DiscoverLe grand invité AfriqueContre le jihadisme, il faut «expérimenter le dialogue et la médiation», dit Bakary Sambe du Timbuktu Institute
Contre le jihadisme, il faut «expérimenter le dialogue et la médiation», dit Bakary Sambe du Timbuktu Institute

Contre le jihadisme, il faut «expérimenter le dialogue et la médiation», dit Bakary Sambe du Timbuktu Institute

Update: 2024-09-09
Share

Description

Au nord du Bénin, le chômage n’est pas la seule cause de la radicalisation de certains jeunes qui basculent dans le jihadisme, affirme le Timbuktu Institute. Au terme d’une longue enquête dans trois départements du nord du Bénin, aux confins du Burkina Faso et du Niger, cet institut publie un rapport intitulé Au-delà de la criminalité, qui montre que l’approche criminologique ne suffit pas pour combattre le phénomène jihadiste. Professeur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal, Bakary Sambe est le directeur régional du Timbuktu Institute et le fondateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique.

RFI : Dans votre enquête très fouillée – près de 300 interviews étalées sur plus d'un an – vous dites que le chômage des jeunes est un facteur essentiel de la radicalisation et un responsable associatif de Djougou vous dit : « pour avoir du travail, il faut connaître quelqu'un qui est proche du pouvoir, sinon on n'en trouve pas ».

Bakary Sambe : Oui, des jeunes des communautés qui ont participé à l'étude perçoivent donc, de ce point de vue, la radicalisation et l'extrémisme violent comme un refuge pour faire face aux différents problèmes sociaux et socio-économiques. On voit, notamment dans la Donga, comment les groupes extrémistes violents arrivent à instrumentaliser ces griefs, notamment les questions d'injustice et d'inégalité. Par exemple, ce jeune qui nous aborde en disant : « est-ce qu'on pourrait m'aider à entrer dans un groupe extrémiste violent, parce que ça fait des années que j’essaie d'entrer dans l'armée, mais ne connaissant personne, appartenant à une certaine ethnie, je me sens exclu ». Et donc, il voit dans ces groupes-là un refuge pour justement lutter contre ces griefs et sortir de la marginalisation.

Il voit même cela comme « une revanche sociale », vous dit ce jeune…

Il voit cela comme une revanche sociale, parce que, pour lui, l'État et ses représentants locaux l'empêchent, en tant que Béninois jouissant de ses droits, d'entrer dans une fonction publique comme l'armée ou bien les forces de sécurité et de défense, pour véritablement vivre sa passion, qui est la passion des armes. Du coup, il se voit attiré par les groupes extrémistes violents qui se présentent comme des protecteurs des communautés ostracisées et jouent cette carte de la division et essaient de dire à des communautés ostracisées, marginalisées : « nous sommes vos protecteurs ».

Autre facteur de radicalisation, dites-vous, dans les provinces du Nord du Bénin à majorité musulmane, la compétition religieuse entre prédicateurs, les uns salafistes, les autres de la confrérie soufie tidjaniya ?

Oui, on voit bien ces rivalités internes au sein de la communauté musulmane, aussi bien dans la Donga comme à Djougou ou à Ouaké. Elles expriment le degré d'ancrage des courants wahhabites qui contestent les groupes soufis comme la tidjaniya. Là, les cheiks [wahhabites] bâtissent toute une stratégie basée sur l'humanitaire et le travail social. Et on voit que ces organisations, via des ONG qui reçoivent des financements, commencent à se substituer à l'État. Et on voit là une dynamique qu'on a connu dans le Sahel dans les années 70 et qui commence à devenir une véritable réalité dans le nord du Bénin. Et il y a ce témoignage qui nous a été fait au sujet de la stratégie de ces ONG pour combler le vide. La personne nous dit carrément que ce sont des pays du Golfe qui, à travers des projets, font des dons d'infrastructures aux villages et aux communes. Aujourd'hui, dans les départements du Nord du Bénin, nous avons des centaines de forages d’eaux, de puits, et cetera. Bref, une stratégie de remplacement de l'État et, en même temps, une stratégie double. D’une part, elle est basée sur la dawa, la prédication. Et de l'autre côté, sur la hirassa, le secours humanitaire. De sorte qu'aujourd'hui, il y a une compétition des courants religieux, une lutte entre ces courants religieux, notamment le salafisme wahhabite et la tidjanya, qui aujourd'hui est menacée par cette offensive de la dawa.

Et dans certains villages, vous dites que les jihadistes n'hésitent pas à saisir les téléphones des habitants pour supprimer les vidéos qu'ils considèrent comme haram, c'est à dire impie. Est-ce à dire qu'il y a des zones où les djihadistes circulent en toute liberté et font la loi ?

Nous avons été très surpris par ce témoignage à Nattitingu, dans le département de l'Atacora, où les jeunes vous disent qu'ils reçoivent des messages et qu'ils ont des nouvelles de certains jeunes qui ont été appelés par les « gens de la brousse » et qui hésitent à les rejoindre. De la même manière que l'on voit un jeune qui témoigne de l'existence de centres de formation, en disant que, lorsque les jeunes quittent ces centres de formation et reviennent dans le village, ils commencent à avoir un comportement qui inquiète la communauté.

D'après votre enquête, le département le plus vulnérable aux jihadistes, c'est celui de l'Atacora, limitrophe du Burkina. Vous y racontez la stigmatisation des Peuls et aussi ce que les habitants appellent les « gens de la brousse », c'est à dire des groupes djihadistes armés qui circulent pour aller du Togo au Burkina et qui, du coup, sont en contact permanent avec la population, est ce qu'on peut parler de familiarisation ?

Il y a une forme de familiarisation, il y a une forme aussi de stratégie qui fait que les populations locales sentent que ces « gens de la brousse » maintenant font partie de leur quotidien. Du coup, je pense que la bonne stratégie des autorités serait d'avoir une approche mixte. C'est à dire, autant il est important de gérer les impératifs et les urgences sécuritaires au regard de la menace, mais aussi il est important d’avoir une approche basée sur le renforcement de la résilience des communautés, de sortir du tout sécuritaire, d’expérimenter les stratégies endogènes basées sur la culture du dialogue, sur la culture de la médiation. Les jeunes que nous avons vus se déployer en médiateurs, des jeunes engagés dans leur communauté, cela montre qu'il y a encore des ressources au sein de la société béninoise qu'il faudrait explorer dans le Nord du Bénin.

À lire aussiBénin: une attaque terroriste fait plusieurs morts dans le parc national W au nord du pays

 

 

 

 

 

 

Comments 
In Channel
loading
00:00
00:00
x

0.5x

0.8x

1.0x

1.25x

1.5x

2.0x

3.0x

Sleep Timer

Off

End of Episode

5 Minutes

10 Minutes

15 Minutes

30 Minutes

45 Minutes

60 Minutes

120 Minutes

Contre le jihadisme, il faut «expérimenter le dialogue et la médiation», dit Bakary Sambe du Timbuktu Institute

Contre le jihadisme, il faut «expérimenter le dialogue et la médiation», dit Bakary Sambe du Timbuktu Institute

RFI