, de Gambie, de Mauritanie, de Guinée et d’ailleurs, qu’ils ont un formidable potentiel, que leurs vies ont de la valeur. Il faut reconnaître que leurs rêves sont aussi légitimes que ceux de tous les jeunes sur les autres continents. C’est à tous ceux qui peuvent voyager sans risque pour voir à quoi ressemble le reste du monde, de porter un regard bienveillant sur ces adolescents et ces jeunes adultes qui rêvent de faire quelque chose d’utile et de bon de leur vie, dans leur pays ou partout ailleurs. Et il faut saluer, soutenir, amplifier les initiatives qui, dans tous les pays africains, redonnent concrètement espoir à des milliers de jeunes, en créant des opportunités de formation, d’encadrement professionnel, de valorisation de leurs talents. Je peux citer le Consortium jeunesse Sénégal qui fédère près d’une vingtaine d’organisations dédiées à la jeunesse et qui porte un plaidoyer constant auprès des décideurs politiques et économiques du pays sur toutes les questions cruciales pour la jeunesse, autrement dit, les questions cruciales pour l’avenir du pays. Ce modèle commence à inspirer d’autres dans la région et cela est très prometteur. ►Pour aller plus loinÀ lire aussiCe que disent les théories économiques sur les déterminants des migrationsÀ lire aussiL’indifférence et le refus de trouver des solutions aux crises migratoires tuent aussi et beaucoupÀ lire aussi«Moi, capitaine», ou rêver au péril de sa vieÀ lire aussiRetour au Sénégal pour les héros du film italien "Moi, capitaine" Le Consortium jeunesse Sénégal
Dimanche 8 septembre, le monde entier célèbre la Journée internationale de l’alphabétisation. On en parle avec vous Bergedor Hadjihou, vous êtes Chargé de recherche et membre du groupe de réflexion Citoyen pour l’Afrique de l’Ouest, Wathi. Oui. Selon l’Unesco, une personne est considérée comme analphabète lorsqu'elle est incapable de lire et d'écrire, en le comprenant, « un exposé bref et simple de faits qui ont trait à sa vie quotidienne ». Le taux d'alphabétisation indique donc le pourcentage d'adultes âgés de plus de 15 ans qui n'entrent pas dans cette définition.En plus du défi des millions d’enfants non scolarisés, plusieurs pays ouest-africains sont confrontés à des taux d’analphabétisme élevés de leurs populations. En 2020, 60 millions sur environ 208 millions de Nigérians, soit près de 30 % de la population ne savaient ni lire ni écrire dans aucune langue, selon la Commission nationale pour l’alphabétisation de masse. Le taux d’alphabétisme est tout aussi faible au Mali, (31 %) et au Niger (38 %). Il est de 47 % au Bénin, mais de 80 % au Ghana, un bon exemple dans la région.À lire aussi«Trop d’enfants reçoivent un enseignement dans une langue qu’ils ne comprennent pas»En effet, dans les systèmes éducatifs africains, la réalité des apprentissages pose problème. En Afrique de l’Ouest, près de 50 % des enfants n’ont pas les compétences attendues à la fin du premier cycle. En Côte d’Ivoire, seulement 17 % des enfants de 10 ans sont capables de lire et de comprendre un texte adapté à leur âge. Ce taux est estimé par l’Unesco à 26 % au Burkina Faso et 31 % au Sénégal. Ce phénomène de retard dans la compréhension des programmes étudiés induit un décrochage plus fréquent et réduit les chances d’améliorer le taux d’alphabétisation, même à moyen terme. Et pour inverser la tendance en Afrique et partout dans le monde, l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, pour cette édition 2024 de la Journée internationale de l’alphabétisation, demande aux États de promouvoir une éducation multilingue basée entre autres sur l’alphabétisation dans la langue maternelle. Tout à fait. On peut être analphabète en français ou en anglais, mais ne pas l’être véritablement si on sait lire et comprendre un texte dans sa langue maternelle. À côté des langues officielles héritées de la colonisation, les autres langues nationales peuvent permettre d’améliorer l’apprentissage à l’école. Des études montrent que les enfants qui reçoivent un enseignement dans leur langue maternelle et quotidienne ont 30 % de chances en plus que les autres de savoir lire à la fin de l’école primaire. Hamidou Seydou Hanafiou, docteur en linguistique et sciences du langage et enseignant-chercheur à l’université Abdou Moumouni de Niamey, que nous avons reçu lors d’une de nos tables rondes sur l’éducation, a rappelé que : « le continent africain est la seule partie au monde où dans beaucoup de pays, les enfants commencent leur éducation avec une langue qui n’est pas celle qu’ils parlent à la maison. »Que faire alors pour s’assurer de donner la priorité à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture dans les pays d’Afrique de l’Ouest ? Mettre en œuvre des politiques nationales dotées d’un budget autonome, et destinées à restaurer l’intérêt notamment pour la lecture, la culture, la connaissance, au sein de toutes les classes sociales. Cela avec la création de réseaux nationaux de petites bibliothèques et médiathèques pourvues d’une connexion internet de qualité. C’était l’une des recommandations formulées par Wathi déjà en 2016. Cela reste de notre point de vue essentiel tout comme les programmes d’alphabétisation des adultes. Les investissements dans le développement des aptitudes des enfants et des adultes sont moins visibles et politiquement rentables que les investissements dans les infrastructures physiques, mais ils sont vitaux.À lire aussiÉtat des lieux de la privatisation de l’éducation en Afrique francophone: Madagascar, Mali, Sénégal, Côte d’Ivoire►Pour aller plus loin : Mataki n°4 WATHI : Comment améliorer la qualité de l’enseignement primaire et secondaire dans les pays de la région ?Le défi du financement d'une éducation de masse et de qualité en Afrique de l'Ouest
Marième Cissé, vous avez organisé en juin dernier une table ronde virtuelle sur les crises et la production de savoirs au Sahel, quels sont les défis auxquels font face les universités et centres de recherche dans ce contexte ? Marième Cissé : Avec les crises dans la région, ces établissements d'enseignement supérieur, qui sont des institutions clés, sont actuellement confrontés à des défis importants.La production de savoirs, essentielle pour des politiques publiques éclairées et efficaces, est sérieusement menacée. Les enseignants-chercheurs peinent à mener à bien leurs travaux, souvent perturbés par l'instabilité et le manque de ressources.« L’instabilité a amené beaucoup de troubles au niveau de l’Université au Mali. Il y a eu une perturbation des cours. On n’arrivait pas à respecter le calendrier alors que le système LMD (Licence Master Doctorat) exige un certain nombre d’heures de cours pour pouvoir valider l’année… ». C’est que nous dit Dr Jacqueline Konaté, enseignante-chercheure en mathématiques et qui est la directrice générale du Centre d’intelligence artificielle et de robotique du Mali, une des invités à cette table ronde, coorganisée avec le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest.Au-delà de ces perturbations, l’autre défi majeur souligné par nos invités, est que les budgets alloués aux universités et à la recherche continuent de diminuer au fil des années, la priorité étant donnée à la sécurité par les autorités. La fuite des cerveaux est également mentionnée. De nombreux universitaires talentueux quittent la région en quête de meilleures conditions de travail, ce qui aggrave encore le déficit de production intellectuelle locale. Cette situation globale limite la capacité des universités du Sahel à contribuer aux débats scientifiques internationaux et à produire des connaissances adaptées aux