Crises et production de savoirs: état des lieux des universités au Sahel
Description
Marième Cissé, vous avez organisé en juin dernier une table ronde virtuelle sur les crises et la production de savoirs au Sahel, quels sont les défis auxquels font face les universités et centres de recherche dans ce contexte ?
Marième Cissé : Avec les crises dans la région, ces établissements d'enseignement supérieur, qui sont des institutions clés, sont actuellement confrontés à des défis importants.
La production de savoirs, essentielle pour des politiques publiques éclairées et efficaces, est sérieusement menacée. Les enseignants-chercheurs peinent à mener à bien leurs travaux, souvent perturbés par l'instabilité et le manque de ressources.
« L’instabilité a amené beaucoup de troubles au niveau de l’Université au Mali. Il y a eu une perturbation des cours. On n’arrivait pas à respecter le calendrier alors que le système LMD (Licence Master Doctorat) exige un certain nombre d’heures de cours pour pouvoir valider l’année… ». C’est que nous dit Dr Jacqueline Konaté, enseignante-chercheure en mathématiques et qui est la directrice générale du Centre d’intelligence artificielle et de robotique du Mali, une des invités à cette table ronde, coorganisée avec le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest.
Au-delà de ces perturbations, l’autre défi majeur souligné par nos invités, est que les budgets alloués aux universités et à la recherche continuent de diminuer au fil des années, la priorité étant donnée à la sécurité par les autorités. La fuite des cerveaux est également mentionnée. De nombreux universitaires talentueux quittent la région en quête de meilleures conditions de travail, ce qui aggrave encore le déficit de production intellectuelle locale. Cette situation globale limite la capacité des universités du Sahel à contribuer aux débats scientifiques internationaux et à produire des connaissances adaptées aux besoins spécifiques de la région.
Il y a aussi des difficultés supplémentaires pour les enseignants chercheurs de certaines disciplines des sciences sociales…
Oui, durant les temps de crises sécuritaire et politique, « il est de plus en plus difficile d’être juriste, politiste ou sociologue parce que ces sciences traitent quelque part des questions politiques. Il y a une sorte de cabale contre les intellectuels, exacerbée par la percée des mouvements souverainistes », comme l’a souligné le Pr. Abdoul Karim Saidou, agrégé de science politique à l'Université Thomas Sankara.
Dans cet environnement défavorable au foisonnement des savoirs, il est important de souligner qu'être critique ne signifie pas être opposé à un gouvernement. Au contraire, cela fait partie intégrante du rôle du chercheur.
Quelles sont les principales conclusions qui sont ressorties de cette discussion ?
Dans les réponses apportées à ces crises, il y a une faible mobilisation des savoirs universitaires ou endogènes. Alors que toutes ces crises (sécuritaire, humanitaire, sociale, politique, économique et même identitaire) devraient réellement attirer l’attention des États sur l’importance des savoirs dans la formulation des réponses aux défis actuels.
Les États doivent faire l'effort d’accroître les ressources financières allouées aux universités, cela contribuerait à accompagner les enseignants-chercheurs de manière active dans leur recherche sur les crises que le Sahel traverse, de sorte à avoir une offre de recherche purement centrée sur des enjeux sahéliens primordiaux tels que la sécurité, l’environnement, la gouvernance.
Il faut également encourager la transformation digitale de l’enseignement supérieur en développant des plateformes d’enseignement avec des ressources pédagogiques dont l'accessibilité sera facile pour les enseignants et les étudiants, même en temps de crises.
Pour pouvoir recourir à l’intelligence collective scientifique, il faut une réelle connexion entre la production des savoirs et leur valorisation effective dans la prise de décision. Les universités peuvent contribuer significativement à la stabilité et au développement, il est donc crucial de continuer à les soutenir et à les protéger.
► Pour aller plus loin :