Norvège, la nécropole du CO2
Description
Enfouir nos émissions industrielles dans les profondeurs des sous-sols marins serait la solution miracle pour freiner le réchauffement climatique. En tous cas, c'est ce que la Norvège, qui finalise la construction de la première installation transfrontalière de stockage de carbone au monde, garantit. Suffisant pour réduire les émissions mondiales, ou simple opération d'écoblanchiment pour prolonger encore plus l’utilisation de nos énergies fossiles ?
Piéger le CO2 dans les cheminées des cimenteries
À l'échelle mondiale, la fabrication de ciment représente 7 % des émissions de gaz à effets de serre, soit trois fois plus que l'ensemble des vols commerciaux de la planète – qui représentent quelque 2,5 % de l'émission mondiale de CO2. C'est pourquoi l'usine Heidelberg de Brevik, en Norvège, prévoit de faire appel au projet Northern Lights pour capturer 50 % du CO2 émis par ses cheminées et le stocker. Le gaz sera isolé du reste des émissions, puis refroidi et liquéfié avant d'être expédié par navires spéciaux à l’ouest de la Norvège.
La séparation du CO2 des autres gaz résiduels est coûteuse et énergivore, mais le dispositif de capture recyclera également la chaleur de la cimenterie de Brevik. La production de ciment est notoirement difficile à décarboner, et l'installation ne peut actuellement réduire ses émissions que d'un tiers via d'autres moyens. Pour réduire de moitié son bilan carbone, la capture et le stockage du carbone (CSC) sont les seuls moyens à disposition du cimentier.
La dernière demeure du CO2
Les bateaux débarqueront sur la jetée de la plateforme créée par Northern Lights à Øygarden, où un ensemble de pompes déchargera le CO2 liquéfié dans les cuves du terminal. De là, un gazoduc l'acheminera à 100 kilomètres des côtes, où il sera injecté à 2 600 mètres de fond, dans les profondeurs de la croûte terrestre.
L'aquifère sous-marin stockera ainsi jusqu'à 1,5 million de tonnes par an dans sa première phase, l'objectif étant de passer à 5 millions de tonnes par an à horizon 2030. Les clients ne manquent pas : outre le cimentier Heidelberg Materials, le géant néerlandais des engrais Yara et l’une des principales entreprises du secteur énergétique ont déjà signé des contrats pour enfouir 1,23 million de tonnes de CO2 par an.
Børre Jacobsen, directeur général de Northern Lights, estime que si la demande augmente suffisamment dans les années à venir, des pipelines pourraient voir le jour dans toute l'Europe pour transporter le carbone des complexes industriels directement vers des installations comme celle-ci. En France, Dunkerque et Fos-sur-Mer, deux zones portuaires représentant près de la moitié des émissions industrielles de CO2, vont d’ailleurs bénéficier d’une dotation de 17 millions d’euros dans le cadre du plan d’investissement France 2030. L’objectif est de concevoir de nouveaux modes de production et de captation du CO2.
Une vache à lait pour les géants du pétrole et du gaz
Le gouvernement a financé ce projet à hauteur de 80 %, mais ce sont Total, Shell et Equinor qui le mettent en œuvre. Forage de puits, transport de gaz liquéfié, construction de gazoducs... Il s'agit de la même technologie que pour l'extraction du pétrole et du gaz, car les compagnies pétrolières injectent du CO2 dans les puits depuis les années 1950 pour extraire davantage de pétrole des gisements vieillissants.
Est-il judicieux de placer l'industrie fossile au cœur de la solution climatique ?
La Norvège : État pétrolier aujourd’hui, géant du stockage demain
Les ambitions norvégiennes dans le domaine de la capture et stockage de carbone sont encore balbutiantes. Le ministre du commerce et de l'industrie, Jan Christian Vestre, a dores et déjà annoncé à France 24 une capacité nationale de stockage du carbone de 40 millions de tonnes par an d'ici à 2030.
Il ajoute que la Norvège sera le leader de l'UE en termes de stockage de CO2, vantant les décennies d'expérience de son pays dans l’extraction fossile .
Un exercice d’écoblanchiment ?
Mais n’est-ce pas une manière de contourner l’urgence climatique ? Est-ce que les grands pollueurs ne donnent pas d'une main ce qu'ils reprennent de l'autre ? Capter et stocker le CO2 tout en intensifiant les pratiques à fortes émissions qui sont à l’origine de la crise actuelle ?
Silje Lundberg, de l'ONG Oil Change International, condamne le projet comme un acte de Greenwashing : "Le fait que Total, Equinor et Shell soient ceux qui financent ce projet montre qu'ils l'utilisent comme un moyen de prolonger l'industrie au lieu de chercher de vraies solutions."