besoins spécifiques de la région.Il y a aussi des difficultés supplémentaires pour les enseignants chercheurs de certaines disciplines des sciences sociales… Oui, durant les temps de crises sécuritaire et politique, « il est de plus en plus difficile d’être juriste, politiste ou sociologue parce que ces sciences traitent quelque part des questions politiques. Il y a une sorte de cabale contre les intellectuels, exacerbée par la percée des mouvements souverainistes », comme l’a souligné le Pr. Abdoul Karim Saidou, agrégé de science politique à l'Université Thomas Sankara.Dans cet environnement défavorable au foisonnement des savoirs, il est important de souligner qu'être critique ne signifie pas être opposé à un gouvernement. Au contraire, cela fait partie intégrante du rôle du chercheur.Quelles sont les principales conclusions qui sont ressorties de cette discussion ?Dans les réponses apportées à ces crises, il y a une faible mobilisation des savoirs universitaires ou endogènes. Alors que toutes ces crises (sécuritaire, humanitaire, sociale, politique, économique et même identitaire) devraient réellement attirer l’attention des États sur l’importance des savoirs dans la formulation des réponses aux défis actuels.Les États doivent faire l'effort d’accroître les ressources financières allouées aux universités, cela contribuerait à accompagner les enseignants-chercheurs de manière active dans leur recherche sur les crises que le Sahel traverse, de sorte à avoir une offre de recherche purement centrée sur des enjeux sahéliens primordiaux tels que la sécurité, l’environnement, la gouvernance. Il faut également encourager la transformation digitale de l’enseignement supérieur en développant des plateformes d’enseignement avec des ressources pédagogiques dont l'accessibilité sera facile pour les enseignants et les étudiants, même en temps de crises.Pour pouvoir recourir à l’intelligence collective scientifique, il faut une réelle connexion entre la production des savoirs et leur valorisation effective dans la prise de décision. Les universités peuvent contribuer significativement à la stabilité et au développement, il est donc crucial de continuer à les soutenir et à les protéger.► Pour aller plus loin :Table ronde virtuelle WATHI CSAO Crises et production des savoirs : État des lieux des universités au Sahel
Wathi a organisé en juin dernier en partenariat avec le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, une table ronde virtuelle sur le thème : « urbanisation et changement climatique, les espaces verts dans les villes ouest-africaines ». Alors, pourquoi des espaces verts et quel lien avec l’urbanisation ? Par Bergedor Hadjihou, chargé de recherche et membre du groupe de réflexion Citoyen pour l’Afrique de l’Ouest Wathi.En ouverture de cette discussion, une présentation de Brilé Anderson, économiste au Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest avec des données géospatiales précises, montre que le taux de l’empreinte urbaine couverte par les espaces verts en Afrique de l’Ouest varie d’un pays à l’autre mais diminue rapidement avec le développement urbain. Il reste seulement 15% d’espaces verts à Accra au Ghana et 20 % à Abuja au Nigeria. Ce taux est un peu significatif à Cotonou au Bénin avec 29 % d’espaces verts urbains.On parle ici de jardins publics, de petites terres forestières, des arbres alignés le long des routes, des herbes courtes à proximité des habitations, des bassins d’eau, des potagers dont la présence autour des villes permet de réduire la pollution atmosphérique, d’atténuer les phénomènes météorologiques extrêmes tels que les fortes pluies, les tempêtes, les inondations et les vagues de chaleur.Un de nos panélistes, Mélaine Assè-Wassa Sama, Chargé de projet de l'action climat en Afrique à l'Association Climate Chance a rappelé: « qu’entre mars et avril 2024, il y a eu une canicule dans les villes du Sahel notamment au Mali et au Burkina Faso. Un exemple qui m’a frappé au cours de cette période, c’est qu’à Bamako, dans un hôpital où on a accueilli des malades, 102 personnes sont décédées. La moitié des victimes sont âgées de plus de 60 ans. L’une des principales causes de ces décès, selon l’hôpital, est la chaleur ».Et parmi les nombreux défis que pose la diminution des espaces verts dans les villes ouest-africaines, il y a également celui de la préservation de l’agriculture urbaine.Absolument. Largement pratiqué autrefois, ce mode de vie est en déclin partout. Au Sénégal, des zones comme celles de la périphérie de Dakar, de par leurs végétations abondantes, jouaient un rôle crucial dans la production alimentaire locale. Plus l’urbanisation se développe, plus ces zones agricoles disparaissent. Ainsi, à la question de la cherté des produits vivriers dans les villes, Alé Badara Sy, Expert en développement des villes vertes et Président du Club de réflexion sur l'urbain au Sénégal estime que : « c’est parce que les circuits d'approvisionnement sont devenus très éloignés. Néanmoins, on peut utiliser les terrasses pour faire du micro-jardinage, de petits pots pour les plantes ».Alors, face à l’urbanisation croissante, comment les villes peuvent-elles s’adapter au besoin d’aménagement, de disponibilité et d’accessibilité des espaces verts ?Parmi les nombreuses pistes d’actions évoquées, il y a celle-ci qui est d’Alé Badara Sy: « Chaque commune doit avoir un urbaniste. L’urbaniste est le meilleur ami du maire pour le développement de sa localité. Au Sénégal, il n’y a pas plus de cinq villes qui disposent d’un urbaniste. L’esthétique urbaine est une compétence nécessaire pour avoir des espaces verts fonctionnels et agréables ».Quant à Aminata Sidibé, Fondatrice de l'ONG Écologie universelle qui promeut des solutions locales et inclusives pour relever les défis de l'urbanisation et du changement climatique en Afrique de l'Ouest, elle a souligné qu’en milieu périurbain mauritanien, la forêt classée de Dar El Barka du nom d’une commune avec un espace vert très important a été impactée par les changements climatiques, le déboisement et les coupes sauvages. Pour la sauvegarde durable, les habitants ont pu remonter leurs besoins aux collectivités territoriales en installant des éco-villages de part et d’autre de cette ressource forestière. Avoir des espaces verts communautaires gérés en toute responsabilité par les populations qui comprennent l’utilité et la nécessité de les entretenir est un objectif bien atteignable.► Pour aller plus loin : Table ronde virtuelle : Ubanisation et changement climatique : les espaces verts dans les villes ouest-africaines
Ça fait débat avec Wathi, de retour comme chaque dimanche sur RFI. Cette semaine avec Marième Cissé, chargée de recherche à Wathi, pour parler des impacts des multiples crises au Sahel sur le bien-être des femmes et des filles. Marième a organisé un dialogue virtuel sur ce sujet (il y a quelques mois)… Ce dialogue virtuel, qui a été organisé dans le cadre de notre collaboration avec le club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, en mars 2024, a été l’occasion d’avoir un regard sur la manière dont ces multiples crises affectent le quotidien et les possibilités d’épanouissement des femmes et des filles dans la région. Le constant est qu’elles sont confrontées à des risques plus accrus de violence sexuelle et basée sur le genre, de mariages précoces et forcés et d'exploitation. En outre, l'insécurité et la violence déplacent des millions de personnes. Selon les chiffres du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, en 2021 les femmes et les enfants représentaient 78 % des réfugiés et des demandeurs d’asile dans l’ensemble de la région. Ces déplacements forcés perturbent leur accès à l'éducation, aux services essentiels de base, tout en renforçant les rôles traditionnels qui limitent leurs opportunités ; augmentant ainsi leur vulnérabilité. Votre invitée lors de ce dialogue, Zeinaba Narabene - Présidente du Réseaux des jeunes sahéliens pour le climat au Mali, est revenue spécifiquement sur le cas du Mali…Pour notre invitée, il faut d’abord noter qu’au Mali, les facteurs qui sont liés aux crises interagissent avec des facteurs plus anciens, il s’agit notamment des réalités sociales et culturelles concernant le rôle des femmes qui sont profondément conservatrices. Ainsi, les violences sexuelles en temps de crise sont une réalité tragique pour de nombreuses femmes et filles au Mali. Elles sont confrontées à des viols, à l'exploitation sexuelle, aux mariages forcés et aux mutilations génitales féminines. Ces violences infligent des traumatismes profonds, affectant non seulement les victimes directes mais aussi leurs familles et communautés. Les femmes et les filles rencontrent aussi des obstacles considérables pour accéder aux soins de santé, y compris les soins de santé maternelle et reproductive.L'éducation des filles est également gravement affectée. Au Mali, 1726 écoles ont été fermées et 517 800 enfants non scolarisés à la fin de l’année 2022. Le risque de violence à l’école et sur le chemin de l’école dissuade de nombreuses filles. La fréquentation scolaire chez les filles a également diminué, car les ménages souffrant d’insécurité́ alimentaire prennent des mesures pour compléter leurs revenus. Bien que certaines écoles aient commencé à rouvrir, de nombreuses filles ont vu leur éducation complètement arrêtée. Ensuite, les femmes et les filles en milieu rural sont particulièrement touchées par les effets directs des changements climatiques sur leur vie quotidienne. Les femmes dans les zones rurales, sont au cœur de l’activité agricole. Elles sont responsables de la culture et de la sécurité alimentaire des familles. Par conséquent, les changements climatiques ont des effets directs et sévères sur leur quotidien et leur bien-être.Quelles sont les principales recommandations qui sont ressorties de cette discussion ?La première est l'urgence d’accorder la priorité́ à des réponses sensibles au genre et d'améliorer l'accès des femmes à l'éducation et aux ressources économiques, afin de renforcer leur résilience face à ces situations de crises multiples.Il est aussi crucial de soutenir leur participation active et de les intégrer pleinement dans les efforts visant à résoudre les crises et à promouvoir le bien-être des communautés. La participation des femmes est indispensable pour apporter des réponses durables aux défis actuels. Elles peuvent offrir des perspectives nouvelles et des solutions innovantes.Malgré ces difficultés, les femmes continuent de faire preuve d'une force et d'une résilience remarquables pour reconstruire leur vie. Leur participation et leur leadership sont essentiels pour créer un avenir plus sûr et plus prospère.► Pour aller plus loin :Dialogue virtuel : crises multiples au Sahel et Bien être des femmes et des fillesMali rapport national de l'étude sur les obstacles àl'accès et la continuitéde l'éducationpour les enfants en situation de déplacement forcédans la région du sahel central 2022-2023Des choix impossibles des voix ignorées, ONG Plan InternationalWomen and climate change in the Sahel CSAOPolitical violence targeting women in West Africa, CSAO
Retour aux questions d’éducation, que vous considérez comme la priorité parmi les priorités. Vous avez organisé le 6 juin dernier un dialogue virtuel sur le thème de la place des langues locales africaines dans les systèmes éducatifs en Afrique de l’Ouest. C’est peut-être l’une des plus cruciales à traiter si l’on veut remédier aux évaluations parfois accablantes de la qualité des apprentissages des enfants dans les langues officielles héritées de la colonisation (le français, l’anglais et le portugais dans les pays d’Afrique de l’Ouest).Dans une région où tous les pays sont caractérisés par une extraordinaire diversité linguistique, l’enseignement de qualité dans les langues locales africaines, dans les langues parlées par les enfants à la maison et dans leur environnement social, semble encore aujourd’hui un défi insurmontable.En juillet 2021, la Banque mondiale avait publié un rapport qui réaffirmait ce que de nombreux experts des sciences de l’éducation expliquaient depuis longtemps : « Les enfants apprennent mieux et sont plus susceptibles de poursuivre leurs études lorsqu’ils commencent leur scolarité dans une langue qu’ils utilisent et comprennent ». Le rapport observait que « Trop d’enfants reçoivent un enseignement dans une langue qu’ils ne comprennent pas, ce qui est l’une des principales raisons pour lesquelles de nombreux pays ont de très faibles niveaux d’instruction ». Des études montrent que les enfants qui reçoivent un enseignement dans leur langue maternelle et quotidienne ont 30 % de chances en plus que les autres de savoir lire à la fin de l’école primaire. À lire aussiAfrique: les 16 pays les plus avancés sur l’accès à l’éducationVotre invité, Hamidou Seydou Hanafiou, docteur en linguistique et sciences du langage, enseignant-chercheur à l’université Abdou Moumouni de Niamey, a insisté sur le fait que « les Africains – ou une partie d’entre eux plus précisément – sont les seuls au monde à commencer leur éducation avec une langue qui n’est pas celle qu’ils parlent à la maison ». Nous avons eu plus de deux heures d’une conversation franche qui a fait ressortir, au-delà de l’expertise pointue sur le sujet, la passion et l’engagement de notre invité qui a mis le doigt sur les véritables causes de l’insuffisance de résultats des nombreuses réformes des systèmes éducatifs dans les pays francophones de la région, y compris dans son pays, le Niger, pourtant pionnier de l’introduction des langues maternelles dans l’enseignement formel avec une première école expérimentale bilingue ouverte en 1973-1974.Absence de volonté politique, changements réguliers d’orientations stratégiques du fait de l’instabilité à la tête des ministères, incapacité des États à prendre le relais des financements extérieurs. Dr Hanafiou a témoigné du fait que des hauts fonctionnaires des ministères concernés étaient parfois les plus hostiles à l’enseignement dans les langues premières. Évidemment, il est difficile d’obtenir des résultats lorsqu’on met en œuvre des politiques auxquelles on ne croit pas.L’enjeu de l’enseignement des langues locales, c’est la qualité des apprentissages de manière générale, mais c’est aussi la préservation du riche patrimoine linguistique des pays africains.Oui bien sûr. Et le représentant de l’ambassade d’Irlande au Sénégal, notre partenaire qui soutient notre série de débats sur les questions d’éducation au cours de cette année, décrétée année de l’éducation par l’Union africaine, a rappelé l’importance de la valorisation de la langue irlandaise pour son pays, ancienne colonie britannique.Il n’est pas inutile de rappeler parfois que les peuples africains ne sont pas les seuls au monde à avoir été victimes du crime de la colonisation à un moment de leur histoire. On se relève de ces périodes douloureuses par l’obsession de l’amélioration du bien-être des populations, par le travail exigeant dans la durée, par la tempérance, l’adaptation au monde tel qu’il est et par l’anticipation de ses évolutions. S’il est un domaine où la croyance aux solutions faciles et à la résolution magique des problèmes par des décrets garantit la production et la reproduction de la médiocrité, c’est bien celui de l’éducation. À lire aussiLes défis de l'éducation en AfriquePour aller plus loin :► La place des langues locales africaines dans les systèmes éducatifs en Afrique de l’Ouest,► Haut et fort : Politiques efficaces de langue d’enseignement pour l’apprentissage, Banque mondiale,
Un week-end avec deux sommets en Afrique de l’Ouest, un sommet de l’Alliance des États du Sahel (AES) hier samedi 6 juillet à Niamey et un sommet de la Cédéao ce dimanche à Abuja. Deux sommets qui illustrent une cassure sans précédent au sein de la région, depuis l’annonce simultanée en janvier dernier du départ des trois pays du Sahel central, Mali, Burkina Faso et Niger, de la Cédéao. Oui, une profonde cassure et surtout un immense gâchis. En 2017, j’écrivais dans une tribune que le fait « d’accepter le détachement géopolitique progressif du Sahel de l’Afrique de l’Ouest institutionnelle incarnée jusque-là par la Cédéao pourrait être une erreur stratégique majeure… qui conduirait à casser la dynamique de solidarité entre pays côtiers et pays enclavés et à mettre en danger les principaux chantiers de l’intégration ouest-africaine ». À lire aussiLes regards tournés vers le sommet de l'AES à Niamey lors d'une réunion de ministres de la CédéaoJe n’imaginais pas qu’on y serait arrivé sept ans plus tard. Qu’on en serait à commenter d’un côté un sommet d’un trio de chefs militaires qui ont pris le pouvoir et le conservent par la force et de l’autre, un sommet de dirigeants de la Cédéao dont plusieurs ont contribué à la décrédibilisation de l’action de l’organisation régionale. Le dernier en date, le dirigeant du Togo, a quand même choisi de doter son pays d’une nouvelle constitution supprimant l’élection présidentielle au suffrage universel, une constitution qui ne sera connue des citoyens togolais qu’après sa promulgation. Les acteurs politiques civils qui n’ont jamais cru aux vertus de la démocratie et de l’État de droit ne veulent pas d’une Cédéao réformée pour être plus efficace. Ils veulent une Cédéao affaiblie, qui laisserait chaque dirigeant faire ce qu’il veut dans son pays. Un rapport récent de l’Institut d’études de sécurité recommande aux autorités militaires de « conduire des transitions véritablement inclusives, en respectant les libertés fondamentales », de « repenser la gestion de la crise sécuritaire à l’aune des enseignements de la dernière décennie, notamment en matière de protection des civils et concernant la nécessité de compléter l’action militaire par des actions non militaires». Oui, ce rapport est très intéressant et constructif et ses recommandations sont bienvenues. Le souci est que les dirigeants militaires semblent s’orienter chaque jour encore plus dans la voie de la militarisation à outrance de l’État et de la société. La peur est maintenant bien installée. Même les ardents défenseurs des pouvoirs militaires devraient avoir maintenant compris qu’ils peuvent eux aussi se retrouver rapidement arrêtés, condamnés et emprisonnés dès qu’ils ont la mauvaise d’idée d’émettre des réserves sur la conduite des affaires du pays. À lire aussiL'Alliance des États du Sahel tiendra son premier sommet le 6 juillet à NiameyVous dites que nombre d’acteurs militaires et civils qui sont aussi comptables du délitement de leurs États que les anciens présidents renversés se font passer sans mal comme des révolutionnaires patriotes et vertueuxOui, dans ce registre, les généraux au pouvoir à Niamey sont les moins crédibles: Le général Abdourahmane Tiani, qui a commandé la garde présidentielle sous Mahamadou Issoufou pendant dix ans, et le numéro deux et ministre de la Défense actuel, le général Salifou Mody, qui fut chef d’état-major des Forces armées nigériennes également sous le président Issoufou, sont tout sauf des hommes neufs. Au Niger, depuis bientôt un an, la réalité est celle d’une prise de contrôle de l’État, y compris de l’administration civile, de la gouvernance locale, et des entreprises publiques, par des hauts gradés. Dans le pays non sahélien que tout le monde oublie, la Guinée, l’ex numéro deux de la junte, le général Sadiba Koulibaly, tombé en disgrâce, est mort en détention dans des conditions fort douteuses fin juin. Tous les médias indépendants ont été fermés depuis quelques mois. Le général Mamadi Doumbouya et ses fidèles sont en roue libre. C’est ce à quoi d’autres pays de la région seront exposés au cours des prochaines années si les voix des sociétés civiles qui peuvent encore s’exprimer ne le font pas. ► Pour aller plus loin : Repenser la gestion des changements anticonstitutionnels de gouvernement en Afrique de l’Ouest, Institut d’études de sécurité,Le spectre de la fragmentation de l’Afrique de l’Ouest et de la recolonisation du Sahel, Gilles Yabi,Face à la menace de la désintégration régionale en Afrique de l’Ouest, la résignation n’est pas une option, Gilles Yabi,
Wathi a organisé en avril dernier une table ronde virtuelle sur le thème des transports dans le contexte d’urbanisation accélérée et du changement climatique. Oui, nous avons organisé cette table ronde en partenariat avec le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE. Le Club a notamment développé Africapolis, un outil d’analyse et de visualisation de données qui permet de cartographier, d’analyser et de comprendre la croissance urbaine en Afrique. La population urbaine africaine double tous les 20 ans depuis 1990. En Afrique de l’Ouest, le taux d’urbanisation varie significativement d’un pays à l’autre mais il augmente rapidement partout. Ce taux est plus faible dans les pays sahéliens comme le Niger avec 18 % de part de la population vivant dans une ville, le Burkina Faso est à 32 %, le Mali à 34 %. Le taux d’urbanisation est de 40 % en Guinée, 50% au Ghana, 53% au Sénégal et en Côte d’Ivoire, 58 % au Nigeria comme au Bénin, et 61 % au Togo. L’urbanisation prend la forme de l’émergence de nouvelles villes mais les capitales politiques ou économiques comme Lagos, Abidjan, Accra, Dakar continuent à attirer des flux croissants de personnes. Parmi les nombreux défis que pose cette urbanisation accélérée, celui des transports est au premier planAbsolument. Des dizaines de milliers de personnes vivent loin de leurs lieux de travail et passent deux à trois heures tous les jours dans les transports. Les embouteillages sont chaque année plus monstrueux, malgré les nouvelles infrastructures routières. La pollution de l’air, encore peu mesurée dans les villes ouest-africaines, représente une menace grave à la santé. Et bien sûr, la hausse continue du nombre de voitures génère des émissions de carbone et participent à un réchauffement climatique. Les voitures électriques partout en Afrique de l’Ouest, ce n’est pas pour demain. Nous avons fait en deux heures de discussion un tour d’horizon des défis liés aux transports urbains en donnant la parole à quatre experts, Ousmane Thiam, ancien directeur du Conseil exécutif des transports urbains de Dakar (CETUD), qui est aussi président d'honneur de l'Union internationale des transports publics (UITP), Charlène Kouassi, directrice de Movin'On LAB Africa, think tank dédié à la mobilité urbaine, Brilé Anderson, économiste environnementale au Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest et Abdoulaye Maïga, entrepreneur dans le domaine des transports qui avait co-fondé une entreprise de taxi-motos à Bamako. Quelles sont les principales pistes d’action qui sont ressorties de cette discussion ?Impossible de les rappeler toutes en une minute. Je renvoie les auditeurs à l’enregistrement de la table ronde qui est disponible sur la chaîne Youtube de Wathi. Nous avons parlé du coût qui reste le premier critère du choix des modes de transport, ce qui explique l’importance des modes de transport informels, des minibus en assez mauvais état mais aussi des bateaux-taxis informels qui opèrent par exemple dans le transport lagunaire à Abidjan aux côtés de trois opérateurs formels. Le développement des transports en commun à grande capacité est la priorité parmi les priorités. Nos invités ont souligné les évolutions positives dans plusieurs pays ouest-africains avec les premiers bus de transport rapide (BRT) à Lagos, depuis 2008, puis depuis quelques mois à Dakar. Ce sont des bus confortables, non polluants, qui font gagner beaucoup de temps aux usagers. Le train express régional, TER, connectant Dakar, les communes périphériques, et bientôt l’aéroport, le métro d’Abidjan très attendu, sont aussi des exemples du développement des modes de transport dits capacitaires. Mais il ne faut pas oublier la nécessité de promouvoir le vélo et la marche à pied, qui est le principal mode de déplacement dans les villes africaines, malgré les trottoirs souvent encombrés et les passages piétons parfaitement ignorés par les automobilistes.Pour aller plus loin :Urbanisation et changement climatique : l’avenir des transports, table ronde virtuelle, Wathi et Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest
Après le Mexique, l’Inde, l’Afrique du Sud dont vous nous avez parlé ces dernières semaines, il est encore question d’élection cette semaine. Il y aura des élections législatives en France le 30 juin, et la veille, le 29 juin, un scrutin présidentiel en Mauritanie L’élection du 29 juin en Mauritanie ne semble pas susciter un grand enthousiasme dans le pays du Sahel le moins concerné par la violence terroriste et par l’instabilité politique. Essentiellement parce que le président sortant, Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani, candidat à un second et dernier mandat, est largement favori face à ses six rivaux dont le plus connu est le militant des droits humains Biram Ould Dah Ould Abeid, arrivé deuxième à l’issue de la présidentielle de 2019. Le président Ghazouani, qui est aussi l’actuel président en exercice de l’Union africaine, a le profil type des chefs d’État mauritaniens depuis l’indépendance : il a fait sa carrière dans l’armée, occupant notamment les fonctions de chef d’état-major des armées avant d’être ministre de la Défense sous son prédécesseur, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, condamné en décembre dernier à cinq années d’emprisonnement pour « enrichissement illicite » et « blanchiment ». La Mauritanie a fait des petits pas dans sa démocratisation depuis le dernier coup d’État en 2008, dites-vous…Oui, ce coup d’État avait renversé Sidi Ould Cheikh Abdallahi, président civil élu qui venait de limoger les généraux les plus influents de l’armée, dont Ould Abdel Aziz qui commandait alors le Bataillon de la sécurité présidentielle. Si la page des coups d’État a été tournée, il faut l’espérer durablement, celle d’une influence politique permanente de la hiérarchie militaire ne l’est clairement pas encore. Mais au-delà de la politique, cette élection est un bon moment pour s’intéresser à l’état du pays dans différents domaines, de l’économie à la santé en passant par l’éducation et l’environnement. Nous proposons sur le site de Wathi une sélection de documents sur ces secteurs en plus de la présentation des biographies des candidats et des grandes lignes de leurs programmes. En observant les résultats des élections dans des pays aussi différents que l’Inde, les États-Unis, la France ou l’Italie, et la montée de partis porteurs de discours extrémistes, vous estimez qu’il faut discuter des limites et des travers des exercices électoraux partout dans le mondeOui. Mais entendons-nous bien, il ne s’agit pas de donner des arguments à ceux qui préfèrent la prise de pouvoir et le maintien au pouvoir par la force, mais il s’agit de mettre en évidence les travers des compétitions électorales en décryptant les pratiques politiques réelles et les facteurs qui sont de plus en plus déterminants pour gagner une élection dans le monde actuel. Je ne pense pas qu’on mesure encore suffisamment l’impact sur les choix électoraux du matraquage d’informations soigneusement sélectionnées par des médias privés politiquement orientés, ou encore l’impact sur les électeurs des fameuses « vérités alternatives », c’est-à-dire des mensonges, relayées massivement sur les réseaux sociaux. Les discours politiques les plus simplistes, qui s’affranchissent de toute exigence de justesse des faits et de profondeur analytique, sont d’une redoutable efficacité pour gagner en popularité. Sur l’immigration, sujet de prédilection des partis d’extrême droite en Europe, des leaders politiques au plus haut niveau peuvent répéter à longueur de journée des chiffres complètement erronés sur les entrées nettes de migrants sans la moindre gêne et la moindre contradiction. On est bien parti pour voir arriver à la tête de plusieurs pays démocratiques des acteurs politiques dont les seules qualités sont leur maîtrise de la communication et du marketing politiques et l’absence de limite éthique quant aux discours et aux manipulations qui peuvent leur faire gagner des élections. Pour aller plus loin : Initiative Election Mauritanie, Documents de contexte, biographies et programmes des candidats
Vous avez publié il y a quelques jours une tribune avec ce titre « Face à la menace de la désintégration régionale en Afrique de l’Ouest, la résignation n’est pas une option ». C’est une alerte sur les conséquences graves d’une fragmentation institutionnelle et politique de l’Afrique de l’Ouest si le Mali, le Burkina Faso et le Niger ne reviennent pas sur leur décision de quitter la Cédéao. Tout à fait. Le 28 mai dernier marquait les 49 ans d’existence de la Cédéao. Il se pourrait bien que dans un an, au moment de commémorer un demi-siècle de processus d’intégration, la Cédéao ait perdu trois parmi ses 15 pays membres. Ce serait un anniversaire bien triste. L’annonce simultanée le 28 janvier 2024 de la sortie de la Cédéao par les gouvernements de Bamako, Ouagadougou et Niamey, tous dirigés par des militaires, a ouvert une crise sans précédent du processus d’intégration régionale.À lire aussiCédéao: le plaidoyer de l’organisation régionale pour convaincre Burkina Faso, Mali et Niger de resterAvec ce texte, je voulais attirer l’attention à la fois sur le degré très élevé d’incertitudes politiques et sécuritaires, même à court terme, dans plusieurs pays de la région et sur les implications probables d’un arrêt brutal du processus d’intégration régionale. Douze ans après le début de la crise malienne en 2012, l’état des lieux sécuritaire, politique et sociétal dans la moitié au moins des pays d’Afrique de l’Ouest est très préoccupant et les tensions vives entre des pays voisins augmentent les risques d’amplification des crises internes. Nous avons publié cette semaine sur le site de Wathi une tribune de Juste Codjo, professeur de Sécurité internationale aux États-Unis et ancien officier béninois, qui alerte sur le risque d’une escalade dans l’animosité actuelle entre le Bénin et le Niger. Vous dites que le coût politique de l’annonce de la sortie de la Cédéao pour les dirigeants des trois gouvernements sahéliens était limité parce qu’ils étaient au fait de l’image dégradée de l’organisation régionale au sein d’une grande partie des populations ouest-africainesTout à fait. Il faut reconnaître l’accumulation au cours des dernières années de décisions malheureuses prises par l’autorité politique de la Cédéao qui est la conférence des chefs d’État et de gouvernement. Les plus graves furent sans doute les sanctions économiques indiscriminées contre le Mali puis le Niger, frappant directement les populations de pays parmi les plus démunis du continent et l’annonce d’une intervention militaire au Niger. Ces décisions ont offert l’occasion inespérée aux dirigeants militaires de se poser en victimes et de mobiliser leurs opinions publiques au nom de la défense de la patrie agressée. Cela leur a permis, en particulier au Niger, de détourner l’attention du coup d’État lui-même, de l’incohérence des justifications mises en avant et des conséquences durables sur leur pays. Selon vous, beaucoup de citoyens ouest-africains réduisent la Cédéao à la Conférence des chefs d’État et de gouvernement et à leurs décisions sur les crises politiques et sécuritaires.Oui, et cela est tout à fait malheureux, permettant à des dizaines d’influenceurs, parfois de bonne foi, souvent de mauvaise foi, de désinformer massivement et de traiter avec légèreté de sujets d’une importance capitale pour la région. Les critiques sur la Cédéao sont indispensables pour pousser l’organisation à faire beaucoup mieux dans tous les domaines, tout en n’oubliant jamais qu’aucune organisation régionale ne peut compenser les déficits de leadership politique éclairé et de capacité au niveau de ses États membres. Mais ceux qui prônent l’abandon par la Cédéao de son agenda politique, ou se réjouissent de son affaiblissement, sont en train de créer les conditions pour le retour à des nationalismes belliqueux et à des régimes autocratiques partout dans la région. Ce n’est pas cette Afrique de l’Ouest là que nous souhaitons pour les jeunes, pour les enfants d’aujourd’hui. ► Pour aller plus loin ► « Face à la menace de la désintégration régionale en Afrique de l’Ouest, la résignation n’est pas une option », Olakounlé Gilles Yabi,►« Tensions Bénin-Niger : quelques leçons d’histoire géopolitique et de relations internationales », Juste Codjo, ►« L’avenir de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest », table ronde virtuelle.
C’est une année d’élections dans toutes les régions du monde. Alors que les pays membres de l'Union européenne élisent actuellement leurs députés au Parlement européen, nous revenons que les récents scrutins au Mexique et en Inde. Le Mexique a organisé le 2 juin dernier les élections les plus importantes de son histoire avec la tenue simultanée des scrutins présidentiel, législatifs et locaux. Au total quelque 98,3 millions d'électeurs étaient inscrits sur les listes électorales dans ce pays d’Amérique centrale voisin des Etats-Unis et très lié à celui-ci par l’économie, les migrations et par la circulation des armes, qui alimente un niveau de violence insupportable infligé par les cartels mexicains de la drogue. Vingt-huit candidats aux élections locales ont été assassinés pendant la campagne, ciblés par les cartels, rappelant le défi immense de la lutte contre la violence au prochain dirigeant du pays. Et ce sera pour la première fois de l’histoire du Mexique, une présidente, Claudia Sheinbaum, élue avec 59% des voix et dont le parti Morena (le Mouvement de régénération nationale) a également largement remporté les législatives avec une majorité confortable au Congrès. Claudia Sheinbaum succèdera le 1er octobre prochain à celui qui est considéré comme son mentor, Andrés Manuel Lopez Obrador, qui a dirigé le pays pendant six ans, la durée du mandat présidentiel non renouvelable au Mexique. Ce dernier est toujours très populaire malgré les critiques sur son bilan négatif en matière de réduction de la violence. La présidente élue est créditée, elle, d’un bon bilan à la tête de la mégalopole de Mexico, avec ses 22 millions d’habitants estimés, où les statistiques de sécurité se sont améliorées sous son autorité de 2018 à 2023. La nouvelle présidente devrait notamment maintenir les orientations de son prédécesseur, notamment les politiques sociales visant à lutter contre la pauvreté et les inégalités Claudia Sheinbaum est une scientifique qui a été membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), mais elle est aussi une militante engagée dans des mouvements sociaux et politiques depuis plus de 40 ans. Au cours des six dernières années, sous la présidence de Manuel Lopez Obrador, le gouvernement a mis en œuvre des programmes sociaux qui ont directement bénéficié aux catégories les plus démunies et vulnérables des populations. À lire aussiÀ la Une: le Mexique célèbre une victoire judiciaire contre les fabricants d’armes américains25 millions de Mexicains reçoivent des aides directes, notamment des pensions pour des personnes âgées, des bourses scolaires et universitaires, des aides pour les jeunes en apprentissage et les personnes handicapées, des subventions pour les petits agriculteurs… Le salaire minimum a aussi été revalorisé de près de 40%. Ce sont des politiques publiques qui rappellent celles du président Lula da Silva au Brésil. En Amérique latine, il existe encore des personnalités et des partis qui ne se contentent pas de discours et de promesses mais qui mettent effectivement en œuvre des politiques audacieuses qui s’attaquent à la pauvreté de masse et aux inégalités abyssales, malgré un contexte économique et des finances publiques fragiles. Les élections en Inde, un défi logistiqueLa plus grande démocratie du monde, l’Inde, sort aussi d’élections générales étalées sur six semaines, élections remportées par le parti nationaliste hindou, le BJP du Premier ministre sortant Narendra Modi, mais avec une majorité significativement réduite l’obligeant à former une coalition avec d’autres partis pour gouverner…On peut souligner la qualité de l’organisation, car organiser des élections dans le pays le plus peuplé de la planète est un défi logistique exceptionnel qui a été relevé haut la main par la commission électorale. Ce sont 642 millions d’Indiens, plus de 66 % des 968 millions d’électeurs recensés, qui se sont exprimés dans les urnes, souvent dans des conditions climatiques très difficiles, avec des températures dépassant 45 degrés Celsius dans plusieurs régions. Trente trois membres du personnel électoral sont morts par insolation. Quelque 15 millions d’agents électoraux ont été déployés, recourant à tous les moyens de déplacement imaginables, pour donner la possibilité à tous les citoyens, jusque dans les villages les plus reculés, d’exercer leur droit de vote. À lire aussiInde: tout savoir sur les élections législatives dans la plus grande démocratie du mondeDes machines électroniques ont permis le dépouillement rapide des bulletins de vote. Des machines qui ne sont pas tombées en panne au moment où on avait besoin d’elles, comme cela est souvent arrivé dans les pays africains qui ont dépensé des millions de dollars pour moderniser prétendument la gestion des élections. On se souvient encore de la déception des citoyens au Nigeria, lorsque les espoirs d’une nette amélioration de la qualité de l’organisation des élections s’étaient vite évanouis après la défaillance de machines électroniques. La combinaison d’un déficit d’intégrité et d’une incompétence incompréhensible dans l’organisation et la logistique continue de détruire la crédibilité des élections dans beaucoup de pays africains. Il faut cependant saluer parmi les belles exceptions, celle de l’Afrique du Sud qui sort aussi d’élections générales fort bien organisées et dont les résultats sont incontestables.
Le 28 mai est célébrée la Journée mondiale de l'hygiène menstruelle, sans doute pas l’une des plus connues et les plus médiatisées. La question de l’accès à l’information et aux produits essentiels à l’hygiène menstruelle pour les filles est pourtant une question importante et un des défis majeurs pour l’éducation des filles en Afrique. Wathi a organisé, en mars dernier, une table ronde sur la précarité menstruelle en milieu scolaire, dans le cadre d'une série de débats virtuels sur l’éducation en Afrique de l’Ouest en partenariat avec l’Irlande. Une série commencée avec une table ronde en février dernier sur l’égalité de l’accès des filles à l’enseignement scientifique, ce qu’on appelle généralement les STEM [sciences, technologies, ingénierie et mathématiques, Ndlr]. On se rend compte assez vite dans une telle discussion qu’il y a de nombreuses sous-questions à aborder, qui sont des obstacles à l’éducation dans des conditions minimales d’apprentissage tout court. Une de ces conditions minimales, c’est le fait pour les filles adolescentes qui commencent à avoir leurs règles, de ne pas devoir manquer plusieurs jours d’école tous les mois. Un des invités à la table ronde, Jerry Azilinon, secrétaire général de Yeewi, une association qui lutte contre la précarité menstruelle au Sénégal, souligne que les filles peuvent manquer jusqu’à 300 heures de cours par an, un quart du temps d’apprentissage, en raison de la précarité menstruelle, qu’on peut définir comme étant la difficulté d’accès aux protections hygiéniques. La difficulté principale, est-ce le coût financier des protections hygiéniques pour les filles ?C’est un facteur essentiel. Les protections périodiques coûtent cher, et il s’agit d’une dépense récurrente, sauf pour les serviettes lavables bien conçues qui sont encore trop peu disponibles et connues. Fatoumata Leye, chargée des programmes de l’organisation Kitambaa qui fait de la sensibilisation et du plaidoyer sur le sujet et promeut la production locale de serviettes hygiéniques lavables, a rappelé que les protections périodiques font l’objet de taxes au Sénégal, alors qu’elles devraient être subventionnées notamment pour les filles d’âge scolaire. Il est clair que les filles issues des familles les plus pauvres et dont les parents ont un niveau d’éducation faible et un accès limité à une information fiable sont les plus affectées par la précarité menstruelle et qu’elles sont aussi celles qui vont voir leur scolarité fortement, parfois irrémédiablement perturbée en raison des menstrues qui sont naturelles pour toutes les filles et toutes les femmes du monde, et qui sont indispensables à la reproduction humaine et donc à la vie.À lire aussi«Je mets des couches à la place»: face à la précarité menstruelle, certaines femmes sont contraintes au système DEn plus de l’obstacle économique, l’accès à une bonne information et à une éducation sexuelle et reproductive est un immense défi. Cette table ronde a permis de rendre compte de la réalité que vivent les jeunes filles en milieu scolaire, de leur difficulté à s’informer sur les règles qui surprennent encore beaucoup de filles totalement non préparées lorsqu’elles passent de l’enfance à l’adolescence. Nos deux invités ont aussi rappelé qu’il y avait encore beaucoup de tabou par rapport aux règles, de la désinformation qui pouvait entraîner des pratiques nocives pour la santé des filles, et aussi un niveau parfois ahurissant d’ignorance de la part des garçons et des hommes. En mettant dans le débat public le sujet de la précarité menstruelle en lien avec celle de l’éducation des filles, vous espérez pousser les élus, les décideurs, à se préoccuper de tout ce qui affecte directement le bien-être de millions de filles.Tout à fait. Les participants à la table ronde ont par exemple souligné l’état souvent lamentable des toilettes dans les écoles, ce qui rebute particulièrement les filles de manière générale et encore plus pendant leurs règles. Un inspecteur de l’éducation nationale à la retraite au Sénégal a témoigné de cette réalité qui impacte directement l’attachement des filles à l’école. Certains s’étonneront peut-être que nous nous intéressions à des questions qui semblent triviales et secondaires. Le fait est que nos États ont peu de chances de résoudre des problèmes complexes s’ils ne sont pas capables de régler des questions relativement simples, si nous ne sommes pas collectivement capables de doter nos écoles de toilettes décentes et d’un environnement scolaire propice à l’apprentissage joyeux et confortable des enfants, et pas seulement de ceux des familles privilégiées. Alors oui, pour nous, réduire les périodes d’inconfort, de douleurs physiques et morales des filles, et lever tous les obstacles à la réalisation de leur potentiel, c’est loin d’être une question secondaire.À écouter aussiJournée mondiale de l’hygiène menstruelle : la parole aux activistes
Les bases militaires à l’étranger sont l’apanage de quelques puissances militaires dans le monde. La semaine dernière, il était question des États-Unis qui avaient une avance considérable sur tous les autres pays dans ce domaine, avec des dizaines de milliers de troupes hors de leur territoire, la majorité en Asie-Pacifique, en Europe et au Moyen-Orient. Mais en Afrique, la France a longtemps été très présente militairement et c’est un sujet d’actualité dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. On peut dire que cette présence militaire fait débat en ce moment. Lors d’une conférence à l’université de Dakar le 16 mai dernier, à l’occasion de la visite de l’homme politique français Jean-Luc Mélenchon au Sénégal, le Premier ministre Ousmane Sonko, qui s’exprimait en tant que chef de parti et pas de gouvernement, s’est interrogé sur la justification de la présence de bases militaires étrangères permanentes au Sénégal plus de soixante ans après l’indépendance. Ousmane Sonko a réitéré dans son discours « la volonté du Sénégal de disposer de lui-même, laquelle volonté est incompatible avec la présence durable de bases militaires étrangères au Sénégal ». Le message est plutôt clair. Le Sénégal, mais aussi le Gabon, la Côte d’Ivoire et Djibouti sont les pays d’accueil des bases militaires permanentes en Afrique.Même s’il faudrait en réalité ajouter le Tchad à cette liste. Ce pays n’accueille pas formellement une base permanente mais les soldats français n’ont jamais cessé de s’y relayer depuis l’opération Manta lancée en 1983 en réponse à l’appel du président tchadien Hissène Habré, menacé par des rebelles appuyés par la Libye du colonel Kadhafi. L’opération Épervier avait pris le relais de 1986 à 2013 jusqu’au lancement de l’opération Barkhane. Il faut distinguer base militaire permanente et opérations extérieures mais des opérations à durée indéterminée et à objectifs modulables dans le temps finissent par ressembler à une présence militaire permanente.Les éléments français au Sénégal (EFS) et les éléments français au Gabon (EFG), sont constitués d’effectifs plutôt modestes, 350 militaires dans chaque pays. Les bases de Dakar et de Libreville constituent des « pôles opérationnels de coopération à vocation régionale » dans le jargon du ministère français des Armées. Leurs principales missions sont « d’assurer la défense des intérêts français et la protection des ressortissants ; d’appuyer les déploiements opérationnels dans la région et de contribuer à la coopération opérationnelle régionale ». Les effectifs étaient historiquement beaucoup plus importants. Au Sénégal par exemple, c’est sous la présidence d’Abdoulaye Wade en 2010 que les effectifs sont passés de 1200 soldats à 350. La base militaire en Côte d’Ivoire accueille officiellement 600 militaires. Le ministère français des Armées qualifie cette base de « plateforme stratégique, opérationnelle et logistique majeure sur la façade ouest-africaine ». Lors de la longue et grave crise ivoirienne, on a vu le rôle décisif joué par la force Licorne dont le déploiement avait été largement facilité par l’existence préalable de cette base française située tout près de l’aéroport et du port d’Abidjan.Et il y a bien sûr les Forces françaises de Djibouti qui constituent le contingent le plus important de forces de présence françaises en Afrique, 1 500 soldats. Djibouti, devenu indépendant seulement en 1977, fait de sa position géographique stratégique un atout majeur et loue une partie de son territoire aux grandes, moyennes et petites puissances qui voudraient y avoir une présence militaire. Depuis les années 2000, les États-Unis, l’Allemagne, le Japon, l’Italie et la Chine ont ouvert des bases à Djibouti, enclave sur-militarisée en Afrique. Rien ne devrait changer au cours des prochaines années de ce côté-là. Du côté de la France, il est peut-être temps d’accepter qu’une page historique se tourne en Afrique et que des partenariats dans le domaine de la défense et de la sécurité ne requièrent pas une présence permanente.« La France est une nation singulière en tant qu’elle demeure la seule puissance qui conserve des bases militaires permanentes dans ses anciennes colonies africaines. » C’est ce qu’on peut lire dans le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur les relations entre la France et l’Afrique, rédigé par les députés Bruno Fuchs et Michèle Tabarot. Hors du continent africain et bien sûr des territoires français d’outre-mer, eux aussi issus de la colonisation, comme la Nouvelle-Calédonie actuellement dans l’actualité, la seule base permanente de la France à l’étranger se trouve aux Émirats arabes unis, inaugurée en 2009. Du côté des pays africains, l’urgence est de prendre la mesure de l’absurdité qui consiste à confondre la juxtaposition de nationalismes étriqués avec le panafricanisme. Un panafricanisme pragmatique et éclairé devrait mettre en avant l’impératif de déterminer dans le cadre des organisations régionales et de l’Union africaine les principes devant guider la présence, qu’elle soit permanente ou ponctuelle, de forces militaires étrangères sur le continent.
Les discussions sont en cours entre les États-Unis et les autorités militaires du Niger pour organiser le retrait du millier de soldats américains présents sur le sol nigérien, à la suite de la décision du régime du général Tchiani de rompre le partenariat militaire qui avait permis l’installation de deux bases de l’armée américaine, à Niamey et dans la région d’Agadez. C’est l’occasion pour vous de partager avec nous quelques faits sur le petit groupe de pays qui disposent de bases militaires permanentes hors de leur territoire. Le départ des soldats américains du Niger implique la fin des deux bases de l’armée américaine, et en particulier celle de la base 201 située près de la ville d’Agadez au nord du Niger, clairement conçue pour la durée. Lorsque l’on visionne les reportages vidéo réalisés par les services de communication de l’armée américaine disponibles sur internet qui relatent la construction de cette base, on imagine le dépit actuel des décideurs qui avaient été engagés dans la réalisation de ce projet. À lire aussiNiger : pourquoi la base militaire d’Agadez est stratégique pour les États-UnisLa construction de cette base 201, dont le coût est estimé à 110 millions de dollars US, est décrite comme le projet le plus important de construction jamais entrepris par les ingénieurs de l'armée de l'air. Il fallait partir de zéro, construire une piste d’atterrissage de 1890 mètres dans les conditions rudes du désert saharien, forer jusqu’à 275 mètres pour trouver de l’eau. Les hauts gradés de l’armée de l’air qui s’expriment dans ces reportages étaient très fiers du travail des équipes d’ingénieurs qui se sont relayés pendant un peu plus de trois ans sur le chantier de cette base inaugurée en novembre 2019. Les États-Unis voulaient disposer de cette présence dans cette partie du continent africain, à la jonction de l’Afrique de l’Ouest, de l’Afrique du Nord et de l’Afrique centrale, en plus de leur base militaire du camp Lemonnier à Djibouti. Les États-Unis sont de très loin le pays qui dispose du plus grand nombre de bases militaires extérieures dans le monde et cela sert évidemment avant tout à la défense de leur statut de puissance planétaire… Il y avait en septembre 2022, 171 736 militaires américains en service actif dans 178 pays, le plus grand nombre se trouvant au Japon (53973), en Allemagne (35781) et en Corée du Sud (25372). Ces trois pays, Japon, Allemagne et Corée du Sud, sont également ceux qui comptent le plus grand nombre de bases militaires américaines, respectivement 120, 119 et 73. Le média al-Jazeera estime à environ 750 le nombre de bases militaires américaines dans au moins 80 pays, et précise que le nombre réel pourrait être plus élevé, toutes les données n’étant pas publiées par le ministère de la Défense des États-Unis. En juin 2023, plus de 30 000 soldats américains étaient stationnés au Moyen-Orient. La Seconde Guerre mondiale, puis la guerre froide et la guerre de Corée ont donné aux États-Unis de bons prétextes pour assurer le déploiement de leur puissance militaire à l'échelle mondiale. Mais il faut aussi observer que des pays comme le Japon, l’Allemagne et la Corée du Sud, qui n’avaient certes pas vraiment le choix initialement de refuser une présence militaire massive et permanente sur leur sol, ont su en tirer profit pour se concentrer sur le développement de leurs économies, délégant de fait leur sécurité aux États-Unis. Les Etats-Unis ne sont pas les seuls à se déployer à l’étranger. Ils surveillent notamment la Chine et la Russie… La logique des puissances est celle d’une volonté de domination et de maintien des concurrents à distance. C’est peut-être précisément sur le plan de la présence militaire dans le monde que les États-Unis gardent une avance considérable sur tous leurs rivaux, à commencer par la Chine. C’est seulement en août 2017 que la Chine a ouvert sa première base militaire officielle à l'étranger, à Djibouti, où elle a rejoint la France, les États-Unis, l’Allemagne et même le Japon et l’Italie... Les États-Unis surveillent de près les intentions de l’armée chinoise et la soupçonnent de vouloir ouvrir des bases dans 19 autres pays dans le monde, dont huit pays africains. Le ministère de la Défense des États-Unis produit un rapport annuel au Congrès dédié à l’analyse de la puissance militaire de la Chine (China Military Power Report). À lire aussiDjibouti, sentinelle de la Corne de l'AfriqueAutre puissance militaire planétaire en quasi-guerre avec les États-Unis et l’Europe de l’Ouest, la Russie évidemment. Elle a une présence militaire extérieure qui reste géographiquement limitée. Les bases russes se concentrent dans les anciennes républiques soviétiques et en Syrie. La poussée en Afrique depuis quelques années se traduit par des projections de combattants et d’équipements. On ne peut évidemment pas exclure la volonté de s’installer durablement, mais jusque-là, il semble que l’objectif est de pousser dehors les armées des États-Unis et de la France qui y étaient plutôt confortablement installées. À lire aussiLes armées étrangères en Afrique : vers une compétition stratégique
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